Procès HATEGEKIMANA / MANIER, mardi 16 mai 2023. J5



Audition de monsieur Cyriaque HABYARABATUMA, détenu à la prison de MAGERAGERE, en visioconférence depuis Kigali. Témoin cité à la demande du ministère public.

La cinquième journée de ce procès s’est ouverte sur l’audition de Monsieur Cyriaque HABYARABATUMA , ancien chef d’État major à la tête de la police nationale après le génocide. Il a été entendu en visioconférence puisqu’il est actuellement détenu à la prison de MAGERAGERE suite à sa condamnation en 2004 pour participation au génocide des Tutsi. Monsieur le Président interroge Monsieur HABYARABATUMA sur son parcours. Il a fait ses études à l’académie militaire de Hambourg en Allemagne puis il est rentré au Rwanda et a été affecté à la tête du corps de la gendarmerie à Butare en août 1990. Il explique qu’à Butare, il y avait 3 camps, la gendarmerie à TABA, l’école des sous-officiers (l’ESO), et le camp NGOMA.

Monsieur le président interroge le témoin sur plusieurs gendarmes dans la préfecture de Butare comme par exemple le capitaine NYIZEHIMANA, le colonel François MUNYEGANGO, François-Xavier BIRIKUNZIRA. Monsieur HABYARABATUMA ne semble jamais au courant de leur situation. Il affirme ensuite qu’il ne recevait des ordres que par le biais de canaux officiels. Le président lui pose ensuite des questions sur le capitaine HATAGEKIMANA et sur le fait que c’est une personne distincte de Philippe HATAGEKIMANA. Il lui demande des précisions sur de nombreux points très précis comme les actions de la garde présidentielle ou du groupement de Tumba.

Viennent de nombreuses questions sur le capitaine BIRIKUNZIRA, supérieur hiérarchique de l’accusé et sur leurs relations, et les relations entre le capitaine et des gendarmes de l’akazu[1]. Le président lui demande ce qu’il s’est passé pendant la réunion organisée par le président SINDIKUBWABO lors de son déplacement à Butare avec les bourgmestres en avril 1994. Monsieur HABYARABATUMA prétend ne pas avoir été présent à cette réunion puisqu’il avait déjà été muté.

C’est pendant cette réunion qu’il est reproché aux bourgmestres et à la population de ne pas assez « travailler », c’est-à-dire de ne pas assez tuer de Tutsi. Le président LAVERGNE pose des questions au témoin sur sa mutation. Il affirme qu’il est parti le 19 avril de Butare avant le massacre de la colline de NYABISINDU ce qui implique qu’il n’aurait pas pu y participer. Il dit qu’il a été réaffecté le lendemain au front : on comprend qu’il n’aurait donc pas pu voir HATAGEKIMANA dans les jours qui sont suivi. Monsieur HABYARABATUMA était une connaissance de longue date de l’accusé, ils ont vécu ensemble à KACYIRU. Quand on lui demande s’ il est surpris des faits dont HATAGEKIMANA est accusé, il affirme qu’il est surpris, mais qu’il avait déjà eu vent de propos haineux de sa part à l’égard de Tutsi. Monsieur le président lui pose des questions sur les armes à disposition des gendarmes. Il répond fusils, mitrailleuse, mortiers. C’était destiné à la guerre. Pour la sécurité, il y avait des petites armes comme des matraques. Les officiers et les adjudants chefs pouvaient avoir les mêmes armes que les officiers, mais ils pouvaient aussi avoir un pistolet de 7 millimètres. Après le génocide, Monsieur HABYARABATUMA a été envoyé au camp d’intégration de GAKO pour être intégré au FPR[2]. Il a ensuite été recruté en novembre 1995 et a travaillé pour l’État pendant plusieurs années avant d’être condamné à la perpétuité en 2004.

