Procès Ngzenzi/Barahira. Vendredi 24 juin 2016. J 33

Audition de Monseigneur Philippe RUKAMBA, évêque de Butare, Rwanda.

Le témoin commence son audition en soulignant que lorsque NGENZI a amené l’abbé Papias à Kibungo le bourgmestre était dans un grand état d’ébriété. Il venait réclamer de l’argent en échange du prêtre. A l’époque des faits, le père Philippe RUKAMBA était curé à Kibungo. Il connaissait bien l’abbé Oreste INCIMATATA avec lequel il participait à de nombreuses réunions. Il connaissait aussi sa famille. Quant à NGENZI, il était membre du MRND, « comme tout le monde », « était une personne normale« . Il ne faisait pas partie de ses intimes.

Alors qu’il se trouvait lui-même réfugié au Centre Saint-Joseph, dans l’enceinte de l’évêché, NGENZI est arrivé et s’est adressé aux prêtres qui étaient là, dont Innocent RUKAMBA (qui aurait aussi dû être entendu mais qui n’est pas en mesure de le faire pour des raisons de santé) et Dominique HABYAKARE. Le témoin se tenait à quelques mètres d’eux, en retrait.

Le témoin avait alors été étonné que l’on puisse demander une « rançon » pour l’abbé Papias car il était Hutu. NGENZI aurait dit aux prêtres présents: « Si vous ne me donnez pas de l’argent, je le donne aux tueurs« . Et le témoin de rajouter qu’il l’aurait certainement reconduit à la commune de Birenga, là où ont été exécutés beaucoup de rescapés. Il s’agissait bien d’un véritable marchandage: « Nous avons discuté pour faire baisser le prix de cette rançon » NGENZI aurait accepté pour 75 000 francs rwandais sur les 100 000 exigés. Il a pris l’argent, est monté dans sa camionnette blanche et nous a laissé l’abbé Papias« . Selon le témoin, NGENZI était armé, un fusil dont le canon était dirigé dans leur direction. Il tenait cette arme dans la main gauche. Le président rapporte alors les déclarations de l’abbé Innocent RUKAMBA, entendu en mai 2011 par le juge d’instruction: « Il faut racheter ce prêtre sinon je vais le tuer comme j’en ai tué d’autres. »

A maître DECHAUMET qui demande des précisions de date, le témoin affirme que cette visite a eu lieu quelques jours avant l’arrivée du FPR, mais pas pendant les grands massacres de Kibungo des 17/18 avril.

L’avocat général demande au témoin d’évoquer les autres massacres perpétrés à Kibungo. Une première attaque a eu lieu le 12 avril au presbytère, d’où leur évacuation au Centre Saint-Joseph. C’est lors de cette première attaque que se situe l’épisode des armes qui auraient été découvertes par les militaires. Le témoin se demande lui-même si ces armes n’avaient pas été amenées par les militaires eux-mêmes dans la mesure où le presbytère n’hébergeait que des vieilles femmes. Le prêtre avait dû toutefois signer un document qui reconnaissait l’existence de cette cache.

Une autre attaque se déroule le 15 ou le 16, à Saint-Joseph, où sont rassemblées près de 1200 personnes. Le témoin sera amené à préciser que cette attaque des lieux de culte n’est pas le propre de Kibungo. Dans tout le pays les églises sont devenues des lieux de massacres. Les gens y ont-ils été rassemblés dans le but de les tuer? « Politique d’entonnoir? » demande monsieur COURROYE. Le témoin ne peut le dire, « c’était une stratégie possible toutefois« . Mais les communes ont aussi été des lieux de rassemblement. Ce phénomène n’était pas nouveau car lors des pogroms des années précédentes, les églises avaient toujours servi de refuge. Et le témoin d’énumérer un certain nombre de lieux de culte où les Tutsi ont été exécutés. En tout cas, en 1994, il s’agissait bien d’une « chasse aux Tutsi« . Et pour l’abbé Papias, il s’agissait bien d’une rançon qu’il fallait verser. Et l’avocat général de dire au prêtre: «  Vous avez des références dans l’Evangile »! L’évêque de répondre: « Ça fait penser à Judas! »

