Cette quatrième journée est encore consacrée aux témoins de contexte. C’est Jacques Sémelin, spécialiste des crimes de masse, qui ouvre la journée. Nous aurons droit à un cours magistral, accessible à tous et qui fera l’admiration du président.
S’adressant aux jurés : « Une lourde responsabilité pèse sur vos épaules. On dit que les crimes de masse sont impensables ? Ils sont au contraire trop pensables. On nous dit souvent de ne pas chercher à comprendre ! Mais comprendre n’est pas excuser les bourreaux. Maintenant, on ne peut pas tout comprendre : il faut tout faire pour comprendre mais il y aura toujours quelque chose qui résistera à notre entendement ».
Jacques Sémelin va ensuite insister sur le vocabulaire que l’on utilise. Un génocide est un crime sur une population sans défense mais tout massacre n’est pas un génocide. A propos des crimes de masse, il faut se dégager d’une approche commune : « Ce sont des barbares ! Non, le massacre procède d’un calcul, d’une décision, d’une organisation. » De rajouter que « les hommes qui commettent ce mal ne sont pas fous psychologiquement. Ils sont ordinaires, normaux. » Enfin, le massacre de masse relève d’un processus mental. C’est la représentation collective d’un autre qu’on veut asservir, violer, détruire. Les Nazis n’ont pas inventé les Juifs, ils en ont donné une représentation dégradante. C’est la même chose au Rwanda.
Plusieurs facteurs permettent la mise en place d’un génocide : un contexte de crise, une idéologie qui propose un discours identitaire (« Notre pays est dans une situation grave, si on commençait par l’élimination de ces gens-là, ça irait mieux »). L’autre est en trop, est arrivé dans le pays après nous, il est trop nombreux, se développe comme des microbes, de la vermine, des cafards… L’autre est comme nous, mais il est suspect, c’est un traître en puissance.
Importance aussi des mots qui tuent. C’est à travers le langage que se prépare le crime de masse. Sans oublier le contexte international qui laisse faire ou qui encourage. Et citant Tacite : « Quelques-uns l’ont voulu, d’autres l’ont fait, tous l’ont laissé faire. »
Se pose en suite la question du passage à l’acte et du rôle des décideurs. Les décideurs ne tuent pas, ce sont les exécutants qui font le sale boulot et on essaie de faire participer tout le monde. Après avoir évoqué le rôle de la RTLM, première fois qu’une radio appelle au crime, Jacques Sémelin évoque la figure du tueur/sauveteur, qui sauve un Tutsi mais qui peut en tuer beaucoup d’autres.
Et de rappeler enfin qu’au Rwanda il n’y a eu qu’un génocide, celui de la minorité tutsi, prenant ainsi à contrepied tous les tenants de la théorie du double génocide, si répandue dans notre pays, même au plus haut niveau.
C’est ensuite le tour du juge d’instruction belge dans les affaires Rwanda, Damien Vandermeersch, de prendre la parole. Il fera part de son expérience à propos des enquêtes qu’il a dû mener lors des différents procès contre des présumés génocidaires rwandais en Belgique. Il évoquera en particulier la valeur des témoignages, parfois crédibles, parfois contradictoires. Son exposé nous a beaucoup fait penser à nos propres enquêtes que nous avons dû mener pour préparer des plaintes en France.
C’est Stéphane Audoin-Rouzeau qui succédera au juge d’instruction belge. Le nouveau témoin de contexte est historien, directeur d’études à l’EHESS et Président du Centre international de recherche de la grande guerre (Péronne -Somme). Il évoque les trois génocides du 20ème siècle (arménien, juif et tutsi) et rappelle que le génocide des Tutsi trouve ses racines dans le racisme d’origine européenne et la vision raciale de la société des colons, attitude qui a provoqué un ressentiment des Hutu contre les Tutsi. Il souligne ensuite le cadre dans lequel les trois génocides ont été perpétrés : la guerre et l’angoisse de la défaite, la présence d’un Etat central avec ses bras armés, une propagande écrite et radiodiffusée. Il évoque également la violence des voisins dans un génocide dit de « proximité ». Il ne s’agit pas d’une révolte spontanée. Il termine en disant qu’au Rwanda « l’Histoire s’est répétée et que ce génocide nous concerne tous. »
Au cours de la discussion qui suivra, l’intervenant, en réponse à une question du président, aura l’occasion de dire que la thèse du double génocide est une « insulte aux victimes ». C’est pourtant cette théorie qu’un des avocats de la défense va reprendre. Interrogé, Simbikangwa révèle que c’est une fois à Mayotte, grâce à internet, qu’il va réaliser qu’il y avait eu un génocide au Rwanda. Le livre d’Abdul Ruzibiza a été une révélation pour lui. Pas de chance, Ruzibiza était l’informateur principal du juge Bruguière dont l’ordonnance a été complètement décrédibilisée par les conclusions partielles du juge Trévidic qui lui a succédé. Simbikangwa n’a pas vu de cadavres dans son quartier de Kiyovu. Ni ailleurs. Seulement quatre morts dans sa région natale de Rambura, dont « deux prêtres ». Or, ce sont les trois prêtres tutsi de la paroisse qui ont été tués (sur ordre de la sœur du président Habyarimana présente à la présidence le 7 avril, sœur Godelieve, qui a obtenu un statut de réfugiée en France selon certaines sources). Sans compter trois jeunes coopérants belges dont personne ne parle. Il répète qu’il reconnaît le génocide des Tutsi mais qu’il y a eu aussi le génocide des Hutu.
Enfin, la journée se terminera par l’exposé d’Hélène Dumas qui a écrit une thèse d’Histoire sur les Gacaca, justice participative qui met en présence victimes et bourreaux, sous la responsabilité de « sages », en l’absence de magistrats et d’avocats. Cette instance aura pu traiter, en quelque huit années, plus d’1 900 000 affaires et condamner environ 1 700 000 personnes.