- Audition d’Eliezer NGENDAHIMANA, agriculteur.
- Audition d’Ernest NTAGANDA en visioconférence.
- Lecture de l’audition de Joas NSHIMIYIMANA,
à propos duquel la président avait décidé de « passer outre » la veille. - Audition de Samuel NSENGIYUMVA, agriculteur.
- Audition d’Onesphore BIZIMUNGU, en visioconférence. Témoin cité par la défense.
Audition de Monsieur Eliezer NGENDAHIMANA, agriculteur.
Le témoin parle de la « réunion de sécurité » qui s’est tenue le 13 avril 1994 sur le terrain de football de Cyinzovu, réunion dirigée par monsieur Tito BARAHIRA et à laquelle les habitants auraient été invités par une lettre reçue par l’un d’entre eux, Samuel NSENGIYUMVA. Il s’agissait de faire le point sur la situation dans chaque cellule. On reprochait aux habitants de Rugazi de ne s’être pas assez occupés de la sécurité dans leur cellule. On leur demande aussi d’aller épauler ceux de Nyabisenga mais ils refuseront de s’y rendre. La consigne était de ne « pas tuer les femmes tutsi qui avaient épousé des Hutu car ces femmes n’avaient pas d’ethnie« . (NDR: L’interprète, qui est tenu à une traduction « mot à mot », ne dira pas que cela signifie « violer », le viol ayant été une arme du génocide.). Par contre, pas de pitié pour les couples tutsi et leurs enfants. Le témoin estimera à 250 personnes environ le nombre des participants.
A l’occasion des questions, le témoin est amené à préciser que « travailler » veut bien dire « tuer« , et tuer même les enfants. Et c’est bien BARAHIRA qui a tenu ces propos. Le témoin précise aussi qu’il a dû revenir prendre des armes chez lui: machette et gourdin. Les autres étaient aussi armés. Après la réunion, de retour dans sa cellule, le témoin est allé tuer des Tutsi dans la « forêt projet »[1] proche de chez lui, après en avoir reçu l’ordre de Samuel NSENGIYUMVA. . Cette attaque aurait fait trois victimes qui avaient quitté l’église. Quant à une autre attaque qui se serait passée le lendemain et qui aurait causé la mort de deux personnes, Eliezer raconte que sa participation s’est bornée à couper une branche de caféier qui a servi à tuer. La question des barrières est de nouveau évoquée. Le témoin n’en a vu qu’une, près d’un pont, mais rien ne s’y est passé. L’arrivée des Inkotanyi[2] a fait fuir tout le monde. Le témoin dit avoir plaidé coupable pour « soulager sa conscience » car les personnes qui avaient été tuées étaient « des victimes innocentes« .
L’avocat général va faire préciser au témoin les conditions dans lesquelles sont mortes les trois personnes de la forêt. Réponse: « Nous leur avons demandé d’où elles venaient. Nous les avons frappées avec nos gourdins et elles sont mortes. J’ai frappé aussi. Il y avait une vieille femme, un jeune homme et un homme de 40 ans. » Il précisera que ces tueries étaient bien la réponse aux propos tenus par BARAHIRA sur le terrain de foot.
PS. Le témoin sera rappelé en fin de journée, vers 19h30, suite à l’audition d’Onesphore BIZIMUNGU, pour lui faire préciser si le jour de la réunion du 13 avril 1994 il avait vu Samuel NSENGIYUMVA qui prétendait avoir passé la journée avec lui. Le témoin répondra par la négative.
Audition de Monsieur Ernest NTAGANDA en visioconférence.
Le témoin ne veut parler que de Tito BARAHIRA. Il rapporte les propos tenus par ce dernier et évoqués par le témoin précédent. BARAHIRA était le personnage le plus important de la réunion à laquelle il a assisté: c’est donc lui qui la dirigeait. En tant qu’ancien bourgmestre, il avait de l’autorité: « Si je lui ai obéi, c’est parce que nous nous connaissions, que nous étions voisins« . Le témoin, questionné par la présidente, précise que l’expression « assurer la sécurité » voulait bien dire « tuer les Tutsi« . « Tuer les femmes et les enfants? » demande madame MATHIEU. « Oui, comment aurions-nous pu tuer les mères et épargner les enfants? Ceux qui nous ont donné les ordres, ce sont ceux qui avaient fait des études, ils savaient dissimuler. »
Contrairement à ce qui est écrit dans sa déposition, le témoin dit n’avoir pas participé à la destruction d’une maison et n’avoir jamais entendu cette demande dans la bouche de BARAHIRA. Par contre, ce dernier a bien dit: » Il ne faut pas tuer la femme tutsi d’un Hutu.« . Le témoin a lui aussi plaidé coupable et a fait 4 ans de prison et 4 ans de TIG (Travaux d’Intérêt Général).
