Procès Simbikangwa: 24 février 2014

Audition de Théoneste Habarugira.

Le témoin commence par évoquer une réunion qui s’est tenue le 7 avril 1994 en fin d’après-midi à l’école de Kibihekane, réunion au cours de laquelle sont décidés les massacres du lendemain sur la colline de Kesho. La présence de Simbikangwa est précisée, ainsi que les quelques paroles qu’il aurait prononcées concernant l’élimination des Tutsi à Kesho le lendemain.. Une « réception » est organisée en fin de journée au bar du conseiller Sebatware. Les tueurs partiront le lendemain vers Kesho mais devant la résistance des Tutsi, ils rebrousseront chemin pour aller chercher le renfort des militaires. Simbikangwa leur fera remarquer qu’ils n’ont pas combattu comme des militaires. Le lendemain, après avoir pris de l’essence chez Jaribu, le directeur de l’usine de thé, et ce pour incendier l’église qui se trouve au sommet de la colline, les tueurs se rendront de nouveau à Kesho en compagnie de militaires tels que Bagosora et Simbikangwa. Près de 1500 Tutsi seront tués ce jour-là.

Fin avril début mai, Simbikangwa aurait été vu en train d’entraîner les Interahamwe: il donnait des ordres aux militaires qui les transmettaient aux miliciens. Le témoin reconnaît qu’il a participé au génocide, qu’il a plaidé coupable.

Va suivre ensuite une série de questions qui va permettre au témoin de donner des précisions sur ce qu’il vient de dire:

     – Simbikangwa était fort écouté car il était proche du président.

     – Simbikangwa était quelqu’un de méchant et de fort agressif.

     – Simbikangwa a bien participé à la réunion du 7 avril à Kibihekane, réunion au cours de laquelle il aurait dit qu’il faut tuer les Tutsi et qu’il fallait aller à Kesho: « Nous devons éliminer l’ennemi où qu’il soit. »

Le témoin rapporte aussi que Simbikangwa participait bien à la rencontre de Kabaya, en 1992, au cours de laquelle Léon Mugesera a prononcé son fameux discours anti-Tutsi (Mugesera a été extradé par le Canada vers le Rwanda où il est actuellement jugé, ndlr).

Suite à la question de maître Daoud, le témoin reconnaît qu’il a tué des gens aux barrières mais il indique aussitôt que personne au Rwanda ne lui a demandé d’accuser le prévenu et qu’il est venu dire la vérité. A la question de maître Simon Foreman, avocat du CPCR, de savoir si des armes ont été distribuées, le prévenu répond par l’affirmative.

C’est alors au tour des avocats de la défense d’interroger le témoin. Maître Epstein est bien le seul à avoir compris que le témoin aurait dit que Simbikangwa n’était pas à Kabaya. Remous dans la salle, ce qui agace l’avocat de la défense. Colère de maître Daoud lorsque maître Bourgeot, autre avocat de la défense, revient sur le sujet.

Parole est enfin donnée à Pascal Simbikangwa. Fidèle à sa défense, il s’exprime avec une certaine agressivité. En substance:

     – « L’homme qui vient de témoigner devant vous, je ne l’ai jamais rencontré. »

     – Je ne suis jamais allé chez Zigiranyirazo.

     – Tout ce qu’on entend, ce sont des « conneries » (sic).

     – Ces gens-là ont appris à mentir.

     – De ma vie, je n’ai jamais mis les pieds à Kibihekane. Les gens racontent les récitations après la victoire du FPR; »

En direction de maître Daoud qui lui pose une dernière question:  » Je n’ai pas de compassion envers les assassins. Je vous demande de ne pas en avoir. »

 

Audition de José Kagabo.

Le professeur Kagabo, historien à l’EHESS,  viendra à son tour à la barre pour rappeler le rôle de Simbikangwa dans l’affaire Lizinde, accusé par le régime Habyarimana d’être responsable d’une cinquantaine d’exécutions de personnalités de la république précédente. Condamné à mort puis à la réclusion à perpétuité, Lizinde sera libéré de la prison de Ruhengeri par le FPR (attaque qui déclenchera le massacre des Bagogwe, ndlr). Le témoin accuse Simbikangwa d’avoir fait torturer Lizinde et de l’avoir soumis à des traitements dégradants. Sera ensuite évoquée la publication du livre du prévenu, « La guerre d’octobre », déjà évoqué au cours de ce procès. Monsieur Kagabo soulignera enfin l’omnipotence de Simbikangwa dans son groupe clanique de la préfecture de Gisenyi.

