Procès RWAMUCYO, lundi 21 octobre 2024. J15


Mémorial de Nyumba (Gishamvu) construit entre l’église et l’école, la fosse ayant été creusée derrière, @AG.

 

Audition de monsieur Antoine NDORIMANA, rescapé du massacre de l’église de NYUMBA dans la nuit du 19 au 20 avril 1994. Cité par le ministère public.

Monsieur NDORIMANA avait neuf ans pendant le génocide, en 1994. Il vit alors avec ses parents dans la commune de GISHAMVU. Lors de sa déposition, il revient sur le déclenchement du génocide dans cette commune, et notamment dans sa cellule où se trouvent beaucoup de Tutsi. Il se rappelle avoir fui avec sa famille vers le bureau du secteur, les domiciles étant systématiquement pillés.

Les interahamwe[1] attaquent les réfugiés, qui descendaient vers la vallée. Ils se saisissent notamment du bétail. Monsieur NDORIMANA, sa famille et aussi de nombreux Tutsi sont conduits les mains en l’air à la paroisse de NYUMBA, où les miliciens les assurent qu’ils vont assurer leur sécurité. Parmi les réfugiés, beaucoup viennent de NYARUGURU. Ils se répartissent dans les trois bâtiments principaux de la paroisse de NYUMBA, que sont l’école primaire, l’église et la salle de célébrations religieuses (l’ancienne église sur le site de laquelle a été construit le mémorial). Le témoin se trouve avec sa famille maternelle dans cette salle de célébrations.

Église de Nyumba, @AG

 

Monsieur NDORIMANA explique comment les réfugiés ont tenté de se défendre à coups de pierres, et comment les policiers et les militaires avaient disposé des armes à feu sur les collines aux alentours. Il décrit l’attaque lancée par des assaillants armés de machettes, de lances et de gourdins. Lui-même est blessé par un coup de lance au-dessus de l’œil droit. Il s’évanouit. N’étant pas mort, des assaillants venus pour achever les blessés – « pas de pitié pour l’ennemi » (ntampongano) – lui infligent plusieurs coups de gourdin. Il revient à lui à cause du froid qui règne dans l’ancienne église. Il entend des blessés demander de l’eau. Il reste couché parmi les cadavres.

Le lendemain, il entend les autorités venues pour superviser l’ensevelissement des cadavres. Un Caterpillar creuse deux fosses entre l’église et l’école primaire. La machine de chantier démolit également une partie de l’école.

Monsieur NDORIMANA sort finalement de l’ancienne église. Le bourgmestre, au milieu de la route, lui ordonne (après que les différentes autorités présentes se soient concertées) de « veiller sur les cadavres de ses congénères ». Il pense aujourd’hui que c’était pour le forcer à rester là-bas, et ainsi le retrouver facilement avant de le tuer. Il est rejoint par deux femmes enceintes, elles aussi blessées. Pendant ce temps, les cadavres sont transportés en brouettes et jetés dans les fosses, comme les blessés. Leurs blessures aux chevilles les empêchent de s’enfuir. Le bourgmestre ordonne finalement de tuer monsieur NDORIMANA et les deux femmes. Ces dernières sont jetées dans la fosse après avoir reçu un coup de gourdin. L’enfant de neuf ans demande pitié, et préfère sauter vivant dans la fosse. Des arbres sont déracinés par le Caterpillar, et lancés dans la fosse pour la recouvrir. Pour le témoin, il est parfaitement clair que les représentants des autorités avaient conscience qu’il n’était pas mort (les deux autres femmes non plus). Un des hommes, profitant d’une accalmie, leur dit que c’est le moment de sortir de la fosse. Monsieur NDORIMANA et les deux femmes y parviennent. Ils entendent les cris des blessés aux chevilles, qui ne peuvent pas sortir. Ils les supplient de les aider, mais ceux-ci ne peuvent pas.

Par la suite, monsieur NDORIMANA est revenu sur le calvaire subi jusqu’à l’arrivée du FPR[2] à BUTARE, le 4 juillet 1994. Traqué et capturé à plusieurs reprises, il parvient malgré tout à survivre. Il explique notamment que les autorités, via des bus partant du bureau de la préfecture de BUTARE, attiraient les survivants Tutsi en leur promettant un échappatoire à NYARUHENGERI, avant de les massacrer.

Pendant le génocide, monsieur NDORIMANA a perdu ses parents, trois sœurs et un frère à la paroisse de NYUMBA. Une autre sœur est tuée chez sa tante.

 

Audition de madame Immaculée MUKAMPUNGA, rescapée du massacre au grand séminaire de NYAKIBANDA. Citée à la demande du ministère public.

En 1994, madame MUKAMPUNGA vivait avec son mari, monsieur KARENGERA, et leurs deux enfants, âgés de six et cinq ans dans le secteur GISHAMVU, cellule SHORI.

La famille est au départ cachée par des voisins hutu. Le fils de ces voisins, BUTEMA, les menace et leur dit de fuir, il n’y a « pas de chance de salut ici ». Ce BUTEMA reviendra les menacer pour leur prendre leurs biens, mais monsieur KARENGERA résistera.

La famille se réfugie à l’IGA[3], à côté du grand séminaire de NYAKIBANDA. On leur dit d’aller là-bas, en leur présentant les liens comme une porte de sortie, une manière de se sauver. Se propage parmi les réfugiés que le président SINDIKUBWABO a appelé, dans son discours du 19 avril 1994, à apporter des « renforts à NYAKIBANDA »[4]. Elle comprend alors que même le président « [les] a lâchés ». Deux jours après s’y être installés, vers 22h, une attaque est donnée. Des policiers tirent sur eux avec des fusils.

Les assaillants sont munis de machettes et de sifflets. Elle décrit la systématicité de leur procédure d’attaque, qui consiste en un coup visant la tête, un autre visant le cou et un autre les chevilles (au niveau du tendon). Pendant l’attaque, elle enduit ses enfants et elle-même de sang pour faire croire à leur mort. Madame MUKAMPUNGA reviendra alors sur de nombreux détails, que ce soit la manière dont elle a failli se faire tuer par son ancien domestique, ou les ruses développées par les tueurs pour faire sortir les survivants en se faisant passer pour la Croix-Rouge. Le sol de l’IGA était entièrement recouvert de sang. Son mari, blessé aux chevilles et ne pouvant donc se lever, lui dit « qu’il n’est pas possible que tout le monde meure ici ». Il lui enjoint de se réfugier chez son beau-frère.

Concernant le Caterpillar, elle affirme qu’elle est partie de NYAKIBANDA la veille de l’arrivée de la machine. Elle en a entendu parler par une de ses hôtes éphémères, prénommée Catherine, et par les fils de celle-ci, qui se vantent d’aller « travailler ».

Lors de sa déposition, puis des questions posées par monsieur le président LAVERGNE, madame MUKAMPUNGA décrira le parcours effroyable qui est le sien et celui de ses deux enfants. Elle se heurta notamment à d’immenses difficultés pour être hébergée et cachée. Elle précise que ses deux enfants ont survécu.

 

Audition de madame Annonciata NYIRABAJYIWABO. Son mari aurait été tué à GISHAMVU. Elle aurait participé à la recherche et à l’identification des corps sur les sites de NYUMBA et NYAKIBANDA. Convoquée en vertu du pouvoir discrétionnaire du président. En visioconférence de KIGALI.

Le témoin, absente de GISHAMVU pendant le génocide, est revenue à la recherche du corps de son mari, originaire de la région, un militaire tutsi des FAR (Forces Armées Rwandaises). On lui aurait dit alors qu’il aurait été tué au bureau de la sous-préfecture, près de l’église de NYUMBA. Ses recherches seront vaines, que ce soit à NYUMBA ou à NYAKIBANDA, près du grand séminaire.

