Procès Ngenzi/Barahira. Jeudi 9 juin 2016. J 22.

Audition de Jean-Claude REBERO, par visioconférence. Cité par la défense.

Vu les propos tenus par le témoin, les contradictions manifestes avec ses auditions précédents, j’ai fait le choix de ne pas faire de compte-rendu. L’avocat général a d’ailleurs renoncé à l’interroger, bien conscient que ce témoin avait le « don d’ubiquité ».

Audition de François HABIMANA, agriculteur, cité par la défense.

Le témoin, âgé, ne nous pas apporté d’éléments capables de faire la lumière sur l’affaire évoquée devant la Cour d’assises. Il reconnaît que des Blancs sont venus l’interroger. Il connaît BARAHIRA qui a été bourgmestre et qui a quitté son poste après 5 ans.

En avril 1994, des Interahamwe [1] sont venus détruire la maison de son frère. BARAHIRA est venu lui dire que ses vaches s’étaient enfuies: il fallait qu’il envoie quelqu’un les chercher. Son frère avait trouvé refuge chez un certain MUSONERA. Il est allé le chercher à Kabarondo mais ils tombent sur des Interahamwe qui exigent 10 000 francs. « Comment voulez-vous qu’il vous donne cette somme alors que vous venez de détruire sa maison? » Ils accepteront 5000. Le témoin pourra ramener son frère chez lui. Il continuera à vivre à la maison. Il n’est pas mort à cette époque.

Encore un témoignage cité par la défense qui n’apportera rien à l’affaire. il contredit ce que d’autres témoins ont dit, ne sait pas grand chose, reconnaît avoir été entendu par des Blancs qui avaient une télévision (en fait un ordinateur!). Rires dans la salle et sur tous les bancs. Le témoin ne sait plus très bien s’il est Hutu ou Tutsi. L’audience tournera court, personne n’ayant intérêt à poursuivre.

Audition de François NSABIMANA, président du Tribunal de Kabarondo en 1994. visioconférence.

Le témoin commence par dire qu’il n’a rien à dire sur BARAHIRA. Sa déposition spontanée va se réduire au fait que NGENZI l’a bien convié à une réunion de sécurité pour échanger des idées. L’abbé INCIMATATA était là. Le bourgmestre nous demandait de faire tout notre possible pour que personne ne se retourne les uns contre les autres. Il a vu NGENZI pour la dernière fois après le massacre des Tutsi à l’église.. Tout ce qu’il apprendra par la suite, c’est ce qu’on lui dira au camp de Benako, en Tanzanie.

La présidente lui demande de s’exprimer sur sa « carrière ». Il n’a étudié que jusqu’en 4ème secondaire et il finira président du Tribunal de Kabarondo! Il sait peu de choses sur les engagements politiques des uns et des autres. Si on l’accuse d’avoir été un chef interahamwe, il met cela sur le compte des rescapés. Madame MATHIEU lui dit que ce ne sont pas des rescapés qui l’accusent. Le témoin met cela sur le compte de la jalousie et précise que ceux qui l’ont accusé ont tous été condamnés à des peines de prison. « J’ai reconnu avoir participé à Shyanda, obligé par les militaires. Les militaires ont tué des Hutu qui avaient caché des Tutsi ». Le témoin reconnaît qu’il a été condamné à une peine à perpétuité avec isolement. Quand l’avocat de la défense lui demandera en quoi consiste l’isolement, il dira qu’il peut parler avec les autres prisonniers, et recevoir des visites de sa famille.

Le témoin a entendu parler de l’attaque de l’église et la met sur le compte des Simba Bataliani [2] et des militaires. Si des témoins l’ont vu, ils mentent. Certains veulent se venger du fait qu’il a pu, dans l’exercice  de ses fonctions, les mettre en prison.

Le témoin ne croisera NGENZI que sur la route de l’exil. A Rusumo, à la frontière, où le bourgmestre se présente avec une blessure à la tête. Puis au camp de Benako.

Maître PARUELLE tentera de savoir pourquoi il a écopé d’une peine aussi lourde. « J’ai reconnu que deux personnes étaient mortes en ma présence. Je n’ai pas pu leur porter secours. J’ai conduit des militaires dans une attaque à Shyanda et on m’accuse d’avoir dirigé cette attaque. L’avocat cherchera aussi à lui faire dire que son épouse n’a pas été pénalisée par son comportement puisqu’elle est actuellement enseignante à l’école publique.