Lecture de l’audition de Joas NSHIMIYIMANA, à propos duquel la président avait décidé de « passer outre » la veille.
Cousin de BARAHIRA, le témoin dit que ce dernier était membre du MRND/CDR, assimilant les deux partis. Il dit que lors des gacaca beaucoup de gens ont accusé BARAHIRA d’avoir organisé la réunion au terrain de foot de Cyinzovu. C’est ce qu’il a déclaré devant l’OPJ rwandais.
Dans une audition du 18 janvier 2013 en présence des enquêteurs français, il dit n’avoir pas vu BARAHIRA. Ce dernier avait bien été bourgmestre et comme tous les dirigeants, il était membre du MRND.
Audition de Samuel NSENGIYUMVA, agriculteur.
Le 13 avril 1994, il a participé à une réunion dirigée par monsieur BARAHIRA. Ils étaient très nombreux, assis dans l’herbe. Ce dernier leur a demandé s’ils savaient pourquoi ils étaient là. Les participants ont alors appris qu’il s’agissait d’une « réunion de sécurité« . Et de citer l’orateur: « Vous savez comment ça se passait avant, comment nos pères ont été battus, comment ils faisaient des travaux forcés tout en nous battant. Nous allons examiner cette question« . Demande leur est faite d’assurer la sécurité chez eux vu l’avancée du FPR et d’épargner les filles tutsi parce que leurs fils vont les épouser. Les gens se sont alors dispersés. « Nous, de Rugazi, nous sommes rentrés chez nous. Des tueurs ont agressé des personnes qui se rendaient à l’église. »
Le témoin, questionné, précise que les les personnes visées étaient uniquement les Tutsi et que les massacres de l’église se sont déroulés le lendemain de la réunion. Quant à l’expression « assurer la sécurité » cela voulait bien dire « tuer les les Tutsi » sans le dire ouvertement.
Le témoin dira aussi avoir été accusé lors des gacaca et avoir été condamné à 30 ans de prison. Il fera appel et sa peine sera considérablement réduite.
Il rapporte alors des propos que BARAHIRA aurait tenus à la fin de la réunion: « Il y a des choses qui vont faire du bruit, ne vous inquiétez pas, c’est pour la sécurité ». Questionné par la présidente qui s’agace, le témoin finit par dire que ces propos ont été tenus par NGENZI lorsqu’il le rencontre sur la route à bord de sa Toyota Hilux .
L’avocat général questionne à son tour le témoin pour savoir si les massacres qui ont suivi la réunion sont bien la conséquence directe des propos de BARAHIRA: » Les massacres étaient basés sur les mots prononcés par BARAHIRA, les gens sont partis et ont commencé les massacres » dira le témoin. Il a bien rencontré NGENZI sur la route de Kabarondo où il se rendait et confirme les propos qu’il a tenus. Il a d’ailleurs entendu les bruits de balles qui venaient de l’église.
Maître MEILHAC va à son tour questionner le témoin sur le nombre de participants à la réunion. « Vous aviez dit 3000 ». « Non, 300 » répond le témoin. « Je me suis trompé. Ce que j’ai dit aujourd’hui, demain je peux l’avoir oublié. C’est du au fait que j’ai été malade« . Les Interahamwe? » Avant, les Interahamwe c’était un bon groupe. Après ça a changé de sorte que aujourd’hui quand quelqu’un est Interahamwe il est puni. Ceux qui ont macheté les gens sont devenus des Interahamwe « .
