Procès RWAMUCYO, vendredi 11 octobre 2024. J9


Audition de monsieur Jean Marie Vianney NDAGIJIMANA, diplomate, ancien ministre des Affaires Étrangères à la fin du génocide, ancien ambassadeur du Rwanda en France. Cité par la défense.

En début d’audience, monsieur le président nous fait part que monsieur Jean-Marie Vianney NDAGIIJIMANA ne se présentera pas devant la cour: un événement familial douloutreux l’oblige à rejoindre les siens. Pourra-t-on l’entendre avant la fin du procès? La cour décide de surseoir en attendant de voir s’il peut être convoqué à une date ultérieure, « pas avant le 22 octobre » demande son avocate.

Projection, à la demande de la défense, du documentaire Rwanda: the Untold Story, diffusé par la BBC le 1 octobre 2014.

Chaque partie sera amenée à s’exprimer sur la pertinence de ce documentaire dont la défense a demandé la diffusion[1].

 

Interrogatoire de l’accusé.

Cet interrogatoire ne va pas faire avancer beaucoup la connaissance de l’accusé. Monsieur RWAMUCYO commence par dire que personne ne s’attendait à ce qui allait arriver. Dès l’annonce de l’attentat, un communiqué demande à la population de rester chez soi. C’est ce que l’accusé fera. Il ne se hasardera en dehors de chez lui qu’au bout de deux semaines. À BUTARE, tout le monde était catastrophé. L’accusé déclare alors que c’est le témoignage du docteur Romy ZACHARIAH, la veille[2], qui lui a permis de mieux comprendre ce qui s’était passé! (NDR. Etonnant, tout de même. Cela me rappelle la remarque que Pascal SIMBIKANGWA avait faite lors, de son procès. C’est à Mayotte, en lisant l’ouvrage de je ne sais plus quel chercheur, qu’il a appris ce qui s’était passé au Rwanda en 1994[3]).

Une phrase qui mérite d’être notée toutefois: « On ne savait pas à quel saint se vouer, j’ai dû rester chez moi jusqu’au 24 avril, je n’ai pas vu de cadavre sur la route, au-delà du 25, la ville commençait à sentir! »

En réalité, il a passé son temps à rédiger un rapport qu’il a transmis au doyen de l’Université pour qu’il soit remis à son ministre de tutelle: « Action socio-sanitaire et humanitaire en cas de catastrophe provoquée ». Le président s’étonne que l’accusé passe son temps à écrire des recommandations qui ne pourront jamais être mises en place. N’aurait-il pas mieux fait de les mettre en œuvre lui-même, concrètement? « J’ai voulu alerter ceux qui pouvaient faire quelque chose » répond l’accusé au président.

Et de s’étonner, en fin d’audition: « Ce sont les Inkotanyi tutsi[4] qui commettent les massacres à BUTARE, comment se fait-il que ce soit moi qui comparaît devant la cour? Je vois que tout ce que j’ai écrit est criminalisé. J’écris dans mon rapport pour le pays tout entier, pas pour BUTARE. Alors quel intérêt? » (NDR. L’accusé a du mal à se défendre. Il ne sait pas toujours quoi répondre. Nous aurons d’autres occasions de l’entendre. Plusieurs interrogatoires sont prévus d’ici la fin du procès, sur des faits beaucoup plus précis.)

 

Audition de Jean Népomucène NSENGIYUMVA, ancien médecin au CHUB[5].

Monsieur NSENGIYUMA est un médecin à la retraite qui travaillait en médecine interne au CHU de Butare. Il a été lui même condamné à 19 ans de prison pour crime de génocide en 2005 et il est sorti en décembre 2023.

Il exprime n’avoir rencontré qu’une seule fois l’accusé Eugène RWAMUCYO lors de la réunion du 14 mai 1994 avec le Premier ministre du gouvernement intérimaire Jean KAMBANDA[6].

Monsieur NSENGIYUMA dit ne pas connaître d’association regroupant le personnel universitaire. Le témoin explique qu’il faisait parti du MDR mais n’était pas Hutu power car « la dénomination est apparue longtemps après avril 1994 »[7].

