Procès RWAMUCYO, mardi 15 octobre 2024. J11


La journée commence souvent par l’annonce du versement de nouvelles pièces au dossier par les parties. C’est le cas aujourd’hui.

Audition de monsieur Vincent NTEZIMANA, ancien professeur à l’UNR[1], condamné à 12 ans de prison dans le procès dit des »Quatre de BUTARE » à BRUXELLES en 2001[2]. Cité à la demande du ministère public.

Ce témoin ne s’est pas présenté, il est donc passé outre.

 

Interrogatoire de l’accusé.

Monsieur le président demande à l’accusé s’il veur réagir après avoir entendu les auditions des témoins de la veille. Eugène RWAMUCYO va prendre longuement la parole. Il commence par dire qu’il avait compris qu’on voulait expliquer le rôle des intellectuels dans le génocide. C’est normal, le génocide des Tutsi arrive à un « moment charnière de l’histoire de l’humanité« : il était en URSS quand le mur de BERLIN est tombé. Comme il était à LENINGRAD, on pouvait le considérer « comme un révolutionnaire flamboyant » (sic).

Il poursuit: « Je n’étais pas formaté aux questions ethniques. En URSS, il y avait une parfaite osmose entre les étudiants hutu et tutsi. De retour en 1989, continue-t-il,  lorsque le FPR a attaqué, j’ai pensé que c’était une guerre pour rien. Je me suis trompé. Je voulais clamer mon innocence, je n’avais jamais pensé m’associer à ce projet du génocide. J’ai le devoir de réagir face aux témoins qui m’accablent. Me rattacher toujours à Ferdinand NAHIMANA, étudiant à la Sorbonne et étudiant de Jean-Pierre CHRETIEN, c’est incroyable. (NDR. Les propos du témoin partent dans tous les sens. Il ne faut pas chercher de lien entre les phrases qu’il prononce.)

« En arrivant, je travaille à l’organisation du projet pour lequel j’ai été formé. Mais le 1er octobre 1990, le FPR[3] attaque. Pour moi, c’est un crime contre la paix qui affectera toute ma vie, tout le pays […] Je suis innocent. Je n’ai participé à aucun projet d’extermination des Tutsi. De 23 ans à 33 ans, je suis en URSS. Du jour au lendemain, se produit une rupture, une déchirure dans la société avec l’attaque du FPR. L’ami d’hier devient un ennemi. La guerre vient casser l’ordre social qui régnait dans le pays. Le MRND[4] était un parti de paix et d’unité nationale mis à mal par le FPR. »

« Le 3 octobre 1990, je rentre dans ma famille. Dans la nuit du 4, c’est la rafle des Ibyitso, des complices[5]. Je n’avais jamais su qu’Abel[6] avait été arrêté à cette époque. C’est devant lui que j’ai condamné le multipartisme dans un pays en temps de guerre. Je ne l’ai jamais menacé. Notre pays était malade, ce n’était pas le moment de se disputer […] Mon bureau n’a jamais été piégé, personne n’a jamais été blessé. Les armes ne m’appartenaient pas. Dire qu’on veut m’associer à tous les condamnés du TPIR[7]. Je n’ai pas connu Casimir BIZIMUNGU, je n’ai pas pu diriger sa campagne[6], je n’étais pas là. »

« J’étais le premier médecin hygiéniste au Rwanda. Je mets en place des cours, j’essaie de concevoir des programmes de recherches et quelles mesures je pourrais conseiller à la collectivité. Le rapport de mai 1993, je l’ai déposé en juillet/août à la Bibliothèque universitaire. Je ne passais pas mon temps dans les meetings. »

De poursuivre qu’on l’a contacté pour rejoindre le FPR, comme KANYARENGWE a pu le faire. Le FPR va mettre le pays à feu et à sang. C’est la même situation qui se poursuit aujourd’hui.

