Plaidoiries de la défense.
Maître Françoise MATHE.
« Tout ce qu’on pourra vous dire ne sert à rien. » C’est ainsi que l’avocate de la défense introduit sa plaidoirie, reprenant les mots de maître Michel LAVAL prononcés la veille. Elle considère une telle affirmation comme « un naufrage de la vocation d’avocat ». Elle poursuit en déclarant son « affection » pour maître PARUELLE, « qui est allé le plus tôt et le plus souvent » au Rwanda. De rappeler ensuite son premier séjour au Pays des Mille Collines, en 1997, où, lors d’une mission avec Avocats sans Frontières, elle est allée défendre des accusés et des victimes.
D’évoquer ensuite sa rencontre avec un détenu, dans un cachot communal où les prisonniers devaient se relayer pour dormir. Il lui a été facile de retrouver ce cachot: l’odeur qui s’en dégageait (NDR. La même odeur qui a fait réaliser à RWAMUCYO que des cadavres jonchaient les rues de la ville de BUTARE!) C’est plus loin qu’elle évoquera, la voix troublée par l’émotion, sa visite à l’église de NTARAMA.
Une question ne peut quitter son esprit: « POURQUOI? » En France, elle a vu se constituer « deux camps antagonistes qui s’invectivent« . Pour elle, « la querelle du négationnisme est insupportable » et elle se demande pourquoi « tant d’historiens et tant d’intellectuels ont choisi leur camp » Puis, 6 ans plus tard, elle a lu le livre de Roméo DALLAIRE, « J’ai serré la main du diable »[1]. Elle découvre alors que Paul KAGAME n’était pas pressé de mettre fin au génocide, sa stratégie étant de prendre le pouvoir. Elle n’avait jusque là pas pris conscience de la présence d’un bataillon du FPR installé au CND[2], 800 soldats au cœur de la capitale (NDR. Cette installation faisait suite à un accord et ce sont 600 soldats du FPR qui se trouvaient au Parlement! Une très mauvaise idée, ajoutera-t-elle! Ce n’était un secret pour personne. Maître MATHE aura attendu six ans pour l’apprendre!)
Parmi les livres « oubliés » qu’on aurait pu probablement verser au dossier, celui de Abdul RUZIBIZA, Rwanda, l’histoire secrète, (préfacé et postfacé par André GUICHAOUA et Claudine VIDAL),qui servira d’informateur au juge Jean-Louis BRUGUIERE qui publiera un rapport dans lequel il accuse le FPR d’avoir abattu l’avion du président HABYARIMANA. (NDR. Ce rapport sera à l’origine de la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda de 2006 à 2009: le juge, qui ne s’est jamais rendu à KIGALI, accusait huit proches du président KAGAME! À aucun moment maître MATHE n’évoque le rapport du juge TREVIDIC qui prendra le contre-pied du rapport BRUGUIERE!)
Maître MATHE parle ensuite de la formation des militaires du FPR, dont KAGAME, à la la guerre insurrectionnelle, aux USA pour ce dernier, d’où il reviendra prendre la tête du FPR dès la mort de Fred RWIGEMA, le leader reconnu des rebelles. D’où les solides appuis internationaux dont bénéficie le FPR, appuis extérieurs et intérieurs (cf. ces fameux infiltrés qu’on retrouvera sur toutes les collines pendant le génocide!)
Et il ne faut pas oublier, parmi tous ces stratèges, James KABAREBE, « un seigneur de la guerre » « cousin de Dafroza et Alain GAUTHIER »
Jean CARBONARE rencontrera au Sénégal monsieur Ezéchias RWABUHIHI qui le mettra en contact avec les diasporas en Belgique et en France, et qui deviendra plus tard, ayant été ministre de la Santé au début des années 2000, le président de l’association Les Amis du CPCR de Dafroza et Alain GAUTHIER (ACPCR) au Rwanda.
Maître MATHE continue la liste des gens influents qui ont pollué la communication concernant le FPR et la situation au Rwanda: GASANA NDOBA et Eric GILLET à Bruxelles, Jean-Batiste NDAHUMBA dont elle fait un portrait très caricatural (NDR. Même s’il ne s’est pas présenté sous son meilleur jour lors de son audition).