Selon l’avocat général, l’abbé Papias, qui n’est plus là pour le confirmer puisqu’il est décédé quelques temps après, se serait confié à l’abbé Innocent RUKAMBA:  » NGENZI lui aurait dit, sur le trajet, qu’il le tuerait s’il n’obtenait pas l’argent. Quant à la fille Edith, NGENZI l’a tuée! » Le témoin ne peut certifier que ces propos sont vrais, mais ils sont « plausibles » car il reconnaît qu’Innocent avait les confidences de tout le monde.

Maître PARUELLE d’interroger le témoin sur l’existence de listes. « Ce n’était pas la première fois. On en dressait à chaque pogrom. Mais elles restaient aux mains des autorités. »

Maître MATHE centrera l’essentiel de son intervention sur la rançon versée. Elle revient à l’article de Jean CHATAIN auquel l’abbé Papias s’était confié [1]. Selon ce dernier, l’argent était destiné à être remis aux militaires. Il est vrai, mais le journaliste de l’Humanité avait laissé entendre qu’une part aurait pu revenir à NGENZI lui-même!

Le président décide à ce moment de procéder à une confrontation de NGENZI avec le témoin. La parole est donnée à l’accusé. Et ce dernier de se lancer dans des explications assez peu convaincantes. Il n’aurait reçu que 40 000 francs! Et encore, ce n’est pas lui qui serait entré à l’évêché! Le reste de la somme dont il avait besoin, soit 50 000 francs, il l’aurait demandé à son épouse qui, un peu plus tard, spontanément, évoquera à son tour ces 50 000 francs qu’elle remettra à son mari, au risque de ne plus avoir d’argent pour subvenir aux besoins de sa propre famille. Elle ne pouvait lui refuser cette somme, monsieur NGENZI ayant toujours été généreux!

Pour en revenir au témoin, il va ajouter que cette somme payée de sa poche devait servir à « sauver les prêtres à l’intérieur« , qu’il devait remettre cet argent pour sauver sa vie et celle des autres prêtres! Ce n’est pas du tout la version de monseigneur RUKAMBA qui atteste avoir remis lui-même 50 000 francs.

A l’avocat général, NGENZI va redire qu’il n’a jamais eu d’arme, que ce jour-là il n’avait pas eu le temps de boire et qu’il ne se voyait pas dans le miroir pour voir la tête qu’il avait: « Après le 13, je n’ai plus eu le temps de penser à moi-même« . Et monsieur COURROYE de s’adresser de nouveau à l’évêque: « Selon vous, sans vous occuper de ce que dit NGENZI, ce dernier est-il seul ou accompagné? » « Il était seul » « L’argent a-t-il été remis à NGENZI? » « Oui! » Et l’avocat général de conclure: « Parce que si vous vous calez sur les déclarations de NGENZI, il va vous dire qu’il a vu la Vierge! » Rires dans la salle.

Audition de Bellancila UWAMBAYIMPUMBYA, épouse d’Octavien NGENZI.

Le témoin se présente donc comme l’épouse de monsieur NGENZI et regrette de n’avoir pu être entendue plus tôt.

« Femme heureuse, j’avais un bon mari qui était bon père, doux, conciliant, qui n’avait jamais de haine. » Ainsi commence le témoignage de l’épouse de l’accusé. Après avoir travaillé à Kigali au MINIJUST ( NDR: Ministère de la Justice), elle a été mutée à Byumba et lorsque son mari a été nommé bourgmestre, elle a obtenu un poste au tribunal de canton de Kabarondo.

