Procès RWAMUCYO, mercredi 16 octobre 2024. J12



Audition de monsieur François-Xavier RUHUMURIZA, ancien gardien de la prison de Karubanda à BUTARE, cité par le ministère public, en visioconférence de KIGALI.

Âgé de 81 ans, monsieur RUHUMURIZA est un ancien gardien de la prison de KARUBANDA, située dans la préfecture de BUTARE. Il y exerce comme simple surveillant pénitentiaire de 1981 à 1989, puis de nouveau à partir de 1992 jusqu’à sa fuite en 1994 lorsque BUTARE est prise par le FPR[1]. Il dit avoir caché ses neveux tutsi, et avoir perdu sa sœur et deux cousines, qui avaient épousé des maris tutsi. En 1994, il était hutu mais se dit aujourd’hui rwandais. Il fuit vers le Zaïre et rentre au Rwanda le 23 décembre 1996. Il est par la suite élu conseiller de secteur de sa commune en 1999 et participe à y mettre en place les tribunaux gacaca[2]. En 1994, il habitait à une vingtaine de kilomètres de la prison, dans la commune de MARABA (secteur de SIMBI, cellule de GISAKURA).

Le témoin est largement interrogé par monsieur le président LAVERGNE au sujet des conditions de détention. S’il ne sait pas dire combien de prisonniers y étaient détenus, il remarque que la prison est vieille, que les conditions d’hygiène sont insuffisantes et que chaque cellule accueille plusieurs prisonniers. Il n’y a qu’un seul médecin pour toute la prison. Des groupes de prisonniers donnent des cours, d’autres sont aux cuisines ou entretiennent les locaux.

Des prisonniers sont également envoyés à l’extérieur, pour effectuer des travaux agricoles ou des services pour la communauté. Ils sont alors habillés d’un uniforme rose, pour les distinguer facilement. Ces prisonniers ont souvent des peines plus légères. Les équipes sont constituées par le directeur de la prison. Ils sont accompagnés par des gardiens, désignés par le gardien en chef. Ces équipes peuvent compter jusqu’à une vingtaine, voire une trentaine de prisonniers pour les travaux agricoles les plus importants. Des détenus font partie de la Croix-Rouge, et sont chargés d’amener les prisonniers malades à l’hôpital (CHU de Butare, CUSP[3] ou hôpital de KABUTARE). Monsieur RUHUMURIZA indique que des commandants militaires sont quelquefois – bien que rarement – venus pour réquisitionner des prisonniers.

Le témoin a remarqué un plus grand nombre de détenus pour complicité avec le FPR[1] à partir de 1991-1992. Il ajoute que pendant le génocide une réunion a eu lieu à la prison de KARUBANDA réunissant le préfet (Sylvain NSABIMANA), le bourgmestre Joseph KANYABASHI ou encore le président du Tribunal RUZINDAZA. À l’issue de cette réunion, les prisonniers sont libérés, les Tutsi devant retourner sur leurs collines pour y être tués. Le lendemain de la réunion, le témoin est retourné travailler. Il apprend alors que les prisonniers Tutsi ont été massacrés, et évoque cela comme la conséquence directe d’une seconde réunion. L’extermination des détenus Tutsi de KARUBANDA a lieu juste avant l’arrivée du FPR.

Monsieur RUHUMURIZA est interrogé sur la participation des prisonniers à l’ensevelissement des corps. Il a accompagné une équipe, constituée d’une vingtaine de détenus, à une seule reprise. Cette équipe de détenus a été rassemblée à la demande du bourgmestre KANYABASHI pour ensevelir les cadavres du massacre de l’église de NGOMA. Le déplacement sur les lieux se fait dans la camionnette de la commune. Assigné à une mission de surveillance des prisonniers réquisitionnés, le témoin dit avoir été épaulé par des militaires et des policiers communaux.

L’église est remplie de cadavres, des civils uniquement, aussi bien des hommes que des femmes et des enfants. Les corps sont là depuis environ une semaine, de sorte que nombreux sont en état de décomposition. Il ne reste aucun survivant. Une partie des prisonniers creuse la fosse, à l’aide d’outils amenés de la prison mais aussi déjà dans la camionnette, tandis que l’autre porte les cadavres. Ils sont encouragés et supervisés dans leur besogne par le conseiller communal NZAHIMANA. Il dit où creuser, et pousse les prisonniers réticents. Le témoin dit également avoir aperçu le bourgmestre KANYABASHI, qui serait reparti immédiatement à leur arrivée, vers 8h du matin. Ils sont partis vers 16h, tous les cadavres ayant été ensevelis dans la fosse creusée au préalable.