« Je n’ai pas de conjoint rwandais, poursuit-elle, pas d’amis rwandais, pas d’intérêts au Rwanda. Notre présence (à ce procès) est guidée par tout sauf par l’intérêt économiques… On perd de l’argent dans ces procès. Certains ont des liens affectifs, des conjoints (NDR. Suivez mon regard!). Ils ont pris des engagements politiques et même s’ils se trompent, ils ne peuvent revenir en arrière! »
Suivra une longue diatribe contre Jean-François DUPAQUIER[3], conteste les analyses d’Hélène DUMAS[4], dénonce le « détournement de l’aide juridictionnelle » par des avocats qui verraient dans ces procès une « bonne affaire« , l’aide juridictionnelle qui serait réservée aux procès de courte durée (NDR. Maître MATHE semble ignorer le procès du Bataclan qui a fait l’objet de discussions sur le sujet!) « L’humanitaire, dit-elle, est devenu une carrière, parfois un business! » Qu’on ne vienne pas lui faire de leçons de morale.
Elle rend ensuite hommage à deux témoins cités par la défense, Stephen SMITH[5]) et Hervé DEGUINE[6] « qui n’ont épousé aucune cause. » Ce dernier, qui collaborait avec le Mémorial de la Shoah, se serait vu interdit de participer à un colloque où il était invité en décembre. Une lettre du 17 octobre 2024 adressée au Mémorial et versée au dossier, lui aurait valu un courrier: « Vos positions sur le génocide des Tutsi sont incompatibles (avec nos positions): votre invitation est annulée. » (NDR. Ce ne sont pas les vrais termes de la lettre mais l’esprit y est) « C’est HONTEUX« , s’exclame l’avocate. « Et c’est moi qui ferait entrer la politique dans le prétoire? » conclut-elle.
Puis de dénoncer ce que l’on dit de l’Akazu[7], de l’entourage du couple HABYARIMANA et de son rôle: Protais ZIGIRANIRAZO, alias monsieur Z, Elie SAGATWA, mort dans l’avion. Ce serait des instigateurs du génocide? Et Janvier AFRICA, l’informateur de la mission CARBONARE, le fameux Jean-Pierre, guide la la MINUAR[8] à la recherche des caches d’armes les procès au TPIR[9] qui n’ont que rarement reconnu l’entente.
De revenir sur le fameux document de 1958[10], dont on a dit qu’il était un FAUX, ce qu’elle conteste formellement. Document publié dans le journal Kinyamateka et dont Jean-Pierre CHRETIEN aurait dit que c’était « un texte provocateur », reconnu en 2002 par le Ministère des affaires sociales comme étant « une erreur politique grave ».
Maître MATHE donne sa conception de l’Ingando, un stage de propagande, un reformatage auquel elle rattache les Gacaca[11], un camp de rééducation. On est même allé jusqu’à changer le nom des villes au Rwanda, s’étonne-t-elle. Les massacres du FPR n’ont pas été documentés. Les ONG? Elles étaient favorables au FPR, sorte de « noyautage ». Et de louer l’indépendance de deux associations qui ne cessent de dénoncer le Rwanda: Human Rigths Watch et Amnesty international. « Ne pas vouloir reconnaître les crimes du FPR, c’est être négationniste ».
Puis de dénoncer la politique de la terre brûlée du FPR du nord du Rwanda, à la frontière de l’Ouganda, jusquà la Rusumo, au sud, dans sa guerre de reconquête. D’où un afflux de réfugiés en TANZANIE (NDR. Un grand camp s’est installé à BENAKO dans lequelles autorités locales, les bourgmestres, ont repris le pouvoir. Se repporter au cas NGENZI jugé et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises de Paris en 2016 et 2018.)
Allusions aux événements qui ont endeuillé le Burundi en 1993, avec l’assassinat du président élu NDADAYE par le militaires tutsi, assassinat qui a provoqué l’exil de nombreux Hutu vers le Rwanda (NDR. Ces réfugiés participeront massivement au génocide dans la région de GISAGARA). Cet assassinat va provoquer de fortes inquiétudes chez les Rwandais.
