Procès HATEGEKIMANA / MANIER, mercredi 17 mai 2023. J6


Gendarmerie de Nyanza en rénovation.


Audition de madame Angélique TESIRE, ancienne gendarme tutsi, secrétaire du capitaine BIRIKUNZIRA de la brigade de NYANZA, citée à la demande du ministère public.

Avant que monsieur le président ne lui donne la parole, ce dernier lui demande de se retourner et de dire si elle reconnaît l’accusé. Elle répond par l’affirmative. Monsieur MANIER répond que lui aussi connaît le témoin.

Dans sa déclaration spontanée, Angélique TESIRE, ancienne gendarme tutsi, commence par raconter un épisode marquant dans sa carrière. Elle raconte que BIGUMA lui a un jour ordonné de se mettre en habit civil et de se laisser escorter à l’hôpital afin de se faire examiner. Il pensait qu’elle avait eu recours à un avortement. L’avortement était à cette période un crime sérieusement réprimé et le témoin affirme s’être senti humiliée. Elle pensait que la décision était venue du commandant BIRIKUNZIRA à l’époque. Mais elle a appris beaucoup plus tard que c’était en fait Philippe HATEGEKIMANA qui l’avait lui-même avoué au cours d’une procédure de confrontation en visio-conférence en 2019. Il avait alors refusé que Madame TESIRE ne témoigne contre lui, clamant qu’elle le faisait « par esprit de vengeance. »

Le président LAVERGNE demande à Madame TESIRE de parler de son parcours professionnel. Elle a travaillé à la gendarmerie de NYANZA en tant que dactylographe à partir de 1992. Elle est tutsi, mais ses parents avaient réussi à faire apparaître la mention hutu sur sa carte d’identité pour qu’elle puisse intégrer la gendarmerie. On en apprend plus sur la gendarmerie de NYANZA, qui était située dans un camp à l’écart de la ville, près de la laiterie. La gendarmerie opérait dans tout le ressort de la sous-préfecture de NYABISINDU. Les gendarmes et certaines de leurs familles vivaient sur place. La témoin confirme l’existence de différences de traitements entre gendarmes tutsi et hutu même avant le génocide.

Elle informe aussi le président sur les fonctions qu’exerçait l’accusé au sein de la gendarmerie et confirme qu’il était en charge de la coordination des activités des gendarmes, c’est-à-dire des emplois du temps, des rotations, etc. Il était amené à sortir du camp pour visiter les détachements, contrôler les gendarmes en activité et s’assurer qu’ils avaient de quoi se nourrir.

Quand elle est interrogée sur les attentats du 6 avril 1994, Madame TESIRE affirme que c’est à partir de cet événement que les tueries ont commencé partout dans le pays. À NYANZA, les massacres ont commencé un peu plus tard, notamment après la diffusion du discours du président SINDIKUBWABO, le 21 avril[1]. C’est autour de cette période que, un jour, les militaires en formation à l’ESO (l’Ecole des Sous-Officiers de BUTARE) sont arrivés armés. Ils ont rejoint les gendarmes au cours d’une réunion. Après cette réunion, les militaires et les gendarmes seraient partis de la gendarmerie armés de fusils pour commencer les massacres. Quelques heures plus tard, les militaires sont rentrés à l’ESO et les gendarmes sont revenus à la gendarmerie en se ventant de leurs exploits.

Angélique TESIRE raconte ensuite le jour du décès du bourgmestre de NTYAZO.  Elle l’a vu arriver avec Philippe HATEGEKIMANA. Elle l’a vu ensuite partir du camp dans une camionnette de couleur blanche. Plus tard, elle a entendu dire qu’il avait été tué. Concernant le massacre de l’ISAR SONGA[2], la témoin dit avoir vu l’accusé sortir un mortier du camp. Elle confirme également que HATEGEKIMANA était bel et bien connu sous le surnom de BIGUMA et que personne d’autre dans la région n’avait le même surnom. Elle confirme également que les instructions « assurer la sécurité » dont on a souvent entendu parler pendant la procédure avait bien la signification qu’on lui  attribuait. Ça voulait dire tuer les Tutsi. Selon elle, il ne fait aucun doute que le génocide avait été préparé et planifié depuis longtemps. Angélique TESIRE quitte NYANZA vers le 14 mai 1994.

Quand la défense interroge la témoin, la ligne directrice du questionnement reste la même : y a-t-il eu des attaques du FPR? Ces attaques ont-elles fait des victimes? Autant de questions qui n’ont rien à voir avec l’affaire MANIER qui concerne leur client.


Audition de madame Pélagie UWIZEYIMANA, ancienne gendarme de la brigade de NYANZA, infirmière, citée à la demande du ministère public.

Avant que monsieur le président ne lui donne la parole, ce dernier lui demande de se retourner et de dire si elle reconnaît l’accusé. Elle répond par l’affirmative. Par contre, monsieur MANIER dit ne pas la reconnaître.

La seconde témoin de la journée est Pélagie UWIZEYIMANA. Pélagie était infirmière au camp de NYANZA quand le génocide a commencé. Elle décide de ne pas faire de déclaration spontanée.

Interrogée par le président, elle confirme les déclarations de madame TESIRE sur la vie au sein du camp, sur le surnom de l’accusé et sur ses attributions. Elle mentionne une cérémonie au début de chaque journée, au cours de laquelle, l’adjudant-chef HATEGEKIMANA donnait ses affectations à chacun et à chacune. Tout comme la témoin précédente, elle a vu les militaires de l’ESO[3] arriver le jour où les massacres ont commencé.

