Procès Ngenzi/Barahira. Mercredi 22 juin 2016. J 31

Audition de Médiatrice UMUTESI, partie civile (suite).

La matinée sera entièrement consacrée aux questions qui seront posées au témoin qui a fait sa déposition spontanée la veille.

Le président rappelle que le témoin a été entendu à de nombreuses reprises. Elle n’est arrivée à Kabarondo qu’en novembre 1985 et n’a donc pas vraiment connu BARAHIRA comme bourgmestre, bien que son mari ait été son ami. Elle a connu aussi NGENZI, sans pour autant être un intime: « Nous nous fréquentions mais il existait le respect dû à son rang. A partir de 1990, il nous a montré qu’il n’avait plus confiance en nous. »

Le témoin est amenée ensuite à évoquer les différentes perquisitions dont elle a été victime. Son mari étant président du PL (Parti Libéral) pour la commune, ils étaient particulièrement visés, surtout avec le multipartisme. D’autres familles ont d’ailleurs été victimes de ces fouilles, dont MURENZI, ami de KAJEGUHAKWA, propriétaire de la station service, accusé de financer les Inkotanyi [1] et de recruter des gens pour le FPR. La famille de KAJANAGE, un ami de la famille, subissait les mêmes sévices. Quant à RWAGAFILITA, c’était un homme puissant, « le porte-parole du gouvernement à Kibungo » [2] . BARAHIRA, malgré sa réputation d’homme violent, était le parrain de deux enfants du témoin. Ce qui étonnera maître MEILHAC lorsque ce dernier sera amené à prendre la parole. Cela est dû au fait que l’ex-bourgmestre avait beaucoup fréquenté David, le mari de Médiatrice. Politique et culture rwandaises exigent.

Le 13 avril 1994, après le massacre de l’église, un certain nombre de rescapés se sont réfugiés chez le témoin, sa maison étant toute proche. Les gens se sont engouffrés chez elle et ils ont fermé la porte. De son domicile, elle avait entendu des cris et des pleurs, des bruits d’explosion. Ce sont essentiellement des femmes et des enfants qui étaient là. Les bruits cesseront avec la tombée de la nuit.

C’est le 17 que les perquisitions se dérouleront chez Médiatrice UMUTESI. C’est leur travailleur, un Hutu du nord, qui les ravitaillait. La veille, BIENFAITEUR était venu pour la voir et pour lui demander de l’argent en échange de quoi il promettait de lui fournir des cartes d’identité portant la mention « Hutu ». Il ne reviendra pas. Probablement venait-il aussi s’assurer de la présence de Tutsi dans la maison!

Le lendemain, Jean-Marie Vianney MUNYANGAJU, leur chauffeur et employé de son mari, l’avertira qu’une réunion s’était tenue chez un certain Védaste: ils allaient venir prendre les gens de la maison de David (mari de Médiatrice) pour les tuer. NSABIMANA, qui avait déjà tué sa petite sœur et volé sa voiture devait tuer aussi le témoin de peur qu’elle ne veuille se venger. MUNYANGAJU leur demande de s’organiser et lui dit qu’il est prêt à les aider. Nous apprendrons plus tard, quand viendra le tour de maître de MATHE d’interroger le témoin, que ce MUNYANGAJU, cousin de son mari, sera élu député du PL Pawa [3].

Médiatrice UMUTESI sera amenée à raconter de nouveau cette soirée du 17 avril. NGENZI est bien venu chez elle en compagnie du capitaine Théophile TWAGIRAMUNGU qui a pointé son arme sur elle. Le témoin s’est précipitée vers le bourgmestre pour lui demander de la sauver. Ce dernier lui a dit avec mépris qu’elle n’avait rien à craindre parce que lui aussi avait caché des Tutsi, les enfants de MURENZI, et qu’on lui avait laissé la vie sauve.

Les militaires ont fait sortir les gens qui se cachaient mais l’un d’eux a retenu le témoin dans sa chambre: il lui promettait de la sauver si elle acceptait de lui donner de l’argent. Elle lui remet l’argent qu’elle avait retiré le 6 avril à la banque afin de payer ses ouvriers. C’est ainsi qu’elle sera épargnée. A la question de savoir combien il y avait de militaires elle répond: » Est-ce que devant la mort, tu comptes? » Pas certain que la traduction ait été celle-ci d’ailleurs!

NGENZI n’avait pas peur, précisera le témoin. C’est bien lui qui avait amené les militaires à son domicile. Il n’était pas sous leur autorité. Personne ne serait mort s’il était intervenu. Le président l’interroge alors sur les victimes de sa famille: tout en énumérant leurs noms, elle se met à pleurer. Maître MATHE, avec délicatesse, lui fera préciser, dans la mesure où elle n’était pas originaire de la région, que seuls deux ou trois membres de sa famille seront tués à Kabarondo! Manière de minimiser le témoignage et de diminuer la responsabilité de son client? On peut l’entendre ainsi.

Avant que les autres partis ne lui posent des questions, Médiatrice UMUTESI déclare: « Je remercie la justice parce ce que ce qui nous est arrivé nous a beaucoup affligés. Nous souhaitions que quelqu’un puisse nous entendre comme des gens qui doivent être rétablis dans leurs droits. » Elle souhaite que leur soient attribués des dédommagements en faveur des veuves et des orphelins et que la justice voie où se trouve la vérité.

