- Audition d’Alain VERHAAGEN.
- Audition d’Hervé DEGUINE, cadre dans une multinationale française,
ancien membre de Reporters sans Frontières. - Audition de monsieur Dismas NSENGIYAREMYE, ancien premier ministre.
- Audition de Jean-Marie Vianney NDAGIJIMANA, ancien ambassadeur du Rwanda à Paris,
ancien ministre des Affaires étrangères
Audition de monsieur Alain VERHAAGEN cité par le ministère public.
Monsieur VERHAAGEN se présente comme un directeur d’administration publique en Belgique et un professeur honoraire d’Université enseignant les questions de développement de l’Afrique d’un point de vue politique, social et économique. Il était au Rwanda en mai-juin 1994 en tant que conseiller de Médecins sans frontières Belgique chargé de la mise en place de convois assurant l’acheminement de secours.
Au cours de sa mission, le témoin dit avoir vu les traces de la préméditation du génocide des Tutsi. Il relève notamment le principe global d’attaque des églises qui selon lui met à mal la thèse de la spontanéité des massacres. Il est un des premiers à se rendre sur les lieux des massacres de l’église de NTARAMA; Il donne aussi l’exemple de la destruction des fiches de naissance des enfants Tutsi dans une maternité, à NYAMATA: si les génocidaires prenaient le temps de les déchirer alors qu’ils devaient fuir face à l’avancée du FPR[1], c’est bien que la volonté d’empêcher la transmission de la filiation Tutsi était calculée. Un autre indice de la préméditation donné par le témoin concernant les entraves à la perpétuation des Tutsi est le viol des femmes par des Hutu pour qu’elles enfantent des enfants Hutu et briser ainsi la transmission ethnique.
Concernant les prémices du génocide, monsieur VERHAAGEN considère que la thèse selon laquelle celui-ci est en gestation dès le début des années 1990, voire depuis 1959, et que la thèse selon laquelle il aurait été déclenché par l’attentat imprévisible contre le président HABYARIMANA[2] ne sont pas des théories incompatibles. Il y a à la fois le fait qu’une marginalisation extrême des Tutsi existe depuis la fin des années 50, déjà bien avant 1994 et le fait que la mort du président a été l’élément déclencheur du génocide.
Néanmoins, la rapidité de réaction de la Garde présidentielle qui, en 20 minutes après que l’avion a été abattu, avait déjà agi en vue des assassinats des opposants politiques indique qu’elle était déjà prête. Par comparaison, le témoin fait remarquer qu’il a fallu à l’armée américaine 40 minutes le 11 septembre 2001 pour prendre une décision sur les opérations immédiates à mener lors de l’attaque des tours. Il fait aussi remarquer que c’est un militaire à la retraite qui prend les choses en main le 6/7 avril 1994, le colonel BAGOSORA[3], alors qu’il n’aurait dû avoir aucun rôle de commandement militaire à ce moment – là. D’autre part, la thèse d’une « revanche spontanée » est fortement mise à mal par le constat que ce sont des Hutu (les responsables politiques opposants aux radicaux) qui ont été les premiers tués.
Lorsque le président demande au témoin d’expliquer ce qu’est la « soumission à l’autorité », ce dernier évoque une démonstration durant laquelle une personne ne s’oppose pas à un scientifique procédant à une expérience (fausse) au cours de laquelle le patient reçoit des décharges électriques de plus en plus fortes jusqu’à ce qu’elles soient (faussement) fatales. Ce test démontre ainsi la soumission naturelle des gens face à une figure d’autorité, et le témoin note que ce cas a été courant au Rwanda.
À propos de Butare, monsieur VERHAAGEN analyse le discours du président SINDIKUBWABO du 19 avril 1994[4] et affirme la clarté de cet appel à « travailler » sur les barrières, qui signifiait massacrer les Tutsi. Il confirme lors des questions qui lui sont posées que ce double sens était compris de tous au Rwanda, quel que soit le niveau social, et que c’est justement pour que tout le monde comprenne que ce mot a été choisi.
Le témoin précise à un avocat des parties civiles que quiconque avait des responsabilités était susceptible d’organiser ces barrières et les rondes même si tout le monde pouvait prendre la tête d’une équipe de tueurs.