Monsieur le président semble émettre des doutes sur sa qualité de partie civile dans la mesure où elle n’a pas pu prouver le lieu de la mort de son mari (NDR. Monsieur RWAMUCYO est poursuivi por l’ensevelissement des corps dans les fosses de NYUMBA ou de NYAKIBANDA). Madame Annonciata NYIRABAJYIWABO est membre de l’association IBUKA de GISHAMVU et sa signature apparaît sur les actes de notoriété que son avocate a produit pour faire reconnaître sa qualité de partie civile! Il n’est donc pas sûr que sa demande d’être partie civile soit reconnue.

 

Audition de madame Marie-Chantal TWAGIRUMUHOZA. Elle aurait été témoin des faits reprochés à Eugène RWAMUCYO. Convoquée en vertu du pouvoir discrétionnaire du président.

Le témoin affirme connaître Eugène RWAMUCYO depuis février 1993, date à laquelle il serait arrivé chez son grand-père avec des armes pour les cacher. Mathieu NGIRUMPATSE, beau-fils du grand-père de madame TWAGIRUMUHOZA et président du MRND[5] aurait souhaité faire de la maison familiale un stock d’armes.

Madame TWAGIRUMUHOZA affirme également avoir vu l’accusé en mai-juin 1994, au CHUB et derrière la maternité, où étaient entassés les cadavres de Tutsi. Il est alors entouré d’hommes en salopettes grises sur lesquelles est écrit « HYGIENE » en lettres blanches. Ceux-ci disent enlever les « saletés des Tutsi » et leurs « corps puants ». Le témoin déclare avoir vu Sosthène MUNYEMANA[6] participer avec RWAMUCYO à l’enfouissement. Le même jour, les cadavres sont ramassés par un convoi composé de camions, camions bennes Nissan et Hino, et des tracteurs de l’institut d’agronomie.

Le témoin aborde également de nombreux faits qui n’ont pas été retenus dans le dossier à charge contre RWAMUCYO, comme sa présence sur une barrière de MATYAZO ou l’assassinat de son père. Selon elle, RWAMUCYO était en charge de la gestion de l’ensemble des fosses communes de la préfecture de BUTARE, de sorte qu’il devrait savoir dire où se trouvent les corps qui n’ont pas encore été retrouvés.

La déposition de madame TWAGIRUMUHOZA provoque l’ire de la défense, qui demande à faire « donner acte de ce témoignage » (le consigner dans le jugement à venir).

 

Audition des représentants du CPCR, Dafroza et Alain GAUTHIER.

Déposition de monsieur Alain GAUTHIER, président fondateur du CPCR.

Portrait © Francine Mayran
Portrait © Francine Mayran, collection « PORTRAITS MÉMOIRES DU GÉNOCIDE DES TUTSI AU RWANDA »

Un témoignage donné selon un ordre chronologique, pour faciliter la compréhension des jurés.

1961. J’ai douze ans lorsqu’un prêtre de la Société des Pères Blancs vient projeter un documentaire sur Charles LWANGA et les martyrs de l’Ouganda, jeunes pages de la cour qui ont été exécutés pour avoir refusé de renoncer à leur foi. À l’issue de la projection, je fais savoir au prêtre que je voudrais être comme lui. Il me convoque et me dit d’être patient: « Passe ton Bac et on verra! »

Septembre 1968. Le Bac en poche, je rentre à la Faculté de Théologie de STRASBOURG où je vais passer deux années.

1970. L’heure est venue de faire mon service militaire et j’ai décidé depuis longtemps de le réaliser dans le cadre de la coopération. L’évêque de BUTARE, monseigneur Jean-Baptiste GAHAMANYI, recherche des enseignants et je me porte candidat. À mon arrivée dans la capitale intellectuelle du Rwanda, l’évêque me fait connaître mon affectation: je serai professeur de Français au petit séminaire de SAVE, à une dizaine de kilomètres au Nord de BUTARE. Pendant ce séjour, un événement marquant. Le 1er mai 1972, je me rends à BUJUMBURA pour faire un match de foot: un coup d’état a eu lieu dans la nuit. Des camions de cadavres sillonnent la ville. Nous nous réfugions au grand séminaire de la ville avant d’être évacués par UVIRA et BUKAVU, sous la protection de l’armée burundaise. C’est lors de ce séjour que je sympathiserai avec un vieux professeur hutu royaliste, Xaveri NAYIGIZIKI dont la fille GEMMA, qui vient souvent me voir lorsqu’elle rend visite à son père, deviendra plus tard la femme de Siméon REMERA, le président de la CDR à BUTARE.

Juillet 1972, retour en France et je m’inscris à la Faculté de Lettres de NICE avant de rejoindre celle de GRENOBLE, mon université d’origine, étant natif d’un petit village du nord de l’Ardèche.

Août 1974. Le Père Henri BLANCHARD, curé de SAVE, vient en congé dans sa famille à AMBIERLE, dans la Loire. Il m’invite à venir revoir une jeune rwandaise que j’ai connue à SAVE.  C’est aux vacances de Noël suivantes que mon histoire avec Dafroza commence.

Juillet 1977. Mariage à Saint-Désirat, mon village natal. Jusqu’en 1989, nous mènerons la vie « normale » d’une famille, à REIMS à partir de 1980, avec nos trois enfants. Au cours de ces années, nous nous rentrons assez régulièrement au Rwanda pour rendre visite à la maman de mon épouse. 1989 marquera effectivement notre dernier séjour au Rwanda, la guerre déclenchée par le FPR le 1er octobre 1990 nous empêchant de retourner dans le pays.

Janvier 1993. L’intervention de Jean CARBONARE sur le plateau de France 2 dénonçant l’imminence d’un génocide au Rwanda[7] à son retour d’une commission internationale des droits humains me donne l’occasion d’écrire au président MITTERRAND pour lui demander d’intervenir auprès de son homologue rwandais pour empêcher un tel drame.

Fin février 1994. Mon épouse se rend à KIGALI pour rendre visite à sa maman. La situation est catastrophique. Elle écourte son séjour, sa maman lui ayant demandé de partir. Elles ne se reverront plus.

7 avril au matin. Nous apprenons l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA.

8 avril. Je téléphone au Père BLANCHARD, alors curé de la paroisse Charles LWANGA à NYAMIRAMBO, un quartier de KIGALI: il m’apprend que la maman de mon épouse a été assassinée le matin même par des militaires venus faire évacuer l’église où elle s’était réfugiée avec de nombreuses personnes. Notre cousine, Geneviève, avec qui elle se trouvait, sera assassinée le 10 juin lors de l’attaque de la paroisse qu’elle avait refusé de quitter pour rester avec les enfants qui étaient réfugiés là. Canisius, son mari, avait été fusillé trois jours plus tôt chez les frères Joséphites, tout près de là. Le soir, de retour à la maison, j’ai la lourde charge d’annoncer la nouvelle à la famille. Notre fils Emmanuel, onze ans, n’aura que quelques mots à la bouche:  » Maman, je te vengerai. » Les trois mois qui vont suivre, nous allons les passer à tenter d’alerter la presse et la communauté internationale sur ce qui se passe au Rwanda. En juin, nous organiserons une manifestation à REIMS pour protester contre le rôle que joue la France au Rwanda: un seul slogan: « RWANDA, la honte! »

14 août 1994. Nous accueillons deux petits neveux, Pauline et Jean-Paul, retrouvés dans un bus à BUJUMBURA et dont on nous avait annoncé la mort des parents. L’année suivante, leur papa ayant finalement été retrouvé, ils repartiront à BUTARE.

Été 1996. C’est notre premier retour au Rwanda. Au cours de ce séjour, l’occasion nous est donnée de rencontrer des rescapés de l’église de la Sainte-Famille à KIGALI. Nous recueillons nos premiers témoignages dans l’affaire du prêtre Wensceslas MUNYESHYAKA qui finira, au bout de 25 ans, par obtenir un non-lieu.