Elle a également vu HATEGEKIMANA emmener le bourgmestre NYAGASAZA en dehors du camp. Quand le président LAVERGNE lui demande si elle connaissait les opinions de l’accusé à propos des tutsi avant le génocide, elle répond qu’il utilisait souvent la même expression pour parler de « ces chiens de Tutsi ».

Pour elle, Philippe HATEGEKIMANA a été muté au mois de mai. Elle a entendu parler des massacres de NYABUBARE, de NYAMURE et de l’ISAR SONGA[2] par les gendarmes eux-mêmes.

On apprend également que les gendarmes de NYANZA avaient pour habitude de piller et d’extorquer les biens des Tutsi tués et notamment leurs voitures et que BIGUMA était perçu comme riche, même avant le génocide. On apprend aussi que les gendarmes et les miliciens avaient pour habitude de chanter avant les massacres pour se donner du courage. Madame UWIZEYIMANA a quitté NYANZA vers fin juin avec le reste du camp.

Le témoin termine son audition en remerciant la cour pour la poursuite des génocidaires. Elle se dit « impressionnée et honorée » d’avoir été appelée à témoigner.


Audition de madame Odoratta MUKARUSHEMA, épouse du chauffeur de Philippe MANIER, citée par ministère public à la demande du CPCR.

Avant que monsieur le président ne lui donne la parole, ce dernier lui demande de se retourner et de dire si elle reconnaît l’accusé. Elle répond par l’affirmative. Monsieur MANIER répond que lui aussi connaît le témoin.

Madame Odoratta MUKARUSHEMA, dans sa déclaration spontanée, commence par dire que les événements se sont passés il y a longtemps et qu’elle peut avoir oublié des choses. En 1994, elle habitait à RWESERO, près du camp de gendarmerie. Comme elle avait accouché récemment, elle était chez elle, à la maison.  Elle avait été elle-même gendarme à KACYIRU et dans l’école de gendarmerie. Son mari travaillait là comme chauffeur.  Pendant le génocide, il a conduit Philippe MANIER. Son mari a été arrêté en 1995 puis remis en liberté par le procureur général GAHIMA.  Il serait mort peu de temps après sa sortie après avoir été reconnu innocent.

Tout ce qu’elle sait du comportement hé le monsieur BIGUMA pendant le génocide, elle le tient de son mari qui le conduisait sur le lieu des massacres. Lors de l’arrestation du bourgmestre NYAGASAZA, c’est son mari qui conduisait le véhicule dans lequel d’autres Tutsi se tenaient. Après être passés par le camp de gendarmerie, le véhicule serait revenu sur le secteur de MUSHIRARUNGU, près de chez le témoin. C’est tout près que le bourgmestre de NYAZO aurait été assassiné.

Sur questions de la défense, la témoin est amenée à dire que les « tueries » ont commencé le 22 avril à NYANZA et qu’elle a fui à GIKONGORO le 26 mai 1994. Elle a témoigné dans le procès qui concernait le directeur du Collège du Christ-Roi et devant plusieurs Gacaca[4]. Son mari, Hutu, travaillait depuis longtemps à la gendarmerie. Elle est amenée à redire qu’aucune charge n’a pesé sur son mari jusqu’à sa libération.

Invité à réagir aux déclarations du témoin, monsieur MANIER déclare qu’il donnera ses réactions à ses conseils. Il ne souhaite pas poser de questions.


Audition de monsieur Didace KAYIGEMERA, ancien gendarme tutsi de la brigade de NYANZA, cité à la demande du ministère public.

Invité à se retourner pour savoir s’il reconnaît l’accusé, monsieur KAYIGEMERA répond par l’affirmative. Monsieur HATEGEKIMANA, quant à lui, déclare ne pas reconnaître le témoin.

Après être resté dans le MUTARA jusqu’en 1993, il a été blessé au genou et est resté trois mois à l’hôpital. Il a été ensuite nommé au camp de KAKYIRU, à KIGALI, jusqu’en 1993, avant de rejoindre NYANZA

Ce témoignage ne permettra pas d’en savoir beaucoup plus sur le comportement de l’accusé pendant le génocide. Concernant la personnalité de l’accusé, le témoin rapporte que l’accusé a changé d’attitude à partir d’avril 1994. Ce dernier parlait des « Tutsi ennemis ».

Monsieur KAYIGEMERA précise que c’est le colonel MUVUNYI qui est venu de l’ESO[3] à la tête de ses hommes: les massacres ont alors commencé. Lorsque les militaires sont repartis, les massacres ont continué. Il témoigne avoir vu monsieur NYAGASAZA, le bourgmestre de NTYAZO, dans la voiture de l’accusé avant que Philippe HATEGEKIMANA ne reparte.

 

A noter que depuis le début du procès trois jurés ont demandé à ne plus participer au procès, avec certificat médical à l’appui. Il ne reste que trois jurés remplaçants. 

Rendez-vous est donné pour la reprise du procès le lundi 22 mai, à 9 heures du matin. Nous entendrons alors en visioconférence de KIGALI monsieur Callixte KANIMBA, convoqué en vertu du pouvoir discrétionnaire du président. Sera ensuite entendu le colonel de gendarmerie Jean-Marie Vianney NZAPFAKUMUNSI, naturalisé français sous le nom de MUNSI et présent devant la cour d’assises.

 

Margaux GICQUEL

Alain GAUTHIER

Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page

  1. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir  résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  2. ISAR Songa : Institut des sciences agronomiques du Rwanda[][]
  3. ESO : École des Sous-Officiers de BUTARE[][]
  4. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.[]

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