Son mari était quelqu’un de bien, il ne pouvait faire du mal à personne. Elle est restée avec lui « pour le meilleur et pour le pire« . Le 7 avril au matin, c’est elle qui a réveillé son mari pour lui annoncé la mort du président HABYARIMANA. « Je voudrais rendre hommage à mes compatriotes de Kabarondo, je suis attristée comme tout le monde, c’était mes amis, mes proches. Pendant le génocide, j’étais une mère, une femme simple qui vivait simplement. Mon mari aussi. »

De poursuivre:  » J’ai perdu onze membres de ma famille. J’admirais mon mari pour son courage depuis le 13 avril. Il a travaillé avec le prêtre pour informer sur ce qui arrivait, demandant à la population de rester chez elle« . Son mari est intervenu pour assurer la sécurité lors de la mort de la mère de KAJANAGE, un ami. « Avant le 12, ajoute-t-elle, NGENZI a fait livrer du bois de chauffage. L’abbé INCIMATATA a pris beaucoup de légumes dans mon jardin et mon mari ramenait tous les jours des blessés à l’hôpital« . Ce jour-là, le bourgmestre de Rukara, MPAMBARA, est venu conduire son épouse. Ils pensaient que les choses allaient se calmer.

Le 13 avril, le témoin dit avoir entendu une explosion en fin de matinée. Son mari était en train de l’aider à plier les habits et à préparer les bagages en vue d’un départ imminent. Par un policier, ils apprennent qu’une grenade a été lancée sur un convoi de militaires qui partaient au front. Le bourgmestre de Rukara est alors arrivé pour reprendre son épouse. Alors que les militaires avaient clairement dit, à une station d’essence, que NGENZi était un complice du FPR, ce dernier décide de se rendre à la maison communale.

Enceinte de trois mois, le témoin reste seule avec ses enfants, « pétrifiée« . A la tombée de la nuit, son mari est rentré. Il avait choisi de rester devant la mairie « pour y être tué et préserver sa famille. Je le voyais pétrifié, déçu par les militaires qui venaient de tirer sur les gens ». Le 13 au soir, sont arrivés les enfants d’Edouard MURENZI, sur les conseils du curé de la paroisse.

Le 14 avril, ce sera le départ en direction de Kibungo, mais sans une certaine Edith qui a voulu rester avec son enfant. L’abbé Papias était venu se réfugier chez eux vers 9h30. Elle quitte la maison avec ses propres enfants, direction une école de Kibungo, la voiture étant conduite par un chauffeur. Mais faute de place, elle devra se résoudre à rejoindre la maison du bourgmestre de Kigarama où on leur attribue une petite chambre. Son mari la rejoindra le 16 au soir avec sa belle-mère qui aurait voulu retourner chez elle. NGENZI  demande alors 50 000 francs à sa femme pour payer la rançon de Papias! (NDR: étonnant, lui fera remarquer le président, qu’elle fasse allusion à cet épisode lors d’une déposition spontanée! Maître MATHE lui demandera même, malicieusement, si elle n’aurait pas entendu cela de son mari le matin-même alors qu’elle attendait son tour dans la salle des témoins!)

Ils resteront à Kigarama jusqu’au 19 où ils se dirigent vers Rusumo pour passer en Tanzanie. Alors que son mari était parti faire des courses, il aurait été molesté par des militaires qui le considéraient comme un complice du FPR… Mystère! Et de répéter que son mari a tout fait pour dissuader les gens de faire du mal, son mari a « toujours sauvé, toujours sauvé… »

Et de conclure: « Aujourd’hui, je dis que mon mari a été un des rares bourgmestres qui ont sauvé les dégâts. Mon mari est quelqu’un de trop bon. Il a eu la malchance de se trouver là.. Il a fait humainement ce qu’il pouvait faire ». Et d’ajouter:  » J’ai envie de dire à la Cour et aux jurés… je remercie la France de m’avoir accueillie avec mes enfants, d’avoir mis ce dispositif du tribunal pour dire la vérité que j’attends depuis longtemps… J’attends que ce procès soit juste car je me sens aussi victime… Je demande à la Cour … (long silence) de discerner tout ce qui s’est dit et de ne pas… ( autre long silence) Je me pose la question de savoir si vous comprenez NGENZI… C’est un homme innocent… Vous êtes la justice… »

Le président dit comprendre son émotion et la rassure: « Nous avons été très attentifs à tout ce qui s’est dit. Pour le reste, je ne peux rien en dire. Je ne peux pas dire ce que sera la décision… Le meilleur, vous l’avez connu… Le pire aussi à partir du moment où  votre mari a été arrêté« .