Puis l’inévitable allusion aux camps de réfugiés du Congo et l’attaque de ces camps en 1996/1997 par le gouvernement rwandais, pourchassant les réfugiés (NDR. Ne pas oublier que des conventions internationales obligent les réfugiés à s’éloigner de la frontière du pays qu’ils ont quitté. Or, les fuyards, dont beaucoup de génocidaires, entrés au Congo avec leurs armes, revenaient au Rwanda pour éliminer des témoins. C’est leur présence qui a déstabilisé ce pays jusqu’à ce jour.)
Le Rwanda pillant les richesses du Congo, nous apprenons que le quartier d’affaires de KIGALI serait surnommé « Merci Congo » ( NDR. Qui a déjà entendu dire cela? Nous qui nous déplaçons plusieurs fois par an au Rwanda ne connaissons pas cette expression. Il est vrai que nous ne fréquentons pas les cercles économiques du pays).
Aujourd’hui, les mots Hutu et Tutsi seraient interdits au Rwanda? (NDR. Non, on parle bien du génocide des Tutsi. Les nouvelles cartes d’identité n’indiquent plus cette mention « ethnique », nous sommes tous des Rwandais)
Victoire INGABIRE? Condamnée suite à l’adoption d’une loi sur le négationnisme, une loi qui, selon la défense, est « suffisamment floue » pour condamner cette opposante politique (NDR. Venue se livrer au Rwanda lors d’une élection présidentielle. Elle a bénéficié d’une grâce du président de la République et vit à Kigali.)
Et de mettre en garde les jurés: « Quand les témoins arrivent d’un pays dont je viens de préciser le contexte, il faut tenir compte de la situation du pays dans lequel ils vivent. Les Rwandais sont des menteurs? Tous les hommes sont des menteurs. Le mensonge est né avec la parole. Ici, dans cette enceinte, on peut dire la vérité, la liberté d’expression existe, bien enracinée. Ce n’est pas le cas au Rwanda. Au Rwanda, la parole est surveillée. La reconstruction d’un récit collectif ne peut condamner un homme » (NDR. C’est sur ces mots que se clôt la matinée. De RWAMUCYO, il n’en n’a pas été question. Rendez-vous est donné dans une heure pour la suite des plaidoiries de la défense. C’est maître MEILHAC qui s’exprimera avant de redonner la main à sa collègue.)
Maître MEILHAC.
« L’heure est grave » pour l’avocat de l’accusé, qui rappelle que la défense a fait face à 18 avocats des parties civiles, représentant quelques 800 personnes physiques. Après être revenu sur la procédure du dossier, il se dit « surpris que du côté de l’accusation, on ait pu tirer à boulets rouges sur la défense ». Fustigeant le « peu d’éléments à charge contre l’accusé », il considère que le ministère public a pris les déclarations de l’accusé « au pied de la lettre », les utilisant et les retournant contre lui. Me MEILHAC s’est dit « surpris » (NDR. Décidément, la défense est allée de surprise en surprise !) par la « généralité » et le manque de détails du dossier, notamment concernant les enfouissements. Pour lui, l’accusation repose sur un « ensemble congloméré » de faits, qui n’est pas pertinent.
Après être revenu sur la typologie des témoins dressé la veille par le ministère public, Me MEILHAC évoque – et c’est bien là la rengaine de la défense pendant ce mois de procès – le manque de crédibilité des témoins. Les « crimes ont été commis dans une certaine confusion » et le temps a passé ; la « grande fragilité des témoignages » qui en découlerait ne « doit pas desservir l’accusé ».
Le conseil de RWAMUCYO décrira ensuite l’ensemble de la procédure, en soulignant « l’éventail extrêmement large » d’accusations : « ça va un peu dans tous les sens! » déclare-t-il. Il insiste sur l’absence d’éléments relatifs aux enfouissements dans la plainte initiale déposée en 2007 par l’avocat du CPCR, Me LAVAL. De même, le « rôle d’idéologue » de RWAMUCYO ne serait pas ressorti pendant la gacaca le condamnant en 2009. Ce qu’il appelle le « contexte délicat des procédures » doit amener la cour et les jurés à « prendre énormément de précautions ». Similairement, Me MEILHAC rappellera les non-lieux dont a bénéficié son client, relatifs notamment aux massacres commis au CHUB[12] et à l’UNR[13].