Monsieur RUHUMURIZA ne peut dater cette opération d’ensevelissement, qu’il place « au milieu du génocide » (mai ou juin peut-on supposer). Il a appris des prisonniers, qui ont reconnu un certain nombre de victimes, que celles-ci venaient de MARABA, NYARUGURU ou encore SOVU. Toute l’opération d’ensevelissements s’est faite sous les yeux de « badauds », des civils qui déambulent ou qui les regardent depuis des barrières. Le témoin ajoute qu’avec une équipe de prisonniers, il a également été envoyé pour piller un magasin et transporter des sacs de ciment à la préfecture de BUTARE.

L’avocate générale, Me PETRE, relève des informations portant sur le massacre de l’église de NGOMA d’un passage d’Aucun témoin ne doit survivre[4]. Il a eu lieu les 29-30 avril. 476 personnes étaient réfugiées dans l’église, dont 302 enfants. S’il n’est pas capable de fournir une estimation du nombre de cadavres, le témoin dit avoir noté un nombre important de corps d’enfants. Il ne sait pas dire si l’ensevelissement a eu lieu aux alentours du 6 mai, soit une semaine après la date du massacre.

Comme à son habitude, la défense s’est plu à accuser le témoin de mentir. Pour cela, elle relève des contradictions qui seraient flagrantes entre sa déposition et son interrogatoire ayant eu lieu en 2017. Il reste qu’aucune autre partie, ni même monsieur le président, n’a relevé ces incohérences dans leurs questions. Monsieur RUHUMURIZA persiste, en indiquant qu’il a toujours dit la vérité. Des soucis dans la traduction – le témoin s’exprimant en kinyarwanda – peuvent être envisagées et pourraient expliquer ces divergences. La défense, préférant les explications discréditant les témoins, a préféré ne pas déroger à sa ligne en s’en prenant directement à monsieur RUHUMURIZA.

 

Audition de monsieur Etienne SEBABILIGI, ancien détenu de la prison de Karubanda à BUTARE, ancien président de la Croix Rouge de la prison. Cité à la demande du ministère public, en visioconférence de KIGALI.

À 13h43, l’audience reprend par le témoignage de monsieur SEBABILIGI, ancien détenu de la prison de KARUBANDA. Il s’y trouve pour des faits de violence depuis 1988, pour lesquels il a été condamné à dix années d’emprisonnement. Il est libéré par le FPR lorsqu’il conquiert BUTARE et ses alentours à la fin du génocide. En 1994, il a perdu ses beaux-parents, mais sa femme a survécu.

Il a été élu président de la Croix-Rouge de la prison de KARUBANDA par ses co-détenus. La Croix-Rouge s’occupe de « venir en aide aux personnes dans le besoin » et à « voler au secours des gens qui ont des problèmes ». À ce titre, il a reçu quelques formations en médecine, pour être à même de s’occuper des malades. Malgré son titre, il dit n’avoir aucun lien avec le directeur de la prison. Le témoin corrobore ce qu’indiquait plus tôt monsieur RUHUMURIZA, en notant que les détenus Tutsi ont été libérés suite à une réunion entre responsables et dirigeants, et qu’ils ont été massacrés au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient de la prison. De nombreuses barrières avaient été dressées aux alentours de KARUBANDA. Il dit lui-même avoir failli être tué à une de ces barrières, lorsqu’en revenant d’une mission de la Croix-Rouge, lui et son équipe ont été pris à partie. Il dit avoir été directement témoin de la manière dont les prisonniers Tutsi ont été exterminés.