Printemps 2001. Nous assistons, quand nous le pouvons, au procès dit des « Quatre de BUTARE » à BRUXELLES[8]. Nos amis qui ont initié ce procès nous interpellent: « Et vous, qu’est-ce que vous faites en France? » En novembre de la même année, nous créons le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda qui se donne comme objectif de poursuivre les personnes suspectées d’avoir participé au génocide des Tutsi et qui vivent en France.

4 avril 2002. Lors d’un colloque au Sénat français, Demain le Rwanda, qui rassemble nombre de négationnistes et qui est organisé par la Démoratie chrétienne (présence de Charles ONANA, entre autres), un participant se permet de me présenter dans les termes qui suivent: « Ce Blanc, il ne connaît le Rwanda que par des confidences sur l’oreiller. » (NDR. Propos dignes du journal KANGURA dont il se révèlera un proche collaborateur lors de l’instruction). Mon voisin, avec qui je suis venu, Servilien SEBASONI, me signale qu’il s’agit du docteur RWAMUCYO. Ce sera à l’origine de la plainte que nous déposerons contre lui en 2007.

2010. Lors de la comparution de monsieur RWAMUCYO devant la cour d’appel de Versailles concernant sa demande d’extradition, les amis du docteur me feront une haie d’honneur à la sortie: « Va chercher ton fric à KIGALI! » Les policiers, voyant la scène, me demanderont de les suivre. Ils m’accompagneront dans leur voiture jusqu’à la gare de Versailles où je devais me rendre.

Dans un premier temps, nous nous constituerons partie civile dans les plaintes déposées par d’autres associations depuis 1995: Wenceslas MUNYESHYAKA, Sosthène MUNYEMANA, Cyprien KAYUMBA, Fabien NERETSE (que nous retrouvons à Angoulême d’où il sera extradé vers la Belgique), Laurent BUCYIBARUTA, le préfet de GIKONGORO et Laurent SERUBUGA, ex-chef d’état major de l’armée.

Puis, très régulièrement, nous déposerons nos propres plaintes: contre le sous-préfet de GISAGARA, Dominique NTAWUKURIRYAYO, qui sera finalement jugé par le TPIR, ou encore madame Agathe HABYARIMANA. Pendant toutes ces années, nous déposerons près de 35 plaintes[9]. Et notre travail continue.

Cette plainte contre monsieur RWAMUCYO nous a value et nous vaut encore de nombreux courriels d’insultes, jusqu’à ces derniers jours. En voici trois exemples récents:

6 octobre 2024: « Par votre omnipuissance, c’est vous qui autorisez ceux qui doivent assister à un procès public. […] Les puissants procès pro-tutsi de France pilotés par celui du couple diabolique franco-tutsi de Alain et Dafroza GAUTHIER, le sinistre CPCR, vous êtes sûrs d’avoir déjà mis la Cour dans votre poche de telle façon que rien ne peut venir au secours de l’innocent docteur RWAMUCYO... »

10 octobre 2024: « Le couple diabolique franco-tutsi d’Alain et Dafroza GAUTHIER ressuscite les morts de BUTARE ‘chez l’ancienne « fille de ménage » Dafroza MUKARUMONGI des enseignants blancs de SAVE dans les années 1970, dont un certain GAUTHIER) pour venir témoigner contre l’innocent docteur RWAMUCYO à PARIS. »

12 octobre 2024: « Les lobbies pro-tutsi de KAGAME en France dont le couple diabolique franco-tutsi de Dafroza et Alain GAUTHIER en sont à recycler les vieilles accusations désuètes pour essayer d’avoir d’autres têtes hutu à vendre au dictateur sanguinaire tutsi Paul KAGAME. Démense ou maladie d’Alzheimer??? »

Nous restons fidèles à notre devise inscrite au fronton de notre site internet: « Sans haine ni vengeance » (Simon WISENTHAL).

Une série de questions suivront. Nous pourrons les indiquer si quelqu’un en a pris note. Les plus importantes viendront sans surprise de la défense qui nous reproche de verser au dossier des documents que nous avons récupérés au Parquet de KIGALI. (NDR. Dans cette affaire, nous avons en particulier remis une cassette de l’enregistrement discours que le docteur RWAMUCYO a prononcé le 14 mai 1994 à BUTARE lors de la visite de Jean KAMBANDA). Et puis l’inévitable question sur nos liens familiaux avec des autorités du Rwanda, dont James KABAREBE, notre décoration par le président KAGAME de la médaille IGIHANGO en 2017 me rappelle maître MATHE.

Maître MEILHAC nous reproche de ne pas faire de demandes d’actes lors de l’instruction! Si nous n’en avons pas fait dans cette affaire RWAMUCYO, je lui signale que, dans d’autres dossiers, il est arrivé à nos avocats de faire des demandes et qu’elles ne sont pas forcément suivies par le juge d’instruction. Cette question était-elle bien nécessaire?

PS. Le CPCR intervient depuis de longues années dans les collèges, les lycées, les universités et les grandes écoles, à la demande d’équipes d’enseignants motivés, afin de partager notre combat pour la justice. Une de nos priorités, à côté des plaintes que nous déposons, est l’éducation des jeunes[10].

 

Portrait © Francine Mayran
Portrait © Francine Mayran, collection « PORTRAITS MÉMOIRES DU GÉNOCIDE DES TUTSI AU RWANDA »

Déposition de madame Dafroza GAUTHIER MUKARUMONGI, membre fondateur du CPCR.

Je m’appelle Dafroza MUKARUMONGI-GAUTHIER
Je suis co-fondatrice du CPCR, association créée en novembre 2001.

Je suis aussi co-fondatrice de l’association IBUKA, créée en en 2002.

Je suis née au Rwanda, le 04/08/1954 à Astrida, devenue Butare, après l’indépendance. Je suis retraitée, ingénieur chimiste de formation. Je suis née dans une grande famille d’éleveurs-Tutsi à l’ouest de Butare dans une région qui s’appelle le NYARUGURU. Mes parents sont arrivés dans la région, peu de tempe avant ma naissance, sur la colline de Rwamiko située dans l’ex- prefecture de GIKONGORO. Une partie du berceau familial de mon père habitait cette région.
Quant à ma mère, elle était native de BUTARE, sa famille habitait dans un rayon de 3 km autour de cette petite ville de Butare : sur les collines de Mbazi et de SOVU.

Quant à la dernière demeure de ma mère, elle était située non loin de l’université de BUTARE, sur la localité de Cyarwa, au lieu dit « MUKONI », tout près de la propriété des SINDIKUBWABO .

Je vais vous présenter brièvement la petite ville de Butare, avant qu’elle ne soit souillée, avant qu’elle ne soit défigurée, avant qu’elle ne soit complètement saccagée par les tueurs… je vais essayer de la sortir des horreurs dont il a été question depuis plus de 3 semaines depuis le début de ce procès…

Avant la colonisation,

Butare connaissait déjà un certain prestige historique et culturel avec ses sites métallurgiques anciens, avec ses constructions en briques, avec sa zone de paix et de coopération rwando-burundaise, lieu où furent conclus deux traités de paix célèbres entre les deux pays ( 2ème moitié du 19 ème siècle ) et l’implantation d’armées rwandaises célèbres pour sécuriser cette frontière…

C’est cette région de Butare où la tradition orale était très riche avec toute cette poésie dynastique, épique et pastorale portées à un niveau de raffinement extrême par le clan des ABASINGA de la région de Nyaruguru.

À l’époque coloniale,

De 1916 à 1962, les Belges vont établir le chef-lieu de leur admnistration coloniale pour le Rwanda et le Burundi à Butare et Butare sera une porte d’entrée au Rwanda pour les visiteurs en provenance de Bujumbura (Usumbura) la capitale.

Butare, renommée ASTRIDA, deviendra la vitrine du Rwanda colonial, en hommage à la reine Astrid, la reine la plus populaire de la monarchie belge.

Les Belges vont y installer l’unique école officielle du pays, le Groupe Scolaire d’Astrida, géré par la Congrégation des Frères de la Charité, pépinière des cadres auxiliaires.