Dans la seconde moitié de sa plaidoirie (qui durera en tout et pour tout environ deux heures), Me MEILHAC reviendra sur les faits reprochés à RWAMUCYO et leur qualification juridique. Se disant (encore!) surpris par la manière dont ces faits ont été présentés par le ministère public, il considère que l’exposé de l’accusation « camoufle les témoignages, au profit des écrits et des propos de l’accusé ». Sur la mise en œuvre de la politique génocidaire par RWAMUCYO et les rapports qu’il a produits, Me MEILHAC a « du mal à voir où l’on veut en venir ». « Les rapports n’avaient pas vraiment d’utilité » déclare-t-il. Revenant sur le témoignage de BIRASA, sur lequel « toute l’accusation » serait « bâtie », il s’interroge : « comment donner crédit à ce témoin? ». Il ne resterait alors que les déclarations de l’accusé (NDR. oubliant au passage que de nombreux autres témoins ont été entendus…). Comme Me MATHE après lui, Me MEILHAC rappellera « les conditions à l’époque » et la gravité de la situation. Il justifie ainsi l’enfouissement. S’il y avait des survivants jetés dans les fosses, « RWAMUCYO n’était pas [encore] là ». « Que peut-on peut lui reprocher? » demande-t-il. « De ne pas être parti? On est sur le terrain de la morale ». Et à Me MEILHAC de considérer que « ce procès n’est pas justifié ».
Ce sera à notre tour d’être surpris, cette fois-ci par la généralité des arguments de la défense concernant le discours du 14 mai 1994 et la convocation à la table-ronde du Cercle des Républicains du 22-23 juin 1994. Me MEILHAC se contentera d’indiquer que RWAMUCYO « n’était pas le plus explicite des intervenants » (NDR. C’est justement cette dissimulation, cette utilisation récurrente du double-langage par RWAMUCYO qui lui est reprochée….). Concernant les suites de l’intervention du 14 mai, « aucun autre participant n’a été poursuivi » (sauf Jean KAMBANDA….) et il n’y aurait pas eu d’autres réunions. (NDR. C’est un dévoiement de ce qu’appelle les « suites de l’intervention » le ministère public, qui entend par là les conséquences dans l’organisation du génocide de la visite du 14 mai, comme la mise en place de l’auto-défense civile). L’avocat ajoute pourtant (comme un aveux) qu’il ne « minimise par le contenu ». « RWAMUCYO a fait du RWAMUCYO! », similairement à la convocation du 23 juin, « délirante » et déconnectée. Ces remarques arracheront un sourire à l’accusé, rapidement rabroué par son avocat, bien conscient de l’impertinence d’une telle réaction.
Maître Françoise MATHE (suite)
Me MATHE commence par ironiser sur « le talent littéraire » de l’avocat général, Me PERON. Selon elle, il aurait bâti un schéma narratif alternatif, faute d’établir de vrais arguments. De même, il aurait écrit une histoire supposée de RWAMUCYO, fondée sur des faits que l’on savait fragiles, fondée sur la personnalité de l’accusé : « Où a-t-on vu qu’on juge un homme sur ce qu’il pense ou qu’on suppose qu’il pense ? ». Et à Me MATHE de considérer que ce procès serait digne d’un procès du XVIIème siècle : « Avec ça, on construit une très belle narration en s’appuyant sur l’enfance, la jeunesse de l’accusé qui aurait été influencé par son éducation et son statut de Hutu du Nord, ce fameux ‘territoire présidentiel’ de la préfecture de GISENYI ». Il aurait passé son enfance dans un monde ségrégationniste : « Pourquoi une telle affirmation alors que beaucoup de Hutu ont des femmes tutsi? » (NDR. Les élites hutu avaient des femmes tutsi, voire des maîtresses tutsi. Mais c’était probablement plus rare dans le Nord du pays).