« Je ne suis pas l’intellectuel dont on parle.. Ce que j’ai dit le 14 mai 1994 ne s’apparente pas à la haine ethnique. Les complices arrêtés dans la nuit du 4 octobre 1990, c’est un avocat hutu qui les défendra: Stanislas MBONAMPEKA, celui-là même que Jean KAMBANDA[8] a dit vouloir contacter lors de son transfert à Arusha (NDR. Le CPCR déposera une plainte contre lui au moment où il avait pris la décision de rejoindre la Belgique où il vient d’être arrêté voici quelques mois[9].)

« Le Rwanda est un pays compliqué. Il n’y a pas d’intellectuels hutu qui ont conçu le génocide des Tutsi. À BUTARE, les gens qui ont tué, ce sont les militaires et des milices que personne n’arrive à identifier. Je n’ai jamais fait de rondes, je ne suis jamais allé à une barrière. J’aurais été le fer de lance du génocide à BUTARE? Je ne connaissais pas BUTARE, personne ne me connaissait. Je ne connaissais pas les militaires. Vouloir m’associer à ces massacres, ça me fait dela peine. En avril, après deux semaines, je retourne au travail, je travaille à mon rapport. Tout le monde avait peur, j’avais peur. Les tueurs à BUTARE n’ont pas de visage. J’ai vu les résultats de leurs crimes. J’ai vu les corps lors de l’ensevelissement, je n’y suis pas allé pour cacher les cadavres. Mais lorsque j’ai senti les odeurs dans la ville, j’ai dit qu’il fallait faire quelque chose. J’ai poussé un coup de gueule. »

Cadavres de Tutsi ramassés par camions bennes
Cadavres de Tutsi ramassés par camions bennes – cf. Repères – L’état AU SERVICE DU GÉNOCIDE

 

Monsieur le président:  » C’est quoi votre coup de gueule? »

L’accusé: «  Il y avait une odeur de mort. Il fallait intervenir. Il y avait des chiens, des rongeurs. Je craiganis le choléra, la typhoïde. Il y avait un risque épidémique évident. Les structures sanitaires étaient dépassées. Il fallait lancer une alerte sanitaire. Ma proposition est arrivée au préfet. A l’époque, le directeur de la Région sanitaire était absent. C’est moi qui vais travailler avec mon assistant KAREKEZI, à la demande de la préfecture. J’entre dans cette activité avec l’arrivée du bulldozer de BIRASA présent depuis une semaine. J’irai sur place pour donner les instructions. Je m’enquiers de la façon dont travaille BIRASA. Je me rends sur les sites avec les prisonniers, à GISHAMVU, à NYAKIBANDA et à l’église de NYUMBA. On part le matin et je rentre dans l’après-midi après avoir donné mes instructions. La fosse de NYAKIBANDA est dans la forêt, à droite des terrains de sport. Des cadavres? Une cinquantaine. A NYUMBA, la scène la plus horrible, entre 300 et 500 morts. Après, on viendra à BUTARE. Entre-temps, je contnue à rédiger mes mesures. »

Après ce long monologue, l’accusé décide de garder le silence. Avant de se taire, il répond tout de même au président concernant l’emplacement des fosses à BUTARE: l’Arboretum près de l’Université (3 sites distincts), KABUTARE… (NDR. Il en oublie TABA, face à l’Hôtel FAUCON. On en oublie presque aussi la colline de KABUYE, à NDORA, probablement la fosse qui contient le plus de corps. On a évoqué le chiffre de 25 000. C’est la colline sur laquelle le sous-préfet Dominique NTAWUKURIRYAYO avait fait rassembler les Tutsi pour les protéger.)

 

Audition de monsieur Innocent BIRUKA, juriste, présent à BUTARE au moment du génocide. Cité par la défense.

Monsieur BIRUKA se présente comme un ancien assistant juridique de la défense de Joseph KANYABASHI devant le TPIR. Formé comme juriste, il travaille à partir de mai 1992 comme responsable des ressources humaines aux Banques populaires du Rwanda à Kigali. Pendant le génocide, il déclare travailler à GIKONGORO et à BUTARE, toujours pour cet établissement bancaire. En 1999, alors qu’il est en exil à Dakar au Sénégal, il est approché par l’équipe de la Défense de KANYABASHI, qu’il rejoint comme enquêteur. En 2003, il devient assistant juridique de la défense. Il rejoint la France en 2009, où il obtient le statut de réfugié en 2012.