Avant le génocide, la Croix-Rouge de KARUBANDA sortait de la prison lorsqu’elle doit s’occuper des enterrements de personnes dépourvues de famille. Pendant le génocide, elle est également amenée à poursuivre ce travail, mais à une bien plus vaste échelle. Monsieur SEBABILIGI indique alors que les besoins sont tels qu’ils sont autorisés à sortir sans gardien de prison. Les questions de monsieur le président LAVERGNE amènent le témoin à dégager plusieurs sites où il a participé à des enfouissements et ensevelissements de cadavres entre mai et juillet 1994. La première fois, il a été réquisitionné à la demande d’un homme habillé d’une chemise et d’un pantalon kakis, conduisant un véhicule de l’hôpital, de couleur blanche. Il connaît l’homme pour être le chauffeur de l’hôpital (le CHU de BUTARE).

Le premier site sur lequel s’est rendu le témoin pour procéder à des ensevelissements se trouve à TABA. Il reconnaît là-bas le corps d’un magistrat du Parquet, un certain MATABARO. Les cinq corps retrouvés sont enterrés dans le cimetière de NGOMA. Le transport des corps se fait à l’aide du véhicule de l’hôpital (conduit par le chauffeur de l’hôpital). L’ensevelissement se fait sous la supervision de militaires. Les corps ont reçu un grand nombre de coups de machettes, de sorte qu’ils sont difficilement reconnaissables et défigurés. Les corps sont ensevelis dans une seule et même fosse, qui avait été creusée au préalable, sans que le témoin ne sache par qui.

Le deuxième site correspond au centre de santé (très probablement le CUSP[3], mais le témoin ne connaît pas ce nom), situé dans le centre-ville de BUTARE, à côté de la salle polyvalente (salle du MRND[5]). Monsieur SEBABILIGI distingue bien ce centre de santé de l’hôpital, puisqu’ici, les gens viennent s’y soigner mais ne restent pas hospitalisés. Les corps sont retrouvés devant le centre, à l’extérieur, sur le gazon. Il estime que les victimes ont été assassinées deux à trois jours plus tôt. Les cadavres sont finalement enterrés eux aussi dans le cimetière de NGOMA, dans une fosse d’ores et déjà creusée. Les déplacements se sont faits à l’aide du véhicule de l’hôpital.

Le troisième site correspond à l’hôpital universitaire de BUTARE, situé sur la colline de MAMBA. De nombreux corps sont retrouvés un peu partout dans l’établissement, et particulièrement dans la morgue. Certains d’entre eux sont en décomposition. De nombreuses victimes portent des vêtements civils, et d’autres sont en tenues d’hospitalisation. Le témoin remarque des blessures caractéristiques de coups de massues ou de machettes. L’équipe de prisonniers à laquelle fait partie monsieur SEBABILIGI compte une trentaine de détenus. Deux fosses sont creusées en contrebas de la morgue, sur les instructions d’une infirmière que le témoin connaissait, nommée Véronique NYIRANDAMUTSA. Le chauffeur de l’hôpital est par ailleurs présent. Les corps d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards – des civils Tutsi venus se faire soigner – sont ensevelis dans ces fosses entre 10h et 16h.

Le quatrième site se trouve à MATYAZO, au niveau du dispensaire. Là-bas, le témoin y trouve un grand nombre de cadavres, visiblement fusillés (blessures par balles) deux à trois jours plus tôt. Par conséquent, beaucoup de prisonniers sont mobilisés. Ils se rendent sur les lieux à pieds depuis la prison de KARUBANDA. Le dispensaire de MATYAZO se trouve à proximité d’un camp militaire. Les portes du dispensaire sont fermées. Les corps se trouvent à l’extérieur, et encerclent le bâtiment. Monsieur SEBABILIGI et les prisonniers réquisitionnés creusent trois trous, sous le regard des personnes traversant la route. Au cours de cet ensevelissement, quatre survivants, blessés par balles, sont retrouvés. Ils sont mis de côté et ne sont pas enterrés vivants, le témoin considérant que ce n’est certainement pas l’éthique de la Croix-Rouge. Cependant, ils laissent ces survivants sur les lieux, ne sachant pas quoi en faire puisqu’ils retournent eux-mêmes à la prison de KARUBANDA le soir venu. Le témoin souligne que ces blessés ont été découverts car lui et les prisonniers ont pris l’initiative de vérifier la respiration, la rigidité des membres ou les réflexes au niveau des yeux pour savoir si les personnes sont bien mortes. Aucune instruction en ce sens – ni aucun soin pour les blessés d’ailleurs – n’est prévue par les autorités. Pour monsieur SEBABILIGI, les autorités, dont les militaires, n’ont pas d’état d’âme ni de compassion.

