Procès HATEGEKIMANA / MANIER, mercredi 10 mai 2023. J1


Avant que ne commence, aux assises de Paris, le procès de Philippe HATEGEKIMANA, MANIER depuis sa naturalisation française en 2005, un ex-gendarme de NYANZA (province du Sud), nous avons appris le décès de notre ami Damien RWEGERA qui devait témoigner vendredi matin comme témoin de contexte. Nous nous associons à la douleur de son épouse, de ses enfants et de tous ses amis.

Comme c’est la coutume, le début de la matinée a été consacré à la constitution du jury qui sera présidé, comme dans les deux précédents procès, par monsieur Marc LAVERGNE.

Serment des interprètes.

Monsieur le Président appelle trois interprètes qui déclinent leur identité puis qui prêtent serment.

Déclinaison de l’identité de l’accusé

Monsieur le président demande à l’accusé de décliner à son tour son prénom, son nom, le nom de ses parents, sa profession (sans profession), son domicile actuel (Prison de Nanterre depuis 4 ans), et sa date de naissance (26 décembre 1956).

Annonce des avocats de la défense

La défense est assurée par : Maître GUEDJ, Maître ALTIT Maître LOTHE assistés d’une stagiaire.

Tirage au sort des jurés qui composeront le jury

Il n’y a pas de recours aux jurés suppléants. 6 jurés titulaires et 6 jurés supplémentaires sont tirés au sort parmi les jurés titulaires. 4 jurés sont récusés par la défense, 3 sont récusés par le Ministère public. Le jury titulaire est composé de 4 femmes et 2 hommes. Les jurés prêtent serment à tour de rôle.

Les demandes de la défense
Les avocats de la défense sont intervenus pour formuler plusieurs demandes avant l’ouverture des débats au titre de l’article 328 du Code de procédure pénale. Maître ALTIT est intervenu pour formuler deux demandes.

La 1ère demande est relative à une potentielle violation du principe non bis in idem qui implique qu’une personne ne peut être jugée deux fois pour les mêmes faits. En effet, Maître ALTIT affirme que les juridictions Gacaca, juridictions locales jugeant de crimes commis pendant le Génocide au Rwanda, se sont déjà prononcées sur la situation de l’accusé et ont considéré qu’il n’était pas impliqué dans les faits énoncés devant elles et qu’il était non coupable. Durant ce procès, Monsieur HATEGEKIMANA a été mentionné par des accusateurs à propos de simples “incidents”, et a été interrogé comme témoin à propos de ces incidents.

Puis Maître ALTIT affirme que la “réaction lapidaire du jugement Gacaca” ne permet pas de savoir si ces accusations ont été discutées et rejetées et qu’il incombait au juge d’instruction d’enquêter afin de savoir quels étaient les faits examinés par ces juridictions et ce qui a été dit pendant ces débats. Il existe donc un risque que la Cour d’assise juge l’accusé pour des faits déjà examinés et tranchés par des juridictions dans le non – respect du principe non bis in idem et que l’ensemble du procès ne soit vicié. La défense demande au président d’ordonner des informations supplémentaires.

De manière contradictoire, dans une 2ème demande, Maître ALTIT mentionne une confusion concernant la procédure d’identité. La défense affirme que ces mêmes juridictions ont jugé un homonyme de Monsieur Philippe HATEGEKIMANA et que celui-ci n’a pas été mis en cause paR la Gacaca. La contradiction est d’ailleurs relevée par Monsieur le président. Il affirme qu’il y a une confusion relative au surnom de l’accusé car l’adjudant homonyme qui a été condamné est surnommé «BIGUMA» comme Monsieur HATEGEKIMANA mais que ce n’est pas la même personne que l’accusé. Philippe HATEGEKIMANA a admis avoir été connu sous ce surnom, mais affirme qu’il peut ne pas être le seul connu sous ce nom.

Demande donc des informations supplémentaires.