L’accusé aurait adhéré à la politique génocidaire suite à son séjour en URSS, où il aurait appris les fondements du marxisme. Ce « noyautage » évoqué par l’avocat général a plongé l’accusation dans le désarroi le plus total. Elle continue : « Eugène RWAMUCYO a assumé ses idées : les Accords d’Arusha et le multipartisme, c’était une mauvaise idée, d’autant plus qu’on était en temps de guerre. Il a pensé avant tous les autres que le FPR ne voulait pas la paix » et d’émettre une hypothèse : les accords d’Arusha seraient de la même veine que le traité de Versailles, un diktat. De dénoncer alors les Accords d’Arusha, considérés comme un partage du pouvoir et de richesses, qui se ferait uniquement dans le cadre étatique de la répartition des aides internationales. En cela, elle fait du génocide le résultat d’une simple lutte politique et économique : les élites hutu extrémistes se seraient vues obligées de réagir, pour ne pas partager ces ressources avec le FPR (confondu toujours et encore avec les Tutsi). Il était bien prévu de diviser par deux les effectifs globaux de l’armée, mais il est faux de prétendre, comme l’affirme Me MATHE, que les postes de cadres de l’armée étaient répartis à parts égales (NDR. Selon les accords, seulement 40% des cadres étaient dévolus au FPR). Elle conclue : « les accords sont déséquilibrés et sont un obstacle à la paix ».
En même temps qu’Arusha, Me MATHE évoque des négociations qui se déroulaient à Bruxelles, où le FPR aurait utilisé des « idiots utiles » (NDR. Une référence directe à Pierre PEAN, qui a souvent utilisé cette expression pour parler de ceux qui poursuivaient les génocidaires). Elle ajoute que lors des élections des bourgmestres, le FPR, sachant qu’il « serait battu à plate couture dans les urnes », n’avait qu’un seul objectif : gagner la guerre, ce qui lui donnerait le pouvoir. Me MATHE crée également un lien entre la mission de la FIDH (février 1993) et la rupture du cessez-le-feu par le FPR en mars 1993.
Elle affirme qu’Eugène RWAMUCYO n’est pas un extrémiste : « On bâtit sur du sable, la première victime de la guerre, c’est la vérité. On ne juge pas un homme parce qu’il a eu un père Hutu » (NDR. On ne juge pas non plus quelqu’un parce qu’il serait un cousin par alliance de James KABAREBE).
Concernant la RTLM, RWAMUCYO ne serait qu’un actionnaire sur les 10 000 qui ont versé leur cotisation, reprenant l’idée d’une « opération commerciale ». Et à Me MATHE de continuer : « La RTLM n’est devenue génocidaire qu’à partir du 7 avril 1994 » (NDR. Cette affirmation est complètement erronée, comme tous les travaux des historiens ont pu le démontrer).
RWAMUCYO aurait des liens avec Kangura?[14]? Cette affirmation revient à Jean-François DUPAQUIER, qui avait rencontré le directeur de l’imprimerie scolaire, qui « raconte des bobards gobés par DUPAQUIER », alors que dans le procès des médias, jamais le nom de RWAMUCYO n’apparaît. Concernant la CDR, RWAMUCYO a toujours dit qu’il n’était pas adhérent mais qu’il se sentait proche de ses idées, qu’il partageait avec son ami BARAYAGWIZA.
Et à Me MATHE d’évoquer très longuement un grand nombre de jugements du TPIR et autres procès en dehors du Rwanda, savamment sélectionnés et cités pour aller dans son sens. Elle évoquera largement la question de l’entente, afin de discréditer l’idée selon laquelle il y aurait une planification du génocide. La « grande » entente (donc la planification centrale) n’a pas été reconnue par le TPIR, notamment dans le cadre du jugement BAGOSORA (NDR. La défense prête à ce jugement une portée historique, alors même que les motifs ayant conduit à une telle décision sont strictement juridiques, et ne valent pas positionnement sur la question de l’existence d’une planification en tant que telle). Sur la « Définition de l’ennemi », discutée dans ce même jugement BAGOSORA, Me MATHE dit que le TPIR aurait considéré que l’ennemi n’était pas « le Tutsi » en tant que tel, en s’appuyant sur la composition de la commission. Concernant RWAMUCYO, elle se retranche sur l’argument selon lequel le TPIR ne l’a jamais réclamé.
