Procès Ngenzi/Barahira. Vendredi 10 juin 2016. J 23.

En visioconférence avec Kigali :

Audition de Jean-Baptiste KARUYONGA. Témoin cité par la défense. Visioconférence.

Le témoin commence par dire qu’il n’a jamais vu ni NGENZI ni BARAHIRA pendant la période du génocide. N’ayant rien d’autre à ajouter dans sa déclaration spontanée, on passe directement aux questions de madame la Présidente.

Employé de l’Economat Général de Kibungo (diocèse), il est venu se faire soigner chez son frère à Kabarondo: il souffrait de la malaria. C’était le 23 mars 1994. Le 13 avril, alors qu’il se rend chez chez ses parents, il croise un groupe d’attaquants auxquels il va se joindre pour leur faire croire qu’il est avec eux. Après avoir coupé une branche, toujours pour simuler son soutien, il se dérobe mais tombe nez à nez avec un autre groupe. Envahi par la peur, il décide de rejoindre le premier groupe qu’il vient de quitter. Ils seront alors attaqués par des réfugiés de l’église qui leur lancent des pierres. Un ancien gendarme nommé MUNYANEZA, plus connu sous le nom de TOTO, lance alors une grenade qui provoque la mort de 6 personnes. Le témoin aurait ensuite entendu des tirs en provenance du bureau communal, ce qui a provoqué la dispersion des réfugiés de l’église. KARUYONGA se cache ensuite dans des buissons d’où il entend des bruits de tir plus lourds, des cris… A 17 heures, il rentre chez lui.

Au cours de la journée, il n’a pas vu NGENZI. Ce n’est qu’en Tanzanie qu’il reverra les deux voitures de la commune! Il a bien été condamné à 16 ans de prison par les Gacaca après avoir refusé de plaider coupable.

L’avocat général veut savoir pourquoi il a parlé de « plan tramé » en réponse aux questions de la présidente. « Les gendarmes n’ont pas réagi, on aurait dit qu’ils appuyaient les assaillants. De plus, ils ont fait chercher des renforts. Ils avaient le plan de tuer les Tutsi, plan élaboré au niveau de l’Etat« . Il reconnaît que le bourgmestre était la courroie de l’Etat.

Maître MATHE interroge alors le témoin sur les Interahamwe [1] et veut lui entendre dire que ces miliciens étaient bien les jeunesses du MRND mais que pendant le génocide ce terme a été utilisé pour désigner tous les tueurs. Quant à NGENZI, il s’était toujours bien conduit et avait de bonnes relations avec la population.

Audition de Pierre NYAMABUMBA, témoin de la défense. Visioconférence.

Encore un témoin qui se demande ce qu’il fait là. On l’a convoqué mais ne sait pas quelles explications il va bien pouvoir donner dans cette affaire. « Je ne sais rien sur eux. On dit ce qu’on a vu et on laisse ce qu’on n’a pas vu! »

Comme annoncé, le témoin ne sait rien et connaît à peine les accusés. Il dit avoir été condamné par les Gacaca. « On me collait sur le dos des faits de génocide. Je l’ai nié. J’ai été condamné à 19 ans de prison. On m’a accusé d’avoir participé à une attaque. C’est une femme qui m’a dénoncé en prétendant que j’avais tué à Remera. Tout cela pour me prendre des champs et une forêt qu’elle a toujours d’ailleurs. ».

Maître MATHE s’étonne qu’il soit resté en prison 13 ans sans être jugé. En réponse à une question de l’avocate, le témoin confiera que sa femme et ses trois enfants ont été tués le 20 août 1994, par des militaires du FPR qui étaient venus « ratisser le village« .

Lecture de la déposition de Jean-Pierre RWASAMIRERA, conseiller communal, décédé. 

Le témoin faisait des rapports mensuels au bourgmestre, conformément à son statut. Même s’il a eu des problèmes avec NGENZI qui voulait le remplacer par son propre candidat, il a toujours gardé des relations correctes avec son bourgmestre. Arrêté le 23 décembre 1996 à son retour de Tanzanie, il sera condamné à la prison à vie. Il avait une femme tutsi. Quant aux Interahamwe, il n’y en avait pas à Kabarondo. Si l’abbé INCIMATATA, qui était son ami, parle de ces miliciens, c’est « parce qu’il était Tutsi! » Tous les Hutu étaient considérés comme des Interahamwe.

Audition de Pierre NDAZIRAMIYE, témoin cité par la défense. Visioconférence.

Le témoin commence par dire qu’il ne sait rien. Il sort alors un papier qu’on lui demande de ranger aussitôt, les témoins devant être entendus sans pouvoir consulter des notes.

En 1994, le témoin prétend avoir figuré sur une liste de personnes considérées comme des « complices des Inkotanyi » [2], tout comme ses deux grands frères qui seront tués. NGENZI et BARAHIRA n’y sont pour rien, cette liste ayant été établie par des voisins: « Ils n’ont joué aucun rôle dans la mort de mes deux frères. L’un a été tué par les Simba Bataliani [3], l’autre par Emmanuel HABIMANA, alias CYASA« . Le témoin raconte qu’on aurait détruit sa maison et pillé ses biens, les deux accusés n’y étant une nouvelle fois pour rien. Réfugié avec sa famille à l’église de Kabarondo, il dit avoir pu en partir en montrant sa carte d’identité. Les deux personnes qui étaient avec lui ont été tuées. Quant à sa femme et ses enfants, ils auraient réussi à sortir de l’église par une petite porte. En quittant l’église, il est allé se cacher: on aura du mal à savoir où!