Les missionnaires avaient été d’ailleurs les premiers précurseurs de cette évolution en fondant la première mission catholique de Save à 10 km au nord de Butare, en 1900, un grand réseau d’écoles primaire ainsi que la fondation du premier Grand -Séminaire de Nyakibanda. L’université nationale du Rwanda ne verra le jour qu’en 1963, fondée par la Congrégation des Pères Dominicains, à la demande du gouvernement rwandais.

Avec tout ce réseau très dense d’écoles, on disait des ressortissants de Butare qu’ils naissaient avec un certificat d’école primaire en poche.

Butare , c’est aussi une population mélangée où de nombreux mariages inter-communautaires hutu-tutsi étaient les plus nombreux.

Jusqu’en 1994, Butare avait une particularité, elle n’avait jamais connu de pogroms, à cause de son histoire particulière avec la royauté . Nyanza, situé à 40 km environ, était le siège du Roi, la capitale royale, avant la chute de la monarchie en 1959.

Butare sous les deux premières républiques et pendant le génocide :

De manière générale, l’essentiel de l’élite rwandaise post-colonial fut formé dans les séminaires catholiques, comme le premier président Grégoire KAYIBANDA. Plus tard, l’université nationale en formera d’autres.

La guerre civile d’octobre 1990 déclenchée par le FPR, composée majoritairement d’exilés Tutsi, offrit au Président HABYARIMANA Juvénal, et à ses partisans l’occasion de tenter de faire ou refaire l’unité de la communauté hutu sous la banière de la lutte contre « l’ennemi commun », c’est-à-dire les Tutsi, quelles que soient leur condition, leur engagement politique ou leurs convictions.

Pendant le génocide, Butare sera un exemple en résistant au génocide les deux premières semaines grâce au leadership de son préfet, Jean Baptiste HABYARIMANA. Il sera destitué vers le 17 avril et assassiné ensuite: le génocide peut alors commencer.

À RWAMIKO, ma petite enfance fut ephémère car très vite et très tôt la violence s’est invitée dans ma vie de petite fille et dans nos familles Tutsi dès cette année 1959.

Deux événemets vont ensuite venir bouleverser nos familles, celui de la mort du roi RUDAHIGWA MUTARA III le 25 juillet 1959 et celui de l’assassinat de mon instituteur d’école, LUDOVIKO, mort décapité, événement qui doit se situer début 1960.

Et, c’est suite à cet assassinat de LUDOVIKO que nous allons fuir, quitter notre maison, à la nuit tombée, avec la famille de mon cousin RUHINGUBUGI qui habitait plus haut. Nous ne reviendrons jamais à Rwamiko, nous avons tout perdu. Tout a été détruit. Une errance familiale commença à cette période où une bonne partie de ma famille a fui, principalement au BURUNDI voisin.

Notre région du sud-ouest, celle de l’ex-préfécture de GIKONGORO, a connu des pogroms incessants et le plus terrible a eu lieu à Noël 1963. Plus de 10000 morts. Bertrand RUSSEL, philosophe et mathématicien, parle du « petit génocide » de GIKONGORO, dans le journal le Monde du 6 février 1963 :

« Le massacre d’hommes le plus horrible et le plus systématique auquel il a été donné d’assister depuis l’extermination des Juifs par les nazis ».

À 9 ans, je dois la vie sauve à l’église de Kibeho où nous avons trouvé refuge avec ma mère, ma sœur, ma famille proche et d’autres Tutsi de notre région. Les miliciens ne massacraient pas dans les églises à l’époque, ce qui ne fut pas le cas en 1994 où ce tabou a volé en éclat et où les églises sont devenues des lieux de massacres de masse, et des lieux d’exécution .

Suite à ce massacre dans notre région de Gikongoro, beaucoup de rescapés de nos familles ont été déportés dans la région du Bugesera, au sud-est de Kigali. Ils n’y sont pas allés de leur propre grès, ils ont été forcés. Montés dans des énormes camions, ils ont été transportés et laissés là-bas au milieu de nulle part, au milieu des bêtes sauvages, sans nourriture et sans eau potable, une région où sévissait la mouche tsé-tsé. Des familles entières ont été décimées sans possibilité de soins. Ces événements du Bugesera et de la déportation de nos familles ont été évoqués dans cette Cour d’assises ainsi que le massacre de 1992 plus tard.

Les Tutsi, contraints à l’exil en 1963, ayant survécu à la mouche tsé-tsé, ayant survécu aux massacres de 1992, vont périr en masse en 1994. Il n’y a presque pas eu de survivants dans la région du Bugesera. Le génocide les a emportés en masse. Les survivants se comptent sur les doigts d’une main.

Nous avons même été réfugiés à l’intérieur de notre propre pays.

Dès l’âge de 7-8 ans, notre mère nous a mis en pension, avec ma sœur, chez les religieuses BENEBIKIRA de KIBEHO, avec d’autres enfants Tutsi dont ma cousine Emma. Notre cousine religieuse , sœur Victorine, a bien pris soin de nous. Notre frère aîné, François, lui, a été contraint à l’exil, alors qu’il était au grand séminaire de Nyakibanda. Il regagnera l’Europe, via le Burundi.
Nous étions des citoyens de seconde zone, nous; Tutsi, avec nos cartes d’identité sur lesquelles figurait la mention « Tutsi ».

Nous étions des étrangers chez nous.

Plus tard, après mes années de collège à Save, quand j’entre au Lycée Notre-Dame des CITEAUX à Kigali à environ 130 km, je devais me munir d’un « laisser passer » délivré par la préfecture. Je n’étais pas la seule. Au fameux pont de la Nyabarongo, au pied du Mont Kigali, nous devions descendre du bus pour y être contrôlés par des militaires et présenter nos laisser-passer, nous les Tutsi, au vue de notre faciès… Cette opération pouvait prendre des heures… Nous étions parfois insultés, voire brutalisés, humiliés, et tout cela reste gravé dans nos mémoires…

Nous avons grandi dans ce climat de peur et d’exclusion, avec la révolte au fond de nous!… Enfant, notre mère nous a appris à nous taire, à nous faire petit, pas de vague : à l’école, au collège, au lycée, dans la rue, à l’église, partout, il ne fallait pas se faire remarquer, il fallait se taire, baisser les yeux, se faire oublier!…

J’ai eu la chance d’aller à l’école et de poursuivre une scolarité normale. Beaucoup de Tutsi, surtout des garçons, ne pouvaient pas accéder à l’école secondaire de l’État et à l’université. C’était la période des quotas.

Et c’est en ce début 1973 que j’ai quitté mon pays pour me réfugier au Burundi suite aux pogroms de cette époque. Cet épisode a été évoqué devant cette cour d’assises. Chassés des écoles, des lycées, des universités, de la fonction publique d’Etat, et autres emplois du secteur privé, les Tutsi vont de nouveau se réfugier dans les pays limitrophes et grossir les effectifs de réfugiés tutsi des années précédentes, ceux de nos vieilles familles d’exilés depuis 1959.

J’entends encore notre mère nous dire, en cette fin janvier, début février 1973, avec ma sœur, qu’il fallait partir et le plus vite possible. Elle avait peur de nous voir tuées ou violées sous ses yeux, nous dira-t-elle plus tard… Ce fut une séparation très douloureuse, j’ai hésité…

Avec ma sœur, deux de mes cousins et leurs amis, nous avons quitté Butare à la tombée de la nuit, en direction du Burundi , avec l’aide de notre curé de paroisse, un Père Blanc; Henri BLANCHARD,  et deux coopérants français agronomes. Nous étions une bonne douzaine. Nous avons pris la piste qui longe la frontiière entre le Rwanda et le Burundi, le long de la rivière AKANYARU. Au point de passage, des piroguiers nous attendaient. Ce périple fut un cauchemar. Nous avons regagné le nord du Burundi, près de la ville de KIRUNDO, au bord de l’épuisement. Cette traversée revient souvent dans mes rêves ou mes cauchemars. Nos amis de Butare, le groupe qui nous a précédés, n’a pas eu la chance d’arriver, ils ont été assassinés dans ces marées de la Kanyaru. Nous avons eu beaucoup de chance.