Et de revenir sur l’argent que son mari lui aurait remis. Il s’étonne qu’elle n’en ai jamais parlé dans sa déposition: «  Mon mari s’oublie pour les autres. L’argent, c’est quelque chose d’important pour une maman. Mais c’était de l’argent pour qu’il puisse dédouaner le Père Papias. Avec mon mari, on vivait en symbiose pour la famille. Il pouvait donner tout ce qu’il avait pour sauver les gens. C’est une preuve de générosité de sa part. »

La partie de l’audience consacrée aux questions a été remise dans l’après-midi.

Méthodiquement, le président, monsieur DUCHEMIN, va reprendre les faits dans leur chronologie: NGENZI qui « sillonne » le pays pour demander aux gens de rester chez eux et mettre en place la sécurité, livraisons au bénéfice des réfugiés de l’église, les grenades du 13… Le témoin redit que son mari n’est pas allé à l’église ce jour-là, qu’il est resté à la mairie:  » Il était pétrifié, tétanisé… Si mon mari n’est pas mort, c’est la Providence. On voulait sa peau. Il était menacé par un militaire qui savait bien tout le bien qu’il avait fait ». Edith et sa fille son venue chez eux, avec une jeune du nom d’Alice qui avait 10 ans ( elle sera entendue un peu plus tard). RWAGAFILITA [2]? Elle ne l’a jamais vu chez elle. Dire que c’est lui qui l’avait aidé à être bourgmestre? « Ce n’est pas lui qui choisissait les bourgmestres« . Et le rôle de son mari dans les perquisitions? « Ceux qui ont témoigné contre lui auraient dû témoigner pour lui. Ils ont eu des pressions pour témoigner contre lui. Je ne peux pas comprendre le curé de la paroisse… Ce sont les gens que vous avez aimés qui vous font du mal… UMUTESIKAREKEZI, lui que je considérais comme mon beau-père… Je fais totalement confiance en la justice française. Je vous encourage à continuer. J’attendrai le temps qu’il faut pour connaître la vérité. »

Plusieurs jurés vont à leur tour poser des questions au témoin. « Vous avez eu la tentation de fuir comme MPAMBARA? « J’ai fui le 14 et mon mari est venu me rejoindre le 15 au soir« . Pourquoi son mari a-t-il changé de nom? « C’était dangereux pour mon mari de vivre sous son vrai nom. Seth SENDASHONGA a été assassiné à Nairobi! » Pourquoi tant de mensonges proférés contre son mari?  » C’est à cause de la notoriété… Toutes les anciennes autorités doivent être jugées… Le TPIR, lui, a compris, puisqu’il a acquitté des personnes malgré l’accusation des témoins« .

Maître DECHAUMET lui demande de préciser le nombre de victimes à l’église. Le témoin parle de 200 à 300 morts. Son mari en évoquait 150 à 200! L’avocate d’insister: « En 2016, vous parlez toujours de 300 morts? » Et le témoin, sans se démonter: « S‘il y avait 300 morts en 1994, il n’y en a pas plus aujourd’hui! » L’avocate de lui rappeler qu’elle a oublié un zéro! Interrogée sur les dates, le témoin s’offusque: « On cherche à prolonger les dates. Mon mari est resté avec moi à partir du 15 à Kigarama. Les militaires sont venus chercher les gens chez nous le 14. Et le 16 NGENZI est revenu chercher ma mère. »

Au tour de maître GISAGARA d’interroger le témoin: départ d’Odette, la femme de MPAMBARA, courage de son mari pour enterrer les victimes de l’église… et achever les blessés… Les Abalinda [3]? Pourquoi laisse-t-elle mentir son mari pour sa demande de réfugié à l’OFPRA? « Mon mari était en danger. Et puis Mayotte, c’est l’Afrique. S’il n’avait pas changé de nom, peut-être qu’il serait mort. » Ils ont encore des biens au Rwanda? Oui, une maison d’habitation, un magasin, une forêt.

