« Extrême extrémisme »
La liaison avec Kigali est mauvaise, mais Valérie Bemeriki, en tenue rose de détenue, vient s’asseoir dans le grand fauteuil qui l’attend pour cette visioconférence, derrière une table nue.
L’ancienne journaliste à la Radio Télévision des Mille Collines a été condamnée à perpétuité par une tribunal Gacaca en 2009.
De trois quart face et en contre-plongée, elle jure avec une voix ferme, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Et son témoignage est accablant pour l’accusé.
Elle connait Pascal Simbikangwa, confirme sa réputation de tortionnaire et affirme « il était au service de la présidence ». Valérie Bemeriki atteste également avoir vu dans des documents « qu’elle a eu sous les yeux » que le Comité national Interahamwe, dont elle a été la secrétaire entre 1990 et 1993, avait chargé l’ancien capitaine d’ « arranger les entraînements militaires des MRND« .
L’idéologie de Pascal Simbikangwa ? Valérie Bemeriki la décrit avec ces mots : » il était d’un extrême extrémisme contre les Tutsi« .
La cour mesure alors le poids de la parole de l’ex-journaliste vedette de la RTLM.
Mais, pour l’accusé, il y a pire encore : Valérie Bemeriki a vu Pascal Simbikangwa pendant le génocide.
D’abord le 07 avril 1994 au matin, depuis le balcon extérieur de la radio, donnant des instructions au directeur de la RTLM. Il les les lui rapporte : « l’attentat contre le président a été fait par le FPR et les Tutsi de l’intérieur, il faut les débusquer« .
Puis, elle explique qu’il y est revenu, tous les deux jours, environ.
Enfin, après le 17 avril dans le quartier de Gitega, avec des miliciens devant une barrière, sur la route de la justice : « On voyait très bien qu’il donnait des ordres à ses types et leur avait donné un carton de munitions ».
Pascal Simbikangwa les identifie tout de suite, elle et son collègue. Il les salue fraternellement et les félicite : » Vous les journalistes, vous avez bien travaillé, continuez ! »
Les miliciens avec lesquels les journalistes s’entretiennent brièvement s’enthousiasment : « Simbikangwa c’est un brâve, il nous donne tout ce dont nous avons besoin, !« .
Avant d’être interrogée par les différentes parties, Valérie Bemeriki souhaite poser une question. Elle va alors stupéfier l’audience :
« Pour avoir témoigné, est -ce que j’ai droit à une indemnité ?«
« Salutations à Simbikangwa ! »
Après l’audition le matin de Théoneste Marijoje, Me Simon Foreman (CPCR) a requis auprès du président Olivier Leurent la présence d’interprètes, même lorsque les témoins sont francophones.
Les difficultés de retransmission la légitime absolument cet après-midi : Valérie Bemeriki entend en effet très mal les questions qui lui sont posées.
L’avocat général Me Bruno Sturlese complique encore la tache par des phrases beaucoup trop longues, et finit par abdiquer.
Me Fabrice Epstein ne fait pas mieux. Offensif et insistant comme à l’accoutumée, son ton se perd dans l’écho perceptible jusqu’à Paris.
Il insiste pourtant, et tente de piéger le témoin : sur les actionnaires de la RTLM, la distance entre le balcon de la radio et la voiture de l’accusé le 7 avril, la voiture elle-même, sa plaque d’immatriculation…Valérie Bemeriki a réponse à tout. Elle est claire et précise.
Me Alexandra Bourgeot change alors de stratégie. Elle prend Valérie Bemeriki au mot : « témoigner, pour vous, c’est devenu une véritable activité !? » .
L’ancienne journaliste n’en a pas fait mystère, elle est très sollicitée, à Arusha et en prison. Elle espère bien une remise de peine mais témoigne d’abord « pour la reconstruction de m[s]on pays et la réconciliation« .
Puis Me Bourgeot à son tour, trébuche sur la date de la confrontation à la barrière, le 17 avril, que l’ex-journaliste a dit avoir prise comme repère : La RTLM vient d’être bombardée et Valérie Bemeriki, au poste jour et nuit depuis la nuit du 6, lâche l’antenne ce jour là.
L’avocat de la défense confronte Valérie Bemeriki à ses précédentes déclarations et s’étonne que le temps lui fournisse de plus en plus de détails.
La réponse de l’ex-journaliste raisonne comme une victoire pour l’avocat, : « Tout est possible. »
Elle clot l’entretien et retourne s’asseoir.
Mais Valérie Bemeriki n’a pas tout à fait terminé. Elle va littéralement figer l’accusé et ses avocats en concluant : « Salutations à Simbikangwa ! »
« Les idées de Bagosora«
L’accusé conteste, invoque « les émoluments » réclamés par Valérie Bemeriki à l’audience pour discréditer l’intégralité de son témoignage. Il réfute tout : milices, dates, présence à une quelconque barrière, l’usage de sa voiture habituelle, avoir tant circulé durant le génocide.
L’ancien technicien de la RTLM, Georges Ruggiu, inquiet pour sa sécurité, n’a finalement pas souhaité venir témoigner. Il est donc fait lecture par le président de ses précédentes dépositions, à charge pour Pascal Simbikangwa.
Elles y dénoncent un « membre de l’Akazu » qui « partageait les idées de Bagosora« , dont les écrits « étaient trop extrémistes – c’était de la folie !« .
Elles attestent en outre avoir vu Pascal Simbikangwa pendant le mois d’avril 1994 sur un marché de Kigali recueillir des informations et donner des ordres à des Interahamwe.
Enfin, elles interrogent : « Comment se fait-il qu’un type comme lui, en fauteuil, circulait partout pendant le génocide, avec toutes les barrières puis les bombardements; et ne soit pas resté enfermé chez lui, au calme ?« .
Elles attestent en outre avoir vu Pascal Simbikangwa pendant le mois d’avril 1994 sur un marché de Kigali recueillir des informations et donner des ordres à des Interahamwe.
Enfin, elles interrogent : « Comment se fait-il qu’un type comme lui, en fauteuil, circulait partout pendant le génocide, avec toutes les barrières puis les bombardements; et ne soit pas resté enfermé chez lui, au calme ?« .
Me Epstein tente alors de discréditer la parole de Georges Ruggiu en lisant de très longs extraits du livre de Thierry Cuvellier « le Tribunal des vaincus« . Le détail de la défense de l’accusé à Arusha y est décrit sans complaisance.
Mais qui entrerait dans la salle à ce moment, pourrait volontiers croire que c’est le portrait du capitaine dans le box de la cour d’assises de Paris qui est dressé; avant de penser qu’il s’agit du procès de l’ancienne procureure du TPIR Carla del Ponte.
Mais qui entrerait dans la salle à ce moment, pourrait volontiers croire que c’est le portrait du capitaine dans le box de la cour d’assises de Paris qui est dressé; avant de penser qu’il s’agit du procès de l’ancienne procureure du TPIR Carla del Ponte.
Interrogé à son tour sur les déclarations de Georges Ruggiu, Pascal Simbikangwa les déconsidère au motif que l’ancien technicien a refusé de venir témoigner à la barre.
Guillaume Brunero.