Maître MATHE terminera la série de questions. Elle veut connaître l’emploi du temps du témoin depuis le départ de son domicile jusqu’à son arrivée en France pour son audition. Elle insiste sur son lieu de résidence à Kigali, sur le moyen de déplacement utilisé par le témoin pour aller de son domicile à la capitale. Elle aura du mal à obtenir des réponses claires. Une réponse concernant le moyen de transport utilisé déclenchera des rires sur tous les bancs. « Vous êtes venu dans un véhicule. Vous aviez un véhicule? » questionne l’avocate. Réponse du témoin, pleine de bon sens: » : J’ai voyagé en avion, croyez vous que je possédais un avion ? » Il finira par dire qu’il a utilisé les transports publics.
Pourquoi l’avocate s’intéresse-t-elle tant à l’emploi du temps du témoin, comme elle l’a déjà fait pour d’autres, lors de leur venue au procès? Elle doit avoir une idée derrière la tête.
Audition de Monsieur Onesphore BIZIMUNGU, en visioconférence. Témoin cité par la défense.
Comme le témoin n’a pas de déclaration spontanée à faire, la présidente va lui poser des questions. Le témoin connaissait bien BARAHIRA qui fut d’abord enseignant puis bourgmestre de Kabarondo. Il le présente aussi comme « directeur » de l’Electrogaz à Kibungo. A sa connaissance, il n’avait pas d’activités politiques. Il était toutefois président du MRND et chef des Interahamwe qui se déplaçaient avec gourdins et grenades. Il a participé à une réunion sur le terrain de foot de Cyinzovu. BARAHIRA a demandé de détruire la maison de Joram RWAMIHIGO. Il ajoute qu’on avait ourdi le complot de détruire les maisons des Tutsi et de tuer ces derniers. « Nous sommes allés chez nous et nous avons tué des gens, des Tutsi ».
Comme de nombreux autres témoins, il précise qu’on leur a bien demandé de tuer les couples tutsi, que « travailler » veut bien dire « tuer ». « Quand on débusquait un Tutsi, on le tuait« , ajoute-t-il. Il a bien participé à la tuerie dans la « forêt projet »[1] avec Samuel NSINGIYUMVA et Augustin NSABIMANA entre autres. Il prétend aussi avoir pris la parole lors de la réunion pour demander à BARAHIRA pourquoi il faisait de la ségrégation. Ce dernier portait une lance ce jour-là. Il avait gardé un pouvoir sur ses anciens administrés. Il a eu connaissance des massacres de l’église car il a entendu les grenades. Il estime par contre à 2000 le nombre de participants à la réunion au terrain de foot. Lui-même était armé d’une machette à la demande de Samuel NSENGIYUMVA. Le témoin dit avoir vu NGENZI au Centre de Santé le 12 mai: une personne était venu le voir pour lui demander d’assure leur sécurité. « On va régler la question« , aurait répondu le bourgmestre. D’où les massacres du lendemain. Par contre, il n’a pas vu NGENZI sur la route le 13 après la réunion sur le terrain de foot. Il était resté avec Samuel jusque vers 14 heures.
Questionné par l’avocat général, il reparle de la rencontre avec NGENZI au Centre de Santé. Ils étaient venu le voir pour évoquer des problèmes sanitaires à l’église. Réponse du bourgmestre: « Le problème des gens qui sont à l’église sera réglé à l’église« . Pour le témoin, cela veut dire qu’il fallait que les gens meurent à l’église. Les gens allaient à l’église car ils étaient chassés au milieu des cris des Interahamwe, des bruits qu’ils faisaient avec les cornes de vaches (NDR: le témoin aurait pu dire aussi les « sifflets », autant de façons de provoquer la peur des réfugiés). A la question de la défense, le témoin confirme que NGENZI était armé d’une lance. » Vous êtes le seul à le dire« , conclura maître MEILHAC quelque peu énervé par l’attitude du témoin qui a montré lui-même des signes d’agacement au cours de l’audition.
L’audience est suspendue à 20h15 après qu’on aura entendu de nouveau le témoin Eliezer NGENDAHIMANA rappelé en urgence. Rendez-vous lundi pour la quatrième semaine du procès, semaine au cours de laquelle sera évoqué le massacre de l’église, à partir de mardi. Nous entrerons alors vraiment dans la réalité du génocide et de toute son horreur.
Alain GAUTHIER
Les dessins qui illustrent cet article sont d’Annabelle GIUDICE.
- Non donné à ce lieu par les habitants de Kabarondo.[Retour au texte]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. « Glossaire« . [Retour au texte]