L’avocat général commence par lui dire que le ministère public est sensible à sa souffrance mais qu’il doit lui poser des questions. Leurs relations avec KAJANAGE?  La grenade aurait été lancée par des réfugiés? INCIMATATA ment quand il dit que la commune n’a jamais apporté d’aide?  » Je pense qu’il ment. Les gens à l’église n’ont jamais eu ni faim ni soif! » L’avocat général se fâche: « Madame, ça frise l’indécence! » « Tous les témoins sont des menteurs? Elle confirme.

Parole à la défense. Maître MATHE fait remarquer à monsieur COURROYE qu’il n’est pas nécessaire de parler avec véhémence au témoin. L’avocate de poser quelques questions: vous êtes allé voir ce qui s’était passé à l’église? « J’étais vulnérable« . Vous avez bien dîné le soir? « Mon mari était plus mal que moi ». L’enfouissement des corps: vous en avez parlé? « C’était une marque de respect ». Et d’ajouter: «  Le temps vous dira que mon mari est innocent. Mon mari était en danger de mort. Il aurait pu tomber dans une embuscade avant le 13! » Toujours les questions de calendrier. Le témoin confirme ce qu’elle a déjà dit. Et l’avocate de suggérer que le régime en place fabrique de faux témoins! Elle ne peut que se dire d’accord.

Condescendante, l’avocate: « Beaucoup de gens envient votre mari d’avoir une femme comme vous ». Quelques questions sur la vie en exil concluront l’audience: deux ans à Benako, puis seule au camp de Nkole à cause des pressions faites sur la Tanzanie pour qu’on arrête son mari… NGENZI part au Kenya… Accouchement à Mombasa… départ aux Comores pour rejoindre son mari et où elle travaille pour Caritas (Secours Catholique), enfin départ pour Mayotte en kwassa-kwassa. Là, elle fera une formation d’auxiliaire de vie et d’aide soignante en attendant la réponse de l’OFPRA. Depuis son arrivée en métropole, elle ira voir son mari à deux reprises à Mayotte. Depuis son arrestation, ils n’ont jamais vécu ensemble puisque son mari a rejoint la prison.

Audition de Felicia KANTARAMA, en visioconférence.

Voilà l’exemple d’un témoin dont on se demande pourquoi il a été cité. Elle se contente de dire que pendant le génocide, ce n’était pas simple pour les citoyens ordinaires. Elle a fui et ignore tout de ce qui s’est passé. Elle se cachais et ne détiens aucune informations sur les deux accusés. le témoin a regagné son domicile après un séjour dans les camps. Elle ne sais même pas où se trouvent actuellement les accusés.

Le président interroge toutefois le témoin car elle aurait dit à Jacqueline MUGUYENEZA qu’elle aurait vu BARAHIRA tuer François NTIRUSHWAMABOKO. Elle redit qu’elle ne dispose aucune information sur cette affaire. Elle se cachait avec la mère de Jacqueline: elle n’a jamais dit ça.

Maître GISAGARA l’interroge sur les Interahamwe [4] qu’elle avait dit ne pas connaître.  » Les Interahamwe? Compte-tenu de l’intelligence limitée d’une vieille femme, je m’étonne que vous me posiez la question! » avoue-t-elle. Et finira par dire: « Ce sont des gens qui se liguent ensemble », donnant par là le sens premier du vocable.