Monsieur le président lui demande si monsieur RWAMUCYO était membre d’un parti politique. Le témoin lui répond qu’il ne sait pas. Alors monsieur le président lit un passage des dépositions du témoin devant le juge d’instruction où il dit qu’il pense que monsieur RWAMUCYO appartenait à la CDR[8] car il l’aurait déjà vu en faire l’éloge.
Le témoin lui répond que c’est possible et que monsieur RWAMUCYO faisait l’éloge de la CDR quand ils discutaient ensemble.

Monsieur NSENGIYUMA précise ensuite qu’il y a eu des meurtres à l’hôpital et parle notamment du meurtre d’un jeune infirmier Tutsi qui s’est fait assassiner par des soldats en sortant de l’hôpital sur la route pour rentrer chez lui vers le 20 avril 1994. Le témoin précise que ce meurtre a été le début des meurtres concernant les personnels et les patients de l’hôpital.

Le témoin dit qu’il y avait des cadavres un peu partout à Butare. Il parle notamment d’un corps qu’il aurait vu devant la cathédrale et d’une dizaine de corps aperçus sur le chemin de l’école de ses enfants.

Par rapport aux barrières, il précise qu’il y avait des barrières tous les 200 mètres et qu’il y avait des jeunes sur les barrières. Le président lui demande alors s’ il y a eu des consignes pour que tous les habitants participent aux rondes et aillent sur les barrières. Monsieur NSENGIYUMA répond que « les médecins et les femmes étaient dispensés de barrière et de ronde ». Le témoin explique que le but des barrières était de voir si il y avait des infiltrés et pour cela il fallait regarder leur carté d’identité. Il dit qu’il y avait beaucoup d’infiltrés mais que tous ceux qui ont été tués ne l’étaient pas. Le président rebondit alors et lui demande si on avait plus de problème si la carte d’identité montrait qu’on est Tutsi aux barrières. Ce à quoi le témoin lui répond que « les Tutsi devaient éviter de se déplacer » .

Concernant la réunion du 14 mai 1994 à l’Université de Butare, Monsieur NSENGIYUMA explique que le Premier ministre est venu « réconforter la population et leur dire de ne pas paniquer ». Il précise aussi que le Premier ministre a dit qu’il fallait avoir confiance dans les forces armées et les soutenir. Le président lui demande si Eugène RWAMUCYO a parlé pendant cette réunion. Le témoin répond qu’il a parlé longuement en disant « qu’il faut soutenir l’armée et contribuer financièrement à acheter des armes pour l’armée ».

Concernant son propre cas, monsieur NSENGIYUMA explique qu’il a des problèmes de mémoire dû à des séquelles de la prison et qu’on lui a reproché, pour sa condamnation, d’avoir distribué des armes, d’avoir été sur les barrières et d’avoir participé à des assassinats. On l’aurait accusé à tord. L’avocatgénéral lui lit un compte rendu de réunion qui évoque la mise en place de rondes dans les trois secteurs de Butare où il est inscrit: le témoin était lui-même respnsable des « dix maisons », la plus petite entité administrative. Le témoin répond qu’il ne se souvient pas de ce document, que c’est un mensonge et qu’il n’a pas été responsable de rondes.

Le président lit ensuite des dépositions du témoin devant le juge d’instruction dans lesquelles il explique que pour lui aucun médecin ne peut participer « à ce genre de choses » et qu’il est « sûr à 100% » qu’aucun médecin de la fac de médecine n’a participé au génocide.

 

Audition de monsieur Jean KAMBANDA, ancien premier ministre du gouvernement intérimaire, détenu au Sénégal. Cité par le ministère public, en visioconférence.

Jean KAMBANDA, Premier ministre du gouvernement intérimaire pendant le génocide – DR.

 

Un numéro de haut vol.

Alors que beaucoup des gens qui se trouvaient dans la salle doutaient fort que Jean KAMBANDA accepte de témoigner devant la cour d’assises, je faisais partie de ceux-là, apparaît sur l’écran un homme élégamment habillé, souriant, décontracté, combattif, apparemment pas du tout marqué par toutes ces années qu’il vient de passer en prison. Le verbe haut, un débit de paroles très rapide, un témoin en possession de toutes ses facultés, toujours à l’aise par rapport aux questions qui lui seront posées.

