Procès Simbikangwa: 10 février 2014

La journée commence par le versement de nouvelles pièces au dossier, à la fois par les parties civiles et la défense. L’avocat du CPCR demande de joindre l’article de Marie-France Cros, journaliste de La Libre Belgique, dans lequel elle évoque la réaction de Simbikangwa lors de la publication d’un article publié autrefois. Est versée aussi au dossier le courrier que le président de la cour de cassation écrit au président Habyarimana en mars 94, courrier dans lequel il fait part des menaces proférées contre lui par Pascal Simbikangwa. Monsieur Kavaruganda sera tué dès le début du génocide. Le journal jamais publié mais attribué à Simbikangwa, l’Indomptable Ikinani, est également joint à la procédure. Cette lettre fera l’objet de controverses dans le courant de la journée. Simbikangwa prétend que c’est un faux. Enfin, l’avocat du CPCR, Simon Foreman, verse aussi trois caricatures de Simbikangwa publiées dans la presse rwandaise au plus fort de la crise.

La défense n’est pas en reste. Elle demande à son tour de verser au dossier le film « D’Arusha à Arusha », des articles du Monde et de RFI évoquant la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France en 2006, suite à la publication de l’ordonnance du juge Bruguière, ordonnance complètement déconsidérée depuis que le juge Trévidic a pris l’affaire en mains.

C’est au tour de l’historien Jean-Pierre Chrétien, témoin de contexte cité par le Parquet, de venir à la barre. Ce n’est pas un spécialiste du génocide mais il souligne le caractère « lancinant, dominant, envahissant du discours politique » de l’époque, ce discours étant construit sur « une idéologie des races ». « Le génocide n’est pas tombé du ciel ».

De rappeler alors les grands moments de l’histoire du Rwanda, son peuplement, la période coloniale, l’admiration des premiers colons pour les Tutsi, des « faux nègres » selon les critères de l’époque. Le colonisateur va s’appuyer sur le pouvoir en place détenu par un roi tutsi, pouvoir assimilé par un pouvoir racialement supérieur. Consolidation du pouvoir en place jusqu’à la fin des années cinquante. Devant le nationalisme proféré par les Tutsi, le colon et l’Eglise vont s’appuyer sur une contre-élite hutu. Cette révolution de 1959 ne va pas abolir les privilèges, mais simplement aller vers un renversement de la situation qui maintient le clivage racial. Les Tutsi deviennent des citoyens de seconde zone, instauration des quotas…

Avec l’attaque du FPR le 1 octobre 1990, la situation va changer: va bientôt naître une opposition intérieure hutu et on va mettre en place le multipartisme. Une opposition extérieure se manifeste et elle est essentiellement hutu. Deux options se présentent alors pour Habyarimana: option d’ouverture vers une démocratisation ou bien remobilisation des Hutu sur une ligne ethnique selon une logique raciste. On assiste alors à un retour de la liberté de la presse pendant que s’organise, autour d’Agathe Habyarimana l’akazu, formée des proches de la famille d’Agathe Habyarimana et d’un certain nombre de gens du Nord, originaire de la préfecture de Gisenyi, comme le président et madame. On parle aussi du « Réseau zéro », selon l’expression de Christophe Mfizi.

Jean Pierre Chrétien évoquera ensuite le journal extrémiste Kangura qui publie en 1990 les  « Dix commandements des Bahutu ». Les massacres du Bugesera seront aussi l’occasion de désigner à nouveau l’ennemi, le Tutsi: plus de 300 morts en mars 1992. Simbikangwa se serait réjoui de ces massacres, ce qu’il dément, évidemment.

Pour conclure, Jean-Pierre Chrétien rappelle que le génocide avait un caractère politique, que ces massacres n’avaient rien de naturel entre Hutu et Tutsi. En présence d’une désespérance sociale manifeste, comment les valeurs traditionnelles et chrétiennes n’ont-elles pas pu endiguer la violence?

Après une série de questions, c’est Colette Braeckmann qui va intervenir. Elle va essentiellement évoquer son histoire personnelle à travers l’histoire du Rwanda. Journaliste au Soir, elle a une grande expérience de la Région des Grands Lacs. Fort de cette expérience, elle retrace à son tour les grandes étapes de l’histoire du Rwanda, rapporte ce qu’elle a vu au Rwanda début avril 1994 alors qu’elle sillonnait Kigali avec les militaires belges qui ne tarderont pas à quitter le Rwanda le 11 avril.

Jean-Pierre Chrétien ayant été mis en difficulté par la défense à propos de certains chapitre du livre « Les médias du génocide », livre écrit à quatre mains, il est demandé à Jean-François Dupaquier, journaliste, de venir à la barre, même s’il n’a pas été cité. Pour cette raison, il sera dispensé de prêter serment. Dans un exposé magistral, avec l’éloquence et la conviction qu’on lui connaît, il va rappeler un certain nombre de vérités qui ne sont pas faciles à entendre: haine raciale instrumentalisée par le régime, fantasmes à propos de femmes tutsi, rappelant au passage un élément du curriculum vitae de Simbikangwa qui s’était fait fort de violer une jeune femme tutsi afin d’accéder au statut d’homme selon un rite d’initiation en vogue chez les jeunes Hutu…

La journée va se terminer par une série de questions à Pascal Simbikangwa. Fidèle à sa ligne de conduite, il va nier tous les faits qui lui sont reprochés, s’embrouiller dans les dates, tenir des propos totalement incohérents, répondant toujours à côté des questions, servant à son auditoire une véritable soupe. En cette fin de journée, il ne fut vraiment pas à son avantage. On peut se demander ce que les jurés ont pu retirer d’une telle confrontation.

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