Procès RWAMUCYO, jeudi 24 octobre 2024. J18


 

Audition de Jean-Marie Vianney NDAGIJIMANA, diplomate, ministre des Affaires étrangères de Juillet à octobre 1994, cité par la défense.

Monsieur NDAGIJIMANA commence par dire qu’il n’était pas au Rwanda en 1994. Et aussitôt de rajouter : « Il y a bien eu un génocide des Tutsi, mais il y a eu aussi un génocide des Hutu. »  ( NDR. La fameuse thèse du double génocide.) Ce génocide des Hutu, insiste-t-il sur question du président, est reconnu par des organisations rwandaises dont il est membre, comme « Les Bâtisseurs du Pont inter-rwandais » (sic). Une illustre inconnue pour beaucoup. Au sein de leurs organisations. ils ont fait des analyses, recueilli des témoignages pour pouvoir faire leurs propres rapports.

Le témoin rappelle ensuite les grandes étapes de sa carrière professionnelle : de « famille hutu et tutsi », il sera, en 1990, ambassadeur du Rwanda en France. En 1994, il apprend qu’il y aura « beaucoup de casse dans le pays. »

A la fin du génocide, Faustin TWAGIRAMUNGU et Seth SENDASHONGA (NDR.Assassiné à Nairobi quelques mois plus tard, « par le FPR » précise le témoin) lui proposent d’entrer au gouvernement comme Ministre des Affaires Étrangères, poste dont il « démissionnera » assez vite, en désaccord avec la ligne du FPR (NDR. D’autres versions de sa « démission » circuleront, mais restons-en la.)

Comme ministre, il avait quatre gardes du corps, « quatre jeunes du FPR » qui lui font des confidences sur « les massacres à grande échelle » commis par le FPR, révélations confirmées par un de ses cousins. Massacres dans le Nord du pays sur le marché de BYUMBA: le FPR aurait rassemblé la population, entouré les lieux et tiré dans le tas! Tout cela, bien sûr, sur ordre de KAGAME (NDR. Accusation en miroir?). Monsieur le président s’étonne alors que, ambassadeur a l’époque des faits, il ne les apprenne qu’en 1994.

Puis d’évoquer plusieurs rapports qui mettent en cause le FPR, rapports qui seront tous mis sous embargo. Un des plus récents, le rapport Mapping qui dénonce les massacres commis au CONGO par les soldats rwandais.

RWAMUCYO, qu’il connaît certainement beaucoup mieux qu’il n’a bien voulu le dire, il l’a rencontré en Côte d’Ivoire ou l’accusé s’était réfugié, « fuyant les massacres ». C’est là qu’il créeront l’association AGIR qui, comme IBUKA BOSE, dénonce « un apartheid mémoriel au Rwanda » les Hutu ne pouvant commémorer la mémoire des leurs. Sur YouTube on peut trouver, dit-il, un document : « Politique de ségrégation mémorielle au Rwanda. »

Ses liens avec l’accusé, il les renforce en Belgique où l’accusé réside aujourd’hui. Il aurait aimé pouvoir collaborer avec toutes les associations de victimes, dont Ibuka Belgique pour les jours de commémoration. Mais il se heurtera à un refus.

« Je suis venu témoigner, ajoute-t-il avec l’assurance qu’on lui connaît (NDR. Il a été cité par la défense) sans parti pris. Je ne suis pas prêt à vendre mon âme pour faire plaisir au gouvernement rwandais » (NDR. Le contraire nous aurait étonné). « J’ai été accusé de tous les crimes, de négationnisme. Ce n’est pas possible de porter plainte contre le gouvernement rwandais. J’ai été révoqué du gouvernement Je ne cours pas après un poste. »

Sur question d’un juré, il reconnaît qu’il ne peut pas aller au Rwanda : « Je ne suis pas suicidaire. »
De dire ensuite que KAGAME lui avait envoyé Aloysie INYUMBA pour lui faire des propositions « mirobolantes ». Il a refusé.

Il révèle ensuite qu’un journaliste dont il ne donne pas le nom (NDR. On sait toutefois de qui il s’agit) aurait « fourni à une Rwandaise qui vit en France depuis très longtemps, sœur de la femme de KABAREBE, des fiches de la DGSE ». Il dira un peu plus loin, sur question de monsieur le président, qu’il s’agit de Dafroza GAUTHIER. (NDR. J’avais compris immédiatement, avant qu’il ne donne le nom de mon épouse, qu’il s’agissait d’elle. Une déclaration qui a dû faire plaisir à la défense. Mais on est là en plein délire paranoïaque. Ce qui n’est pas étonnant de la part d’un témoin qu’on connaît depuis longtemps, friant de procédures judiciaires).