Après notre départ de la maison, notre mère fut convoquée par le bourgmestre de notre commune , un certain J.B. KAGABO, et mise au cachot communal. On lui reprochait son manque de civisme, à cause de notre fuite. Elle en sortira le bras droit en écharpe, cassé, nous dira-t-elle plus tard. Je me sentais coupable d’avoir fui, et de l’avoir abandonnée !

Je ne resterai que 6 semaines au camp de KIRUNDO avec ma sœur, après un premier tri effectué par le HCR. Nous rejoindrons la capitale Bujumbura. Je ne resterai à Bujumbura que 7 mois, et j’ai ensuite rejoint mon frère aîné François réfugié en Belgique depuis le début des années 60. J’ai pu poursuivre mes études.

De 1977 à 1989 ce sont des années sans histoires, une vie de famille ordinaire avec nos trois enfants. Nous avons pu retourner au Rwanda régulièrement voir ma mère et les familles qui s’y trouvaient encore avec mon passeport français.

Notre dernière visite à ma mère, à Butare, date de l’été 1989.
La guerre éclata entre le FPR et le gouvernement de HABYARIMANA, le 1er octobre 90 et nous ne pouvions plus voyager.

Le FPR attaque par le nord du pays. Les nouvelles du pays nous arrivaient des différentes sources, notamment par les rapports des ONG. Certains ont été évoqués par les témoins dans ce procès. Mon frère suivait de très près l’évolution politique du pays via le Front. Il avait aussi beaucoup d’amis militants des droits de l’homme sur place, entre autre Fidèle KANYABUGOYI et Ignace RUHATANA, ses amis, membres fondateurs de l’association KANYARWANDA. Ils seront tous les deux sauvagement tués en 1994 avec la quasi-totalité des membres de l’association KANYARWANDA.
En cette fin février 1994, je pars seule au Rwanda voir ma mère qui se reposait en famille à Kigali chez Geneviève et Canisius, mes cousins. Ils habitaient Nyamirambo, près de la paroisse St-André et avaient une pharmacie. Canisius, et Geneviève, sa femme, avaient fui comme moi en 1973. Nous étions au Burundi ensemble. Ils avaient ensuite quitté le Burundi pour regagner le Zaïre à la recherche de meilleures conditions de vie. Ils reviendront ensuite au Rwanda dans les années 80 lorsque le Président HABYARIMANA a incité les réfugiés tutsi à revenir pour reconstruire le pays. Certains de nos amis et membres de notre famille sont rentrés d’exil à ce moment-là, et ils n’échapperont pas au génocide de 1994. Ils ont été emportés en masse.

Je me rends donc au pays, en cette fin février 94, début mars. Ce fut « un voyage au cauchemardesque» ! J’arrive à Kigali le jour du meeting du parti MDR[11] qui avait lieu au stade de Nyamirambo, sur les hauteurs de notre quartier, sous le Mont Kigali. A la sortie du stade, c’était des bagarres entre milices de la CDR[12], du MRND[5], du MDR[11], et du PSD[13], mais on s’en prenait surtout aux Tutsi, les boucs-émissaires de toujours! C’est une période où la RTLM[14], la radio télévision des Mille Collines, était à l’œuvre. Elle diffusait nuit et toujours ses messages de haine, d’horreur et d’appel aux meurtres en citant des listes de Tutsi à tuer ainsi que leur quartier de résidence.

À Kigali, durant cette période, des Tutsi étaient attaqués à leur domicile, et étaient tués, sans aucun autre motif si ce n’est être des complices du FPR!

Dans la nuit du 21 février 1994, le ministre des travaux publics, GATABAZI Félicien, le président du parti PSD, est assassiné. Il était originaire de BUTARE. On a évoqué cet assassinat devant cette cour d’assises. En représailles, les partisans de GATABAZI ont assassiné BUCYAHANA, le leader de la CDR, le parti extrémiste, près de BUTARE, à MBAZI. Très rapidement, certains quartiers de Kigali étaient quadrillés et attaqués. Je pense au quartier de GIKONDO où habitait BUCYAHANA mais aussi ma tante Pascasie et ses enfants et petits-enfants. Ils ont subi des représailles, ainsi que les autres Tutsi du même quartier. Les Interahamwe[1] de GIKONDO étaient réputés pour être des plus extrémistes, réputés aussi pour leur cruauté. En ces mois de février et mars, et dans la ville de Kigali, des Tutsi ont fui dans les églises, et dans d’autres lieux qu’ils croyaient sûrs, comme au Centre Christus, le couvent des jésuites. Beaucoup de nos familles et amis y ont trouvé refuge : ils y passeront quelques jours. Cette semaine fut particulièrement meurtrière à Kigali alors qu’ailleurs, dans le pays, il y avait un calme relatif.

J’évoque toujours cette période avec beaucoup de tristesse. J’aurais aimé faire exfiltrer ma famille, certains d’entre eux, ceux que je pensais être les plus exposés, comme mes cousins, pour qu’ils puissent quitter Kigali! Mais il était déjà trop tard!… Moi, comme d’autres, nous avons échoué… Kigali était bouclée par toutes les sorties, on ne passait plus quand on était Tutsi! La tension était à son maximum!

C’est une semaine où on entendait dans le quartier des cris, des hurlements, des attaques à la grenade qui rythmaient ces journées sans fin!

Tous les jours, on subissait des provocations de miliciens, avec des projectiles sur le toit de la maison. De gros pneus brûlaient à longueur de journée devant la pharmacie, dans le caniveau, sur le boulevard.

Je me souviendrai toujours des conseils trop naïfs de ma cousine Geneviève qui me disait de ne porter que des pantalons, on ne sait jamais, car elle et les autres femmes portaient des caleçons longs sous leur pagne ! Comme si cela pouvait éloigner les violeurs… !

L’insécurité était totale dans le quartier de St-André et ailleurs dans Kigali. Nyamirambo était réputé pour être habité par beaucoup de Tutsi. Ma mère était très inquiète, et elle me dira qu’il faut partir le plus vite possible, comme en 1973… «  Cette fois-ci, tu as ton mari et des enfants, il ne faut pas que la mort te trouve ici et que l’on périsse tous en même temps! » Elle ne se faisait plus d’illusion ! Par l’aide d’un ami, j’ai pu avancer ma date de retour… !

Moi, j’ai sauvé ma peau, mais pas eux !

Dans la semaine, j’ai appelé ma famille de BUTARE et leur ai conseillé de fuir le plus vite possible. Dans leur naïveté, ils m’ont répondu que ce sont des histoires politiciennes de Kigali et que ça ne pouvait pas se produire à BUTARE où le calme régnait. Ils étaient aussi confiant grâce à la bonne gouvernace du préfet J.B. HABYARIMANA.

Le retour en France en ce mois de mars 1994 fut très dur, avec ce sentiment de culpabilité qui ne me quittait jamais. Je me sentais coupable et lâche de les avoir laissés, de les avoir abandonnés dans ces moments critiques…! Nous prendrons des nouvelles régulièrement par l’intermédiaire d’un ami. Au vu de l’insécurité grandissante, ma famille a fini par se réfugier à la paroisse St-André pendant la semaine qui a suivi mon retour.

Alain, se met à alerter de nouveau : il écrit à François MITTERRAND, mais c’est un cri dans le désert! Il ne sera pas entendu à l’image de l’appel de Jean CARBONARE[15] et d’autres ONG.