Sur l’auto-défense civile, Me MATHE considèrera qu’elle a été conçue pour lutter contre la reprise des hostilités du FPR (NDR. Encore une fois, la guerre est utilisée pour recouvrir et invisibiliser le génocide).
Le conseil de RWAMUCYO s’interroge alors : « Que reste-t-il ? Une fois qu’on s’est débarrassé des scories de ce dossier, d’un narratif élégant mais inutile, il reste les trois rapports ». Elle allègue qu’il serait poursuivi « pour ce qui n’est pas écrit dans les rapports ».
En quoi un ensevelissement est-il constitutif du crime de génocide? Me MATHE poursuivra en mettant en équivalence les ensevelissements (NDR. Ce sont bien des ensevelissements, et non des « inhumations » ou des « enterrements », comme elle s’est plue à le dire…) reprochés à RWAMUCYO et ceux effectués par les soldats britanniques à Bergen-Belsen lors de la libération du camp. Au cours du mois de procès, une photographie de ces enfouissements de masse avait été produite par le défense (NDR. Cet épisode arrache quelques larmes à Me MATHE, dont l’émotion avait pourtant été bien contenue jusque-là, depuis un mois). Cette stratégie de retournement est étendue à la Croix-Rouge, puisque monsieur Philippe GAILLARD a accepté de fournir le carburant aux engins ayant procédé aux ensevelissements des 67 000 cadavres de KIGALI. Et à Me MATHE de conclure : il n’y avait pas d’autres solutions accessibles à RWAMUCYO que de procéder à ces ensevelissements, pour des raisons sanitaires. Selon elle, « le ramassage des cadavres n’est pas une volonté de cacher les corps ».
Elle considère que toute la jurisprudence des tribunaux internationaux pousse la cour d’assises à ne pas condamner RWAMUCYO pour sa présence au bord des fosses et la supervision des ensevelissements : « ce serait une première, c’est un espoir caressé par l’accusation ». Et à l’avocate de dire : « Pour revenir à RWAMUCYO, j’aimerais vous convaincre de répondre NON à la question de sa responsabilité ».
Elle évoquera longuement les différentes dépositions de BIRASA, qui ne se révèlent pas crédibles. Qualifiant BIRASA de « témoin professionnel », elle se dit indignée « que nous acceptions que comparaissent des témoins accompagnés par des policiers ou des agents » (on comprend : rwandais) (NDR. C’est totalement FAUX, aucun policier n’a jamais accompagné un témoin en provenance du Rwanda). Elle rappellera que BIRASA[15] ne souhaitait uniquement témoigner que devant des juridictions françaises. Filant la métaphore des déchets largement utilisée par son client, elle conclura : « On va chercher la vérité dans la poubelle ».
Les autres témoins sont « des paysans analphabètes, manipulés ». Et d’évoquer Emmanuel MUTIRENDE[16], « qui se tortillait et regardait derrière lui dans la salle pour croiser le regard de NDAGIJE MUSONI ». Elle considère que NDAGIJE[17] contrôle le témoignage de tous les autres. « Est-ce que la justice de mon pays doit être rendue à partir des témoignages d’individus comme BIRASA et NDAGIJE? Ce serait une honte ». Elle ira jusqu’à qualifier la déposition de MUTIRENDE de « faux témoignage », tandis que « d’autres témoins sont transformés en perroquets ». Les témoignages de Claudette UMUHOZA[18], d’Antoine NDORIMANA[19] et d’une troisième témoin sont attaqués dans leur crédibilité, car ils étaient des enfants au moment des faits : ce sont « des souvenirs traumatiques potentiellement reconstruits, manipulés ou ils sont eux-mêmes des manipulateurs ».