Jean KAMBANDA commence par se présenter comme « un prisonnier politique de l’ONU » qui ne reconnaît toujours pas sa condamnation. Alors qu’il dit n’avoir pratiquement pas connu l’accusé, le témoin dépeint Eugène RWAMUCYO comme « un homme courageux qui faisait son travail et aimait la population. » Et de déclarer sans transition que RWAMUCYO est innocent, qu’il est poursuivi pour des raisons politiques.

Monsieur le président fait savoir au témoin qu’il souhaite l’entendre sur la période du 6 avril au 4 juillet à BUTARE, mais Jean KAMBANDA lui répond tout de go que si on ne parle pas de ce qui s’est passé à ARUSHA, on ne saura pas qui a abattu l’avion (rapport ?). De poursuivre: « C’est la MINUAR[9] qui a tenté un coup d’état, Dallaire est responsable de ce qui s’est passé. Il a fait pression pour que la première ministre parle à la radio, il a fait pression pour que le chef des rebelles (KAGAME) s’installe à KIGALI ».

Le témoin évoque ensuite l’enquête de l’Australien HOURIGAN qui s’est vu empêcher de rendre public son travail dans lequel il avait des preuves pour dire que c’est le président KAGAME qui avait abattu l’avion du président HABYARIMANA (NDR. Thèse des tirs partis de MASAKA; missiles venus d’Ouganda et transportés depuis MULINDI, le QG du FPR), puis l’histoire de la boîte noire qui aurait été retrouvée dans des placards de l’ONU, boîte noire qui était celle d’un Concorde!

De plus en plus fort! C’est KAGAME et ses amis qui auraient créé la milice Interahamwe[10], qui auraient assassiné Landouald NDASINGWA et sa famille par l’entremise d’un certain NINJA! Le président HABYARIMANA, à son départ pour DAR-ES-SALAM, aurait révélé qu’il redoutait un coup d’état: c’est KAGAME qui a commis ce coup d’état redouté du président!

Le témoin poursuit sa version des événements sur un rythme très soutenu, prenant à peine le temps de respirer, mais avec une certaine délectation.

Sur question du président, le témoin reconnaît qu’il y a eu le génocide des Tutsi « tués pour ce qu’ils étaient », mais c’est KAGAME qui l’a planifié: en s’attaquant aux Hutu, KAGAME a provoqué leur colère et donc le génocide des Tutsi. CQFD (NDR. C’est tortueux comme raisonnement, mais il faut comprendre que les rebelles du FPR, non contents d’avoir tuer des Hutu, sont responsables de la tentative d’exterminer les Tutsi.)

Lorsque monsieur le président avance qu’il a été « une marionnette, manipulée par KAGAME », le témoin s’insurge: « Je n’ai pas été manipulé, je ne suis pas arrivé par hasard. le MDR auquel j’appartenais était coupé en deux, dont une partie favorable au FPR. Je n’étais pas contre les accords d’Arusha, mais la clause qui consistait à donner 40% des forces armées au FPR. C’est le MDR qui m’a désigné pour le représenter au poste de premier ministre ».

Concernant la destitution du préfet de BUTARE, Jean-Baptiste HABYARIMANA, KAMBANDA reconnaît qu’il a bien été enlevé et conduit à GITARAMA, mais qu’il a demandé à la ministre de la justice de le faire libérer. Ce serait en retournant à BUTARE, libre, qu’il aurait été assassiné! À chacun sa version!

Le témoin donne son interprétation du discours du président SINDIKUBWABO lors de l’intronisation du nouveau préfet, Sylbain NSABIMANA[11]: aller travailler voulait bien dire que les gens devaient retourner dans leurs champs pour ne pas mourir de faim. La Radio Rwanda n’aurait pas diffusé ce discours, « dérobé par le FPR » et remis à Radio MUHABURA qui en avait donné sa propre interprétation ». (NDR. On croit rêver!)