Le 6 Avril 1994,  je ne me souviens plus exactement de cette soirée en famille. Je me souviens surtout de la matinée du 7 avril, très tôt, le matin, où Alain qui écoutait RFI m’a annoncé la chute de l’avion et la mort du président HABYARIMANA. Dans la foulée, je téléphone à mon frère à Bruxelles pour avoir des nouvelles fraîches. Mais avant même de quitter la maison pour aller au travail, je reçois un coup de fil d’une compatriote journaliste, Madeleine MUKAMABANO, qui m’annonce l’attaque du couvent des Jésuites à Remera, à Kigali, et de la famille Cyprien RUGAMBA , un historien, ami de la famille. Mon frère m’apprend également le sort incertain des personnalités de l’opposition dont celui de Madame UWILINGIYIMANA Agathe, Premier ministre. Je connaissais Agathe jeune, nous étions sur les mêmes bancs au lycée notre Dame et elle était de la région de BUTARE comme moi, on prenait le même bus pour aller au Lycée.

Avec le voyage que je venais de faire, j’ai compris que la machine d’extermination était cette-fois ci en marche !

Au matin du 7 avril, peu avant 6 heures, nous apprendrons que des militaires ont investi la maison à Nyamirambo. La pharmacie est pillée et tous les occupants sont priés de sortir, les mains en l’air, dans la cour intérieure entre la maison d’habitation et la pharmacie. Ils devaient être autour d’une douzaine avec les amis et visiteurs qui n’avaient pas pu repartir chez eux au vu de la situation. Ils vont réussir en ce matin du 7 avril à rejoindre l’église Charles LWANGA, de l’autre côté du boulevard, moyennant une somme d’argent ! D’autres Tutsi du quartier les rejoindront. Ils passeront cette première journée du 7 ainsi que la nuit dans l’église.

Le 8 Avril, dans la matinée, peu avant 10 heures, des miliciens accompagnés de militaires attaquent l’église. Ils demandent aux réfugiés de sortir. Des coups de feu sont tirés, des grenades explosent, des corps tombent et jonchent le sol de l’église, tandis que d’autres réfugiés tentent de s’enfuir vers l’extérieur en empruntant les escaliers pour rejoindre les habitations !

Ma mère, Suzana MUKAMUSONI, âgée de 70 ans, est assassinée de deux balles dans le dos au pied des éscaliers qui mènent vers le boulevard, dans la cour de l’église. Notre voisine, Tatiana, tombera à ses côtés aussi avec son petit-fils de deux ans qu’elle portait dans le dos. Les trois sont mortellement touchés, ils ne sont pas les seuls, d’autres victimes sont allongées dans la cour, tuées ou grièvement blessées, comme Gilberte, plus connue dans la famille sous son petit nom de Mama Gentille, la femme d’un de mes cousins, l’une des occupants de la maison au matin du 7 avril : elle sera évacuée par la croix rouge vers Kabgayi.

Nous apprendrons plus tard que grâce à une pluie abondante qui s’est mise à tomber, les miliciens et les militaires se sont éloignés pour se mettre à l’abri. Pendant ce temps-là, les survivants de l’église parviendront à atteindre le presbytère et à s’y réfugier. Ce jour- là, mes deux cousins en font partie.
C’est en fin de journée du 8 avril que j’apprendrai la mort de ma mère. Alain a pu avoir au téléphone un des prêtres de la paroisse, le père Otto MAYER, qui lui demande de rappeler en fin de journée. C’est le curé de la paroisse, le Père Henry BLANCHARD, qui lui apprendra le décès de maman. Mon corps m’abandonne en apprenant la nouvelle : je ne me souviens plus de la suite de cette soirée du 8 avril.

Des quatorze occupants de la maison de Nyamirambo, seule Gilberte alias mama Gentille, survivra à l’attaque du 8 avril avec des blessures par balle. Mon cousin Canisius KAGAMBAGE sera fusillé chez les frères Joséphites le 6 juin 1994 chez qui il était parvenu à se cacher avec plus de soixante-dix autres Tutsi dont cinq frères Josephites. Nous avons retrouvé sa dépouille lorsque la fosse de chez les Frères a été ouverte, grâce à sa carte d’identité dans la poche de son pantalon. Quant à ma cousine Geneviève, elle sera tuée le 10 juin, à quatre jours d’intervalle, avec la centaine de réfugiés de la paroisse St-André/Charles LWANGA ! Elle sera jetée dans une fosse commune d’un quartier de Nyamirambo, avec les autres, dont une centaine d’enfants. Ils ont été jetés vivants pour beaucoup d’entre eux, Les miliciens y ont mis des pneus et les ont brûlés avec de l’essence. Et lorsque la fosse a été ouverte en 2004, on n’a pas trouvé de corps, juste des bouts de rotules et quelques mâchoires ! Nous avons même été privés de leurs dépouilles.

Dans cette Cour d’assises, vous avez écouté des rescapés comme Marie Claire, qui cherchent à savoir où se trouvent les restes des corps des membres de sa famille, comme GASANA Ndoba, pour les corps de son frère Pierre-Claver KARENZI et celui de sa belle sœur Alfonsine, assassinés le 21 avril à Butare, des corps qui n’ont jamais été retrouvés.

Difficile d’entamer un travail de deuil!…

Je me souviendrai toujours de ce mois de juin 2004, 10 ans après le génocide, où nous avons dû repartir précipitamment, au Rwanda, lorsqu’une amie nous a annoncé qu’une fosse commune avait été identifiée à la paroisse St-André. D’après certains récits, ma mère pouvait se trouver dans celle-là avec ceux qui avaient été assassinés le même jour. Nous partons tous les deux pour Kigali sans nos enfants. L’ouverture de la fosse s’est faite en présence des familles venues de partout : du Canada, d’Afrique du Sud, des USA et partout ailleurs. Quelques rescapés de Nyamirambo et amis proches étaient là également.

Ce sont des moments difficiles pour les familles et les proches : difficile de contenir ses émotions. Ce sont des moments où se mêlent des cris, des larmes et des crises de nerfs. Il arrive même que l’on se chamaille autour de ces fosses du déséspoir où chacun croit reconnaître ses proches. Chacun va scruter le moindre signe distinctif, un habit, un bijou, une chaussure croyant reconnaître le sien…. Des odeurs qui ne vous quitteront plus jamais, elles restent imprimées pour toujours dans votre corps, dans votre cerveau!

De cette fosse de la paroisse St-André, deux corps seulement ont été formellement identifiés, il s’agit d’un jeune joueur de basket de vingt ans ans, reconnu par son frère. Son corps entier va apparaitre, en tenue de sport, maillot orange fluo, numéro 14 : il semblait dormir d’un sommeil profond, la tête enfoncée dans ce sol rouge sableux de cette terre de la paroisse Charles LWANGA. L’autre corps était celui d’un jeune enfant de sept ans, identifié par son cousin, grâce aux habits qu’il portait ce jour- là.
Pour ma part, je me contenterai d’un bout de bracelet en cuivre et d’un chapelet comme unique signes distinctifs, en espérant que c’étaient ceux de ma mère. Je les ai ramenés aux enfants comme souvenir.

En 1994, au Rwanda, les Tutsi n’ont pas été enterrés, ils ne sont pas morts sereinement, ni paisiblement, ils sont morts dans des souffrances atroces, affamés, assoiffés, humiliés, décapités, brûlés vifs, chassés comme des gibiers, leurs corps dépécés ont été jetés à moitié vivant ou à moitié mort dans des énormes trous, dans des latrines, dans des rivières, des corps mangés et déchiquetés par des chiens, par des rapaces- des corps profanés et niés. Les tueurs prenaient bien le soin de les désabiller pour qu’on ne les reconnaisse pas si jamais on découvre les fosses.

Les Tutsi de BUTARE jetés dans de nombreuses fosses de la ville de BUTARE : à TABA, à l’hôpital – à l’IRST- à la fosse du cimetière de Ngoma, au trou du dispensaire de MATYAZO, au trou de l’hôtel FAUCON, et partout ailleurs dans toutes ces énormes fosses creusées et préparées pour cette occasion à NYAKIBANDA–NYUMBA–KABUYE-GISHAMVU, et partout sur ces collines de MBAZI, de SOVU,… BUTARE a été transformé en charnier ouvert, et détient le triste reccors de la première préfecture des Tutsi génocidés, plus de deux cents mille morts d’après ces macabres statistiques….

