Audition de Pascal Gahamanyi, demeurant aujourd’hui en Suède où il travaille.
Pascal Gahamanyi est le dernier membre de la famille à être entendu par la Cour d’assises: témoin important puisqu’il a passé les trois mois du génocide sous la » protection » de Pascal Simbikangwa.
Le témoin commence par reconnaître, comme son père et ses frères qui ont déjà témoigné, les rapports de bon voisinage qu’il entretenait avec le prévenu, avant le génocide.
Dès la chute de l’avion du président Habyarimana, il se terre avec les siens dans leur maison de Kiyovu, à Kigali: c’est la consigne reçue des autorités via la radio nationale. Dès le 7 avril au matin, leur demeure est attaquée par des militaires: la famille se disperse mais le témoin décide de revenir pour savoir où se trouve sa maman. Il se fait plaquer à terre, le fusil sur la tempe et ne devra son salut qu’à l’arrivée de sa mère, Hutu, qui supplie les agresseurs de ne pas tuer son fils. A peu près en même temps, Pascal Simbikangwa, alerté par son domestique, aurait crié aux assaillants de ne pas s’en prendre à cette famille. Le jeune Pascal va se rendre alors chez Simbikangwa où il reconnaît les deux gardes du corps de ce dernier: ils faisaient partie de ceux qui avaient voulu l’éliminer quelques instants plus tôt.
Va commencer alors pour le jeune Pascal ce qu’il va appeler ses trois mois « d’enfer » au contact permanent des deux gardes qui ont voulu le tuer et qui ne cesseront de le menacer jusqu’à la fin du génocide. S’organise alors la première fuite relatée par ses frères mais à cause de sa taille, et probablement « trop Tutsi », il ne fera pas partie du voyage: c’est ce qu’a décidé Pascal Simbikangwa. Ce n’est que début juillet qu’il rejoindra le Zaïre, avec l’aide de son hôte à qui il faussera compagnie à cause de la menace que le propre frère de Simbikangwa, Bonaventure Mutangana, fera encore peser sur lui. Contrairement à ses frères et à sa maman, il ne se rendra pas en Suisse mais il reviendra au Rwanda où il va vivre jusqu’en 1999 avant de décider de rejoindre la Suède où il vit actuellement.
Les questions du président seront pratiquement les mêmes que celles qu’il a posées à ses frères: présence d’un drapeau du MRND dans le salon? Le témoin confirme. Livraisons d’armes? Là encore, Pascal Gahamanyi confirme, même si sa version des faits n’est pas tout à fait semblable à celle de son frère Michel. Simbikangwa avait-il des problèmes de couple? Le témoin confirme encore: à plusieurs reprises il a entendu la femme de son voisin crier suite à une querelle. Simbikangwa tenait-il des propos anti-Tutsi? « Il ne se gênait pas pour dire que les Tutsi étaient des ennemis. » D’autres questions sur la raison pour laquelle leur famille avait été attaquée: « Ils cherchaient mon père pour nous tuer tous ensemble. »
Une affirmation revient, lancinante, dans la bouche du témoin: « Les gardes de Simbikngwa voulaient me tuer. » On a d’ailleurs l’impression que cette peur habite encore Pascal Gahamanyi, vingt ans après. Et toujours ce frère militaire, Mutangana, qui ne supporte pas sa présence. Pendant la durée de son séjour, le témoin rapporte que Simbikangwa sortait souvent, comme s’il partait au travail. Il dénonce le comportement des gardes qui se vantaient d’aller tuer dans le quartier. Il leur arrivait d’ailleurs de revenir mains et habits tachés du sang de leurs victimes. Ils auraient même tué le chauffeur de Simbikangwa qui ne semble pas avoir réagi d’une manière tellement efficace! Pourquoi n’est-il par resté chez sa tante à Kabaya avec son frère lors d’un voyage dans le Nord avec Simbikangwa? Sa présence risquait d’attirer des ennuis aux autres membres de la famille. Le témoin évoque aussi la fausse carte d’identité que va lui procurer Simbikangwa: vraiment utile, car c’est un faux assez grossier?