C’est donc son passé d’enquêteur que le témoin met en avant et mobilise pour considérer que l’accusé, Eugène RWAMUCYO, n’a joué aucun rôle dans le génocide des Tutsi à BUTARE. En 2010, lors de l’arrestation de l’accusé, il s’étonne de le voir être décrit par Jeune Afrique « comme un rouage de la machine génocidaire à Butare ». Lors de ses enquêtes auprès d’anciens miliciens, d’anciens membres d’ONG ou encore de religieux, jamais le nom de monsieur RWAMUCYO n’est ressorti.

Il dépeint la préfecture de BUTARE pendant le génocide comme le « carrefour de toutes les forces du mal ». Monsieur BIRUKA insiste sur le nombre de Tutsi dans la préfecture, qui fuient également depuis le reste du pays et suivis par les tueurs qui « veulent s’accaparer leurs biens ». Se retrouvent également un grand nombre de militaires, entre ceux de l’Ecole des sous-officiers (ESO) et les blessés de guerres soignés au Centre hospitalier de BUTARE. Tous ces acteurs se seraient joints aux tueries, sans compter que pour le témoin de nombreux « éléments infiltrés du FPR » sévissent à BUTARE, au sein même des milices. C’est dans ce contexte qu’il déclare que « dans ce tableau, je ne retrouve nulle part le nom de RWAMUCYO. Je ne vois vraiment pas le rôle moteur qu’aurait joué Eugène RWAMUCYO ». Le témoin pense qu’il y a eu des planificateurs, mais l’accusé n’en ferait pas partie. La présence de personnalités dans la préfecture, comme Robert KAJUGA en avril, montre qu’il y a d’autres « acteurs déterminés à faire tout le mal à BUTARE ». Il parle de « milliers de morts » dans la préfecture, sans qu’il ne subsiste de traces après le 15 mai.

Le témoin critique le rôle du FPR, qui selon lui a cherché à semer le trouble et à monter les Rwandais les uns contre les autres. Selon lui, c’est un commando du FPR qui a assassiné en février 1994 le secrétaire général du PSD[10], Félicien GATABAZI. De même, ce serait le FPR qui, pour faire croire à des représailles du PSD, a assassiné quelques jours après le président de la CDR[11]. Monsieur le président s’étonne de voir que, malgré une telle opinion, le témoin ne sait pas qui a remplacé Félicien GATABAZI à la tête du PSD. De même, monsieur BIRUKA soutient que les milices sont infiltrées par le FPR. Il tire ces conclusions des témoignages qu’il aurait obtenu dans le cadre de son enquête pour la Défense de KANYABASHI. Monsieur le président LAVERGNE s’étonne que de telles informations n’aient pas été discutées par la défense devant le TPIR, et que ça ne fut pas un argument exploité.

En 2002, son nom apparaît dans un mémorandum qui aurait été produit par le Parquet général du Rwanda et l’association IBUKA, qui l’accuse avec onze autres personnes d’avoir participé au génocide. Monsieur BIRUKA quitte la défense temporairement, puis y retourne jusque mars 2006 après s’être assuré que le TPIR n’avait pas engagé de poursuites contre lui. Cela lui fait dire qu’il est en danger.

Lors de sa déposition, le témoin évoque son arrestation sur une barrière à BUTARE le lendemain de son arrivée (le 21 ou 22 mai 1994), à 17h. Il dit être libéré par une patrouille du Conseil de sécurité de Butare vers 21h. Parmi la vingtaine de miliciens qui l’arrêtent et l’accusent d’être un « inyenzi »[12], il ne reconnaît personne, ce qui lui fait dire que ces jeunes viennent d’autres préfectures et sont étrangers à BUTARE.

