La journée commence par une demande des avocats de la défense: entendre Augustin Twagiramungu! Les parties civiles et l’accusation n’y sont pas favorables. Le président se donne le temps de la réflexion.
Audition de Renaud Girard, journaliste au Figaro.
Dans un premier temps étonné d’avoir été convoqué et ne sachant trop que dire, monsieur Girard va parler pendant plus d’une heure et demi, « sans être interrompu », comme la loi l’exige. Difficile de faire la synthèse d’un récit qui relève plus du récit d’un voyageur que d’un témoignage devant une cour d’assise. Je me contenterai donc d’un florilèges de citations ou de brefs commentaires.
Monsieur Girard n’a jamais entendu parler du Rwanda avant d’y être envoyé par son journal. Ayant appris l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, il de précipite sur une carte Michelin pour savoir où se trouve ce pays.. Décision prise d’entrer au Rwanda par le Burundi. Sur le tarmac de l’aéroport de Bujumbura, 500 soldats américains attendent un ordre qui ne viendra jamais. Monsieur Girard quitte Bujumbura par la route, les militaires français ayant refusé de le transporter, jusqu’à Kigali, lui et ceux qui l’accompagnent: » Nous partons, furieux de la décision ».
Nouveau coup de sang lorsque monsieur Girard croise sur son chemin diplomates, ONG et étrangers qui fuyaient le Rwanda. Seul Michel Gaillard de la Croix Rouge a fait son devoir. Butare est calme, décision de partit à Kigali en voiture achetée sur place. Sur la route, il croise des miliciens qui tiennent des barrières. « Ils ont cru que j’étais belge. Je leur ai chanté la Marseillaise! ».
A l’Hôtel des Mille collines. Monsieur Girard apprend que l’ambassadeur a quitté son ambassade. « Cet ambassadeur n’a pas honoré la France. Grave erreur d’avoir quitté son ambassade. Son honneur et son devoir étaient qu’il reste ». Un infirmier de MSF, « un Noir », accepte de le piloter dans Kigali. « J’ai vu des choses que je n’avais jamais vu de ma vie: corps un peu partout, bennes remplies de cadavres. J’ai écrit mon article car un journaliste qui ne témoigne pas est un journaliste qui n’existe pas. » Son fixeur, l’infirmier, se fait molester à une barrière. Reconnu par un jeune homme, il est relâché: « J’avais pris soin de ne pas choisir un Tutsi comme fixeur! ». Décision prise de s’en séparer. Au retour, sur la même barrière, trois corps ensanglantés qui n’étaient pas là à mon premier passage. » Retour à l’école française Saint-Exupéry tenue par des soldats belges qui décident de partir jusqu’à l’aéroport en abandonnant un diplomate tutsi. Sur la route de l’aéroport, « une foule furieuse ». A son départ, on a confié au témoin une femme enceinte et son mari qui souhaitent se rendre au Kenya. Refus de l’ambassadeur belge: « Si vous ne les embarquez pas, demain vous sautez. » Malgré l’ordre qui lui est donné de rentrer en France, monsieur Girard décide de rester une semaine.
Retour en France. S’ouvre à Dominique de Villepin du refus de l’attaché militaire de Bujumbura de conduire les journalistes à Kigali. Réponse: « J’ai toujours dit que cet attaché militaire est un con. »
A Paris, le pouvoir est paralysé par la cohabitation. « Balladur ne connaissait pas le Rwanda. Ce n’est pas au Conseil d’Etat qu’on l’apprend. Il aurait fallu un courage formidable. Mitterand n’était plus en état de prendre une décision. » Décision prise de partir avec Kouchner, en passant par l’Ouganda. Rencontre de Kagame, un « Napoléon ». La région est vidée de ses habitants. Arrivée au Méridien à Kigali, QG de Roméo Dallaire « qui avait commis l’erreur de dire aux dix Casques Bleus belges de rendre les armes. » « Les soldats de la MINUAR sont en dessous de tout. Bengladeshi qui jouent aux cartes. » Rencontre de Marc Veiter qui est resté au Rwanda pour protéger ses jeunes orphelins: « Un gars un peu allumé qui ressemblait au Christ! »
« Au Quai d’Orsay, mes articles avaient ému. » Renaud Girard désavoue l’Opération Turquoise décidée trop tard. Evoque l’arrestation de Kagamé lors de son court séjour en France. « La France a fait la guerre au Rwanda pour empêcher le FPR de prendre Kigali. J’ai refusé de couvrir Turquoise car c’était de la poudre aux yeux. L’amiral Marin Gillier avait été enfumé par les Hutu. Les diplomates ont failli, les militaires ont été naïfs.
Questionné par le président, le témoin fait la réponse suivante: » Le principal souci de Kagamé en mai n’était pas le génocide. Sa priorité était de battre l’adversaire et de prendre le pouvoir. » Et de prêter des sentiments à Kagamé: » Les Tutsi sont des abrutis, ceux qui sont restés à l’intérieur. On vous avait bien dit de venir nous rejoindre. Mort aux cons (sic) ». Enfin, à une dernière question d’Olivier Leurent, le président: » Impossible de circuler sans voir des cadavres », réponse qui contredit celle de Simbikangwa qui répète à qui veut l’entendre qu’il n’a pas vu de cadavres au Rwanda!