Pour revenir sur ce qui s’est passé à Butare, monsieur VERHAAGEN affirme qu’il est impossible pour une personne de n’avoir vu qu’un seul cadavre dans cette région entre avril et juin 1994. Il cite à l’appui les propos d’un homme d’église protestant Hutu: « À Butare, les fossés sont devenus des montagnes avec les cadavres ».
Le témoin déclare que le fait de regrouper les Tutsi pour les tuer plus facilement faisait partie de la panoplie des moyens employés par les génocidaires mais que ce n’était pas un point de passage obligé.
Monsieur VERHAAGEN répond à la question de la défense concernant l’existence de Hutu dits » modérés » et de Hutu opposants en disant que pour lui il n’y a que des innocents et des criminels, que les Hutu opposants politiques aux radicaux ont été massacrés mais que l’essentiel des Hutu n’étaient ni modérés ni opposants: c’était la population, et que si la majorité de cette population n’a pas tué, une partie a fait l’expérience de la soumission à l’autorité et de la soumission aux circonstances. Il ajoute que la violence était partout et que souvent des voisins ont pu assister à des drames sans réagir. Le témoin dit avoir vu des personnes s’exposant pour sauver des individus mais que ce n’était pas « tenable » de sauver des groupes sans disposer de la force.
PS. On peut se reporter aussi à l’audition de monsieur VERHAAGEN lors du procès de monsieur Philippe MANIER.
Audition de monsieur Hervé DEGUINE, cadre dans une multinationale française, ancien membre de Reporters sans Frontières, cité par la défense sur pouvoir discrétionnaire du président.
En début d’audience, le président annonce qu’un « incident » a eu lieu. Une jurée remplaçante est entrée en contact avec madame Fébronie MUHONGAYIRE, l’épouse de monsieur MUNYEMANA, lors de la pause méridienne. Monsieur le président prend aussitôt la décision de l’exclure.
Le témoin, qui a travaillé deux ans sur le Rwanda, de 1993 à 1995, au service de Reporters sans Frontières, commence par déclarer « qu’au Rwanda il est très difficile de connaître la vérité, avant, pendant, après le génocide ». « Si sous la présidence HABYARIMANA beaucoup de journalistes ont été tués, si une quarantaine ont été tués pendant le génocide, après 1994 ces assassinats n’ont pas cessé, jusqu’à aujourd’hui. » Le ton de l’audition est donné.
Et de poursuivre : « Il n’y a pas de liberté de la presse au Rwanda. » Et de donner l’exemple d’André SIBOMANA recruté pour remplacer le Père Guy THEUNIS comme correspondant de Reporters sans Frontières au Rwanda. Ce prêtre, dont le prédécesseur avait été assassiné, faisait l’objet d’accusations fantaisistes, reprise par la revue GOLIAS qui en faisait un complice du génocide. « Toutes ces accusations étaient fausses, poursuit monsieur DEGUINE, téléguidées pour des raisons politiques. » Tombé malade, les autorités rwandaises lui refuseront un bon de sortie pour aller se faire soigner en Europe. Il mourra. « On a construit une histoire pour abattre un opposant. »
Le témoin parle ensuite de l’affaire Guy THEUNIS, responsable de la revue Dialogue. Arrêté à l’aéroport de Kigali où il était en transit, accusé de génocide. Il demande à être jugé au Rwanda mais un accord avec la Belgique sera trouvé : son pays d’origine pourra le juger. Le procès n’aura jamais lieu.
