Procès Ngenzi/Barahira. Mercredi 8 juin 2016. J 21.

Audition de Jean MPAMBARA, ancien bourgmestre de Rukara, acquitté par le TPIR.

Jean MPAMBARA, ancien bourgmestre de Rukara
Jean MPAMBARA, ancien bourgmestre de Rukara

Le témoin, ancien collègue de NGENZI, dit venir témoigner « pour apporter sa petite contribution pour la bonne compréhension de ce qui s’est passé au Rwanda« , ce qu’il nomme « des événements malheureux ».

Monsieur MPAMBARA tient à donner quelques dates clés qui, selon lui, expliquent ce qui s’est passé.

 

1) 1 octobre 1990: l’attaque du FPR « qui a divisé la société rwandaise en deux parties, la période 1990-1994 étant « la période la plus sombre de l’histoire du Rwanda« .

2) 1991: révision de la Constitution qui a ouvert au multipartisme, dans une société qui n’y était pas préparée. Seconde cause de la division de la société rwandaise.

3) 4 août 1993: les accords d’Arusha qui ont eux aussi divisé la société rwandaise.

4) 6 avril 1994: attentat contre le président HABYARIMANA. Le peuple rwandais a été abusé!

Ce sont ces quatre événements qui, selon lui, sont la cause des massacres, « voire du génocide« .

C’est vers le 10 avril que le FPR arrive à Rukura en provenance de son quartier général de Mulindi. C’est alors que des déplacés de guerre de Murambi affluent vers Kibungo et, parce que mal encadrés, vont être source de nombreux problèmes. L’armée rwandaise est en déroute, de nombreux massacres sont commis et par les FAR et par le FPR. « La situation est chaotique, l’autorité du bourgmestre est sabotée par le multipartisme. »

Le 10 avril, le témoin transporte sa famille à Muhazi, puis chez NGENZI à Kabarondo le 12, pour la mettre en sécurité. Le 13, l’église de Rukara est attaquée par d’anciens militaires appuyés par des gendarmes. Selon lui, cette attaque provoquera la mort de 9 personnes! A Kayonza,  des gendarmes lui glissent en confidence : « Préparez-vous, nous allons nous rendre à Kabarondo car des éléments du FPR se cachent là, des Inyenzi [1]. » Il se dit aussi que le bourgmestre de Kabarondo cacherait des Tutsi. Le témoin, qui ne fait pas confiance aux gendarmes, dit se rendre à Kabarondo pour récupérer sa famille. Il confie alors à NGENZI, une fois arrivé chez lui vers 10h30, que des gendarmes vont venir à l’église, puis qu’ils viendront ensuite chez lui. Avant de retourner à Rukara, le témoin conduit sa famille chez d’autres amis.

Le 13 avril, la commune de Rukara tombe aux mains du FPR. Il se rend alors à Kibungo pour s’y cacher. Sur la route de l’exil, il rencontre plusieurs fois NGENZI: le 20 alors qu’il est avec une jeune Tutsi à qui il a remis une carte d’identité hutu, le 23 à Rusumo où il découvre son ami couvert de sang (il aurait été frappé par des voyous, sous prétexte qu’il soutiendrait des Tutsi), le 28 avril enfin alors qu’ils traversent la frontière. Ils seront ensemble au camp de Benako où chaque bourgmestre retrouvera l’autorité qu’ils avaient dans leur commune, à la demande de la Croix Rouge et d’autres organismes internationaux. Le témoin est jugé à Arusha en 2001 et sera acquitté par le TPIR en 2006. Il rejoint alors sa famille à Mayotte où il retrouve NGENZI. En 2010, Le bourgmestre de Kabarondo est arrêté: lui rejoint sa famille en France. Il habite à Rouen.

MPAMBARA affirme que son ami n’a jamais manifesté d’animosité à l’égard des Tutsi, ni dans ses paroles, ni dans son comportement.

La président se lance alors dans une série de questions: son appartenance au MRND, relations NGENZI/RWAGAFILITA [2], nomination des bourgmestres, établissement de listes de Tutsi qui envoient leurs enfants combattre avec le FPR. Le témoin confirme qu’à Benako NGENZI se faisait appeler OMAR, puis Jean-Marie Vianney NTAGANIRA à Mayotte lorsqu’il a voulu déposer sa demande de réfugié devant l’OFPRA.

La présidente va revenir sur son emploi du temps entre le 10 et le 13 avril car il y a des contradictions entre ce qu’il a dit devant le TPIR et ce qu’il dit ce jour devant la Cour. Ce n’est pas lui qui est allé chercher sa femme chez NGENZI, c’est sa femme qui est venue le rejoindre.

Maître LAVAL enfonce le clou à son tour: « Vous êtes cité par la défense. Vous avez passé très peu de temps avec NGENZI à chacune de vos rencontres. Vous ne savez pas ce que NGENZI a fait. Vous êtes un non-témoin pour ces dates des 13/14 avril! »

L’avocat du CPCR continue sa charge. « Quel rapport établissez-vous entre le conflit FAR/FPR et le fait de découper des gens en morceaux, de violer, de massacrer des innocents? » Le témoin vacille et ne trouve comme explication que le fait que « la situation était devenue incontrôlable« , que le bourgmestre n’avait plus d’autorité.