Le colonel Marcel GATSINZI? Un infiltré du FPR qui aurait envoyé les tueurs à NYAKIZU. Le bourgmestre de cette localité aurait été blessé par les Tutsi (NDR. Tout est bon pour réécrire l’histoire et accuser les Tutsi de tous les massacres. Et ceci déclamé avec une totale assurance.) A CYAHINDA, où il s’est rendu le 18 avril, il n’a vu aucun cadavre (NDR. Ce n’était pas le 18 avril mais après l’installation du nouveau préfet). Affirmer que les massacres de GISHAMVU d’où il est originaire ont commencé le 8 avril, c’est une contre-vérité, BUTARE ayant été épargnée jusqu’au discours de SINDIKUBWABO. Quant à l’enfouissement des cadavres à KIGALI, c’est Jean-Philippe GAILLARD, le président de la Croix Rouge, qui l’aurait supplié de le réaliser!

Une longue série de questions vont suivre la déclaration spontanée du témoin. S’il est venu à BUTARE, c’était pour dire aux gens de faire attention à l’ennemi, le FPR et non les Tutsi. Il n’est pas reponsable de l’installation des barrières qui existaient depuis 1990. barrières dont il dit qu’elles étaient tenues par les Inkotanyi[4]! Puis une rapide allusion à la mort de la reine, Rosalie GICANDA, dont il dira plus loin qu’on lui avait trouvé un refuge en Suisse pour la dissuader de rentrer au pays. Sa seule responsabilité dans ce qui est arrivé, c’est de ne pas avoir pu s’opposer aux massacres.

Concernant sa déclaration initiale dans laquelle il se présente comme un « détenu politique »: « Je n’ai pas eu droit à un procès véritable ». Il révèle alors les conditions dans lesquelles il a été arrêté à NAIROBI. Et d’ajouter aussitôt que Eugène RWAMUCYO n’a rien fait et qu’il a enseveli les cadavres à la demande du gouvernement. À KIGALI, ce serait le CICR, Comité International de la Croix Rouge qui a pris cette décision!

Le témoin connaît peu l’accusé. Il l’a vu pour la première fois lors de la réunion du 14 mai 1994. Il ne se souvient pas ce qu’a dit l’accusé ce jour-là. Ce dont il se souvient, ce serait un slogan lancé ce jour: « Vous refusez votre sang à votre pays et les chiens le boivent pour rien », slogan qu’il va tenter d’expliquer! Par contre, la date du 11 mai ne lui dit rien, même si sur un de ses agendas figurent les noms de KAREMERA, RWAMUCYO et HAKIZIMANA. Au passage, il n’oublie pas de s’en prendre à sa bête noire, le colonel Marcel GATSINZI qu’il considère comme un traître et seul responsable du génocide à BUTARE (NDR. Plus tard, il expliquera dans quelles circonstances GATSINZI, commandant de la place, a envoyé ses soldats désarmés face aux troupes du FPR alors que lui-même s’était rendu à GISENYI en hélicoptère pour récupérer des munitions).

Aloys SIMBA, il le connaît: c’était le responsable de l’auto-défense civile créée pour s’opposer au FPR.

Sur questions d’un avocat des parties civiles, le témoin explique qu’il a essayé de défendre son pays et que s’il a échoué, c’est parce qu’il y avait beaucoup de divisions, d’ennemis autour delui. Il reconnaît qu’il n’était pas formé à la politique.

L’attaque simulée du 5 octobre 1990 à laquelle on a arrêté les Ibyitso, les complices[12]? « C’est cela qu’on vend aux étrangers. Il n’y a pas eu de simulation mais une vraie bataille pour éviter que le FPR ne prenne KIGALI. BAGOSORA[13] et le camp militaire de Kanombe étaient là pour contrer l’attaque du FPR. Vous me parlez du discours de Léon MUGESERA à KABAYA[14], des Dix commandements des Bahutu[15], vous me dites qu’il n’y aurait pas eu de discours positifs! Vous n’y connaissez rien, c’est moi qui suis intervenu pour qu’on aide ces « complices ». J’étais contre leur arrestation. »

Le 7 avril 1994, les opposants hutu ont été assassinés? « On les croyait de connivence avec l’ennemi. Ils ont été assassinés par des Hutu et des Tutsi. La mort des Casques bleus belges? Un simple concours de circonstance en réaction à l’assassinat du président dont les Belges étaient accusés d’être complices. Personne n’a donné l’ordre de les assassiner. »

Jean KAMBANDA reconnaît avoir rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA[16] à GIKONGORO: « C’était quelqu’un qui m’était proche et j’allais le voir souvent. Par contre, quand il l’a rencontré à l’époque dont on parle, il n’était pas au courant des nombreuses victmes de MURAMBI, CYANIKA ou KADUHA! Il n’était pas informé de la situation dans cette préfecture ». (NDR. Comment le croire?)