Et de mettre les jurés en garde : « Je ne dis pas que tous les témoins qui viennent du Rwanda sont des menteurs, mais attention, soyez prudents. Le Rwanda n’est pas la France. On fabrique de faux témoignages. Le Rwanda n’est pas un pays démocratique, c’est une dictature où les opposants sont assassinés. En France, on ferme les yeux sur cette dictature parce qu’il y a eu un génocide. Je ne défends pas l’accusé (NDR. Qu’il ne connaît pas) mais prudence, il vient d’un pays où il est très difficile de connaître la vérité (…) des témoins ne sont pas libres de témoigner comme ils veulent. »
A ce stade, peut-être pour montrer au témoin que ses recommandations sont superflues, monsieur le président signale qu’au début de la procédure un faux a été découvert et qu’un dossier d’African Rights contenant un certain nombre de témoignages suspects et démentis par leurs auteurs a été écarté (NDR. Il s’agit d’un fascicule appelé « Le boucher de Tumba. »)
Monsieur DEGUINE reprend la parole pour aborder le cas de Ferdinand NAHIMANA[5], dossier dans lequel des témoins ont manifestement menti : « Il fallait un idéologue ! » (NDR. Un des principaux accusés du « procès des médias » qui s’est tenu entre 2000 et 2003 devant le TPIR. Il a été condamné à 30 ans de prison en 2007.) Le témoin de poursuivre : « Pour atteindre des buts politiques, le régime favorise de faux témoignages, sans que ce soit nécessaire. »
En réponse à plusieurs questions concernant la RTLM, Radio Télévision Mille Collines, créée par F. NAHIMANA, le témoin précise que tous les massacres n’ont pas été commis sur l’instigation de la RTLM. Le génocide a été perpétré dans des régions où on ne captait pas cette radio.
Maître BOURG, pour la défense, interroge à son tour le témoin : « Vous avez écrit un livre sur Ferdinand NAHIMANA ; Connaissez-vous le livre « Les médias du génocide » et leurs auteurs[6] ? Occasion est donnée au témoin de régler ses comptes avec Jean-Pierre CHRETIEN, Jean-François DUPAQUIER et Marcel KABANDA. Alors que Reporters sans Frontières était partenaire dans la publication du livre, monsieur DEGUINE reproche aux auteurs de ne lui avoir pas soumis la lecture du livre avant publication. Les auteurs auraient « trahi la confiance de Reporters sans Frontières en ne prenant la défense que des journalistes tutsi. » Selon le témoin, « l’histoire du génocide est beaucoup plus compliquée. Ferdinand NAHIMANA n’a pas bénéficié d’un traitement équitable. » Enfonce le clou concernant Jean-Pierre CHRETIEN, lui qui a dirigé es travaux universitaires de fondateur de la RTLM. Et de conclure : « Ce pays rend les gens fous. En France, on est dans une controverse malhonnête. »
Maître BOURG pose une dernière question : « Vous pensez que Dismas NSENGIYAREMYE était un MDR Power[7] ? »
Le témoin : « Je suis arrivé au Rwanda le jour où Dismas NSENGIYAREMYE[8] fuyait le pays. Je ne crois pas une seule seconde que ce monsieur soit un extrémiste. Il a défendu une ligne de crête et a été attaqué par les uns et par les autres. »
Maître LINDON, avocate d’IBUKA, fait confirmer au témoin que Reporters sans Frontières avait bien co-signé l’ouvrage en question. Concernant Pierre PEAN, qui a traité les Tutsi de « race de menteurs » (NDR. Dans son ouvrage « Noires fureurs, blancs menteurs »), le témoin affirme que PEAN a fait un bon travail mais que lui-même n’aurait pas employé les mêmes termes[9]. Et de rappeler le jury à la prudence.
Maître Simon FOREMAN, avocat du CPCR, rappelle au témoin qu’il relève de la liberté de l’auteur si ce dernier ne lui a pas soumis le texte avant publication. Monsieur DEGUINE de rétorquer : « Le problème, c’est ce qu’il n’y avait pas dans le livre : la dénonciation des crimes du FPR. »
Concernant l’Église dans le génocide ? « Il y a de bons prêtres et de mauvais prêtres. Le procès de Guy THEUNIS devant les Gacaca, c’est une farce (…) Si le Rwanda avait eu vraiment quelque chose à reprocher à Guy THEUNIS, il ne l’aurait pas laissé partir (en Belgique). (…) Il y avait aussi une radio de la haine chez les Tutsi, Radio MUHABURA ».
On s’en tiendra là. Pas sûr que ce témoignage ait, comme les suivants, apporté beaucoup de lumières aux jurés dans la compréhension du procès qui nous occupe.
Audition de monsieur Dismas NSENGIYAREMYE, ancien premier ministre, cité par la défense sur pouvoir discrétionnaire du président.