Et Me MATHE de s’élever contre la présence de témoins qui se sont révélés au début du procès, sans avoir été entendus lors de l’instruction, et donc « sans que nous puissions savoir ce qu’ils allaient dire ». Selon elle, « depuis 30 ans, un récit collectif s’est construit à GISHAMVU ».
Me MATHE dresse, à partir d’un rapport d’African Rights de 2003 intitulé « Histoire du génocide dans le secteur de GISHAMVU » (sous la direction de madame Rakya OMAR) une chronologie des faits dans cette commune. Selon celle-ci, la décision d’enfouir les corps avec le Caterpillar aurait été prise à partir de la mi-mai, soit plusieurs jours après les massacres. Ce qui exclut la présence de survivants parmi les cadavres.
Que reproche-t-on à RWAMUCYO? Me MATHE convient qu’il ne désapprouve pas publiquement Jean KAMBANDA le 14 mai[20], ce qui n’est « pas très intelligent de sa part à l’époque ». Mais elle s’indigne : « Et c’est avec ça qu’on le condamnerait à 30 ans? ». Elle insiste sur le manque de lucidité de son client en 1994, et la disproportion de la peine requise par le ministère public.
Enfin, après avoir fustigé le manque de clarté de certaines questions, elle s’adresse aux jurés en ces termes : « Vous n’avez pas à répondre à une question équivoque […]. Vous acquitterez RWAMUCYO ».
Jules COSQUERIC, bénévole
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en pages
- J’ai serré la main du diable : la faillite de l’humanité au Rwanda, Roméo Dallaire, ancien lieutenant général des Forces canadiennes et commandant de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), Éd. Libre Expression, octobre 2003[↑]
- CND : Conseil national pour le développement, bâtiment du Parlement où était basé un bataillon du FPR(Front Patriotique Rwandais), à Kigali.[↑]
- Voir l’audition de Jean-François DUPAQUIER, témoin de contexte, journaliste.[↑]
- Voir l’audition d’Hélène DUMAS[↑]
- Voir l’audition de Stephen SMITH, témoin de contexte, journaliste et professeur d’Études Africaines à l’Université de DUKE (USA[↑]
- Voir l’audition d’Hervé DEGUINE, ancien secrétaire général adjoint chargé de l’Afrique pour Reporters sans Frontières (1993-1998).[↑]
- Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État, cf. Glossaire.[↑]
- MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda, créée le 5 octobre 1993 par la résolution 872 du Conseil de sécurité pour aider à l’application des Accords d’Arusha. Voir Focus : le contexte immédiat du génocide – les accords d’Arusha.[↑]
- TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
- Réponse au Manifeste des Bahutu, le 17 mai 1958 par le Grand Conseil du Mwami, déjà évoquée par Maître MATHE lors de l’audition d’Éric GILLET, ancien avocat de parties civiles lors de plusieurs procès en Belgique. Personne dans la salle n’a pu réagir à cette lecture mais il semblerait que ce document, qui rejette d’une manière systématique, voire raciste ces revendications, serait un faux.[↑]
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑] - CHUB: Centre hospitalier universitaire de Butare[↑]
- UNR : Université nationale du Rwanda[↑]
- Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un « Appel à la conscience des Bahutu », dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).[↑]
- Emmanuel BIRASA, conducteur d’un bulldozer a été entendu à huis clos le 17 octobre 2024.[↑]
- Voir l’audition d’Emmanuel MUTIRENDE, un agriculteur de GISHAMVU qui aurait participé au massacre de l’église de NYUMBA.[↑]
- Voir l’audition de Callixte NDAGIJE MUSONI, ancien chauffeur au CUSP, Centre Universitaire de Santé publique de Butare[↑]
- Voir l’audition de Claudette MUHOZA[↑]
- Voir l’audition d’Antoine NDORIMANA, rescapé du massacre de l’église de NYUMBA dans la nuit du 19 au 20 avril 1994.[↑]
- Réunion du 14 mai 1994 à Butare avec Jean KAMBANDA, Premier ministre du Gouvernement intérimaire pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide et son audition du 11 octobre 2024[↑]