Sur question de maître BERNARDINI, le témoin s’exprime sur la situation des déplacés de NYAKIZU, de ceux de l’église de NYUMBA (NDR. Sur la commune de GISHAMVU).

Église de Nyumba (Gishamvu).

Pour KAMBANDA, la population tutsi regroupée dans ces lieux l’avait été par les Tutsi eux-mêmes, « pour se défendre« , armés et entraînés par ces derniers. « Les responsables des massacres, ce sont ceux qui ont demandé aux Tutsi de se rassembler et aux jeunes paysans de s’entraîner. Le FPR a sacrifié les Tutsi de l’intérieur ».

Pourquoi accepte-t-il de défendre RWAMUCYO?  « Je l’ai vu en action. Je l’ai vu à GOMA, dans les camps, en train d’aider les gens, comme son devoir le lui demandait. Il travaillait avec la Croix Rouge: on rassemblait les cadavres et au milieu d’eux il y avait des vivants. C’est quelqu’un qui aime son pays, son peuple » Et d’ajouter, sans qu’on comprenne trop pourquoi à ce moment: « Je suis chrétien! »

L’avocat général, monsieur Nicolas PERON, interroge le témoin sur ce qui est noté sur ses agendas et sur le rapport rédigé par l’accusé et remis au ministre de la Santé (NDR. Il en a été question le matin lors de l’interrogatoire de l’accusé), rapport sur ce qu’il fallait faire en cas de « catastrophe provoquée ». Le témoin ne se souviens de rien. Lors de la réunon du 14 mai, il a bien noté quelques propos de RWAMUCYO mais ne voit pas ce qu’il aurait dit de mal.

Monsieur l’avocat général lui parle de quelques dates dont le témoin ne se souvient pas. Par contre, en date du 25 juin, il se serait rendu à BUTARE et sa région: rencontre avec la communauté universitaire, distribution de cinq fusils, visite dans une usine de fabrication d’arcs et de flèches. Le témoin confirme. Il s’est rendu à BUTARE sur invitation de Marcel GATSINZI qui a lui-même distribué les armes à des cadres de l’Université. Quant aux arcs et aux flèches, il fallait en fabriquer dans le cadre de l’auto-défense civile.

Madame PETRE, avocate générale, demande à Jean KAMBANDA où il était en octobre 1994. Le témoin dit qu’il avait rencontré un certain NDAHUYO (?) er RWAMUCYO pour savoir ce qu’étaient devenus ses compatriotes. Par contre, il ne se souvient pas d’une rencontre avec Pauline NYIRAMASUHUKO, la ministre de la famille[17], le 22 mai 1994. Sur son agenda, il a noté le nom de KAREKEZI et « pelles mécaniques ».

C’est au tour de la défense de prendre la parole. C’est maître MATHE qui commence: « C’est nous qui avons demandé que vous soyez témoin ». Elle demande de raconter les circonstances de son arrestation au KENYA et les conditions de sa détention, d’abord à Arusha, puis à DODOMA, isolé avec les enquêteurs du TPIR, loin des siens. Sa procédure d’aveu, il l’a faite à l’issue de huit mois d’isolement. Quant à la question de l’avocat, il n’a pas renoncé à en demander un, on lui en a désigné un qui était anglophone « de la famille du procureur » et avec lequel il ne pouvait pas échanger.

Le témoin précise qu’avant son arrestation, il pensait qu’il serait poursuivi. Il avait contacté un avocat rwandais, Stanislas MBONAMPEKA mais n’avait pu le joindre car il n’était plus sur la liste des avocats. (NDR. Le CPCR avait déposé une plainte contre ce dernier le 1 novembre 2008 mais il se trouve qu’il était déjà parti en Belgique. Il a été arrêté fin mars 2024. Nous n’avons pas d’autres informations depuis[18].