Et sur question d’un juré, le témoin évoque l’arrestation de son ami RWAMUCYO au cimetière de Sannois et les « assassinats sans frontières du FPR ». Et de poursuivre: « Est-ce qu’il y aura un jour une justice pour les victimes hutu? »

Maitre MATHE, qui a la parole en dernier, remercie le témoin de s’être rendu disponible (NDR. L’audition du témoin avait été reportée à deux reprises pour les raisons qu’il avait bien voulu indiquer). « Je vous remercie pour les réponses que vous avez apportées. »

 

Audition de monsieur Faustin MUNYERAGWE, ancien directeur de la prison de KARUBANDA. Cité à la demande du ministère public. En visio-conférence depuis Kigali

Monsieur MUNYERAGWE est l’ancien directeur de la prison de KARUBANDA. Il a été condamné pour génocide, après avoir fait des aveux circonstanciés. Ces derniers tiennent sur 29 pages et constituent un document important du dossier. Aujourd’hui, il a considéré que l’absence totale d’aide et d’implication pour arrêter le génocide à BUTARE de la part des autorités était criminelle.

Au cours de l’audition du témoin, dirigée par la lecture de ses précédents interrogatoires (en 2004 et 2007 devant des enquêteurs canadiens), celui-ci établira avec clarté l’organisation permettant à l’accusé, Eugène RWAMUCYO, de venir réquisitionner des prisonniers pour procéder aux enfouissements des cadavres. Cette organisation souligne l’implication de toutes les autorités et de tous les services, qui supervisent le génocide dans le cadre des conseils de sécurité (élargis ou restreints).

Dans le cadre d’un comité mis un place par le conseil de sécurité préfectoral élargi, monsieur MUNYERAGWE s’est rendu sur trois sites de massacres où les cadavres sont ensevelis : le bois près de centre psychiatrique à KABUTARE, le bois à BUYE (« près du quartier résidentiel ») et TABA.

Suite à la réunion du conseil de sécurité du 23 avril 1994, il est décidé que des prisonniers de KARUBANDA seraient réquisitionnés pour participer à l’enfouissement des corps. Surtout, ceci est confié à la supervision du CUSP[1]. Après cette réunion, monsieur MUNYERAGWE reçoit un coup de fil de Joseph KANYABASHI, bourgmestre de NGOMA lui demandant de bien vouloir prêter des prisonniers à cette fin à Eugène RWAMUCYO. Le directeur de la prison accepte, à condition que soit établie une réquisition en bonne et due forme de la préfecture. Une fois faite, RWAMUCYO se rend directement à la prison pour constituer une équipe. Monsieur MUNYERAGWE dit n’avoir vu l’accusé que deux ou trois fois, puisque les visites suivantes de RWAMUCYO à la prison sont directement traitées par le surveillant en chef. Selon lui, les équipes de prisonniers commencent à ensevelir à partir du 22 ou 23 avril. Jusque 300 détenus sont mobilisés simultanément, répartis en groupes d’environ 90 prisonniers. La première équipe réquisitionnée par RWAMUCYO est conduite sur les lieux par son propre véhicule, muni d’une caisse arrière pour transporter les déchets.

Pendant le génocide, la prison compte jusqu’à 1700 prisonniers, pour une quarantaine de gardiens.

Le témoin reviendra également sur l’assassinat des 23 prisonniers Tutsi (juste avant l’arrivée du FPR) les 26-27 juin et la constitution des conseils de sécurité.

Il sera interrogé par monsieur le président LAVERGNE sur l’arrivée d’un des Caterpillar utilisés pour procéder aux enfouissements dans la préfecture. Un premier engin, garé dans l’enceinte de la prison, ne suffit pas, il ne fonctionne pas bien. Un second, passant par NYANZA, doit prendre la suite.

Le témoin s’étonnera d’apprendre que RWAMUCYO évitait de sortir car il avait peur : il rit et déclare ironiquement « je ne comprends pas pourquoi il ne sortait pas, il était Tutsi ? ».
Dans le cadre des interrogations des parties civiles, le témoin aura des mots très durs à l’encontre des responsables qui refusent d’indiquer où se trouvent les fosses.