Puis Maître GUEDJ a pris la parole pour formuler une 3ème demande relative au droit de l’accusé à un procès équitable. Il demande à ce que les témoignages des audiences à venir soient retranscrits à l’écrit afin d’assurer que la défense puisse réagir aux déclarations des témoins et relever des contradictions éventuelles et que l’accusé bénéficie d’une défense convenable. Dans l’hypothèse où cette demande n’est pas acceptée, Maître GUEDJ demande à ce que soient retranscrites, au moins les témoignages de témoins qui n’ont pas été entendus dans le dossier, avant l’audience au titre de l’article 379 du Code de procédure pénal. La Défense invoque un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 9 mars 2022, nº21-82.136 (le président d’une Cour d’assise peut solliciter la transcription des témoignages quand c’est nécessaire).

Dans une 4ème demande, Maître GUEDJ se livre à une critique du système judiciaire rwandais en affirmant qu’il manque d’indépendance, que le Rwanda n’est pas une démocratie et que les prisonniers au Rwanda sont parfois détenus sans procès et soumis à la torture et à des pressions. A ce titre, les témoins appelés à témoigner qui sont actuellement en détention dans des centres pénitenciers au Rwanda peuvent être soumis à des pressions et il convient qu’ils soient entendus avec la certitude qu’ils ne subissent pas de pression de la part des autorités rwandaises. La Défense demande à ce qu’ils soient entendus en présence de l’ensemble des parties en présentiel.

Dans une dernière demande, Maître GUEDJ déplore le fait que la défense n’a pas pu vérifier ce que les témoins ont déclaré sur place. Et qu’ils ont demandé aux juges d’instruction de se rendre sur place au Rwanda et cela leur a été refusé. Ils n’ont ainsi pas pu apprécier la véracité des témoignages. La Défense demande donc au Président d’ordonner la suspension de l’audience et d’ordonner que la défense aille sur les lieux pour pouvoir contre-interroger les témoin (demande de transport sur les lieux)

La réponse de maître PHILIPPART,  avocate du CPCR

Maître PHILIPPART affirme que les points soulevés par la défense ont déjà été soulevés et rejetés par la chambre de l’instruction. Il n’existe pas de violation du principe non bis in idem puisque les juridictions mentionnées ne se sont pas prononcées sur la situation liée à la confusion du surnom de Monsieur HATEGEKIMANA. Pour la condamnation de l’adjudant homonyme, la peine n’a pas été suivie et n’est pas prescrite.
La question de la confusion d’identité fait partie de l’objet des débats et est à discuter lors de la suite de la procédure.

Sur le transport sur les lieux, rien ne prévoit que les juridictions françaises puissent aller siéger dans un pays étranger. Il n’y a pas besoin de contre-interroger les témoins, puisque cela se fera au cours des audiences, toutes les parties ont eu les mêmes comptes-rendus. Il n’y a pas besoin de voir les lieux puisque ceux-ci ont beaucoup changé depuis les faits et il y aura pendant les audiences la diffusion de photos, de plans, de reconstitutions, etc.

Sur la question des témoins détenus au Rwanda, lors des interrogatoires des témoins détenus, il y a toujours un membre du personnel détaché de l’ambassade de France. De plus, même en France, les avocats ne se rendent pas dans les centres de détention. Ce qui a été avancé n’est pas de l’ordre de l’exception de procédure mais a simplement pour but d’influencer les jurés.

La réponse du ministère public 

Le ministère public reprend plusieurs des arguments de l’avocate du CPCR en rappelant le caractère définitif des décisions de la chambre de l’instruction. Concernant la transcription de l’ensemble des témoignages de l’audience, il semble impossible d’émettre une telle demande le premier jour de l’audience, qui plus est alors que l’intervention d’une centaine témoins est prévue. Les témoins au Rwanda ne sont pas entendus depuis les centres de détention mais depuis une Institution au Rwanda.

