Audition de Célestin Gahamanyi, haut fonctionnaire au Ministère de l’Intérieur en 1994.
En visio-conférence de Kigali.
La déclaration spontanée du témoin se résume en peu de mots: « Je n’avais rien de spécial à signaler sur Simbikangwa. Je ne sais pas grand chose car au moment des faits j’étais absent de Kigali. Après le 8 avril, j’étais parti de mon domicile. Je ne connais rien à son sujet. »
Lors de la séance des questions, le témoin, âgé de 75 ans, rappelle que dans les années 90/94 tout était « compliqué ». « La guerre dominait, tout le monde avait peur. Le FPR avançait, présenté comme un ennemi commun. Tout le monde cherchait à savoir comment sortir de Kigali à cause de la RTLM. Les ministres eux-mêmes avaient peur. » Monsieur Gahamanyi, étonnamment, ne connaît pas la réputation de Simbikangwa. Il se contentera de dire que c’était un bon voisin, finira par dire que des militaires sont venus chez lui à deux reprises le 8 avril, « probablement pour nous tuer. » Il demande alors à sa femme et ses enfants de fuir chez les voisins. Lui-même se rend chez un autre voisin, Sebazungu et finira par bénéficier de l’aide du préfet Renzaho qui enverra une voiture pour l’évacuer vers la Préfecture de la ville de Kigali. C’est Simbikangwa qui lui avait conseillé d’appeler le préfet. Il verra des hommes entrer et sortir en armes alors qu’il avait parlé de « distribution d’armes » aux enquêteurs. Quant à sa femme, elle se réfugiera chez un autre voisin, monsieur Nyiragire, que Simbikangwa prétend ne pas connaître, ou si peu. Ses fils iront chez Simbikangwa, mais cela il ne l’apprendra que plus tard. Renzaho, qui se rendait souvent à Gitarama, acceptera de conduire le témoin qui se cachera au séminaire de cette ville. Ses fils et sa femme finiront par bénéficier de l’aide de Simbikangwa, seul Pascal restant chez ce dernier. Le témoin reconnaîtra avoir rencontré le père de Simbikangwa chez lui et au bureau: une affaire de vente de maison à régler au bénéfice de son fils.
Monsieur Gahamanyi répète ce qu’il a dit lors de son audition: « Je souhaite que Simbikangwa soit grâcié. » Il le remercie d’avoir sauvé son fils Pascal, même s’il a vu Simbilangwa en tenue militaire.
A la fin de l’audition, Simbikangwa se penche hors de sa « cage » et tente de faire un signe de la main en direction de monsieur Gahamanyi. En vain. Mais il se félicitera du soutien de son ancien voisin.
La première question du président va embarrasser le prévenu: « Monsieur Gahamanyi vient de vous apporter son soutien alors qu’il est à Kigali. Le témoin ne serait donc pas manipulé? »
Comme à son habitude, Simbikangwa ne va pas répondre à la question mais s’insurger: « Madame le Procureur vient de faire une faute grave contre moi. Ce n’est pas la justice. Elle a dit que monsieur Gahamanyi aurait dit du mal de moi. C’est de la manipulation de l’opinion: c’est inacceptable. J’aurais aimé qu’elle soit juste avec moi. » Et de poursuivre en s’en prenant une nouvelle fois à l’association Ibuka au Rwanda qui organise « une chasse aux sorcières » avec le « Collectif qui lui est affilié. » En disant ce qu’il dit, « monsieur Gahamanyi se protège! »
Le président ayant lu le témoignage de madame Gahamanyi qui parle des nombreuses barrières, le prévenu s’insurge. Il rappelle qu’il a aidé des gens, qu’il a été courageux mais ne peut s’empêcher de redire que « Gauthier, avec son argent, corrompt tout le monde. ». C’est son idée fixe!
Maître Foreman en remet une couche: « Pourquoi monsieur Gahamanyi a-t-il dit qu’il n’a pas eu de pression? »
Réponse énervée: « Vous faites partie de ceux qui créent des problèmes… Votre association, c’est la terreur. Il faut arrêter de diviser les Rwandais. »
Pour se donner le beau rôle, en réponse à une question de l’avocat de la LICRA concernant l’attaque de Gardes présidentiels chez les Gahamanyi: « Ce sont des fous! » Et de réaffirmer, en contradiction avec beaucoup de témoignages, que jamais il n’a porté de tenue militaire.
Fin de la première audition de la matinée.
Lecture de l’audition de Dieudonné Niyitigeka par les enquêteurs.
Nous avions appris que le témoin suivant, Dieudonné Niyitigeka, trésorier des Interahamwe, ne souhaitait plus être entendu en visio-conférence de son exil canadien. Le président décide alors de lire sa déposition. D’avril à mai 1994, il a rencontré Simbikangwa à trois reprises:
1) le 9 avril 1994. Il a rencontré le prévenu à la RTLM et rapporte certains de ses propos: « Il faut être vigilant et se venger contre les Ibyitso. il faut inciter à la haine contre les Tutsi. » Il était en chaise roulante et habillé d’un treillis.
2) fin avril 1994. Il aurait vu Simbikangwa à une barrière, la plus dangereuse de Kigali, en compagnie de Bernard Maniragaba. Le témoin rentrait de Butare à Kigali. Il s’agissait d’une « barrière où passaient beaucoup de Tutsi. Simbikangwa aurait dit de « ne pas se fier seulement aux cartes d’identité. » Des corps gisaient près de la barrière. Simbikangwa semblait avoir de l’autorité sur les gens qui tenaient la barrière.
3) première quinzaine de mai. En repartant pour Butare, à la barrière de Gitikinyoni, près de l’embranchement de la route qui part vers Ruhengeri, le témoin aurait vu Simbikangwa s’entretenir avec le gardien de la barrière, Joseph Setiba, condamné à la réclusion à perpétuité. Le témoin rappelle que tout le monde avait peur du prévenu; c’était plus qu’un major.
Simbikangwa, évidemment, ne connaît pas ce témoin. Il aurait « acheté sa liberté » auprès du TPIR.
A maître Simon, il confesse: « Je sais qu’il y a eu des morts sur les barrières mais j’ai eu la chance de ne jamais en voir ». Puis d’ajouter, évoquant les problèmes du Rwanda: « Les Hutu et les Tutsi, c’est comme les Wallons et les Flamands! »
« Etiez-vous résistant après la mort d’Habyarimana? » demande maître Daoud.
« Avant la mort d’Habyarimana j’étais pour qu’on donne plus de place au FPR! (cf. son interview de Reporters sans Frontières. Selon moi, cette interview était donnée en direction des étrangers. Comme lorsque Habyarimana s’exprimait, ou lorsqu’on utilisait le terme « travailler » pour « tuer »!). Simbikangwa se fait encore passer pour le sauveur de nombreux réfugiés.
Les avocats de la défense feront ensuite la lecture des pages 83 à 89 du livre de Thierry Cruvelier « Le tribunal des vainqueurs » pour souligner le fait que Dieudonné Niyitigeka avait été un témoin hyper protégé et qui avait obtenu de ne pas être jugé pour services rendus au TPIR.