« MUNYEMANA n’est pas un génocidaire. Pour moi, il est innocent de ce dont on l’accuse. » C’est par ces mots que le témoin commence sa déposition spontanée. Tous deux habitaient des communes proches l’une de l’autre et ils entretenaient des liens de camaraderie. En janvier 1991, Dismas NSENGIYAREMYE se lance en politique et va recruter au profit du MDR, le Mouvement Démocratique Révolutionnaire, héritier du MDR PARMEHUTU, le parti pour l’émancipation des Hutu du temps du premier président, Grégoire KAYIBANDA. Le MDR souhaitait s’adresser aux masses populaires et aux élites locales (NDR. c’est à ce parti qu’adhèreront Sosthène MUNYEMANA et son épouse). Avec le PL[10] et le PSD[11], avec lesquels il aura des objectifs communs, il formera une troisième force d’opposition dans la politique rwandaise à partir de juillet 1991.
Le MDR recrutera très rapidement dans les préfectures de GITARAMA, GIKONGORO et KIBUYE, en moins grande mesure à BUTARE. Très vite le témoin exercera des fonctions importantes au sein de ce nouveau parti, aux côtés de Faustin TWAGIRAMUNGU, de Frodouald KARAMIRA et de Donat MUREGO. Le 12 avril 1992, Dismas NSENGIYAREMYE sera nommé Premier ministre par le président HABYARIMANA suite à des négociations entre les partis d’opposition. C’est Boniface NGULINZIRA qui, en tant que ministre des Affaires étrangères, participera aux négociations des Accords d’ARUSHA signés le 4 août 1993. Le témoin sera évincé de son poste en juillet 1993.
Pendant sa mandature, plusieurs « protocoles » seront signés:
- Protocole pour l’instauration d’un Etat de droit.
- Protocole pour le partage du pouvoir entre les différents partis, la CDR[12] exceptée.
- Protocole pour l’intégration des Forces armées, sous la direction de James GASANA.
- Protocole pour le retour des réfugiés sous la direction de Landouald NDASINGWA, dit LANDO.
Les élections pour la formation d’un gouvernement de transition à base élargie ne sont pas fixées sur le calendrier politique mais Juvénal HABYARIMANA restera président de la République, le poste de Premier ministre reviendra au MDR avec l’accord des autres partis. Un poste de vice-président sera réservé au FPR[1]. Le témoin aurait voulu signer les accords d’Arusha, selon ses dires, mais c’est Agathe UWILINGIYIMANA qui sera nommée au poste de Première ministre.
Considérant que ces accords avaient été mal négociés en laissant la part trop belle au FPR, le MRND[13] n’est pas du tout content. Certains membres du MDR manifesteront aussi leur désaccord. Se sentant menacé, accusé de corruption, le témoin se réfugie en France le 1 août 1993. Il ne reviendra qu’en décembre.
Une scission vase produire au sein du MDR qui, selon GUICHAOUA, désavoue Agathe UWILINGIYIMANA. Tous les ministres du MDR sont exclus, y compris Faustin TWAGIRAMUNGU. Toujours selon André GUICHAOUA, Dismas NSENGIYAREMYE, Donat MUREGO et Frodouald KARAMIRA basculent du côté PAWA[14], courant qui s’établira progressivement avec l’assassinat du président hutu du BURUNDI, monsieur NDADAYE. Dès fin 1993, Jean KAMBANDA[15] rejoint à son tour le MDR Power.
Dans une lettre adressée en 1995 au Comité de soutien de Sosthène MUNYEMANA, le témoin affirmera que le médecin de TUMBA appartenait à la branche modérée du MDR. À la question de savoir s’il pense toujours la même chose concernant l’accusé, le témoin rétorque: » Si je pensais autrement, je ne serais pas ici ». Pour lui, MUNYEMANA est « un homme sincère, qui aime la vérité et la justice« .
La défense présente au témoin une photo publiée dans le livre écrit sous la direction de Jean-Pierre CHRETIEN, Les Médias du génocide, et montrant MUREGO, KARAMIRA et NSENGIYAREMYE. La légende souligne que ce sont trois membres du MDR Hutu Power. « C’est une accusation indigne et non fondée, aucun de nos discours ne peut être fourni pour le prouver, conclut le témoin. Je ne comprends pas pourquoi ce monsieur nous range dans le Hutu Power sans avancer le moindre argument. »
Toute cette audience est apparue bien loin de l’affaire qui nous occupe dans cette Cour d’assisses. Les premières déclarations du témoin auraient pu suffire: Sosthène MUNYEMANA est innocent. Il en sera de même pour la dernière audition, celle de monsieur Jean-Marie Vianney NDAGIJIMANA qui éclairera peu le jury sur les responsabilités de l’accusé.