Tous ces lieux martyrs, tout ce sang versé, le sang des innocents qui n’avaient commis d’autre crime que d’être nés TUTSI

Nos morts hantent toujours nos esprits, en particulier certains, les enfants surtout, emportés dans leur innocence, emportés sans rien comprendre. Difficile de les oublier. Dans la fosse de TABA à Butare, sur les vingt-six réfugiés chez les sœurs BENEBIKIRA, c’était des enfants de moins de vingt ans. Les exterminer jusqu’au dernier, même les foetus dans le ventre de leur mère. Souvenez-vous de Sabine, infirmière du staff de MSF, à l’hopital de BUTARE, enceinte de sept mois, même Hutu, elle sera assassinée car elle porte un bébé TUTSI. Tuer, éradiquer, effacer toute trace de vie, c’est ça le génocide.

Du côté de ma mère, près de BUTARE, aucun survivant retrouvé à ce jour ! Les familles de ma mère habitaient dans un rayon d’environ 3 km autour de Butare. C’était une fratrie de cinq. Ma mère avait 3 frères et une sœur. L’aîné, Michel RWABALINDA, décédé avant le génocide, avait sept garçons, tous mariés, avec des enfants, et près de trente petits-enfants, je ne connaissais pas les plus jeunes. Ma mère était le second de la famille. Sa petite sœur, Thérèse MUKAKIBIBI , habitait un peu plus loin, sur la colline de Zivu, près de SAVE. Décédée, elle aussi avant le génocide, elle avait eu quatre enfants, tous mariés avec une quinzaine de petits-enfants. Le numéro 4 dans la fratrie de ma mère s’appelait Médard RWAMBIBI, décédé lui aussi peu avant le génocide, il avait eu huit enfants et près d’une quarantaine de petits-enfants. Sa propriété était mitoyenne avec celle du couvent des Sœurs Bénédictines de Sovu. Ses voisins l’appelaient «  le sacristain » Sa femme, Florida, et la quasi totalité de la famille, se sont réfugiés au centre de santé de SOVU et au couvent des Soeurs Bénédictines, ils étaient familiers de ces lieux…. Nous étions très liés à Médard qui nous accueillait à chaque fois qu’on allait en vacances à Cyarwa chez ma mère. Aujourd’hui, sa propriété a été transformée en lotissement pour les veuves de SOVU. Quant au dernier frère de ma mère, Benoit RUBERWA, je ne l’ai presque pas connu. Je l’ai peut-être vu deux fois lorsqu’il est venu clandestinement quand j’étais au Lycée. Benoit a une histoire tragique. Il a grandi chez un oncle en Ouganda, ensuite, jeune homme, il est parti vivre et travailler au BURUNDI, et son rêve était de voir le RWANDA qu’il ne connaissait pas. Il était rentré au Rwanda après les accords d’ARUSHA avec sa famille et ils ne survivront pas à l’hécatombe de 1994. Aucun corps, aucune nouvelle, aucune trâce, j’ai soigneusement évité les procès gacaca de nos familles de Butare pour m’éviter la folie. Nous avons cessé de les chercher au bout de dix ans. Ces familles entières ont disparu à jamais, celle de ma mère, mais aussi beaucoup d’autres dans cette préfecture de Butare. Compter nos morts, c’est s’exposer au vertige et à ce gouffre toujours prêt à nous engloutir… I

Il est impensable d’imaginer que de toutes ces vies qui ne demandaient qu’à vivre, il ne reste rien… !

Le génocide c’est le mal absolu. Le mal dont on ne guérit jamais. Chacun essaie d’y survivre à sa manière, pour éviter de disparaître à son tour.
Le génocide nous a définitivement abîmés.

Après le génocide, pourtant, une seconde vie a commencé avec ce passé qui ne passe toujours pas. Notre première vie s’est arrêtée brutalement un jeudi 7 avril 1994 nous laissant un héritage très lourd. Notre seconde vie, chaotique parfois, est peuplée de nos fantômes familiaux, et de nos êtres si chers ; elle est celle d’une « mémoire trouée », et celle d’un vide abyssal que l’on ne peut combler, elle est celle de l’ « abîme et du néant » elle nous a laissés dans un silence assourdissant.

Aujourd’hui, nous célébrons toujours et perpétuons la mémoire et le souvenir de nos êtres chers. Nous sommes les héritiers de cette mémoire, nous sommes les témoins de cette histoire, que nous devons écrire à l’endroit. Nous sommes des passeurs de cette mémoire, la « Mémoire » du génocide des Tutsi.

Pour ma génération marquée par plus de trente années de lutte contre l’impunité, nous avons une énorme responsanilité. Au Rwanda, on a pu tuer les Tutsi sans être inquiétés de 1959 à 1994. L’impunité était la norme. Aujourd’hui la justice contribue à réhabiliter les victimes, à honorer leur mémoire , à leur donner une sépulture digne. Cette justice est salutaire pour nous tous. Elle est une arme contre l’oubli, une arme contre le négationnisme dont nous avons été témoisn dans cette cour d’assises. Souvenez-vous de ces témoins qui ont travarsé Butare, sans voir aucun cadavre d’avril à juin 94… ! Ces corps invisibles, ces corps fantômes, ces morts qu’on ne veut pas voir, nier les Tutsi jusque dans leur mort .

« Survivre au génocide et survivre ensuite au déni de nos existences, c’est devoir survivre une deuxème fois ». Les témoignages donnés devant cette cour sont une preuve indélébile de ce qui s’est passé dans la ville de BUTARE et sur ces collines martyres des alentours.. Nul ne pourra le nier, nul ne pourra dire que cela n’a pas eu lieu. C’est aussi le rôle de la justice et de ces procès d’assises.
Pour terminer, j’aimerais me souvenir de ces quelques visages qui ont marqué Butare, de ces êtres que nous n’oublierons jamais. Je ne peux pas tous les citer, tellement ils sont nombreux. Butare c’était chez moi, avec tous ces souvenirs d’enfant et de jeunesse qui restent présent dans nos cœurs.

De Butare, j’ai une nostalgie maladive, je connaissais chaque rue, chaque ruelle, chaque sentier, chaque maison et ses occupants, je pouvais me promener les yeux fermés dans notre petite ville de Butare où il faisait toujours bon vivre…

Évoquer nos êtres chers, évoquer leur vie, c’est tenter de leur rendre leur visage, tenter de les habiller un peu et essayer de rassembler tous ces morceaux dépecés, tous ces morceaux désarticulés, tous ces morceaux démembrés de ces corps souillés et dénudés.

Essayer de les sortir de cet anonymat, et les sortir de ces fosses communes où les tueurs les ont jetés dans ces « tombes sans noms »… leur donner une sépulture digne,…

Ces victimes sont restés silencieuses pendant ce procès, et ils ne viendront pas à la barre pour réclamer justice, faute d’avoir survécu, faute d’avoir pu être identifiées dans ces nombreux charniers dont la fosse de TABA où ont été jetées ces soixante-six victimes dont vingt enfants ; le plus jeune avait cinq ans.
Le 30 avril 1994, à 11h du matin, le couvent des sœurs BENEBIKIRA du quartier de Taba, à BUTARE a été attaqué par un groupe d’Interahamwe avec à sa tête le commandant Ildephonse HATEGEKIMANA, du camp de NGOMA.

Ils ont fait monter les vingt-six réfugiés de chez les Benebikira dans deux véhicules de marque Toyota Hillux, appartenant au projet GBK.

Ces enfants s’étaient réfugiés chez les religieuses espérant être à l’abri des tueurs. Beaucoup d’entre eux étaient arrivés de Kigali et en famille avec les religieuses.

