Audition de monsieur Théoneste Marijoje, professeur à Rambura en 1994, responsable ressources humaines dans une entreprise de construction aujourd’hui.
Monsieur Marijoje commence sa déposition en évoquant des réunions qui étaient organisées pendant les vacances scolaires à l’école de Kibihekane. Ces réunions s’adressaient aux collégiens qui poursuivaient leurs études dans différentes régions du Rwanda, et avaient pour objectif de faire connaître aux autorités locales ce que l’on enseignait à ces jeunes gens dans les domaines de l’Histoire et de l’Education civique. Les autorités locales cherchaient aussi à connaître combien de jeunes originaires du Nord du pays poursuivaient des études. Pascal Simbikangwa aurait participé de temps en temps à ces rencontres, plutôt comme observateur.
Le témoin va ensuite évoquer la présence, dans la résidence de la famille Habyarimana, à Rambura, de matériel militaire (blindés, canons) dissimulé suite à la demande de la MINUAR de réduire l’armement dans les zones de combat. Simbikangwa serait venu plusieurs fois à la résidence du président, selon des GP (Gardes Présidentiels, ndlr), pour surveiller ce matériel. Il voulait aussi savoir si des journalistes venaient dans la région.
Le témoin assure avoir vu Simbikangwa, dans l’après-midi du 7 avril, se diriger vers l’école de Kibihekane où devait se tenir une réunion. Monsieur Marijoje ne s’est pas rendu à cette rencontre qui était plutôt réservée aux Interahamwe. Le lendemain, le témoin a vu passer des camions qui transportaient des gens vers Rubaya: Simbikangwa était là aussi. C’est seulement le soir que le témoin a su que les Tutsi de Rubaya avaient été attaqués.
Monsieur Marijoje rêvait de devenir militaire. C’est la raison pour laquelle il s’était inscrit pour suivre des entraînements. Mais il s’est très vite rendu compte que les participants étaient des « illettrés et des voyous » et qu’il ne pourrait pas ainsi devenir militaire. Au bout de trois semaines il aurait renoncé à cette formation, malgré les rappels réitérés des autorités qui lui reprochaient sa décision. Simbikangwa serait venu plusieurs fois surveiller les entraînements. Plusieurs de ces jeunes gens qui avaient reçu une formation seront envoyés combattre dans différents secteurs de Kigali. Ces derniers sont revenus fin juin, ceux du moins qui n’étaient pas morts au combat, et ont raconté ce qu’ils avaient fait. Monsieur Marijoje révèle qu’il a cependant tenu une barrière mais que les Gacaca ne l’ont pas poursuivi dans la mesure où il n’y aurait pas eu de victimes à cette barrière.
Le 13 juillet 1994, un hélicoptère piloté par le major Haguma a survolé la région pour annoncer que le moment de s’exiler au Zaïre était arrivé. Au cours de cette fuite, Simbikangwa aurait tué lui-même un vieillard dont la vache se serait mêlée à son troupeau , ce dernier étant le seul militaire à fuir avec ses vaches.
Lors d’un bref retour en arrière, le témoin évoque une conversation avec la soeur d’Elie Sagatwa, mort dans l’avion, au sujet du rapatriement des corps des victimes de l’avion. Il suppose que les corps ont été ramenés au pays natal par hélicoptère. L’évêque de Nyundo serait venu célébrer une messe pour les défunts.
Va suivre ensuite une série de questions au sujet des différentes déclarations faites par le témoin, ce dernier ayant été entendu par des enquêteurs belges, français ainsi que ceux du TPIR. Il reconnaît qu’il n’a subi aucune pression pour venir témoigner. En fin d’audition, on montrera au témoin des photos de la maison de Simbikangwa qu’il n’aura pas de peine à reconnaître, du cabaret du conseiller Sebatware, ainsi que de la résidence de la famille Habyarimana.
Florilège des propos de Simbikangwa en fin d’audience:
– « Je n’étais pas ministre de l’Education nationale, pas ministre, pas bourgmestre (à propos de sa présence aux rencontres des jeunes à Kibihekane, ndlr). Ces gens-là (les témoins, ndlr) ont été formés pour me diaboliser, me ridiculiser. »
– « Ces réunions sont des légendes funestes. »
– « Je peux être méchant. Mais tuer une vache! (à propos de la mort du vacher, ndlr). C’est diabolique. C’est essayer de m’animaliser. Tout cela vient d’un homme qui vit sous la terreur d’Ibuka qui fournit beaucoup d’argent… »
– « Je suis balancé par les parties civiles. »
-« Vous ne comprendrez jamais rien, vous n’accepterez rien, vous manipulez la cour. », dit-il à maître Simon Foreman, avocat du CPCR, qui le pousse dans ses derniers retranchements.
L’audience sera suspendue sur ces propos toujours aussi négateurs.
Le début de l’après-midi sera consacrée à l’audition de madame Valérie Bemeriki, en visio-conférence, de la prison centrale de Kigali.