Suivront quelques questions des jurés sur l’identité des rescapés que le témoin a hébergés: essentiellement des femmes et des enfants… Quant à la vie des Rwandais depuis le génocide, le témoin précise que les autorités enseignent aux gens d’être tous des Rwandais: ni Hutu ni Tutsi. A l’école, par exemple, hors de question de se voir privé d’une poursuite des études pour des raisons ethniques.

Maître DECHAUMET fera préciser au témoin qu’à Kabarondo on pouvait bien capter la RTLM. Si l’abbé INCIMATATA n’a pas indiqué à la Cour que NGENZI avait changé, c’est parce qu’il était lui-même très respecté et qu’il ne pouvait pas savoir quelle attitude avait le bourgmestre à l’égard des citoyens de base. NGENZI était bien armé, comme elle l’a dit auparavant. Quant à savoir ce qu’elle avait ressenti lors de l’enlèvement des réfugiés de sa maison elle déclare: « Je me suis sentie très mal. Je suis morte debout. Même aujourd’hui je revis encore ce sentiment »! De décrire enfin le caractère de chacun des accusés: NGENZI avait une grande malice, c’était un grand menteur: « Il pouvait vous tuer en souriant » ajoute-t-elle. Elle n’a subi aucune pression pour témoigner.

Au tour de l’avocat général d’interroger le témoin. « Les autorités étaient naturellement méchantes mais elles n’avaient pas trouvé l’occasion d’exercer cette méchanceté ». NGENZI suivait la ligne sectaire du MRND et c’est bien lui qui a désigné leur maison aux militaires. Le témoin a entendu des bruits au Centre de Santé voisin. C’est Goretti qui la renseignera plus tard sur ce qui s’est passé. Et le témoin de rajouter, sur insistance de monsieur COURROYE: « Ce sont bien des rafles auxquelles ils ont procédé, pour terminer le travail. » Quant à prétendre que NGENZI aurait cherché à s’interposer, « c’est affligeant de le dire« . Il n’était pas du tout contraint par les militaires. De BARAHIRA, on dit qu’il frappait les gens; ce qui n’était pas rare à l’époque pour une autorité. C’était même une façon de montrer qu’on se faisait respecter. Il faut replacer cela dans le contexte de l’époque, au Rwanda.

Maître MATHE cherche à reconstituer une chronologie des faits, mais elle a du mal à obtenir ce qu’elle souhaite. Elle va reprocher au témoin « ses déclarations à géométrie variable« . Elle aimerait bien lui faire redire qu’elle aurait entendu le discours de SINDIKUBWABO le 19 avril à Butare alors qu’elle avait rejoint la Tanzanie. Non, elle se trouvait encore à Shyanda. A la question de savoir si David, son mari, avait des liens avec le Hutu Pawa, elle fera remarquer que son mari était décédé à la naissance de cette branche extrémiste.

Maître MEILHAC va s’étonner que Médiatrice ait demandé à BARAHIRA d’être le parrain de ses enfants alors que ce dernier était connu pour sa méchanceté! « C’était un ami d’enfance de mon mari. A cette époque, au Rwanda, c’était ainsi« ! Le président, monsieur DUCHEMIN rappellera à l’avocat que les questions de morale ne concernent pas la Cour. L’avocat de la défense, après une intervention de monsieur COURROYE, ne manquera pas de faire remarquer:  » L’avocat général cherche à voler à votre secours. Ce n’est pas forcément son rôle! » Il veut surtout décrédibiliser le témoin en prouvant qu’elle ne peut avoir entendu BARAHIRA animer une réunion sur la place du marché alors qu’elle prétend n’avoir participé à aucun meeting du MRND. Le témoin a beau préciser que son magasin est tout près, il ne veut rien entendre. « Elle dit bien que c’était devant chez elle et que BARAHIRA avait un porte-voix » interrompt maître PADONOU. Et maître DECHAUMET de renchérir:  » Il y a une différence entre participer et assister! » On fait alors remarquer à l’avocat de BARAHIRA qu’il ne lit dans les déclarations des témoins que ce qui l’intéresse, omettant de citer des passages clés.  » J’arrête là car ça devient grotesque« . Il vient de perdre son sang-froid. Ce qui va déclencher la riposte de maître LAVAL:  » Ce que nous voyons surtout c’est que cela met en difficulté votre client puisqu’il est censé ne plus avoir eu d’activité politique à partir de 1986 quand il n’est plus bourgmestre. Votre client est le plus gros des menteurs! »

C’est l’avocat général qui aura le dernier mot:  » Je pense que nous avons bien compris et que nous allons clore ici le débat ». Maître MEILHAC renoncera à reprendre la parole.

Le témoin suivant partie civile, Jacqueline MUGUYENEZA, qui devait être entendue par la Cour, ne le sera que le lendemain matin à 9h30. Elle faisait partie des personnes qui avaient trouvé refuge chez Médiatrice UMUTESI et qui ont été conduites à Kibungo pour y être tuées.

Alain GAUTHIER

  1. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. « Glossaire« .
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  2. Le colonel RWAGAFILITA était l’homme fort de la région, éminence grise du pouvoir génocidaire. Il valait mieux bénéficier de ses faveurs pour devenir bourgmestre… Il fut parmi les activistes les plus impliqués dans les massacres autour de Kibungo dont il était originaire. Voir le glossaire pour plus de détails.
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  3. Le Parti Libéral s’était scindé en deux fin 1993 : la tendance « Pawa » de son président, Justin MUGENZI, rejoint le Hutu Power, l’autre tendance, sera anéantie le 7 avril 1994. Cf. « Glossaire« .
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