Le même jour, en rentrant à la prison, le témoin déclare (lors de son audition de 2017 devant le juge d’instruction) avoir vu des militaires abattre des civils Tutsi à NGOMA.

À NGOMA toujours, monsieur SEBABILIGI déclare avoir retrouvé cinq corps (tués de la veille, par balles et à la machette) à côté du tribunal. Parmi les victimes figure le vice-président du Tribunal, monsieur BAZAMBAZA. Il voit également un militaire tirer sur une jeune fille qui partait en courant après avoir vu les cadavres.

Devant l’hôtel Faucon sont retrouvés trois cadavres, à proximité d’une barrière. Ils sont ensevelis au cimetière de NGOMA.

À l’hôpital de KABUTARE, quatre cadavres de personnes victimes de coups de machettes sont retrouvés. Les corps son très abîmés, sur le point d’exploser. On les ensevelit dans une petite forêt à côté de l’hôpital.

À côté du laboratoire universitaire, un grand trou préalablement creusé (le témoin ne sait pas quand ni par qui) accueille les dépouilles de personnes tuées au niveau des barrières.

Le témoin déclare avoir vu un engin de travaux type Caterpillar à l’arrêt à NGOMA. Par ailleurs, suite à une question des parties civiles, il apparaît qu’aucun signe d’identification n’est laissé sur les fosses pour les retrouver ultérieurement. C’est une manière de cacher les corps et ainsi poursuivre le génocide en le niant.

Monsieur SEBABILIGI interpelle monsieur le président LAVERGNE à propos de sa sécurité. Quelques jours avant la déposition, deux personnes qu’il connaît le croisent dans la rue et savent qu’il va témoigner « en Europe » (elles ne sont pas au courant qu’il dépose en visioconférence). Elles lui demandent s’il va témoigner contre quelqu’un. Le témoin perçoit cela comme une forme d’intimidation. Inquiet pour sa sécurité, il demande au Tribunal qu’il lui accorde des mesures de protection.

La défense tente une nouvelle fois de déstabiliser le témoin en alléguant des contradictions ou des oublis importants entre l’audition de 2017 et aujourd’hui. Les explications de l’ancien détenu, très claires, permettent de lever tous les doutes que la défense aura tenté d’insinuer.

 

Audition de monsieur Callixte NDAGIJE MUSONI, ancien chauffeur au CUSP[3], cité à la demande du ministère public.

Le témoin se présente en disant qu’il a travaillé comme chauffeur au CUSP et qu’il a été arrêté en 1994 pour être libéré définitivement en 2015. Il connaît monsieur GASANA NDOBA dont, dira-t-il, « nous avons tué le frère à la barrière » (du Faucon).

Hôtel Faucon à Butare

 

Déclaration spontanée. « Ce qui est considéré comme un génocide, c’est le massacre des Tutsi. » Le témoin évoque la réunion qui s’est tenue dans la salle polyvalente à l’occasion de la venue à BUTARE du président SINDIKUBWABO, en présence des bourgmestres, du préfet des sous-préfets et autres autorités[6]. Ce qui est ressorti de cette réunion c’est qu’on n’avait plus envie de voir des Tutsi dans le pays. Des barrières sont alors érigées dans la ville et « la chasse aux Tutsi » a commencé. Il n’existait aucune législation de nature à protéger les Tutsi.

Le témoin cite les sites sur lesquels les Tutsi ont été tués: MATYAZO, église de NGOMA, MBAZI (NDR. Commune située à quelques kilomètres de Butare sur la route qui mène à KIGALI), dans la vallée du Musée national, au bureau préfectoral, à KABAKOBWA (NDR. Situé au-dela de Tumba, au sud de la ville. Site souvent évoqué lors du procès de Sosthène MUNYEMANA[7])… Toute personne arrêtée était tuée. Tout cela se passait sous l’incitation des instances dirigeantes. Monsieur NDAGIJE MUSONI nomme alors les quatre dirigeants les plus influents: MUREBESHA Jonathan, MUNYEMANA Sosthène, HABYARIMANA Joseph, responsable de l’étainerie de GIHINDAMUYAGA ( NDR. Ce dernier est visé par une plainte du CPCR depuis le 15 octobre 2010 et l’instruction n’est toujours pas clôturée!) et enfin Eugène RWAMUCYO.

