Audition d’Albert Gahamanyi, fils de Célestin, 15 ans en 1994.
Le témoin, après avoir souligné qu’il vivait en bon voisinage avec Simbikangwa, évoque l’attaque des militaires le 7 ou le 8 avril: « On a eu peur, on s’est enfui. On est allé chez des voisins le temps que les militaires s’en aillent. On est allé chez Simbikangwa en passant par la clôture. Il nous a dit que nous n’avions rien à craindre chez lui. Je suis resté 4 nuits et 5 jours. » Simbikangwa les a alors conduits en voiture, avec sa mère et deux frères, jusqu’à Rambura, chez son père. Puis direction Gitarama. Le témoin s’est ensuite rendu à Butare avec sa soeur, puis à Gikongoro, en zone Turquoise, d’où les militaires les ont aidés à rejoindre le Burundi.
Le témoin rapporte qu’il y avait un « foulard » aux couleurs du MRND au mur du salon de Simbikangwa. Des membres du MRND venaient chez lui. Il n’a jamais vu le prévenu se rendre à des meetings du MRND, mais il l’a vu partir « habillé aux couleurs du MRND » et « revenir en disant qu’il avait participé à un meeting. » Le capitaine recevait des militants civils et des militaires chez lui, il était intéressé par la politique. Il ajoute qu’il « s’énervait, qu’il était toujours de mauvaise humeur, colérique », mais pas avec lui.
Le président présentera ensuite des photos de la maison de Simbikangwa ainsi qu’un plan du quartier, les quelques maisons autour de chez lui. Le témoin rappelle que sa mère est restée chez Nyiragire alors que Simbikangwa prétendait qu’elle avait logé chez lui! Chez le prévenu, en plus des Gahamanyi, il y avait la famille Higiro, la femme du pasteur hutu Twagirayezu et des enfants. Probablement pas une vingtaine de Tutsi!
Simbikangwa conteste que ses deux gardes aient participé à l’attaque de la famille Gahamanyi. Il a même hurlé aux militaires de ne pas s’en prendre à cette famille qui n’héberge pas d’infiltrés. Albert Gahamanyi atteste que les gardes de Simbikangwa sortaient parfois et revenaient, après avoir tiré, pour nettoyer leur fusil: ils auraient tué des gens dans la rue! Ce que conteste encore Simbikangwa!
Lors du déplacement vers Gisenyi, le témoin évoque le passage aux nombreuses barrières. Généralement, ils passaient sans encombre, sauf à une barrière. Simbikangwa a dû discuter, il avait peur pour sa belle-soeur. Albert signale de nombreux cadavres aux barrières; ils ont même croisé des camions remplis de corps. Mais Simbikangwa est bien le seul à n’avoir rien vu! Les interventions de Simbilangwa étaient très efficaces pour passer les barrières.
Les avocats de la défense vont ensuite poser toute une batterie de questions dont les réponses n’apportent pas un véritable éclairage sur le témoignage d’Albert Gahamanyi. Maître Bourgeot va même poser une question dont la réponse avait pourtant été déjà donnée avec une grande clarté. Il faut dire que l’avocate est parfois un peu distraite!
Simbikangwa, à la barrière, aurait dit en s’en allant, en direction des Interahmwe: « Mukomere ». Simbikangwa va prétendre que c’est une façon de saluer dans sa région. Plus généralement, c’est une façon d’encourager, ici les Interahamwe. Simbikangwa a l’art de jouer sur la bivalence des mots, souvent faite pour tromper les étrangers, les jurés dans ce procès.
A la question du président: « C’est courageux de venir dire aux assises que vous remerciez Simbikangwa de vous avoir sauvé! » « Je ne pense pas, répond le témoin, je suis libre de le faire. » Il rajoute que Simbikangwa l’a sauvé, mais il n’est pas le seul. Albert a été sauvé plusieurs fois pendant le génocide.
Simbikangwa va ensuite être très louangeur à l’égard d’Albert Gahamanyi: « Il a fait un effort extraordinaire d’intégrité, d’honnêteté, mais il y a des petites choses… »
Le prévenu conteste le fait qu’ il y ait eu un petit magasin juste à côté de la cuisine dans sa maison de Kiyovu. Pourtant, pour bien connaître le Rwanda, je peux affirmer que toutes les maisons au Rwanda, quelle que soit leur importance, possèdent ce genre de « débarras » où l’on stocke les provisions, le matériel de cuisine, les légumes, etc…
Pour justifier le fait qu’il n’ait jamais vu de cadavres au barrières, Simbikangwa redit qu’il voyageait un peu allongé pour soulager son dos et qu’il ne se redressait qu’aux barrières. C’est pourtant là qu’il y avait beaucoup de cadavres…
Simbikangwa va revenir sur le témoignage d’Albert: « Je suis agréablement surpris. C’est extraordinaire, sa liberté (de parole) me surprend ». Et d’en rajouter: « En France, on a fabriqué les dossiers. Quant à Albert, sa parole est libre, plus libre que les autres. Si les Rwandais avaient ce courage de faire comme il fait, je serais libéré. »
Maître Daoud va poser une dernière question, malicieusement: « Je confesse que je n’ai pas été très rigoureux. Je n’ai pas lu le rapport psychologique vous concernant. Vous êtes un homme brillant, vous avez un charisme important, une personnalité extraordinaire. Je ne comprends toujours pas que, la présence des cadavres, vous êtes l’un des rares à ne pas en avoir vu! C’est difficile d’affronter l’acte d’accusation? »
Va suivre une longue réponse qui va être écoutée dans un grand silence. Je ne peux résister au « plaisir » de la livrer dans sa quasi intégralité.
« Votre question est complexe. On m’accuse de complicité de génocide et de crime contre l’humanité. A Gisenyi, avez-vous vu un seul mort contre moi? A Kigali? Quelques témoins contre moi, fabriqués, confectionnés, éduqués, nourris par la cupidité d’Ibuka. Ces gens-là se contredisent. J’aurais eu la volonté d’exterminer partie ou totalité des Tutsi? Personne, même si je suis condamné, personne ne me convaincra que j’ai aidé à exterminer la famille de ma mère tout en protégeant celle de mon père. J’ai essayé d’aider. Bagosora ne m’a pas pris comme réserviste. Sindikubwabo, le président intérimaire, était le beau-père de celui qui m’a torturé, Iyamuremye. On m’a accusé d’être le chef de la criminologie. On m’a accusé d’avoir frappé un journaliste. Les Gacaca de Kigali ne m’ont pas condamné, pas plus que les Gacaca de Gisenyi (c’est pourtant faux car Simbikangwa a été condamné à trente ans de prison! ndlr). Tout a été inventé en France. Tout a été amené par monsieur Alain Gauthier. Et on m’accuse d’être complice de crime de génocide et de crimes contre l’humanité? »
Ultime réflexion de maître Daoud: « Vous êtes innocent puisqu’on ne peut pas amener des morts qui peuvent vous accuser? »
« Mon Dieu! Mon Dieu! réplique Simbikangwa. La personne que j’aime sur la terre, c’est le corps de ma mère qui n’a pas eu de sépulture. Ma main n’a jamais trempé dans le sang! »
Ce sera le mot de la fin.
La défense pose à son tour une série de questions peu utiles à la compréhension de la situation. Maître Bourgeot