Questionné par l’avocat général Me PERON, on apprendra par le témoin que les réunions du conseil de sécurité avaient lieu dans la salle polyvalente (autrement appelée « salle du MRND ») située à côté du CUSP[1]. À « une ou deux reprises », il verra Pauline NYIRAMASUHUKO[2] ainsi que Callixte KALIMANZIRA (NDR. Ce dernier sera poursuivi par le TPIR notamment pour avoir été le « maître de cérémonies » du discours du président Théodore SIMBIKUKWABO le 19 avril 1994[3]).

La défense, fidèle à ses habitudes, cherchera à savoir si la rédaction des aveux de monsieur MUNYERAGWE s’est faite sous la pression des autorités rwandaises. Elle insistera sur le fait que le nom de RWAMUCYO n’apparaît pas dans la liste des participants aux conseils (élargis ou restreints) dans les aveux dressés par monsieur MUNYERAGWE. « Le plus important, c’est que je nomme les chefs de service » lui rétorque le témoin.

 

Interrogatoire de l’accusé sur le fond

Débutant à 15h30, la première partie de l’interrogatoire de l’accusé s’est achevée à 22h20. Durant ces presque sept heures, Eugène RWAMUCYO a été interrogé sur sa participation aux ensevelissements et plus généralement à son rôle dans le génocide à BUTARE.

Monsieur le président cherchera à connaître les activités de RWAMUCYO pendant la période (« une quinzaine de jours », « quelques jours », ça change constamment) entre le 6 avril et la fin de son confinement. « C’est une période bizarre, compliquée, mais on ne fait pas rien » répond l’accusé, qui dit avoir accueilli un certain nombre de proches « fuyant les tueries à Kigali ». Il dit être sorti autour du 21, et monsieur le président relève que c’est au moment où le génocide débute à BUTARE : c’est paradoxal pour quelqu’un qui a peur d’être pris pour un Tutsi ! Pour lui, ce génocide est « redoutés depuis longtemps » car il y avait des « représailles contre la population Tutsi à chaque fois qu’attaquait le FPR ». Et à RWAMUCYO de conclure que « c’est logique, que ça s’entend ». Cette formulation interpelle le président. L’accusé reprend « Il ne faut pas me prendre au mot, je ne justifie pas. Mais c’est le risque qui allait grandissant depuis que la guerre avait commencé ».

Une part importante de la discussion se construira autour de la lecture du rapport rédigé par monsieur RWAMUCYO (mais signé par son référent à l’UNR[4], Alphonse KAREMERA[5]) datant de fin avril et faisant la liste des préconisations en matière socio-sanitaire au CHUB[6]. Chaque point du rapport donnera lieu à des questions de la part de monsieur le président. Celui-ci ne manquera pas de relever les nombreuses inconsistances et incohérences de l’accusé. Ce dernier minimisera l’étendue des crimes, puisqu’il dira avoir relevé et supervisé l’ensevelissement de 300 cadavres à l’église de NYUMBA ou encore une soixantaine au grand séminaire de NYAKIBANDA.

L’accusé dit avoir senti une « odeur de mort » qui venait des « maisons ou des forêts ». Il dit au départ qu’il a senti une telle odeur autour du 21 avril (justifiant qu’il sorte de chez lui, du fait des « risques sanitaires ») avant de revenir dessus, et de le situer après le 25 avril. Ce sera une contradiction parmi beaucoup d’autres. Ce qui amènera monsieur le président à s’agacer : « vous dites tout et son contraire, en fonction de ce qui vous arrange ! ».

Monsieur le président relèvera dans le rapport le terme de « conditions hygiéniques indécentes ». Interrogé, monsieur RWAMUCYO se lancera dans un exposé sur les « déchets qui doivent être évacués », puisque « là où vit l’homme, il y a une production de déchets » (« les excréments, l’urine » précise l’accusé). Le président s’en étonnera.

Se décrivant lui-même et son travail en 1994, RWAMUCYO dira qu’il était « un jeune théoricien qui arrive », avec une « vision idéaliste ». Il dit ne pas s’être « rendu compte de la gravité de la situation ». Répondant à monsieur le président : « vous êtes à 30 ans des événements, et surtout vous y être complètement étranger ».