Ce récit donne lieu à des interrogations sur le sens d’ « inyenzi », le témoin y voyant le synonyme d’ « assaillants » ou FPR. Monsieur le président LAVERGNE rappelle le sens déshumanisant de ce terme (« cancrelats », « cafards »), qui sert avant tout à dénommer, dans l’idéologie extrémiste, les Tutsi. Des questions portent également sur le conseil de sécurité qui l’aurait libéré. Il dit avoir été secouru notamment par Alphonse HIGANIRO et Venant GAKWAYA. Il est hébergé par ce-dernier, qu’il décrit comme « courageux », un « Juste » pour avoir caché une quinzaine de Tutsi chez lui. Les parties civiles lui font remarquer que monsieur GAKWAYA est poursuivi en Belgique pour génocide. De même, monsieur BIRUKA décrit le conseil comme élargi et hétéroclite, dans lequel il ne serait pas impossible que se trouvent des Tutsi (fin mai 1994…), et composé de professeurs de l’UNR[1], de commandants militaires de l’ESO[13], de religieux ou encore de conseillers de la ville. Selon lui, ils ont pour but de ramener la paix. Il est alors interrogé par monsieur le président sur les distinctions d’avec la notion de « pacification », qui aurait été assurée à BUTARE, selon le témoin, par la ministre de la promotion féminine Pauline NYIRAMASUHUKO[14]. S’il dit ne pas connaitre son rôle, il reconnaît que la pacification se rapporte à des « activités génocidaires selon le TPIR » (le témoin ne souhaitant pas lui-même apporter sa propre opinion).

Toujours à propos de ce conseil, l’avocat général Me PERON donne la lecture d’un extrait d’Aucun Témoin Ne Doit Survivre[15], indiquant que ce type de structure sert avant tout à traquer les Tutsi survivants après les tueries massives d’avril 1994, et restreindre les conflits entre Hutu. Le témoin avait quant à lui considéré que ce conseil avait pour but d’« identifier les barrières » et contrôler les tueries.

Alors qu’il a dit ne pas s’être engagé politiquement après le génocide, les parties civiles et le ministère public relèveront qu’il figure parmi les personnalités de la Force Démocratique Unifiée (FDU), créée en 2006 de la fusion de différents partis et organisations d’exilés comme le Rassemblement républicain pour la démocratie du Rwanda (RDR). Pour le témoin, la FDU n’est pas un parti politique, mais convient qu’elle figure parmi l’opposition politique.

Pendant le génocide, monsieur BIRUKA dit avoir continué à travailler pour la banque, en s’occupant de ramener des bordereaux bancaires de BUTARE à GIKONGORO. Pour cela, il fait l’aller-retour tous les jours et traverse les barrières.

Il reconnaît que son nom apparaît dans l’agenda de Jean KAMBANDA pour octobre 1994, mais assure que ces relations sont strictement professionnelles[16]).

Ce témoignage est l’occasion pour la défense d’insister longuement sur le fonctionnement des enquêtes au TPIR et les difficultés posées par le mémorandum de 2002 évoqué par monsieur BIRUKA.

 

Audition de monsieur Jean-Baptiste NDAHUMBA, ancien président des gacaca à BUTARE. Cité à la demande du ministère public. En visioconférence de KIGALI.

L’audience reprend à 14h45 par la déposition de monsieur NDAHUMBA, en visioconférence depuis KIGALI. Il est l’ancien président des procès gacaca qui se sont déroulés dans la juridiction de Butare-Ville.

Il définit les gacaca comme une forme de « justice participative » exploitant des « données issues directement de la population »[17]. Le génocide et ses lendemains étant une période chargée d’émotions, il s’agit de « respecter ces émotions tout en trouvant une voie pour la justice ». À Butare-Ville, la population est composée largement de militaires de l’ESO, d’intellectuels et de commerçants. Les témoignages portant sur l’implication de certains médecins sont accablants, et montrent qu’ils ont participé à des réunions antérieures au génocide. Malgré le serment d’Hippocrate, ils ont – et le témoin vise ici Eugène RWAMUCYO – ordonné à ce que des personnes blessées soient jetées et enterrées vivantes dans des fosses communes. Ces crimes ont eu lieu à BUTARE et dans ses environs, à GISHAMVU (où se trouve le petit séminaire), NUYMBA et GISAGARA. Il compare RWAMUCYO à Adolf EICHMANN, bureaucrate de la SS ayant supervisé la Shoah.