Monsieur le président suspend l’audience pour entendre monsieur NDAGIJIMANA par visioconférence[16]. L’audition de Dismas NSENGIYAREMYE reprendra après.
Maître Simon FOREMAN fait remarquer que deux ouvrages évoquent son appartenance au HUTU POWER: Jordan BERTRAND dans Le piège de l’Histoire et Gérard PRUNIER, conseiller de François LEOTARD. La Mission d’information reprendra aussi cette idée. Le témoin conteste.
L’avocat revient à MUNYEMANA qui affirme qu’il y avait trois courants au sein du MDR. Ce dernier aurait appartenu à une troisième voix. Or, pour GUICHAOUA, il n’y a bien que deux voies: celle de TWAGIRAMUNGU et celle de KARAMIRA, MUREGO et NSENGIYAREMYE, tendance Power. Pour illustrer ses propos, l’avocat du CPCR présente au témoin une caricature du journal extrémiste KANGURA montrant le trio ci-dessus se réjouir de la chute de TWAGIRAMUNGU. Et l’avocat de questionner: « Vous avez demandé un droit de réponse à KANGURA? », comme il l’avait fait pour Jean-Pierre CHRETIEN.
Maître FOREMAN enfonce le clou et demande au témoin si, concernant la lettre de soutien à MUNYEMANA, il a vérifié ses sources. Madame Sophie HAVARD lui fera remarquer plus tard que le témoin qu’il cite est un certain MUNYAGASHEKE, grand commerçant à BUTARE, responsable local du MDR, membre du Comité de financement de l’auto-défense civile pour soutenir la politique des massacres. Qui plus est, ce dernier déclare n’avoir jamais vu MUNYEMANA en 1994! Quel crédit apporter à un tel témoignage? « Vous citez comme témoin de moralité quelqu’un qui a été condamné pour génocide. »
Enfin, l’avocat général, Nicolas PERON, s’étonne que ce soit Jean KAMBANDA qui soit nommé Premier ministre du gouvernement à base élargie plutôt que lui, tous les membres qui avaient accepté un poste au gouvernement ayant été exclus du parti.
Réponse du témoin: » Si c’est ma personne qui gênait, j’ai demandé qu’on me laisse partir. Je n’étais pas là pour avoir un poste mais pour servir. Le Congrès a nommé KAMBANDA. » Quant à KARAMIRA qui avait terminé un discours le 25 août 1993 en clamant: » PAWA! PAWA! PAWA! » le témoin affirme que dès son retour, il a dénoncé ces propos.
Monsieur le président redonne la parole à l’accusé pour qu’il réagisse aux propos des témoin. Penses-t-il, comme Hervé DEGUINE, que la justice est manipulée? « Vous vous réclamez d’une filiation avec Dismas NSENGIYAREMYE?
L’accusé revient sur la notion de la troisième voie et dit s’être mal exprimé. On s’en tiendra là.
On peut toutefois se demander si cette audition, comme celle de monsieur NDAGIJIMANA, a bien permis de faire la lumière sur ce qui est reproché à l’accusé.
Audition de monsieur Jean-Marie Vianney NDAGIJIMANA, ancien ambassadeur du Rwanda à Paris, ancien ,ministre des Affaires étrangères, cité par la défense sur pourvoir discrétionnaire du président. En visioconférence de DOUAI.
Le témoin commence par refuser de révéler sa véritable adresse, « pour des raisons de sécurité« .
Le témoin est venu parler du contexte, pense-t-il, et après avoir énuméré les différents postes importants qu’il a occupés de 1986 à 1994, il se lance dans des considérations que monsieur le président juge peu utiles pour l’établissement de la vérité. Ayant adhéré au MDR pour réformer le MDR PARMEHUTU, il est ambassadeur du Rwanda en France au moment du génocide. Evoquant le retour des réfugiés en octobre 1990, monsieur SOMMERRE se sent à nouveau obligé de lui couper la parole pour le ramener au cas qui nous intéresse. Ce dernier souhaite qu’il évoque ce qu’il pense de la situation au Rwanda à partir de 1993.