Selon l’accusé, la grande majorité du travail d’enfouissement a été réalisée avant sa propre intervention, à la fin du mois d’avril. Il répètera à plusieurs reprises, visant indirectement des témoignages à charge entendus les jours précédents, que certains veulent modifier le cadre spatial et temporel: : « ce sont des tentatives de déplacer les faits dans le temps et dans l’espace, c’est ce qu’il se passe depuis le début ». RWAMUCYO soutiendra qu’il n’est pas possible que les nombres de morts allégués par l’accusation ait pu être enseveli en 4 jours, même avec un Caterpillar : « aucun machiniste vous dira qu’une seule machine puisse le faire ». Il ajoutera qu’il ne s’est jamais rendu à la prison de KARUBANDA pour réquisitionner des détenus.

Le président relèvera ce que ce rapport « ne dit pas » : dans tous les documents écrits ou signés par RWAMUCYO, il n’est jamais question de cadavres ou d’enfouissement. Il interrogera l’accusé sur la portée politique du documentaire tourné dans les camps de déplacés en 1993 par RWAMUCYO (NDR. Ce documentaire a été visionné par la cour). RWAMUCYO soutiendra que ce n’est pas de la propagande : il « montre les effets, les dégâts causés par la guerre, le déplacement des populations à cause de la guerre ».

Interrogé par un membre du jury, l’accusé niera avoir vraiment écouté la RTLM (« la RTLM c’était la musique »[7]) et dit qu’il ne pourra « jamais admettre » qu’il y ait eu des survivants dans les fosses sous sa supervision (« il n’y avait pas de survivant quand je suis intervenu en mai »).

Après de nombreuses questions de la cour, monsieur RWAMUCYO sera interrogé par les avocats des parties civiles. L’accusé n’aura pas de vraie réponse à apporter au fait soulevé par l’une des avocates selon lequel l’enfouissement, à même la terre, les corps pêle-mêle et sans marquage postérieur est contre-productif d’un point de vue sanitaire. Seront également évoquées les consignes concrètes de RWAMUCYO concernant les fosses, comme leurs dimensions.

Me PETRE et Me PERON, les avocats généraux, poseront de nombreuses questions, relatives notamment à la chronologie présentée par l’accusé. Ils relèveront eux aussi les nombreuses contradictions qui émaillent les diverses dépositions de RWAMUCYO, sans compter sur les documents d’ordre médical (ou du moins compris comme tels, comme les rapports) ou administratif qui viennent eux aussi contredire la version de l’accusé.

Les interrogations de la défense permettront à monsieur RWAMUCYO de reconnaître une certaine déconnexion de ses activités par rapport à la gravité de la situation. Me MATHE ira jusqu’à qualifier ces rapports de « littérature aberrante ». L’accusé ne pourra qu’acquiescer. Sera également évoquée son absence de vie sociale et de connaissance à (et de) BUTARE. Me MEILHAC, pour contester les accusations (formulées ou non) de dissimulation, énumérera les pièces produites par Eugène RWAMUCYO de son plein gré.

L’audience se terminera là-dessus. L’interrogatoire continue le lendemain. Il se focalisera sur la réunion avec le premier ministre Jean KAMBANDA le 14 mai 1994[8] et la participation de l’accusé.

 

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jules COSQUERIC, bénévole

Jacques BIGOT, pour les notes et la mise en page

 

  1. CUSP: Centre Universitaire de Santé publique de Butare[][]
  2. Pauline NYIRAMASUHUKO : ministre de « la Famille et du  Progrès des femmes » à partir de 1992 jusqu’à la fin du génocide, n’hésite pas à inciter les tueurs, voire son fils Shalom, à violer les femmes tutsi. Jugée au TPIR et condamnée à perpétuité en 2011, peine réduite à 47 années de prison en 2015. Voir également: Madame Pauline, la haine des Tutsis, un devoir historique, podcast de France Culture, 28/4/2023.[]
  3. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir  résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  4. UNR : Université nationale du Rwanda[]
  5. Voir la lecture du 9 octobre 2024 par monsieur le président LAVERGNE de documents et interrogatoires de monsieur Alphonse KAREMERA et monsieur Vincent NTEZIMANA[]
  6. CHUB: Centre hospitalier universitaire de Butare[]
  7. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[]
  8. Réunion du 14 mai 1994 à l’UNR (Université nationale de Butare) avec Jean KAMBANDA, Premier ministre du Gouvernement intérimaire pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide et son audition du 11 octobre 2024[]

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