Refus d’extrader: un avocat donne son avis

RWANDA : trois arrêts de la Cour de cassation qui relancent le débat sur l’extradition vers leur pays de personnes suspectées d’avoir participé au génocide des Tutsi. 

  Dans trois arrêts du 26 février 2014, la Cour de cassation s’est fermement opposée à ce que la France extrade vers le Rwanda des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi en 1994. Sa motivation peut laisser perplexe.

Selon notre haute juridiction, le respect du principe de légalité des délits et des peines rend impossibles de telles extraditions vers le Rwanda. En effet, à l’époque où le génocide a été commis, la législation rwandaise – qui en prévoyait pourtant l’interdiction, on appréciera la subtilité – n’édictait pas de peine qui serait venue sanctionner ce crime que l’on considérait déjà comme un crime contre l’humanité.

Le principe de légalité a valeur constitutionnelle. C’est l’héritage de la Révolution française et des philosophes des Lumières. Et, certes, on n’y doit toucher qu’avec précaution et respect et le protéger comme nous protégeons nos libertés. Mais lesdits philosophes des Lumières verraient les cheveux de leurs perruques poudrées se dresser sur leurs têtes s’ils savaient que leur cher principe – notre cher principe – conduit aujourd’hui à empêcher que soient jugés les auteurs supposés d’un génocide.

Les traités internationaux prévoient que le principe de légalité ne trouve pas à s’appliquer en matière de crimes contre l’humanité. Cette exception repose sur le simple bon sens : celui qui commet un crime contre l’humanité ne peut pas ne pas savoir que ce qu’il fait est mal, il ne peut donc pas se prévaloir du principe de légalité des délits et des peines pour échapper à une condamnation. La Cour d’appel de Paris s’était prononcée en ce sens. Elle a été contredite en cela par la Cour de cassation : “ Est privé de l’une des conditions essentielles de son existence légale l’avis favorable de la chambre de l’instruction donné à une demande d’extradition concernant des faits qualifiés de génocide qui n’étaient pas incriminés par l’Etat requérant à l’époque où ils ont été commis ”.

Ce qui peut aussi se comprendre ainsi : les gens qui ont perpétré le génocide de 1994 ne pouvaient pas savoir que le fait d’exterminer près de 10 % de leur propre population constituait une infraction passible d’une peine d’emprisonnement, étant donné que la loi punissant le génocide n’avait pas encore été promulguée par le régime même qui organisait ce génocide. Donc on n’extrade pas. Donc cassation. Tout cela est d’une logique implacable…

Ladite cassation, c’est assez inhabituel pour être signalé, est “ sans renvoi ”, ce qui signifie que l’affaire s’arrête là, sans que les cours d’appel pas toujours très sages sur ce sujet aient à nouveau à en connaître. Si je ne me trompe, l’affaire Dreyfus s’était elle aussi conclue par une cassation “ sans renvoi ” qui proclamait solennellement l’innocence du capitaine injustement accusé. C’est assez dire la portée que l’on entend donner à ces arrêts.

On peut cependant appeler de ses vœux  un revirement de jurisprudence sur cette question. Après tout, une bêtise énoncée trois fois ne devient pas forcément vérité d’évangile et l’on a vu quelquefois nos juges les plus éminents revenir sur des erreurs passées. De ce point de vue, la position courageuse adoptée par plusieurs cours d’appel en matière d’extraditions visant des personnes recherchées pour génocide donne encore quelque espoir. Et c’est toujours l’espoir qui gagne à la fin, n’est-ce pas ?

 

Serge ARZALIER

Avocat

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