Le témoin va alors énumérer une série d’événements qu’i attribue la plupart du au FPR:
- La reprise de la guerre par le FPR en pleines négociations.
- Début des attentats, jets de grenades dans Kigali attribués au FPR.
- Assassinat de Félicien GATABAZI par le FPR.
- Scission au sein des partis politiques, dont au MDR.
- Départ en exil de Dismas NSENGIYAREMYE.
- Assassinat du président hutu burundais, Melchior NDADAYE, par des militaires tutsi.
Selon lui, l’ethnisme monte très fort à cette époque, les assassinats se faisant toujours avec l’accord du FPR.
Monsieur le président renonce alors à poursuivre ses questions et demande à la défense, qui l’a fait citer, de prendre la parole. Le témoin dit qu’il a rencontré Dismas NSENGIYAREMYE à l’aéroport à son retour de Rome. Ce dernier a été écarté et c’est Faustin TWAGIRAMUNGU qui a été désigné comme candidat au poste de Premier ministre. « Dismas n’a jamais été Power, c’était un homme « bonasse ». (NDR. Ce mot est peut-être mal choisi car en Français il a un côté plutôt péjoratif, raison pour laquelle, probablement, maître DUPEUX lui fait répéter).
Le témoin affirme que ce qui intéresse le FPR c’est de prendre le pouvoir à KIGALI. Le sort des Tutsi ne l’intéresse pas. Il révèle avoir perdu beaucoup de membres de sa famille dans le génocide, beaucoup d’amis. Il a toujours lutté pour le retour de la paix, a toujours dénoncé le massacre des Tutsi, a té un des premiers à parler de génocide des Tutsi. On lui a demandé de renoncer à dénoncer les massacres: il a été révoqué. Rien par contre sur les conditions de sa fuite de Kigali alors qu’il est ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement post génocidaire. Il était revenu au Rwanda le 27 juillet 1994.
Sur question de la défense, le témoin évoque le sort de Seth SENDASHONGA, assassiné à NAIROBI.
A ce stade de l’audition, on peut s’interroger: quel intérêt pour éclairer le cas de Sosthène MUNYEMANA. Il semble que l’on soit loin de l’affaire.
Sur questions des avocats des parties civiles, le témoin s’exprime sur sa collaboration avec le FPR dont il se rendra compte, finalement, qu’il n’était « pas meilleur que les autres partis, peut-être pire. »
L’audition se termine alors que le témoin voudrait bien prendre encore la parole. Monsieur le président coupe court, ayant probablement le sentiment qu’on a perdu du temps en auditionnant ce témoin.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Margaux MALAPEL, bénévole.
Jacques BIGOT, responsable de la mise en page et des notes.
- FPR : Front Patriotique Rwandais[↑][↑]
- Attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel. Voir également : FOCUS – Avril – juin 1994 : les 3 mois du génocide.[↑]
- Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA a été l’un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011. (Voir le glossaire pour plus de détails.[↑]
- Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[↑] - Ferdinand NAHIMANA : Idéologue extrémiste, désigné comme membre de l’Akazu et fondateur de la RTLM, Ferdinand NAHIMANA est directeur de l’ORINFOR de 1990 à 1992, date à laquelle le Président HABYARIMANA est contraint de le limoger, sous la pression internationale. Il serait également un des inspirateurs de la création des Interahamwe. Il a été condamné par le TPIR à la prison à vie en 2003 mais sa peine a été réduite à 30 ans de prison en appel en 2007, cf. glossaire.[↑]
- “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).[↑]
- Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvemernts politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire.[↑]
- voir l’ audition de Dismas NSENGIYAREMYE ci-dessous.[↑]
- Lire l’audition de Pierre PEAN lors du procès en appel d’Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA, 23 mai 2018.[↑]
- PL : Parti Libéral. Le Parti Libéral va se scinder en deux fin 1993 : la tendance de son président, Justin MUGENZI, rejoint le Hutu Power qui traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. L’autre tendance sera anéantie le 7 avril 1994, voir glossaire[↑]
- PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[↑]
- CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
- MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[↑]
- Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvemernts politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire.[↑]
- Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide[↑]
- voir l’ audition de Jean-Marie Vianney NDAGIJIMANA ci-dessous.[↑]