Le témoin de ce jour se nomme Martin HIGIRO, commerçant. Il a été hébergé pendant le génocide chez Pascal S, dont il ignorait tout de lui.
Il est nécessaire de rappeler les conditons d’audition de ce témoin devant la Cour : le témoin n’a pas pu se déplacer en France pour des raisons médicales. Cette audition a donc eu lieu par visio-conférence, et un interprète français-kynyarwanda sur place traduisait les questions posées au témoin.
Tout d’abord, Martin Higiro, soucieux de ne pas se contredire et de vérifier que les interprètes aient bien interprétés ses mots, répète la requête qu’il avait formulée depuis qu’il témoigne devant les différentes juridictions : avoir une copie de ces dépositions.
Martin Higiro s’est retrouvé chez PS puisque son locataire se trouve être le frère de Simbikangwa, Bonaventure Mutangana, et qu’une forte résistance s’est présentée à la barrière dite « des Chinois », à côté du domicile du prévenu.
Bonaventure décide de laisser Martin, sa femme et ses deux enfants chez son frère, Pascal, le temps qu’il aille vérifier qu’à la prochaine barrière, c’est-à-dire celle de la Banque Nationale Rwandaise, le passage se fasse plus aisément.
Seulement, le frère de Simbikangwa ne reviendra jamais les chercher et la famille Higiro sera donc hébergée durant le génocide chez Pascal Simbikangwa. L’identité de ce « protecteur », comme PS aime bien se qualifier, demeurera secrète pour la famille Higiro : ce sera en effet dans la procédure que le témoin saura que PS était le frère de Bonaventure.
Il situe son arrivée le lendemain de la chute de l’avion présidentiel, avant midi. Durant son séjour, il se souvient de la présence d’un autre jeune réfugié, Pascal, mais non de celle de ses petits frères.
Il souligne le fait d’avoir été très discret sur son ethnie, en affirmant qu’il ne s’en « vantait pas à ce moment- là » : sa famille et lui avaient d’ailleurs pris l’habitude de rester dans l’une des chambres qui leur était destinée et ils ne restaient pas avec PS, ils avaient peur de lui.
Martin Higiro confirme également ce que beaucoup de témoins à la barre (ou en visio-conférence en l’occurence) nous avaient déjà annoncé : des objets rappelant son adhésion au MRND étaient présents à son domicile et le capitaine portait un habit militaire durant le génocide.
Martin relate une scène témoignant de toute l’allégeance de PS envers celui qu’il admirait tant : le président H. PS se serait courbé, comme s’il implorait Habyarimana et, en pleurant, se serait interrogé : « Si le président ressuscitait et trouvait des Tutsi chez moi, qu’est- ce qu’il me dirait ? »
Le lendemain de cette scène, Sadala, qu’il connaissait depuis 1976 et qui était également un des voisins de PS, aurait amené Martin et sa famille à l’hôtel des Mille Collines, et Martin précisera bien qu’il est parti de chez PS sans lui dire au revoir. A ce propos, en répondant à la question du premier président de la Cour lui demandant s’il considérait que Ps lui avait sauvé la vie, Martin répond :« Je ne dirais pas que PS m’a sauvé la vie, c’est la chance que j’ai eue. (…) Je me suis rendu au Mille Collines, il n’est pas venu là- bas pour savoir si j’étais sain et sauf, il ne m’a pas amené à manger et à boire. Je reconnais tous les jours que j’ai passé chez lui, mais je reconnais également qu’il n’est pas venu voir ce qui se passait à ce moment- là.
Martin rapporte également que des fusils se trouvaient dans le « magasin », le débarras, près de la cuisine, et que des militaires s’étaient rendus à plusieurs reprises chez PS et que c’est au cours de ces visites que la distribution d’armes se serait réalisée.
L’Avocat général soulignera plus tard durant l’audition la constance du témoin concernant la présence d’armes chez PS : « Vous avez toujours dit que vous ne pouvez pas être précis ni sur les détails ni sur les dates : vous avez dit également que jusqu’à votre mort, vous étiez sûr d’avoir vu des armes dans le domicile de PS, est-ce exact ?
« Je vous précise que j’ai vu ces fusils dans la chambre qualifiée de magasin chez PS. affirme une nouvelle fois le témoin»
Il fait part également à la Cour des objets provenant de pillages que PS aurait ramenés à son domicile : télévision, radio et autres.Corroborant les inquiétudes des témoins précédents, Martin nous fait part de la «méchanceté » des gardes du corps, et de sa grande méfiance à leur égard.
Vient le tour des jurés, qui, prenant leur rôle de juge toujours autant à coeur, posent des questions pertinentes au témoin auditionné dans le but de la manifestation de la vérité.
Vient le tour de la défense, et là, les choses se compliquent : à plusieurs reprises, l’interprète à Kigali est obligé de demander à Maître Epstein de répéter, lui qui, comme à son habitude, enchaîne questions sur questions. Il pousse le témoin vers plus de précision, ce qui semble parfois bien inutile : pourquoi avoir appelé Bonaventure, pourquoi ne pas avoir pensé à l’intervention de Sadala, pourquoi ne pas téléphoner à PS (alors qu’il avait déjà précisé qu’il ne le connaissait pas …), la marque de la voiture de Bonaventure, si Martin lisait l’ancien et le nouveau testament, etc …
L’interrogatoire de la défense s’éternise, et la salle ainsi que la Cour semblent perdre patience.
Maître Epstein soulève les contradictions qui existent entre les différentes auditions du témoin, et Maître Bourgeot va s’attacher à ce que le témoin localise le lieu qu’il dénomme le « magasin », où PS aurait caché les armes, sur l’un des plans incorporés dans la procédure. C’est alors que la connection sera coupée à deux reprises…
Finalement, l’audition du témoin prend fin à 14h.
Claire Bruggiamosca