Audition de monsieur Théophile Gakara.
Monsieur Gakara est un ancien major de la gendarmerie rwandaise. Il est actuellement enseignant au Centre Wallonie-Bruxelles, en Belgique. Après avoir quitté le Rwanda en 1994, il a fait un séjour d’abord au Zaïre, puis un autre encore plus long au Congo Brazzaville! Il est en Belgique depuis 2002.
Dès le début de son audition, monsieur Gakara avoue qu’il a très peu connu Pascal Simbikangwa, et ce au cours de l’année 1982. Après, il ne l’a plus jamais revu. Se pose alors la question de savoir quel intérêt il y a à entendre un tel témoin! Il nous apprend que pendant le génocide il n’a pas vraiment bougé de chez lui, qu’il pouvait passer les barrières assez facilement au début mais que c’était plus difficile vers la fin. Simbikangwa tenait-il des propos anti-tutsi dans les années 80? « Le problème ne se posait pas à l’époque » affirme-t-il. « Pendant le génocide, le FPR a lancé 13 assauts sur le camp de Kaciru » poursuit-il. « Les milices? Je ne connais pas bien la définition des milices. Nous étions pris en tenaille… » « Les escadrons de la mort? L’expression a été importée d’Afrique du Sud. » Autant de réponses suffisamment vagues pour nous laisser croire que ce major n’avait pas beaucoup de poids dans la gendarmerie. Nous l’avons cru jusqu’à ce que l’avocat général lui pose la question: » Mais vous faisiez partie du petit groupe qui, dans la nuit du 6 au 7 avril, et la nuit suivante, a participé à deux réunions aux côtés de Bagosora? ». Les choses s’éclairent. Celui que l’on prenait pour un simple major a exercé des responsabilités extrêmement importantes et décisives pour la suite des événements. D’où une certaine difficulté à se livrer vraiment. Peut-être aurait-on pu en savoir beaucoup plus? Mais l’avocat général l’a rassuré: » Ce n’est pas votre procès, monsieur Gakara! » On en restera là.
Audition de Sam Gody Nshimiyimana, journaliste, rédacteur en chef du Journal Kiberinka (Soleil couchant) en 1992.
Monsieur Nshimiyimana va raconter sa rencontre avec Simbikangwa et ses sbires un jour de janvier 1992. Pour avoir publié un article qui déplaisait à monsieur Simbikangwa et au régime, il va subir la torture, et de la part de Simbikangwa et de celle de ses acolytes. L’épreuve va durer quatre jours au cours desquels il va se faire frapper sur les pieds après qu’on lui eut bandé les yeux d’un bandeau imprégné de piment. Simbikangwa en personne est accusé d’avoir frappé le témoin avec un fer à béton. Difficile de mettre en doute un tel témoignage. La seule parade pour Simbikangwa sera de dire qu’il n’est pas poursuivi pour des crimes de torture. Il a raison, mais ce témoignage permet d’éclairer une fois encore la personnalité complexe du prévenu qui n’a pas bronché pendant toute la durée de l’audition.
Monsieur Nshimiyimana va alors être soumis à un flot de questions de la part du président. Ce dernier va mettre en exergue les contradictions que l’on peut trouver entre les réponses que le témoin a fournies aux enquêteurs français en 2010, les déclarations qu’il a faites aux journalistes de Reporters sans Frontières lors d’une interview du 22 août 1993 et celles données ce jour devant la cour. Il faut bien reconnaître des différences sensibles mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’exercices très différents et que près de dix-sept ans séparent les deux premiers événements. Monsieur Nshimiyimana, avec fermeté et sang-froid, va tenter de se tirer des pièges qui lui sont tendus de tous côtés. Il finira par s’en tirer avec honneur malgré une dernière tentative des avocats de la défense de le déstabiliser.
Parole sera enfin donnée à monsieur Simbikangwa. Fidèle à sa ligne de conduite, il va accuser les associations de victimes, dont Ibuka d’être plus puissantes que le gouvernement de Kigali lui-même, que les témoins du Rwanda ne peuvent que dire ce qu’on leur a dit de dire et que Sam Gody a essayé de manipuler la cour. On serait tenté d’en sourire s’il ne s’agissait pas de propos tenus devant une cour d’assises qui le juge pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Simbikangwa va reprendre son refrain de la veille concernant les Justes récompensés par les Juifs: le Rwanda pourrait bien s’en inspirer! Lorsque Domitille Philippart, une des avocats du CPCR, lui demande si la date du 2 février lui dit quelque chose, il répond par la négative. « C’est la journée des Justes au Rwanda », précise-t-elle. « Ah bon! je ne savais pas. Ca fait 20 ans que je n’y ai pas mis les pieds. Mais est-ce que je suis sur la liste? »
Eclats de rire dans la salle. L’audience est suspendue jusqu’au lendemain.