Procès Ngenzi/Barahira. Matinée du mercredi 1er juin 2016. J 16.

Audition de madame Christine MUTETERI, agricultrice.

Le témoin déclare s’être rendu à l’église de Kabarondo le 9 avril avec son mari et ses quatre enfants. Elle-même avait déjà été blessée au front. Elle avait fui en espérant trouver monsieur NGENZI, le bourgmestre. Il avait tout fait pour que les gens fuient la campagne et se rassemblent. Il a commencé par les laisser mourir de faim, refusant que les gens qui avaient de l’argent achètent des beignets. Quand les tirs ont commencé, le bourgmestre a demandé à l’abbé INCIMATATA de rassembler les gens pour une réunion sur la place du marché. Le curé de la paroisse a refusé préférant ne s’y rendre qu’avec quelques personnes. L’abbé INCIMATATA aurait alors dit : « Mettez-vous à genoux et priez, le bon Dieu arrive ».

Nous avons alors vu arriver des gens qui avaient des foulards rouges autour de la tête armés de lances, de machettes. Ils transportaient aussi des pierres et étaient très nombreux. « Ils se sont mis à lancer des pierres sur nous. Les jeunes hommes qui étaient dans l’église sont sortis pour se battre. Ils se sont lancé des pierres et ils les ont tués. On a ramené des corps à l’église. Quiconque sortait, on le tailladait ». Monsieur NGENZI serait alors allé chercher du renfort à Kibungo et il est revenu avec des militaires. « Ils ont installé sur la route un grand fusil qu’ils maniaient avec leurs pieds. » Les assaillants lancent alors des obus qui transpercent le toit de l’église, ce qui provoque la mort de beaucoup de réfugiés. Le témoin affirme qu’Octavien NGENZI était là et que les tirs ont duré jusques vers 15 heures. Madame MUTETERI avait été blessée dans l’attaque. On a alors annoncé la mort de l’abbé INCIMATATA : en fait c’était un grand séminariste, qui avait un peu le même physique que le prêtre, qui avait été tué. Vers 16h ils ont dit que comme le prêtre venait de mourir ils ont envoyé des gens pour « taillader ». Ils avaient pillé les magasins et quand ils constataient que quelqu’un respirait encore, ils le « tailladaient ». L’arrivée de la nuit a favorisé l’arrêt des tueries et « les tueurs étaient satisfaits de leur travail ». Ce n’est que le lendemain qu’ils sont revenus pour achever les gens. Il y avait quatre véhicules. Le témoin a alors quitté l’église et est allée se cacher chez quelqu’un, « dans la campagne », sa maison ayant été détruite. NGENZI a emmené des gens au Centre de Santé pour achever ceux qui s’étaient réfugiés là. « Comme il a tué mon mari et qu’il a été reconnu coupable, il devrait nous donner des dommages et intérêts. Il a fait de nous des veuves et des orphelins ». Son mari et son fils aîné seront tués.

La présidente questionne alors le témoin, d’abord sur l’épisode des vaches et des propos que NGENZI aurait tenu : « Vous avez tué les vaches alors que leurs propriétaires sont encore en vie ! » En fait, ce sont des propos qu’on lui a rapportés. Madame MATHIEU cherche surtout à savoir si elle a été témoin des faits ou si elle rapporte des propos qu’elle aurait entendus. Contrairement aux déclarations du curé de la paroisse elle dit que NGENZI est venu à la paroisse le 13 au matin ! Elle affirme même qu’il venait matin et soir pour voir si des réfugiés n’avaient pas quitté l’église. Monsieur NGENZI supervisait même les tueurs. Elle redit que le bourgmestre est bien allé chercher des militaires. Blessée elle-même, elle a fait semblant d’être morte en posant sa tête dans le corps éventré d’une femme qui était à côté d’elle. Pendant que les assaillants étaient occupés à piller à l’intérieur de l’église, ceux qui avaient encore un peu de force sont sortis : ils ont tous été massacrés à l’extérieur. Elle a survécu parce qu’une dame avec laquelle elle est partie avait donné de l’argent à un tueur. Son enfant avait été tué aussi.

Comme à son habitude, l’avocat général Philippe COURROYE lui pose des questions précises pour s’assurer que les jurés ont bien compris ses propos.

Puis ce sera le tour de la défense qui veut s’assurer que le témoin a bien vu ce dont elle parle.

Madame MUTETERI souhaite se porter partie civile à la fin de la matinée.

Audition de monsieur Justin KANAMUGIRE, en visioconférence. Rescapé de l’église. Témoin cité par maître MEILHAC.

Le témoin évoque des réunions qui se seraient tenus avant le génocide chez un certain Daniel avec les membres du Simba Bataliani [1], réunions au cours desquelles monsieur NGENZI les « aurait incités à tuer les Tutsi ». Ce sont ces gens-là qu’il va rendre responsables des tueries de l’église, NGENZI les ayant envoyé chercher. Pour les récompenser, le bourgmestre leur aurait donné le produit du pillage de trois magasins, ainsi que les véhicules de la paroisse.  Et de citer les noms de certains membres de ce Simba Bataliani.

Maître MATHE, alertée par une avocate de ses connaissances, interrompt l’audience, car le témoin lit un document qu’il dissimule sur ses genoux. Ordre lui est donné par la présidente de s’en séparer.

La présidente interroge le témoin sur ces fameux Simba Bataliani. Il confirme que ces réunions s’étaient bien tenues avant le 7 avril en présence de NGENZI. Au cours de ces rencontres, ils taillaient des gourdins. C’est d’ailleurs pour fuir ce groupe qu’il s’est réfugié à l’église. Il a bien entendu aussi le bourgmestre dire aux membres de ce groupe : » Eliminez-les tous ». Monsieur NGENZI a bien accompagné un jeune Tutsi à l’église mais c’était pour qu’il y soit tué. Et d’évoquer une réunion qui se serait tenue le 9 avril, une bagarre avec des assaillants le 13 au matin et le départ de NGENZI pour aller chercher du renfort auprès du Simba Bataliani et des militaires. On lui repose la question de savoir s’il était bien présent sur les lieux : il confirme. Il a d’ailleurs vu un jeune homme, Viateur, se faire tuer par les Simba Bataliani. Et de raconter ensuite sa fuite avec un certain Damascène jusque vers l’église pentecôtiste : le pasteur les chasse, il ne veut pas voir de sang dans son église. Les affirmations du témoin concernant la présence de NGENZI sont à l’opposé de celles du curé de Kabarondo. Ils divergent même sur la date de l’attaque de l’église. Le témoin confirme qu’il a fui en se mêlant aux Interahamwe [2]. En acceptant de témoigner, il a le sentiment de mettre sa vie en danger car « ce n’est pas bien vu pour un rescapé de faire des témoignages », même de la part de ses proches.

Questionné par les parties civiles, le témoin dit que NGENZI avait repris son autorité au camp de Benako en Tanzanie et qu’il appelait encore à tuer les Tutsi. Quant à maître MATHE, elle doute fort que le témoin ait été présent à l’église de Kabarondo.

Alain GAUTHIER

  1. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, déjà cité par plusieurs témoins pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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  2. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
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