Monsieur NDAHUMBA est largement interrogé sur la juridiction gacaca qu’il a présidé. 636 procès ont eu lieu. Il a été élu par la population rassemblée, et une décision du ministère de la Justice est venue sanctionner ce choix. Les autres membres sont également élus par la population. Avant chaque procès, il y a une « collecte globale » des informations, qui reposent sur des témoignages à charge et à décharge.

Monsieur RWAMUCYO a été condamné à perpétuité en son absence en 2007 par la juridiction gacaca de Butare-Ville. Le témoin se rappelle qu’à ce sujet, une fosse commune a été retrouvée près du centre hospitalier de BUTARE, et que certains médecins de l’UNR/CUSP[18] ont témoigné. Monsieur NDAHUMBA évoque le fait que des malades et blessés Tutsi du centre hospitalier auraient été tirés de leur lit, et jetés encore vivants dans la fosse. Ces actes sont le résultat de consignes données, notamment dans le choix des blessés. Le témoin évoque également des réunions entre médecins du centre hospitalier. Il rappelle que si le procès des médecins de Butare a été le premier à avoir été mené par sa juridiction, celui-ci a pris du temps du fait du nombre de témoignages. Il fallait se saisir d’un « système » auquel participaient ces médecins.

Une question de monsieur le président LAVERGNE concernant la structure des conseils de sécurité préfectoraux (élargis ou restreints) donne lieu à un premier accrochage avec l’avocate de la défense, Me MATHE, qui conteste la lecture de passages de l’interrogatoire du témoin en 2013. Lorsque la défense l’interroge au sujet de la chronologie des jugements ou sur des éléments de faits précis, monsieur NDAHUMBA s’agace car il n’est pas là pour « chicaner sur des dates ». Lorsque Me MATHE lui lit des passages d’un rapport international soulignant les limites des gacaca, le témoin lui répond qu’on n’a pas à lui « donner des leçons ».

Les documents des gacaca sont lus par la défense, et listent les faits ayant menés à la condamnation à perpétuité de monsieur RWAMUCYO. Ou du moins c’est ce que la défense fait croire, en entretenant une large confusion et en considérant qu’ « on reçoit des gacaca des paquets en vrac en kinyarwanda ». Plusieurs avocats des parties civiles contestent vivement l’interprétation et la lecture faites de ces documents par la défense, qui cherche à les discréditer en insistant sur leurs incohérences apparentes en termes de dates et de faits. Le débat se clôt sans que soit établie clairement la liste des faits pour lesquels Eugène RWAMUCYO a été condamné à perpétuité par la gacaca de BUTARE. Les débats menés par la défense ont conduit à ce que soient surtout traitées des questions d’ordre procédural et formel, au détriment des faits. Cette forme d’obstruction a laissé un goût amer à toutes les parties, et à monsieur NDAHUMBA, qui était sommé de se prononcer sur des documents qu’il n’avait pas sous les yeux.

NB. Ni les parteis civiles, ni l’accusaton (qui l’avait fait citer) n’ont éprouvé l’utilité de poser des questions au témoin. Tout le monde sauf la défense apparemment, s’est bien rendu compte que monsieur NDAHUMBA était d’une santé mentale défaillante et que la personne qui a été entendu voici onze ans par les enquêteurs français (il ne s’en souvenait d’ailleurs plus) n’est plus la même personne qu’aujourd’hui. Fallait-il continuer aussi longtemps un tel interrogatoire?

 

Audition de monsieur Janvier GASANA, ancien professeur à l’UNR Cité à la demande du ministère public. En visioconférence des Etats-Unis.

Le témoin déclare avoir connu RWAMUCYO pendant six mois à BUTARE, d’avril à septembre 1993. Mais comme il a quitté le Rwanda cette année-là, il ne peut pas savoir ce qui s’est passé au Rwanda en 1994. Quand il a rencontré l’accusé à cette époque-là, « c’était un homme bon » qui l’a invité à intervenir dans un de ses cours à l’UNR[1]. Il connaissait aussi Sosthène MUNYEMANA[19] pour lequel il avait adressé une lettre de soutien lors des ennuis de son ami à BORDEAUX. Toute l’audience tournera autour de ce document qui, en même temps, dénonce le comprtement de RWAMUCYO dont il fait un portrait accablant.