Décision de la cour sur les demandes de la défense 

Sur la 1ère demande, la cour considère que la charge de la preuve en la matière incombe à l’accusé en matière de chose jugée. En l’espèce, aucun document invoqué par la défense n’est de nature à établir que l’accusé aurait été jugé au Rwanda et que l’accusé aurait purgé une quelconque peine pour les mêmes charges ou qu’il bénéficierait d’une prescription. L’exception liée à la chose jugée peut être rejetée. Concernant les 2ème et 3ème demandes relatives aux suppléments d’informations, la Cour considère que ces demandes sont dénuées de pertinence et rejette ces demandes de suppléments d’informations. Concernant la 4ème demande relative aux transcriptions, Monsieur le Président dit que la demande ne saurait prospérer puisque celle-ci est contraire à l’article 319 du Code de Procédure Pénal.

Enfin, sur la dernière demande de la défense sur les témoins en détention au Rwanda, la cour décide que les allégations sur les pressions sur les témoins détenus ne sont pas étayées par des éléments suffisamment précis. Il y a lieu de rejeter ces demandes.

Rappel des parties civiles déjà constituées ou nouvelles constitutions de parties civiles

Chaque avocat des parties civiles se présente à la barre et déclare les personnes physiques et/ou morales qu’ils représentent.

Appel nominal des témoins

Appel des témoins qui seront entendus pendant l’ensemble du procès.
Appel des experts qui seront entendus pendant l’ensemble du procès.

Énumérations des pièces qui seront versées au débat

Lecture du rapport du président

Une bonne partie de l’après-midi va être consacrée à la lecture du rapport de Monsieur le Président de la cour d’assises. Monsieur le président LAVERGNE commence par énumérer les principales dates de la procédure. Il rappelle ensuite le contexte historique général du génocide au Rwanda, l’organisation administrative du pays, le contexte de la préfecture de BUTARE puis le contexte de NYANZA. Il évoque ensuite le rôle de la gendarmerie dans la préfecture de BUTARE puis plus précisément le rôle de la gendarmerie à NYANZA. Il rappelle que le génocide à BUTARE n’a commencé qu’après la visite du président intérimaire SINDIKUBWABO et du Premier ministre KAMBANDA le 17 avril 1994.

Après avoir rappelé les différentes étapes de la vie de l’accusé, Monsieur le Président va contester tous les moyens avancés par la défense et les rejeter en argumentant pour chacune des demandes. Il va ensuite s’appesantir longuement sur les faits reprochés à Philippe MANIER contenus dans l’ordonnance de mise en accusation des juges d’instruction : l’érection et le contrôle des barrières sous la responsabilité des gendarmes dont Philippe MANIER, le meurtre le meurtre du bourgmestre NYAGASAZA, les massacres de la colline de NYABUBARE ceux de la colline de NYAMURE de la commune NTYAZO le 27 avril 1994. Il rappelle ensuite que l’accusé est poursuivi pour entente en vue de commettre le génocide par sa participation à des réunions, pour terminer par l’évocation des massacres à l’ISAR SONGA[1], faits qui ont été requalifiés suite à l’appel du CPCR.

Enfin, Monsieur le Président rappelle que le recours de la défense à la CEDH[2] a été rejeté.


Audition de monsieur Grégory KALITA, chargé de l’enquête de personnalité, cité par le ministère public.

Le témoin a rencontré Philippe MANIER en février 2020 dans la prison de Nanterre. Il évoque une rencontre heureuse même si l’accusé s’épanche sur sa jeunesse. Ce dernier rapporte que son père lui a transmis la passion du sport. Le témoin évoque ensuite la situation familiale de l’accusé, la séparation de ses parents, puis rapporte en détail les grandes étapes du curriculum vitae de Philippe MANIER.

Le témoin évoque juillet 1994 date à laquelle l’accusé doit fuir au Zaïre. C’est là que sur les conseils de sa connaissance il va changer d’identité : il s’appellera désormais HAKIZIMANA, nom sous lequel Il cherchera à obtenir le statut de réfugié lors de son arrivée en France. En novembre 2017, il part au Cameroun pour rendre visite à sa fille mais oubliera de revenir. C’est lorsque son épouse viendra le rejoindre quelques semaines plus tard qu’il sera arrêté police camerounaise. Après un an de détention, le Cameroun répondra positivement demande d’extradition des autorités françaises.