C’est au tour de l’avocat général. « Ce qui vient de se passer est extrêmement grave. Quand il se défend devant le TPIR, le témoin dit qu’il n’est jamais allé à Kabarondo le 13 avril et devant la COUR il vient de dire le contraire. Une des deux déclarations est mensongère. Le témoin vient de faire un témoignage de complaisance« . Monsieur COURROYE demande à la présidente de faire consigner au procès- verbal cet emploi du temps  de MPAMBARA.

L’avocat général va poser des questions mais il doute fortement de la sincérité du témoin: le discours de Léon MUGESERA à Kabaya? Il l’a entendu à la radio mais ne l’a pas apprécié. Il écoutait RTLM? Oui, mais il reconnaît que cette radio prônait des idées de haine. RWAGAFILITA [2], un « aimable retraité modéré où appartenant à la ligne dure? » Je savais que c’était une grande personnalité. Quand on reste à regarder massacrer des gens, on cautionne ces tueries? Le bourgmestre ne servait à rien! NGENZI n’avait pas l’air traumatisé, il donnait des ordres? Oui, mais les témoins sont-ils sincères? Autant de questions qui malmènent le bourgmestre de Rukara.

Interruption de séance car il est prévu une visio-conférence avec Jean CHATAIN, ancien journaliste à L’Humanité.

A la reprise, c’est au tour de la défense de prendre la parole. Maître MATHE va s’y coller. Elle veut connaître les moyens consacrés à la sécurité dans la commune de Rukara. Le bourgmestre est amené à dire comment il s’y est pris pour maintenir la sécurité: il a sillonné sa commune, a regroupé les réfugiés de Gahini à la paroisse de Rukara. mais les choses ont changé avec l’arrivée des déplacés de guerre qui dévastaient tout sur leur passage. Le 9, il y a eu des massacres à petite échelle (moins de 10 morts) occasionnés par d’anciens soldats renvoyés de l’armée pour indiscipline accompagnés de gens équipés d’armes traditionnelles. Le 12, ce sont les FAR en débandade qui ont massacré dans l’église, avec les déplacés de guerre: des centaines de morts.

Et NGENZI, votre « ami », qui était-il? « Il était honnête, serviable, intègre. Je lui ai conseillé de fuir mais il tournait en rond, manifestement perturbé, hésitant sur la stratégie à adopter. personnellement, j’avais voulu donner ma démission en 1993, mais on l’a refusée. En 1994, je souhaitais fuir ».

Audition en visio-conférence de Jean CHATAIN, ancien journaliste à l’Humanité.

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Jean Chatain (à droite) avec deux militaires du FPR sur le pont de Rusumo, au Rwanda, en mai 1994 (source: L’Humanité – Photo : Collection Jean Chatain)

Le témoin a séjourné à deux reprises au Rwanda en 1994. En avril, dans l’est du pays, à Mulindi, QG du FPR, et en juillet à Kigali. Lors de ce second séjour, il s’est rendu dans le Nord, à Ruhengeri et Gisenyi, le fief de l’Akazu [3], les proches de la famille HABYARIMANA. « On avait l’impression que la terre vomissait les corps, on marchait sur des cadavres. Et l’odeur! Une des tactiques des tueurs: on tranchait le mollet, elles ne pouvaient ainsi plus se déplacer ».

Puis il fait part du témoignage de l’abbé Papias, le vicaire de l’abbé INCIMATATA à Kabarondo. Comment il a été « racheté » par son évêque! NGENZI a-t-il eu une part de l’argent versé? On peut le penser. Quant aux réfugiés qu’on trouvait à Byumba, ils arrivaient de Kigali.

Maître MATHE reviendra sur le « rachat » de l’abbé Papias par son évêque, sur la situation des réfugiés du stade de Byumba. Pour elle, Jean CHATAIN n’a pu voir que ce que le FPR voulait bien lui montrer. Elle doute de l’objectivité du journaliste. S’appuyant sur un rapport espagnol, elle affirme que 2000 Hutu auraient été tués par le FPR au stade de Byumba, puis incinérés dans le parc de l’Akagera. (NDR: ce sont ces mêmes Espagnols qui ont lancé des mandats d’arrêt internationaux contre les cadres du FPR!).

 

Madame Odette KAMPIRE, épouse de Jean MPAMBARA, ne pourra être auditionnée à son tour que plusieurs jours plus tard. Ce qui pose un problème: elle pourra adapter sa déposition en fonction de ce que son mari lui aura dit! Il faudra attendre le 20 juin pour entendre sa « vérité »

Alain GAUTHIER

  1. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. « Glossaire« .
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  2. Le colonel RWAGAFILITA était l’homme fort de la région, éminence grise du pouvoir génocidaire. Il valait mieux bénéficier de ses faveurs pour devenir bourgmestre… Il fut parmi les activistes les plus impliqués dans les massacres autour de Kibungo dont il était originaire. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  3. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État.Cf. « Glossaire« .
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