Audition de Michel Gahamanyi, comptable.
« J’ai connu Simbikangwa comme voisin. Il nous arrivait de nous rendre chez lui pour regarder la télévision ou un film. C’était un bon voisin. » C’est ainsi que commence la déposition spontanée du témoin. Il n’a pas vraiment connu le prévenu avant le génocide car il était interne dans un collège en dehors de Kigali. Le témoin rappelle que pendant la journée du 7 avril ils sont restés chez eux, conformément aux consignes diffusées par la radio. Le 8 au matin, des soldats tentent de rentrer dans la maison de la famille Gahamanyi en escaladant le portail. Le père de famille demande alors à ses enfants de fuir chez les voisins. Seul Pascal, un des fils, est revenu dans la maison à la recherche de sa mère qu’il croyait à l’intérieur. Les militaires ont plaqué le jeune homme à terre et lui ont mis une arme sur la tempe. La maman est alors arrivée pour demander la grâce de son fils. De chez Sebazungu, le père de famille a appelé Simbikangwa pour voir s’il pouvait faire quelque chose. Le témoin, accompagné de son frère Albert, d’un certain Jean d’Amour et du « boy » se rend chez Simbikangwa. Le papa s’est fait transporter à la préfecture de la ville de Kigali sur ordre du préfet Renzaho que Simbikangwa avait conseillé d’appeler. Parmi les assaillants du matin, Pascal, le frère du témoin, a reconnu les deux gardes du corps de Simbikangwa, ce que ce dernier va contester. Contrairement aussi à ce que le prévenu prétend, la maman, Thérèse, ne logera jamais chez lui puisqu’elle s’est réfugiée chez un autre voisin.
Michel Gahamanyi, après avoir signalé les visites du frère de Simbikangwa, Bonaventure Mutangana, va relater l’épisode d’une livraison d’armes en donnant des détails fort précis. Simbikangwa est venu avec des armes et une fois qu’elles ont été prêtes, il est reparti avec. Pour les distribuer? Il décrit aussi l’exécution de deux personnes sur la barrière dite des « Chinois », à une centaine de mètres plus bas. Il observe la scène du jardin de Simbikangwa et signale qu’il a vu passer des camions avec des cadavres entassés à l’arrière. Son récit continue par la relation de deux tentatives de départ pour quitter Kigali. La voiture dans laquelle il se trouve est arrêtée à une grosse barrière et il doit rebrousser chemin: il revient chez Simbikangwa. Ce dernier, quant à lui, arrivera à passer cette barrière sans trop de difficultés. A la seconde tentative, il réussira à passer et restera chez sa tante à Kabaya. Le jeune Pascal, plus grand et « trop Tutsi » restera l’hôte de Simbikangwa pendant toute la durée du génocide. Le témoin retrouvera finalement sa mère et ils pourront partir en Suisse jusqu’à leur retour au Rwanda fin 1995.
A Kiyovu, Pascal, selon son frère, vit dans la terreur, à la fois des gardes de Simbikangwa qui ne rêvent que de le tuer, et du frère de ce dernier, Bonaventure Mutangana, qui veut aussi sa mort (Mutangana vit aujourd’hui dans la région parisienne, ndlr).
Va suivre alors la traditionnelle séance de questions destinées à éclairer des zones qui sont restées un peu obscures. Nous apprendrons que, selon le témoin, Simbikangwa avait le pouvoir de le laisser en vie ou de le laisser mourir. Il n’est pas rare, lors de cette étape de l’audition, que les témoins soient mis en face de leurs contradictions: problèmes liés à la mémorisation des faits près de 20 ans après, ou bien au traumatisme causé par la situation de stress dans laquelle se trouve alors le témoin. Ou pour d’autres raisons encore.
Maître Bourgeot, pour la défense, se hasarde à une explication: » C’est un cas de conscience, pour vous, de venir témoigner pour Simbikangwa? » Réponse du témoin: « Pas du tout. Je voulais participer à la justice. S’il m’a sauvé mais qu’il en a fait tuer d’autres! » La façon de procéder de l’avocate irrite une nouvelle fois l’avocat général: « Vous faites durer pour durer », faisant allusion aux questions répétitives de l’avocate, questions qui ne font en rien progresser les débats.
Et lorsque son tour de parole revient, Simbikangwa retrouve ses vieux démons. Commentant le témoignage qu’il vient d’entendre: « Je viens d’assister à une scène fictive. A Gisenyi, personne n’a reçu d’arme de Simbikangwa. A Kiyovu non plus… Michel tient le même langage qu’Ibuka, même langage qu’Alain Gauthier… C’est une cabale… Ibuka ne veut pas la réconciliation nationale… Ibuka fait le recensement de tous les Tutsi au Rwanda pour rétablir les divisions… »
L’audition se termine sur ces paroles. Restera à entendre le dernier témoin de la journée, Pascal Gahamanyi, le frère des précédents. Ce témoignage est attendu car c’est le seul de la famille Gahamanyi qui est resté chez Simbikangw jusqu’à la fin du génocide.