Il n’avait pas de relations particulières avec les deux accusés. Il ne voyait NGENZI que dans le cadre du travail. Il a entendu parler de la réunion de sécurité du 11 avril, mais il n’a pas voulu s’y rendre de peur de rencontrer les gens qui avaient détruit sa maison! Il prétend même avoir combattu contre les Interahamwe en lançant des pierres: « Nous voulions assurer la sécurité de nos femmes et de nos enfants »! Et de redire que s’il a été condamné à 19 ans de prison, c’est suite à une « conspiration« . Par malchance, nous apprendrons que ceux qui ont conspiré contre lui ne sont pas rentrés au pays! Impossible donc de vérifier ses dires.

Questionné par l’avocat général, le témoin affirme avoir suivi l’attaque de son lieu de cachette, à environ 200 mètres de l’église. Il entendait le bruit des armes. De là où il était, sur la cour de l’église, il ne pouvait pas voir la commune à cause d’une double rangée d’arbres.

Maître MATHE, lorsque viendra son tour de prendre la parole, se félicitera de cette nouvelle révélation faite « spontanément« . Le témoin avouera avoir été condamné « comme co-auteur dans l’attaque de sa maison ». Devant l’étonnement de l’avocate, le témoin va justifier sa déclaration en disant que les Gacaca n’ont pas enquêté et ont accepté les explications de ses accusateurs. On nage dans la plus totale des incohérences!

Maître MEILHAC cherchera à sa savoir  si on ne lui a pas dit ce qu’il fallait dire, s’il n’a pas subi de pression. Réponse pertinente du témoin: « Vous ne pouvez pas faire pression sur moi pour me faire dire que j’ai subi des pressions« . L’avocat de la défense justifiera sa question en rappelant les propos de l’avocat général qui avait laissé entendre que le témoin aurait pu subir des pressions, mais de la famille de NGENZI restée au pays. On en restera là.

Audition de Jean Bosco GASHIRAMANGA, témoin de la défense. Visioconférence.

Le témoin avait 17 ans au moment des faits. C’était un « enfant de la rue », livré à lui-même, qui fréquentait souvent les abords du bureau communal. Il prétend que NGENZI l’a fait marcher devant un groupe de tueurs, que ce dernier portait un pistolet le 13 avril. Pour dire un peu plus tard que le bourgmestre n’était pas là, qu’il se déplaçait dans les secteurs pour récupérer des gens qu’il déposait au Centre de Santé. De rajouter, suite à une question de maître GISAGARA, que ce pistolet servait à effrayer les Interahamwe! Après avoir dit aux gendarmes français que le bourgmestre n’était pas à l’IGA, il affirme devant la Cour que finalement, il y était. Les Interahamwe? « Les gens de NGENZI, ses outils« . Et de rajouter: « NGENZI voulait s’opposer aux tueurs, leur faire peur« . Comprenne qui pourra.

La présidente finira par reprendre la parole: « J’ai du mal à comprendre ce témoin« ! Sentiment bien partagé dans la salle d’audience. Maître MATHE, qui a fait citer le témoin: « Madame la Présidente, je vais épargner vos souffrances. Je n’ai aucun espoir de comprendre ce que dit ce témoin qui contredit ce qu’il a dit« . Elle « doute même de son équilibre« ! L’avocat général ne se privera pas, malicieusement, de lui rappeler que c’est un témoin cité par la défense! « Voilà ce qui arrive quand on ne peut citer un témoin que sur la base de ses déclarations aux enquêteurs« , conclura l’avocate.

Audition de Moussa BUGINGO, témoin de la défense, en visioconférence.

Cette audition sera interrompue par des problèmes de transmission avec Kigali. Il faudra reprendre l’entretien ultérieurement. L’audience est suspendue à 19h30.

Commentaire à l’issue de cette journée consacrée aux témoins de la défense: quand on entend les témoignages des tueurs, on est à cent lieues de ceux des rescapés. On a le sentiment que ce ne sont pas les mêmes événements qui sont rapportés. Comme à leur habitude, les tueurs minimisent leur propre responsabilité: ils n’étaient pas là, on les a forcés à participer, ils se sont cachés, ils ont été condamnés à de sévères peines de prison mais ils ne comprennent  pas pourquoi, ils disent souvent « nous » et non « je » pour signifier qu’ils ont participé mais que ce ne sont pas eux les vrais responsables, il ont bien frappé la victime mais n’ont pas donné le coup fatal… Il faut dire qu’en 22 ans ils ont eu le temps de réécrire leur propre histoire. Peu importent les contradictions, les mensonges, les incohérences… La justice n’a qu’à s’arranger avec ça!

Alain GAUTHIER

 

  1. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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  2. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. « Glossaire« .
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  3. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, déjà cité par plusieurs témoins pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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