À la question de savoir s’il est bien condamné à perpétuité, le témoin répond simplement oui, un grand sourire aux lèvres, totalement détendu. Il est incarcéré au Sénégal, après avoir été détenu au Mali.

La procédure d’aveu? Il n’a eu aucune promesse, n’a rien demandé.

Pourquoi avait-il deux agendas? Parce qu’il avait été banquier et qu’il se déplaçait souvent. Ses agendas, de simples blocs-notes qu’il gérait lui-même.

Qui a organisé la réunion du 14 mai 1994? « Mon service de renseignement m’a averti et a rédigé mon discours. » (NDR. Un premier ministre qui se rend à une réunion sans savoir qui l’organise, crédible?)

La fin de l’audition va être consacrée à Marcel GATSINZI et à une réunion du 23 juin 1994 qui concernait la réception de la première promotion de la défense civile. Selon le témoin, ces civils avaient simplement appris le maniement des armes en quelques semaines.

Ce que pense le témoin de GATSINZI, je l’ai évoqué en quelques mots plus haut. « Le colonel GATSINZI était le négociateur avec le FPR, chef d’État major par intérim. C’était déjà un infiltré du FPR et donc tout désigné pour tenir son poste à BUTARE.  Personne ne pouvait connaître sa duplicité. Il a remis BUTARE au FPR (NDR. Voir plus haut) et permis l’assassinat de beaucoup de personnes. Il deviendra ministre de la Défense du FPR avec lequel il avait signé un accord pour me neutraliser. Il nous a « balancés », c’est lui qui contrôlait tout. »

NB. Ce compte-rendu est volontairement assez exhaustif dans la mesure où, à ma connaissance, il est assez rare que Jean KAMBANDA accepte de s’exprimer.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Lucas RUGARD, bénévole

Jacques BIGOT, notes et mise en page

 

Audition de monsieur Innocent KAREKEZI, ancien collaborateur de monsieur RWAMUCUO au service de l’assainissement à BUTARE. Sous réserve.

Ce témoin, cité par la défense, n’a pu être localisé. D’aucuns disent qu’il aurait fui le Rwanda au moment des Gacaca[19].

 

  1. Voir notre article d’octobre 2014: Rwanda’s untold story, « L’histoire du Rwanda jamais contée » : vraiment ?[]
  2. Voir l’audition du 10 octobre de monsieur Romy ZACHARIAH, médecin, ancien responsable de Médecins sans Frontières à BUTARE en 1994.[]
  3. Voir Procès Pascal SIMBIKANGWA[]
  4. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[][]
  5. CHUB: Centre hospitalier universitaire de Butare[]
  6. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide et son audition de ce jour.[]
  7. MDR : Mouvement Démocratique Républicain. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire. []
  8. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  9. MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda, créée le 5 octobre 1993 par la résolution 872 du Conseil de sécurité pour aider à l’application des Accords d’Arusha. Voir Focus : le contexte immédiat du génocide – les accords d’Arusha.[]
  10. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  11. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
    Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  12. Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais), cf. Glossaire.[]
  13. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
    Voir le glossaire pour plus de détails.[]
  14. Léon MUGESERA a été condamné à la prison à perpétuité pour son discours prononcé à Kabaya le 22 novembre 1992 – archivé sur le site francegenocidetutsi.org[]
  15. « Appel à la conscience des Bahutu » avec les 10 commandements » en page 8 du n°6 de Kangura, publié en décembre 1990.[]
  16. Voir Procès Laurent BUCYIBARUTA[]
  17. Pauline NYIRAMASUHUKO : ministre de « la Famille et du  Progrès des femmes » à partir de 1992 jusqu’à la fin du génocide, n’hésite pas à inciter les tueurs, voire son fils Shalom, à violer les femmes tutsi. Jugée au TPIR et condamnée à perpétuité en 2011, peine réduite à 47 années de prison en 2015. Voir également: Madame Pauline, la haine des Tutsis, un devoir historique, podcast de France Culture, 28/4/2023.[]
  18. Voir le communiqué du CPCR en date du 29 mars 2024[]
  19. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[]

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