Et toujours cette question sur la présence de cadavres que Simbikangwa n’aurait jamais vus pendant toute la durée du génocide. « Impossible » se contente de dire le témoin.
Pascal Gahamanyi reconnaît que Simbikangwa lui a sauvé la vie, mais on sent comme un regret qu’il a du mal à exprimer: « Il aurait pu faire plus, me conduire dans une zone plus sûre, à Butare, par exemple! »
Autre question: « Les témoins ne peuvent pas dire des choses positives sur Simbikangwa, ils courent des risques? » La réponse est immédiate: « Ce n’est pas dangereux sinon je ne l’aurais pas dit. J’ai dit ce que j’ai vu. Si j’avais parlé à partir de ce que j’ai lu sur Simbikangwa, j’aurais dit beaucoup plus. » « Pourquoi Simbikangwa vous a-t-il sauvé la vie? » « Il a fait ce que tout le monde aurait dû faire. Je ne sais pas s’il voulait rendre service à mes parents. Il n’y avait pas de relations particulières entre eux. Il ne m’a pas sauvé par affection, j’étais simplement son petit voisin. »
L’avocat général va rappeler au témoin les propos plus précis qu’il a tenus devant les enquêteurs du TPIR, surtout concernant les propos de Simbikangwa aux barrières: « Simbikangwa était reconnu. Il s’adressait aux gardiens: »Nous vaincrons, il faut combattre les Tutsi et ne pas laisser passer les Inyenzi! ». Pascal Gahamanyi confirme en ajoutant que Simbikangwa n’a jamais sauvé personne aux barrières.
Vont suivre enfin les traditionnelles questions de la défense au témoin. Maître Epstein débite une série de questions en rafales mais on le sent moins combatif. Il donne l’impression de se résigner peu à peu. Le comportement de son client y est-il pour quelque chose? Maître Bourgeot, quant à elle, a toujours le chic de faire des réflexions déplacées, sans pour autant qu’elle s’en rende compte: » Vous n’êtes pas parti avec vos frères à cause de votre physionomie de Tutsi que je laisse à l’appréciation de la cour! » Que sous-entend-elle en terminant ainsi son intervention? Une dernière question/affirmation cependant: « Vous avez vécu trois mois d’enfer. Je ressens une certaine colère en vous. ». Réponse du témoin: » Vous vous trompez, je n’ai pas de colère. » Le ton était cette fois presque compatissant. La défense baisse-t-elle la garde?
Comme à l’accoutumée, lors de la séance de questions au prévenu, Simbikangwa va sa lâcher et reprendre tous les poncifs qu’il nous a donné l’occasion d’entendre si souvent. Il a l’art de ne jamais répondre aux questions qui lui sont posées, d’embrouiller tous ceux qui aimeraient savoir. Au détour d’une périphrase, il nous apprend que sa soeur était amoureuse du témoin, à son insu, met presque en doute la mort de son chauffeur… Quant aux témoins, « ils ne mentent pas, ils récitent. Ils développent une stratégie de manipulateurs ». Tout cela, c’est bien sûr la faute « d’Ibuka avec le fameux Alain Gauthier qui est là et qui a beaucoup d’argent. Il entretient la haine. » Une obsession! Et parlant du témoin: « Cet homme, je l’ai sorti du cercueil. Il aurait dû me rendre le peu de services que je lui ai rendus. Ce n’est pas un homme libre. C’est la haine (qui l’habite), la haine de ceux qui ne veulent pas que les hommes se réconcilient. J’ai beaucoup aimé cet enfant. Il a manqué de forces. Ma soeur (aimée par un militaire mais amoureuse du témoin, ndlr) a choisi le prince et pas le chevalier. Je suis déçu. Il m’a déçu mais je ne regrette rien. »
Probablement troublé, l’accusé va conclure en confondant les couleurs du drapeau rwandais de l’époque avec les couleurs du MRND… « Pour un officier… » glissera malicieusement l’avocat général.