Le témoin évoque ensuite les différents massacres perpétrés à BUTARE, situe les barrières érigées un peu partout en ville. Le Conseil de sécurité de la préfecture aurait alors ordonné à l’accusé d’enlever les corps qui s’amoncellent en ville « pour que les satellites ne les prennent pas en photo. » (NDR. Peur du regard et du jugement de la communauté internationale). RWAMUCYO aurait alors demandé au témoin et aux autres tuerurs d’achever les blessés car il n’y avait pas assez de place pour les soigner. Plusieurs véhicules seront réquisitionnés pour transporter les cadavres. Pour savoir où ils ont été jetés, « il faut demander à l’accusé où il les emmenait« .

Le témoin parle ensuite des engins de chantier qui sont venus pour creuser les fosses communes. Il est le seul à prétendre que deux Caterpillar avaient été utilisés. Un des chauffeurs s’appelait Emmanuel BIRASA (NDR. Il devrait être entendu demain.) Lorsque le FPR est arrivé à BUTARE le 3 juillet, tout le monde quittera la ville.

Le témoin rappelle qu’il a témoigné au CANADA, aux USA, devant le TPIR, et maintenant en France. « Je sais ce que c’est que la vérité » ajoute-t-il. Une chose l’afflige: le fait que ces gens (comme RWAMUCYO) se cachent  à l’étranger et qu’on refuse de les renvoyer dans leur pays. » J’ai fait 20 ans de prison alors que je n’ai pas commis le crime de mon propre chef. Et eux? Voir quelqu’un à la télévision, quelqu’un qui a commis ces crimes alors qu’il sait que sa conscience le juge! Quand nous commettions le génocide, ils nous dirigeaient, nous applaudissaient. Ils ont quitté le pays pour obtenir la nationalité de leur pays d’accueil. C’est un manque de clairvoyance. On aurait dû les renvoyer dans leur pays d’origine. »

Va suivre une longue série de questions de monsieur le président: ethnie du témoin en 1994 (Hutu), son lieu d’habitation et son activité avant le génocide, son appartenance politique (CDR[8] comme RWAMUCYO et Siméon REMERA), sa participation à des meetings en compagnie de l’accusé (NDR. Qui dira plus loin qu’il ne leconnaît pas. Mais monsieur RWAMUCYO ne reconnaît jamais personne).

Quand le témoin a-t-il connu l’accusé. Il a du mal à donner une date précise, parle de début 1992 alors que l’accusé n’était pas encore rentré d’URSS, finit par donner un événement précis: l’assassinat de Martin BUCYANA, président de la CDR, à MBAZI. Il situe la maison de RWAMUCYO à TUMBA (erreur), évoque les meetings à l’occasion du multipartisme (Kubuhoza, sorte de démarchage de la population au profit des partis politiques). Lui-même appartenait à la milice de la CDR, les Impuzamugambi. Il se souvient que le président de la CDR s’appelait Siméon REMERA, directeur de l’hôpital psychiatrique.

Concernant le rôle de RWAMUCYO à BUTARE, le témoin souligne que le MRND[5] et la CDR avaient la même détestation des Tutsi, que suite à la réunion à la salle polyvalente autour du président SINDIKUBWABO le peuple hutu a retrouvé la confiance qui lui manquait pour tuer les Tutsi. Cette rencontre, à laquelle il a participé en compagnie de RWAMUCYO, a été « l’événement déclencheur du génocide à BUTARE. » On nous a dit de « ramasser les mauvaises herbes« .

Si c’est l’hôpital universitaire qui avait employé le témoin, il avait été détaché ensuite au CUSP où il conduisait l’un ou l’autre membre du personnel, selon les besoins. Ils étaient deux chauffeurs.