Monsieur le président va donner lecture d’un nombre important d’extraits de ce courrier daté du 3 janvier 1996. Le témoin ne se souviens pas que l’accusé était, à l’époque, visé par une plainte.

Après s’être souvenu que deux agents du FBI étaient venus chez lui en 2016, le témoin va suivre la lecture que le président va faire de sa lettre de soutien à MUNYEMANA. J’ai essayé d’en retranscrire le maximum.

Monsieur le président commence la lecture: « Personne ne me convaincra jamais que Sosthène MUNYEMANA a été l’adjoint du docteur RWAMUCYO dans les atrocités de BUTARE. Je connais les deux: Sosthène MUNYEMANA est un ami de longue date et c’est Eugène RWAMUCYO qui m’a succédé lorsque je suis parti aux USA pour poursuivre mes études. Au cours des six mois passés à BUTARE, je partageais le même bureau que le docteur Eugène RWAMUCYO. Précisons ici qu’il n’est pas médecin: après son école d’assistant social à Kigali, il est parti étudier en URSS pour préparer un doctorat en santé publique, avant de rejoindre le poste que j’avais quitté. Je n’ai jamais vu Sosthène MUNYEMANA, un Hutu modéré du Sud en compagnie de Eugène RWAMUCYO, suprématiste hutu du Nord du parti CDR. Ils avaient des points de vue politiques diamétralement opposés. J’ai souvent discuté avec les deux séparément à propos des événements. et des deux tandances auxquelles ils appartenaient. »

Monsieur GASANA déclare se souvenir de ce que monsieur le président vient de lire: « Cela doit être moi qui ai écrit, c’était ma pensée. »

Suite de la lecture. « Une des longues soirées passées avec ses amis hutu du Nord et mes amis hutu du Sud, j’ai tout fait pour leur expliquer que le problème n’est pas un problème de Hutu et de Tutsi mais un problème de pouvoir et qu’il fallait proposer une solution démocratique. En effet, la plupart des Hutu du Sud avaient vu (dans le multipartisme et la situation actuelle) une occasion de demander des changements à l’occasion de l’attaque des rebelles. Dans cette soirée privée, Eugène RWAMUCYO m’a demandé de retourner aux USA avec mes idées de démocratie et il m’a dit que les Hutu du Sud étaient des complices des rebelles tutsi. Dans cette soirée, comme je mettais en cause la légitimité de la CDR, parti extrémiste de la majorité hutu qui s’élevait contre la minorité tutsi au lieu de la protéger, il était fier d’être membre de ce parti, ajoutant que le salut du pays ne viendra que de la CDR et ne sera possible que par l’élimination de l’ennemi (les Tutsi) et du traître (le modéré hutu). »

Le témoin confirme que c’est bien lui qui a écrit ce qui vient d’être lu et ajoute que ce qu’il a écrit était vrai à cette époque.

Poursuite de la lecture dans laquelle est évoqué le nom d’un certain Abel, un de ses amis tutsi, (NDR. On lui demande s’il s’agit d’Abel DUSHIMIMANA, il confirme), son professeur et son ami[6].

Monsieur le président, après avoir arrêté la lecture, interroge le témoin et lui rappelle qu’il a été aussi entendu par les agents du FBI en 2016, à la demande d’un juge d’instruction français.. Ayant quitté le Rwanda en septembre 1993, il n’est retourné que deux fois dans son pays: en 2017 alors qu’il était professeur à l’Université du Koweït et en 2020 pour participer à l’enterrement de sa belle-mère. Sur sa carte d’identité d’alors, il était bien spécifié qu’il était Hutu. Pendant le génocide, il a perdu un oncle brûlé vif dans sa maison et des amis, Hutu et Tutsi. Mais il ne connaît pas les circonstances de leur décès. Ils sont morts à KAMONYI, dans la préfecture de GITARAMA, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, là où lui-même est né.