On s’en tiendra là avec ce témoin.

 

Audition d’Alice UWIMPHURA, 10 ans en 1994, réfugiée chez NGENZI.

Très émue, le témoin commence par remercier Octavien NGENZI de lui avoir sauvé la vie. Elle était arrivée le 4 avril à Kabarondo, après son baptême. Réfugiée dans une cave du presbytère avec sa marraine Edith et l’enfant de cette dernière, elle entend ce qui se passe à l’église, cris, explosions, morts… Menacées de mort, on leur demande de rejoindre les autres dehors. L’abbé INCIMATATA va leur conseiller de se rendre à la  maison des NGENZI. Le témoin est donc partie avec la fille de sa marraine qui les rejoindra la nuit venue. Elle ne fait connaissance du bourgmestre que le lendemain. Lorsque Edith  se jette dans ses bras, NGENZI la rassure. Mais elle refusera de partir avec l’épouse du bourgmestre: seule Alice l’accompagne. Le 15, elle revoit NGENZI avec sa belle-mère. Elle restera deux ans à Benako, se considérant comme la fille de la famille. Aujourd’hui, elle s’interroge: « Si NGENZI est un tueur, pourquoi le prêtre nous aurait-il dit d’aller chez lui? A quel moment a-t-il pu commettre ce dont on l’accuse ? »

L’avocat général s’étonne qu’elle ait pu, vu son âge en 1994, reconstituer ainsi tous ces souvenirs. Il a probablement fallu en parler avec des gens de la communauté! Un juré lui fait préciser qu’elle est Hutu. Maître DECHAUMET lui fait remarquer que ce qu’elle dit ne correspond pas à ce que beaucoup de témoins disent.  » Ce que je vous dis, c’est ma vérité« .  Elle était Hutu? Que risquait-elle? « Je risquais la mort car ma marraine était Tutsi« .

Maître AKORRI lui rappelle l’existence de ceux qu’on appelle les « tueurs/sauveteurs« . Elle n’a pas été témoin de cela. Maître GISAGARA s’étonne qu’il ait sauvé le témoin et qu’il n’ait pas pu sauver sa marraine. Maître MATHE l’interroge sur sa nouvelle vie en Europe. Le témoin a vécu en Allemagne puis est venue en France. Elle n’est jamais retournée au Rwanda, pour le moment, pays où elle a encore de la famille. L’avocate lui demande enfin d’évoquer des souvenirs matériels qu’elle garderait en mémoire. Et le témoin d’énumérer tout ce qu’elle a déjà dit.

Lecture de quelques éléments de la déposition de Claire MUTETERI qui a eu peur de témoigner car elle a encore de la famille au Rwanda. NGENZI leur aurait remis des cartes d’identité hutu à Rusumo, pour sa mère et pour elle.

Lecture du certificat médical en date du 20 juin 2016 concernant l’abbé Innocent RUKAMBA.

L’abbé Innocent RUKAMBA n’a pu être entendu pour des raisons de santé. Sa déposition en date du 20 mai 2011 n’apporte aucun élément vraiment digne d’intérêt.

 

Alain GAUTHIER

  1. « Mgr Rubwejango : 800 réfugiés exécutés dans mon évêché«  – article de Jean Chatain publié dans « L’Humanité » le 30 avril 1994 – Source : http://francegenocidetutsi.org/ – Jacques Morel, La France au cœur du génocide des Tutsi, Paris, Izuba/L’Esprit Frappeur, 2010.
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  2. Le colonel RWAGAFILITA était l’homme fort de la région, éminence grise du pouvoir génocidaire. Il valait mieux bénéficier de ses faveurs pour devenir bourgmestre… Il fut parmi les activistes les plus impliqués dans les massacres autour de Kibungo dont il était originaire. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  3. Abarinda : dans secteur de NGENZI, ce groupe avait repris le nom traditionnel « des gens qui savent chasser » pour l’appliquer à la traque des Tutsi.
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  4. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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