Vient le temps des questions des avocats des parties civiles. Maître GISAGARA demande à Monsieur HABYARABATUMA comment il a appris que BIGUMA avait tué des Tutsi. Il répond qu’il l’a appris à son retour de Kigali au mois de juin 1944 par la population sur place. Il lui demande son salaire à l’époque, et si un tel salaire permettait à quelqu’un de s’acheter autant de véhicules que ce qu’avait l’accusé à l’époque. Il répond qu’en faisant un crédit à la banque, c’était possible. Il affirme ensuite qu’il existait bien un système de corruption autour de la commission d’attribution des permis de conduire.  Puis, interrogé par les avocates du ministère public, Monsieur HABYARABATUMA explique la différence entre les compétences ordinaires (la protection de la population) et les compétences extraordinaires (soutien aux militaires) de la gendarmerie. Il détaille quelles armes pouvaient être utilisées quand et par qui et affirme alors qu’on ne pouvait utiliser des mortiers dans le cadre des compétences ordinaires de la gendarmerie. Monsieur HABYARABATUMA est interrogé sur le télégramme de l’État major qui donnait l’instruction de protéger toute la population sans distinction ethnique. Ce télégramme a, selon lui, été respecté sauf quelques cas de gendarmes qui ont fait ce qu’ils voulaient. Concernant les barrages, le témoin dit qu’ils ne servaient qu’à vérifier les identités des personnes qui les passaient pour s’assurer qu’aucun membre du FPR ne pouvait s’enfuir. Quand il lui est demandé si la gendarmerie de Nyanza était dotée de mortiers, il répond que oui. Il répond enfin qu’il a entendu des gens lui rapporter des propos d’HATAGEKIMANA anti-tutsi. C’est enfin au tour de la défense d’interroger Monsieur HABYARABATUMA concernant le nombre de gendarmes à Butare ainsi que le nombre d’habitants, les deux réponses sont très incertaines. Maître ALTIT demande des précisions sur l’organisation des contingents de la gendarmerie et sur les tensions entre gendarmes du nord et du sud. Selon lui, il existait un antagonisme sous-jacent qui n’était pas public. De nouveau, la défense questionne le témoin concernant les attaques du FPR, leur nombre et leur localisation en 1994. Les réponses toujours incertaines ne nous apprennent rien de nouveau. Concernant son implication, il affirme de nouveau qu’il a été muté en dehors de Butare le 19 avril au soir et qu’il est reparti au front le lendemain matin pour combattre le FPR. Il finit par affirmer, suite aux questions de la défense, que rien ne lui a été proposé en échange de ce témoignage.

 


Audition de monsieur Augustin NDINDILIYIMANA, ancien chef d’état-major de la gendarmerie nationale rwandaise. Témoin cité à la demande du ministère public.

Comment rendre compte de la « performance » de monsieur Augustin NDINDILYIMANA lors de son audition. Réfugié en Belgique, il a préféré être entendu en visio-conférence de Charleroi.

Le témoin ne souhaite pas précisément faire de déclaration spontanée : il ne connaît pas vraiment monsieur Philippe MANIER. Il va se soumettre aux questions du président LAVERGNE.

Après avoir déroulé son CV, il reconnaît avoir fréquenté des officiers français qui étaient au Rwanda comme conseillers. La discussion qu’aurait eu Jean VARRET avec Pierre-Célestin RWAGAFILITA[3], il la qualifie de « mensonges ». D’ailleurs, son ami Michel ROBARDEY, qui était venu témoigner au procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA[4], lui a dit que « cette conversation n’a pas eu lieu. »

Autre mensonge, la raison que le ministre James GASANA aurait avancée pour justifier sa fuite du Rwanda : il s’est dit être menacé par « des tueurs obscurs », Amasasu[5], qui n’existaient pas. Quant à BAGOSORA, qui a été jugé et condamné au TPIR[6], c’était « un homme ouvert au dialogue. » A la question de savoir si c’était un modéré ou un extrémiste, le témoin affirme : « Nous ne savons pas ce que cela veut dire. Lors de mon procès, on m’a demandé de charger BAGOSORA. »

A la mi-mai 1994, le témoin reconnaît s’être rendu à NYANZA pour recruter des gendarmes qui devaient assurer la sécurité dans la « zone sûre »[7]. Ayant appris qu’il y avait des problèmes avec un certain Philippe HATEGEKIMANA qui ne s’entendait pas bien avec les gendarmes Tutsi, il a décidé de le faire muter pour l’envoyer au front sous les ordres du major NYIRIMANZI, directeur du camp de KACYIRU. Quant à savoir si Philippe HATEGEKIMANA a été nommé à la protection de Laurent RUTAYISIRE, ce que prétend l’accusé, il l’ignore. Un peu plus tard, il confiera que l’accusé n’a « jamais été nommé chef d’escorte de RUTAYISIRE. »

Le 17 mai, à GITARAMA, il aurait rencontré le président SINDIKUBWABO[8] qui lui aurait dit qu’il était en danger. Cette révélation venait confirmer la lettre qu’il avait reçue d’un ministre. André GUICHAOUA ayant publié une liste d’officiers complices du FPR, le témoin a dû intervenir avec Laurent RUTAYISIRE sur Radio Rwanda pour dire qu’ils étaient bien vivants.

Apparaît alors dans la conversation le nom de Jean-Marie Vianney NZAPFAKUMUNSI, naturalisé sous le nom de MUNSI : il le connaît (NDR. Ce général de gendarmerie sera entendu lundi prochain à 10h30.)

La « déclaration de KIGEME », qui consistait pour les signataires à se désolidariser du gouvernement[9]), il ne pouvait pas la signer : il était à KINSHASA.

Et le discours du président SINDIKUBWABO le 19 avril à BUTARE[10], a-t-il influencé le début des massacres ? « Ce discours n’était pas clair, poursuit le témoin. Il parle de travailler. Tout dépend comment on interprète ce terme. Les gens ont recherché les infiltrés, pas les Tutsi. »

Et l’ennemi de l’Intérieur ? « Je suppose que ce sont ces gens infiltrés. »

Monsieur le président rappelle que le témoin a été condamné et acquitté en appel par le TPIR. Il est resté détenu 11 ans à ARUSHA puis a trouvé refuge en Belgique où il s’investit au sein de plusieurs associations. Lesquelles?