Les responsables des barrières étaient le colonel Alphonse NTEZIRIYAYO (NDR. J’aurai la suprise, plusieurs années plus tard, de voir arriver un de ses enfants dans l’établissement dont j’étais directeur du collège à Reims. Sa mère l’avait inscrit en disant que son mari était prisonnier politique du TPIR[9]. KAMBANDA s’est présenté ainsi[10]), Aloys MAZIMPAKA, le lieutenant GAKWERERE, Mathias NIYONZIMA et le docteur MUGABO et son épouse.

Le témoin parlera longuement des attaques et des meurtres commis à l’Hôpital de BUTARE; mais monsieur le président finira par préciser que l’accusé a obtenu des non-lieux pour ces faits.

Monsieur NDAGIJE MUSONI aura à s’expliquer sur l’enfouissement des corps qui étaient transportés, une fois chargés dans des véhicules, vers des lieux inconnus de lui. Mais il avait vu les Caterpillar qui creusaient les fosses. Il va enfin exprimer les craintes qu’il éprouve maintenant que RWAMUCYO l’a vu: il a toujours de la famille au pays!

Maître Alice ZARKA (CPCR) demande au témoin si l’ensevelissement des cadavres avait bien pour objectif de cacher les corps aux yeux de la communauté internationale. Après avoir mal interprêté la question, le témoin confirme.

Monsieur PERON s’étonne que, devant les gendarmes français, le témoin ait dit qu’il ne connaissait pas Emmanuel BIRASA alors qu’il évoque son nom devant la cour aujourd’hui. Auraut-il parlé avec lui?

C’est maître MATHE qui, comme il se doit, va clôturer la série des questions. Elle insiste surtout sur les différentes dates de la libération du témoin. Il va être difficile d’y voir clair. En réalité, le témoin a été emprisonné plusieurs fois. Ayant plaidé coupable, il avait été remis en liberté puis incarcéré de nouveau pour n’avoir pas fait des aveux complets. 2015 serait la date à retenir! S’il n’avait pas fait des aveux complets la première fois, c’est parce qu’il aurait été obligé par les Gacaca[2] de témoigner injustement contre quelqu’un, ce qu’il avait refusé de faire. Ce n’était pas contre Eugène RWAMUCYO, mais contre un commerçant de BUTARE, un certain Daniel. Il avait aussi refusé de mettre en question Béatrice MUNYENNEZI, la belle-fille de Pauline NYIRAMASUHUKO, ministre de la Famille dans le gouvernement génocidaire[11].

Combattif, le témoin présente des documents que monsieur le président acceptera de verser au dossier.

Fin de l’audition à 20h30.

 

Audition demonsieur Faustin MUNYERAGWE, ancien directeur de la prison de Karubanda à BUTARE, cité à la demande du ministère public.

Il est 20h30 et l’audition du témoin précédent vient de se terminer. Monsieur le président ne peut envisager d’entendre monsieur Faustin MUNYERAGWE. Il propose de le faire tout de même entrer dans la salle, de lui faire décliner son identité et de le confronter visuellement à l’accusé. Il repartira au Rwanda et sera finalement entendu en visioconférence.

Le témoin a été condamné à 20 ans de réclusion par la Gacaca[2] de HUYE. Monsieur le président lui demande de se retourner vers l’accusé. Après avoir assez longuement scuté son visage, il finit par dire qu’il reconnaît Eugène RWAMUCYO et qu’il l’a rencontré. Ce dernier, par contre, déclare ne pas le connaître. On s’en tiendra là. Il est 20h45.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jules COSQUERIC, bénévole

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

  1. FPR : Front Patriotique Rwandais[][]
  2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[][][]
  3. CUSP: Centre Universitaire de Santé publique de Butare[][][]
  4. Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999[]
  5. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[][]
  6. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
    Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  7. Voir procès de Sosthène MUNYEMANA[]
  8. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  9. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[]
  10. Voir l’audition de Jean KAMBANDA, Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir également  Focus – L’État au service du génocide.[]
  11. Pauline NYIRAMASUHUKO : ministre de « la Famille et du  Progrès des femmes » à partir de 1992 jusqu’à la fin du génocide, n’hésite pas à inciter les tueurs, voire son fils Shalom, à violer les femmes tutsi. Jugée au TPIR et condamnée à perpétuité en 2011, peine réduite à 47 années de prison en 2015. Voir également: Madame Pauline, la haine des Tutsis, un devoir historique, podcast de France Culture, 28/4/2023.[]

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