Emery SONGA et Thierry BAHIZI Kanyabugoyi

Ont été assassinés :

Kanyabugoyi BAHIZI Thierry, 13 ans
Kanyabugoyi SONGA Emery, 11 ans

Ont été assassinés :

KARENZI Solange, 23 ans
KARENZI KABAYA Malik, 20 ans
KARENZI MULINGA, 15 ans
Séraphine leur cousine

Ont été assassinés :

NTAWEZA ILIBAGIZA Annie Solange, 25 ans
NTAWEZA ICYIZA Clémence, 22 ans
NDARUZARIRA Théophila 32 ans, leur cousine
KASASA, 5 ans, leur cousine

Ont été assassinés :

UWIMANA Angélique, 9 ans
NZAYISENGA Odette, 7ans
MUREKATETE Josephine, 18 ans

Ont été assassinés :

KAYITESI Providence, 14 ans
UGIRASEKURU KANTARAMA Olive, 18 ans
UGIRASEKURU INGABIRE Solange, 16 ans

Ont été assassinés :

KARENZI Jean Perre
KARENZI Wellars

À été assassinée :

MUKAMANA Alice, 6 ans

À été assassiné :

HABYARIMANA, 16 ans

À été assassinée :

UMUGWANEZA Irène, 25 ans

À été assassinée :

UWANTEGE Thaciana, 35 ans

Ont été assassinés

Félicien, le vacher des sœurs
Tacien, le cuisinier des soeurs
Jean Damascène, un jeune appranti de 16 ans

À été assassiné

EPIPHANE, enfant de ce quartier

Au retour de leur sale besogne, les interahamwe se sont vantés d’avoir débarrassé les sœurs de l’enemi et ont fait la fête.

Et, lorsque les sœurs ont demandé où se trouvaient leurs dépouilles, ils ont refusé de le dire.
Cette fosse n’a été découverte qu’en 2002 lorsqu’un habitant du quartier de TABA a voulu creuser une fosse sceptique, il a aussitôt alerté les autorités.

Il a été retrouvé 66 corps dont un tiers étaient des hommes et une dizaine d’enfants de moins de 15 ans.

 

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Je tiens à rendre hommage aux personnalités de premier plan à Butare et qui ont marqué notre petite ville de BUTARE,

La reine Rosalie GICANDA

La reine Rosalie GICANDA communément appelée « Umubyeyi wacu » à BUTARE.
Rosalie était une figure qui nous était tous familière à BUTARE . Elle fut une victime emblématique destinée à être tuée dès les premières heures, ceci dans le but de signifier à la population hutu que l’exterminatin des Tutsi devait être totale et sans exception. Rosalie GICANDA habitait une maison modeste à l’entrée de BUTARE . Elle avait été chassée de NYANZA, de sa résidence royale, après la chute de la monarchie.

Ce qui caractérisait la Reine Rosalie, c’était sa simpliciité, son humilité, sa douceur et sa générosité.
Devant sa maison, sur la rue, il y avait toujours des pauvres et des mendiants, elle leur parlait, elle les réconfortait et leur donnait ce qu’elle avait…

BUTARE semblait être sous sa protection et rien ne pouvait nous arriver, disait-on !
Elle fut assassiné la première, le 20 avril par le Lieutenant Jean Pierre BIZIMANA et le soldat Aloys MAZIMPAKA, sous les ordres du capitaine NIZEYIMANA Ildephonse.

Le préfet de Butare Jean-Baptiste HABYARIMANA et sa famille, peu de temps avant leur assassinat – document : francegenocidetutsi.org

Le préfet Jean-Baptiste HABYARIMANA:  Jean-Baptiste était un ami, avec sa femme Joséphine. Jean Baptiste était un ingénieur civil, il était brillant et droit. Il aurait pu faire sa carreière dans un pays étranger mais il a choisi de rester dans son pays.
Grâce à son courage et à sa capacité de persuasion, il arriva à maintenir la paix dans la préfecture de Butare jusqu’au 17 avril 1994, date où il fut révoqué, arrêté et assassiné dans des circonstances non encore élucidé. Sa femme, Joséphine, et ses deux fillettes furent également assassinées.

Le professeur KARENZI Pierre Claver: KARENZI était un ami très cher avec sa femme Alfonsina. KARENZI était physicien mais c’était un intellectuel complet, touche à tout, un esprit brillant. Simple, sportif, compétent, honnête et patriote , KARENZI imposait le respect dans le paysage de tous ces intellectuels de BUTARE. Pierre Claver KARENZI fut désigné par les planificateurs du génocide à Butare, comme l’ex-Reine Rosalie, comme une victime emblématique destinée à être tuée dès les premières heures, afin de signifier à la population Hutu qu’il ne fallait épargner personne. KARENZI et Alfonsine furent assassinés le 21 avril 1994 et leurs enfants le 30 avril avec les autres enfants cachés chez les BENEBIKIRA. Toute la famille a été décimée.

Je pense à deux amies d’enfance,

Mon amie d’enfance Germaine BENEGUSENGA, infirmière à l’hopital, au CHUB, assassinée avec ses filles. Des jumelles, grièvement blessées, ont été sorties des fosses par la Croix-Rouge et ont survécu à leurs blessures.

Mon autre amie, MUJAWUKIZA Bernadette, a quitté Kigali avec ses trois enfants pour trouver refuge à Butare comme beaucoup d’autres. Elle fut assassinée avec la plus jeune de ses enfants, Clarisse, et Evelyne, sa filleule, fille de Germaine.

Nous ne les oublierons jamais.

Ibuka , ibuka, ibuka, souviens-toi,

« …N’oubliez pas cela fut, non, ne l’oubliez pas… » Primo LEVI

« ….La Justice passe là où il ne reste plus rien d’humain, et c’est tout ce qu’il nous reste dans ce monde pour nous sentir encore vivants…. »

Mes remerciements vont à la cour,
Mes remerciements à nos avocats :
Alice ZARKA et Michel LAVAL qui a débuté ces gros dossiers avec nous dès la création du CPCR, en 2001; Michel LAVAL n’a pas hésité, il n’a pas tremblé et continue de nous accompagner jusqu’à ce jour.
À nos familles et ami-e-s du Rwanda qui nous portent et qui ont compris très tôt les enjeux de la mémoire du génocide des Tutsi.
Ma profonde affection à nos enfants dont l’immense générosité nous a aidéS à poursuivre ce travail de mémoire et de justice. Il n’est pas facile d’avoir des parents comme nous. Ils nous ont acceptés sans jamais nous juger, sans jamais nous rejeter, et ils nous entourent toujours de leur soutien, de leur amour. Nous ne les remercierons jamais assez.

 

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jules COSQUERIC, bénévole

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

 

 

  1. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[][]
  2. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  3. IGA : Centre communal de formation permanente.[]
  4. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
    Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  5. MRND : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA, renommé ensuite Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement[][]
  6. Voir procès de Sosthène MUNYEMANA[]
  7. Le 28 janvier 1993, Jean Carbonare prévient à la fois l’Élysée et le public au JT de 20 heures de France 2: « On sent que derrière tout ça, il y a un mécanisme qui se met en route. On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crimes contre l’humanité dans le pré-rapport que notre commission a établi. Nous insistons beaucoup sur ces mots. »[]
  8. Procès des « quatre de Butare » en 2001 à Bruxelles : Quatre Rwandais condamnés pour génocide à Bruxelles – Le Parisien, 9/6/2001. []
  9. Voir le Tableau récapitulatif des plaintes dans la rubrique « Nos actions judiciaires »[]
  10. Voir entre autres : Les époux Gauthier, des passeurs de mémoire auprès des lycéens, un reportage de France 24 diffusé le 3 avril 2024.[]
  11. MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[][]
  12. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  13. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[]
  14. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[]
  15. Jean Carbonare prévient à la fois l’Élysée et le public au JT de 20 heures de France 2 du Le 28 janvier 1993: « On sent que derrière tout ça, il y a un mécanisme qui se met en route. On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crimes contre l’humanité dans le pré-rapport que notre commission a établi. Nous insistons beaucoup sur ces mots. »[]

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