Audition d’Antoine Garapon, magistrat, sur la notion de compétence universelle. Peu nécessaire de résumer son intervention; Il s’agit en fait de pouvoir juger « des étrangers qui ont commis des crimes à l’étranger sur des étrangers, à condition qu’ils résident sur le sol français au moment où la plainte est déposée. »
Audition de Jean-Philippe Ceppi, journaliste suisse. Correspondant de Libération basé à Nairobi, entre au Rwanda avec Jean Hélène, assassiné plus tard en Côte d’Ivoire, le 8 avril. Arrive à Kigali le 9 et repart le 12. Monsieur Ceppi parle d’une « longue séquence d’horreur. » Le témoin se dit très choqué par ce qu’il a vu à l’hôpital universitaire de Kigali: 400 cadavres entassés, plus de place à la morgue, une mère signale la présence de son enfant encore vivant sous une pile de cadavres. Il rapporte que les humanitaires se sont effondrés, que des militaires sont venus achever les blessés à l’hôpital, raconte son intervention à Gikondo, une colline de Kigali: nombreux corps à ramasser, sauvetage de rescapés terrés derrière une porte en métal. Rue pleine de pillards, propos d’un milicien qui dit qu’il n’en peut plus, qu’il en a marre, religieuse qui réussit à calmer un tueur qui poursuit sa proie, cadavres dévorés par les chiens… Difficile de travailler pour un journaliste: « J’ai quitté Kigali car j’ai vu que je ne pouvais plus travailler. Je suis rentré par le Nord avec le FPR: « Scènes d’horreur: fosses communes, puits remplis de cadavres, rescapés sauvés au-dessus d’un tas; des Tutsi étaient épargnés le temps de transporter les corps, exécutés ensuite. Yeux des victimes mangés par les mouches, odeur fétide. » Monsieur Ceppi réalise les premières interview des gens sortis des fosses communes. Manifestement marqué par son expérience, monsieur Ceppi s’exprime avec humilité, conscient de la complexité de la situation, cherchant à analyser, les causes du génocide suite à la question du président. Il se dit heureux que se procès se tienne, qu’il était « parfaitement impossible de se déplacer sans voir des morts », évoque les bruits, les hurlements, les rafales la nuit, les cadavres dans le quartier de Kiyovu des riches, là où habitait Simbikangwa. Il dit n’avoir jamais assisté à des massacres commis par le FPR, reconnaît que le FPR avait un objectif militaire mais « chaque fois que le FPR pouvait libérer des zones, il le faisait; scènes très émouvantes de retrouvailles.
Il termine enfin par évoquer la présence de l’appareil génocidaire à Nairobi après le génocide, avec la bénédiction du président kényan. Il a cherché à rencontrer Simbikangwa qui se trouvait là aussi, dans un quartier cossu et sécurisé. En vain.
Le dernier témoin, Michel Robardey, militaire en poste à Kigali de fin 1990 à septembre 1993, arrivé au Rwanda à la demande du président Habyarimana pour encadre le service de police judiciaire. Il est chargé de remettre en ordre le fichier central. Il évoque l’attaque du FPR, menace las autorités de cesser son travail si elles continuent « à couper les gens ». Il exigera la libération des personnes incarcérées au stade de Nyamirambo en octobre 1990, parle du massacre des Bagogwe en évoquant une « manipulation du FPR? » Parle ensuite de l’attaque de la prison de Ruhengeri, du massacre du Bugesera qui fera près de 2000 morts. Il s’est rendu sur place mais s’est contenté d’interroger les tueurs sur leurs motivations. En toile de fonds, il y a toujours le FPR. Il évoque ensuite son travail au fichier central: » Si vous voulez que je remette en ordre le fichier central, virez tout le monde. Simbikangwa n’avait rien à faire au fichier central. J’ai travaillé au Rwanda en toute liberté. Janvier Africa était un menteur: l’akazu, les escadrons de la mort, une invention. S’il y a eu des escadrons de la mort, ce sont ceux du FPR ». En réponse aux questions qui lui seront posées: tous les assassinats, il les attribue au FPR. « S’il y a eu des tortures, c’est sans commune mesure avec les escadrons de la mort du FPR. Il critique les propos de la représentante du CPCR à la télévision lors d’un récent face à face avec Twagiramungu et traite son intervention « d’abominable, scandaleuse ». A Simon Foreman, avocat du CPCR, il dit: » Restez poli, sinon je vais m’énerver. ». Il condamne les contrôles aux barrières réalisées par des soldats français. Il a du mal enfin à dire s’il y a eu deux génocides ou pas pour terminer: » La thèse du génocide spontané n’est pas totalement stupide. » on en restera là.