 

Audition de Jean de Dieu Bihintare, agronome à Gishwati en 1994.

Cette audition se résumera à une séance de questions dans la mesure où le témoin n’a pas l’intention de faire une déclaration préliminaire. Le témoin est un tueur repenti. Evoquant la réunion de Kibihekane, le témoin confirme la présence de Simbikangwa, ainsi que celles de Bagosora, de Mpiranya et d’autres autorités civiles. Ordre était donné d’aller sur les barrières. Arrivé en retard à la réunion, contrairement à d’autres témoins, il n’ pas entendu l’intervention de Simbikangwa. Il ajoutera que ce n’est pas l’état rwandais qui l’envoie: « Je dis ce que je sais sur Simbikangwa. S’il dit qu’il était à Kigali, c’est à lui de fournir les preuves. Si je viens pour lui nuire, la justice le rétablira dans ses droits. »

Le témoin a vu passer beaucoup de véhicules à la barrière où il se tenait:  » Simbikangwa est passé mais ce n’est pas lui qui conduisait. »

Entre-temps, Simbikangwa avait repris ses propos obsessionnels:  » Tout ce qu’on a raconté est une machination, un montage lié à la méchanceté, à la haine, au refus de la reconnaissance de l’innocence. J’ai l’impression que cet homme a été manipulé par Ibuka (association d’aide aux rescapés, ndlr) qui prépare au mensonge.

« Vous êtes un juste »? lui demande maître Daoud. « Je le pense!’ J’ai fait un devoir d’homme respectable. J’ai eu la chance d’avoir des gardes qui m’ont permis de sauver des gens en difficulté. »

Et de terminer en disant qu’il y a erreur sur sa personne, qu’on le prend pour quelqu’un d’autre. « Je suis poursuivi par des Français: Alain Gauthier m’a jeté en prison! »

 

Audition de Gaspard Gatambiye, rescapé, technicien à l’usine de thé.

Une grande partie de sa famille a été tuée pendant le génocide, son père ayant déjà trouvé la mort en 1993 parce qu’il était Tutsi. Le témoin, manifestement ébranlé par le fait de venir témoigner en France, évoque des méfaits de Simbikangwa mais mélange les dates. La défense aura beau jeu de le prendre en défaut. Il parle d’une rencontre de Simbikangwa à Muteho, la fixant dans un premier temps en 1994. En réalité, il s’agira de 1991, après la mort au front du major des FAR, Rwendeye. Il avoue qu’il est traumatisé: d’où les imprécisions dans les dates. Evoquant son audition par les enquêteurs français en 2010, il reconnaît qu’il va abréger l’entretien dans la mesure où sa convocation a été largement diffusée autour de lui. Le témoin est manifestement terrorisé:  » Je suis aujourd’hui en France mais mon coeur n’est pas tranquille », finira-t-il par dire. Il accuse Simbikangwa de mentir sur le rôle de l’association Ibuka dont il est président dans son secteur.

L’avocate générale, prenant la parole, va prononcer des paroles lourdes de sens qui ne tempéreront pas les ardeurs des avocats de la défense lorsqu’il reprendront la parole. 

« Je voudrais faire une observation, commence-t-elle. On regrette de vous avoir fait citer comme témoin car on mesure les risques que vous encourrez. On n’a pas assez mesuré la situation aujourd’hui. Vous êtes dans une situation impossible. C’est nous qui vous y avons mis ». L’émotion est palpable dans la salle. Le problème de la protection des témoins est clairement évoquée, et pas dans le sens où la défense veut bien l’entendre. 

Une fois encore, c’est Pascal Simbikangwa qui aura le mot de la fin:  » Ce monsieur Gatambiye n’est pas celui que je connaissais. C’est un autre Gatambiye. Il y a une supercherie. » Faisant allusion à la mort d’un professeur dénoncée par le témoin:  » En 1991, j’aurais demandé qu’on tue un professeur? Je suis chrétien! Je n’ai jamais tué une mouche. Ce monsieur est un menteur. » 

Une nouvelle fois on s’en tiendra là. Simbikangwa serait bien le seul à dire la vérité… Et il est bien le seul à le croire.

 

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