Sur question des avocats des parties civiles, Philippe HATEGEKIMANA évoque son déplacement sur les barrières « pour voir si les gendarmes étaient bien à leur poste pour protéger les Tutsi. »

« Et les bébés qui ont été massacrés étaient-il considérés comme des infiltrés ? » demande mettre TAPI.

Le témoin : « Les gens ont mal compris. »

« Le premier ministre Jean KAMBANDA[11] a avoué devant le TPIR », précise un autre avocat.

Le témoin : « Oui, mais il s’est rétracté. On l’avait manipulé. »

Quant à savoir s’il reconnaît qu’il y a eu un génocide au Rwanda, monsieur Augustin NDINDILYIMANA n’en démord pas : « Je ne peux pas nier ce qui a été reconnu au TPIR. » Impossible, pour lui, de prononcer le mot GÉNOCIDE ! Et d’affirmer que Philippe HATEGEKIMANA n’est pas sorti du camp à NYANZA (NDR. Pourquoi une telle affirmation alors qu’il a prétendu ne connaître que vaguement l’accusé ?) A la mi-mai, il n’a même pas su qu’il y avait eu des massacres à NYANZA.

On apprendra par la suite que pour l’aider à le sortir du pays, le premier ministre le nommera ambassadeur en Allemagne, poste qu’il ne rejoindra jamais.

Sur questions de maître PHILIPPART, le témoin révèle qu’il n’a appris les massacres de NYANZA que lors de son procès devant le TPIR, que la notion de régionalisme dans la gendarmerie était un « cliché », RWAGAFILITA étant du Nord. Quant à « l’ennemi intérieur », encore une fois, c’est quelque chose qui a été « mal compris. » C’est comme pour le discours de SINDIKUBWABO.

Comment reconnaître un « infiltré » aux barrières ? Le témoin ne se démonte pas : « C’est celui qui a subi des entraînements à MULINDI. » (NDR. MULINDI, camp de base du FPR dans le Nord du Rwanda). Comprenne qui pourra.

Sur question de l’avocate générale, madame VIGUIER, le témoin reconnaît avoir été chargé du Comité de crise après l’attentat. À NYANZA, à la mi-mai, l’accusé a été envoyé au front sous le commandement de KANIMBA. Il ne connait pas le surnom de BIGUMA porté par l’accusé.

La défense ne souhaite pas poser de question à l’accusé.

Quant à la personnalité du témoin, adepte du mensonge ou de la langue de bois, chacun jugera de l’efficacité des propos qu’i la tenus devant la Cour.

 

Audition de monsieur Laurent RUTAYISIRE, colonel, ancien directeur de la sécurité extérieure au ministère de la défense. Témoin cité à la demande du ministère public.

Jusqu’au dernier moment, monsieur le président a attendu pour savoir si le témoin répondrait à sa convocation. Monsieur RUTAYISIRE a finalement adressé un courrier dont le président nous donne lecture. Il est dit que la famille MANIER l’a bien contacté pour qu’il vienne témoigner en faveur de l’accusé. Il a répondu qu’il ne viendrait pas, que sa présence au procès était « inutile ».

Monsieur le président donnera toutefois lecture de la déposition de Laurent RUTAYISIRE lors de son audition, en présence des juges belges.

Invité à s’exprimer, monsieur MANIER dit qu’il n’a rien à ajouter.

 

La journée se termine par le visionnage du documentaire « Une République devenue folle » de Luc de Heusch. En voici de larges extraits accessibles sur Dailymotion :

 

 

Margaux GICQUEL

Alain GAUTHIER

Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page

  1. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État. Cf. Glossaire.[]
  2. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  3. Le colonel RWAGAFILITA était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
    Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.[]
  4. cf. Audition du colonel Robardey: 11 février 2014.[]
  5. Amasasu : « Alliance des Militaires Agacés par les Séculaires Actes Sournois des Unaristes », une société militaire secrète qui poursuivait globalement les mêmes objectifs. Amasasu signifie « balles » en Kinyarwanda. Cf. FOCUS – le réseau zéro / les escadrons de la mort / l’Amasasu.[]
  6. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[]
  7. « Zone humanitaire sûre », cf. Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.[]
  8. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide[]
  9. Voir la déclaration des officiers des Forces armées rwandaises du 7 juillet 1994 à Kigeme (document pdf, 56 ko), annexes documentaires en ligne – André Guichaoua : Rwanda, de la guerre au génocide : les politiques criminelles au Rwanda, 1990-1994 – La Découverte (Paris[]
  10. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide).
    Le 19 avril à Butare, il prononce un discours qui sera déterminant pour les massacres qui vont suivre (résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  11. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide[]

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