A Nanterre, l’accusé vit dans l’isolement total, ce qui semble lui convenir. Il s’adonne à la lecture, suivi des cours par correspondance.  Son épouse lui rend visite une fois par mois environ. Monsieur MANIER est considéré comme un homme droit, correct, tolérant, sentimental et affable. Avec les siens, l’accusé est parfaitement intégré en France et il participe aux activités d’une association culturelle En Bretagne.

Interrogatoire de l’accusé.

Monsieur le Président commence par interroger le témoin en lui faisant préciser un certain nombre  d’éléments. Ces questions vont nous permettre d’enrichir la connaissance du passé de l’accusé, son milieu familial, ses différentes formations au sein de la gendarmerie rwandaise et les différentes fonctions qu’il occupera au sein de cette gendarmerie.

Maître GUEDJ, l’avocat de l’accusé, cherche à savoir si son client avait des propos discriminants à l’égard des Tutsi. Le témoin répond que monsieur MANIER n’a exprimé aucune animosité envers les Tutsi et qu’il rend les politiciens responsables de ce qui est arrivé au Rwanda. L’avocat cherche à savoir aussi si le camp de KASHUSHA où s’était réfugié son client a été attaqué par le FPR[3]. Le témoin répond que l’accusé lui en a parlé et qu’il a évoqué la mort de sa mère.

Monsieur le président souhaite que monsieur MANIER parle surtout de sa vie après son départ du Rwanda en 1994. Par des questions de plus en plus précises et insistantes, il oblige l’accusé à reconnaître qu’il a menti sur son identité, qu’il a utilisé des moyens déloyaux pour quitter le CAMEROUN. Comme son épouse, il a utilisé les services de passeurs qui auraient été financés par des religieuses auprès desquelles il trouvait aide et soutien.

Est abordée ensuite la question de la lettre anonyme qui a servi au « couple GAUTHIER » (dixit monsieur le président) pour préparer la plainte contre monsieur MANIER. Les propos de l’accusé sont confus. Il a appris par la presse qu’une information judiciaire était ouverte à son encontre, parle d’une lettre anonyme reçue par l’Université qui finira par le licencier à cause de ses absences répétées. Peut-être faudra-t-il revenir sur cet épisode?

Monsieur le Président revient enfin sur le départ de l’accusé pour le CAMEROUN. Monsieur MANIER continue à prétendre qu’il a rendu visite à sa fille qui fait du commerce et il évoque des problèmes de santé pour justifier le fait qu’il ait oublié de revenir en France. Il attendait l’arrivée de son épouse pour rentrer avec elle. Monsieur le président rejette son explication et rappelle à l’accusé que des écoutes téléphoniques avaient permis de savoir que madame MANIER allait à son tour quitter la France. C’est à cette occasion que la police camerounaise, alertée par les policiers français, a procédé à son arrestation.
Il se fait déjà tard. Monsieur le président souhaite terminer l’interrogatoire par un dernier point. Monsieur MANIER aurait vendu sa maison de KIGALI par l’intermédiaire d’un neveu de son épouse. Sur l’acte de vente figurait le nom du père de l’accusé alors que ce dernier, pour obtenir son statut de réfugier, avait dit que toute sa famille était morte en 1994. L’accusé a menti : « Quand on veut obtenir l’asile, on est bien obligé de ne pas être toujours sincère » finira-t-il par reconnaître.

A 20h30, monsieur le président suspend la séance. Il propose de continuer l’interrogatoire du témoin vendredi matin. On a encore beaucoup de choses à apprendre.

Margaux GICQUEL, stagiaire du CPCR

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Jacques BIGOT, notes et mise en page

  1. ISAR Songa : Institut des sciences agronomes du Rwanda[]
  2. CEDH : cour européenne des droits de l’homme[]
  3. FPR : Front Patriotique Rwandais[]

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