Lors de son interrogatoire devant le FBI, le président lui rappelle qu’il pensait que RWAMUCYO était du MDR, parti formé par le premier président de la République, Grégoire KAYIBANDA. Il avait même dit à Eugène RWAMUCYO que son groupe allait mener le pays à sa ruine en exitant le peuple. L’accusé lui aurait répondu qu’il ne comprenait pas les problèmes, qu’il avait passé trop de temps aux USA.

Plusieurs questions (juré, avocats des parties civiles) vont permettre au témoin de préciser quelques éléments restés dans l’ombre: l’ensevelissement des corps, par exemple, dont la gestion ne faisait pas partie de ses préoccupations (il n’y avait pas de coprs en 1993). Il avait évidemment su que son ami Abel avait été emprisonné en octobre 1990, comme « complice », qu’il appartenait au parti PSD.

Sur question de l’avocate générale, il reconnaît avoir eu des contacts avec la Région sanitaire qui travaillait dans le même enclos.

Maître MATHE annonce avoir peu de questions. Elle demande à lire une partie de la lettre que monsieur le président n’a pas retenue: « C’est un comble de malheur, les Tutsi […] les Tutsi font la chasse aux Intellectuels huru. » (NDR. Le témoin parle de la politique post-génocidaire du FPR). Le témoin, comme il le dit dans sa lettre, dénonce le fait que les nouveaux arrivants après le génocide se sont accaparé les biens de ceux qui avaient fui. Elle oublie de dire, mais le témoin le lui rappelle, qu’on a obligé les squatters à rendre leurs biens aux propriétaires. Aujourd’hui, il ne porte pas le même jugement sur la situation au Rwanda.

Toujours sur question de la défense, le témoin reconnaît que MUNYEMANA lui avait demandé d’écrire une lettre en sa faveur car il avait des problèmes à Bordeaux. Par contre, personne ne lui a demandé d’accuser RWAMUCYO: il rapporte simplement des faits.

Le témoin sait bien évidemment que son ami MUNYEMANA est en prison[19]. Mais il le considère toujours comme ‘irréprochable« .

Fin de l’audition à 19h30.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jules COSQUERIC, bénévole

Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.

 

  1. UNR : Université nationale du Rwanda[][][]
  2. Procès des « quatre de Butare » en 2001 à Bruxelles : Quatre Rwandais condamnés pour génocide à Bruxelles – Le Parisien, 9/6/2001. []
  3. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  4. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[]
  5. Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais), cf. Glossaire.[]
  6. Voir l’audition d’Abel DUSHIMIMANA, ancien directeur du CUSP de Butare où il a travaillé avec le docteur RWAMUCYO.[][][]
  7. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[]
  8. Voir l’audition de Jean KAMBANDA, Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir également  Focus – L’État au service du génocide.[]
  9. Voir notre article du 29 mars 2024: Stanislas MBONAMPEKA arrêté en Belgique[]
  10. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[]
  11. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  12. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[]
  13. ESO : École des Sous-Officiers de BUTARE[]
  14. Pauline NYIRAMASUHUKO : ministre de « la Famille et du  Progrès des femmes » à partir de 1992 jusqu’à la fin du génocide, n’hésite pas à inciter les tueurs, voire son fils Shalom, à violer les femmes tutsi. Jugée au TPIR et condamnée à perpétuité en 2011, peine réduite à 47 années de prison en 2015. Voir également: Madame Pauline, la haine des Tutsis, un devoir historique, podcast de France Culture, 28/4/2023.[]
  15. Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999[]
  16. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide. Ses agendas et carnet de notes sont archivés dans les annexes en ligne de Rwanda, de la guerre au génocide : les politiques criminelles au Rwanda, 1990-1994, André Guichaoua – La Découverte (Paris):
    Agendas (document pdf, 28 Mo)
    Notes et déposition au TPIR  (document pdf, 35 Mo[]
  17. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[]
  18. CUSP: Centre Universitaire de Santé publique de Butare[]
  19. Voir Procès Sosthène MUNYEMANA[][]

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