Les questions de l’avocat général vont permettre de voir que le témoin ne sait pas grand chose. Dernière « révélation »: lors de son audition par les gendarmes français, il s’est exprimé sans interprète, il a été entendu en Français…. Pourquoi pas aujourd’hui?

Maître MATHE veut faire dire au témoin que dans l’exercice de sa profession il ne s’est pas fait que des amis. D’où les accusations qui ont été portées contre lui après le génocide. Retour sur la peine à perpétuité avec isolement: « C’est une injustice extrême… Je me tais car cela pourrait se retourner contre moi… Ma propriété a été démembrée… Je paie des dommages pour du mal que je n’ai pas fait. » Puis de préciser que NGENZI a été dépassé, qu’il avait des affinités avec les Tutsi… « Il a eu peur. Celui qui n’a pas eu peur était inhumain« . Quant aux morts de sa famille, il ne veut pas en parler. L’avocate de la défense le fera pour lui.

Audition de Vincent SIBOMANA, ancien militaire des FAR. Cité par la défense.

Le témoin ne connaît ni NGENZI ni BARAHIRA. Soldat au sein du 74ème bataillon, il raconte les premiers jours d’avril et son combat contre le FPR. Défaits par leurs adversaires, les FAR finiront par se replier et par se retrouver à Kabarondo après un périple qui les fera passer par Kayonza, Rwamagana, Kibongo en empruntant la route en terre de Mugesera pour éviter le route aspahaltée où ils risquaient de rencontre les soldats du FPR. Le capitaine Théophile TWAGIRAMUNGU est à leur tête.

Questionné par la présidente, il reconnaît avoir vu des corps à Kabarondo alors qu’un de ses collègues dit n’avoir que senti de fortes odeurs. Il évoque le rôle de CYASA, un Interahamwe connu, qui a combattu aux côtés des militaires.

La suite de l’audition va essentiellement porter sur les dates données par le témoin. Difficile de rétablir la chronologie précise du déplacement des FAR. L’avocate de la défense, Maître MATHE, n’aura de cesse de vouloir faire arriver les soldats des FAR le plus tard possible à Kibungo et Kabarondo. Qu’a-t-elle derrière la tête? De toute évidence, montrer que son client, monsieur NGENZI, n’a pas pu jouer le rôle qu’on veut lui attribuer!

Audition de Donatien MUNYANEZA, policier communal en garde de la maison de NGENZI.

Il est déjà 19h40 et nous devons entendre encore un dernier témoin. Il ne dira rien sur BARAHIRA qu’il ne connaît pas. Le témoin va détailler son emploi du temps entre le 7 et le 15/16 avril 1994. Il passe la nuit du 7 au 8 avril devant la maison de NGENZI. Il signale un afflux de réfugiés qui se dirigent vers la paroisse où il va se rendre en compagnie du bourgmestre. Il ne reprendra son travail que le 10. Du bois de chauffage va être amené à la paroisse par la voiture de la commune. Le 13, il entend siffler beaucoup de balles du côté de l’église. Le bourgmestre ne rentrera chez lui que tard le soir, vers 22/23 heures. Le 14, arrivée de l’abbé Papias, vicaire de la paroisse, qui s’entretient avec NGENZI. L’épouse du bourgmestre l’envoie faire des courses pour nourrir les gens qu’elle héberge ainsi que ceux qui sont à la commune. le 15, le témoin reprend sa garde vers 18 heures. Il a rencontré sur son chemin l’infirmière Marie-Goretti à qui il conseille de rejoindre la maison de NGENZI. Elle rentrera chez elle: d’ailleurs, les personnes qui étaient hébergées chez le bourgmestre ont été évacuées sur Kibungo par CYASA.

La présidente, dans sa série de questions, va tenter de reconstituer une chronologie plus précise de l’emploi du temps du policier communal. Elle veut aussi avoir des précisions sur les propos du témoin qui a dit qu’à partir du 12 avril « NGENZI a beaucoup changé« . A part le fait de dire que le bourgmestre est rentré avec des habits sales, elle aura du mal à en savoir plus. En quoi son comportement a changé? « Le 12, NGENZI ne participe pas à l’enterrement d’Anysia de Rusera. Ce n’était pas son habitude! Le témoin avait pourtant dit, dans sa déposition, qu’il avait retrouvé NGENZI assis par terre au bureau communal… comme s’il avait perdu la tête! Autre coin d’ombre: le 15 au soir NGENZI rentre très tard en compagnie d’un militaire qui le raccompagne dans la voiture de la commune! Difficile d’y voir clair. Le 16 enfin, des militaires seraient venus chez le bourgmestre, auraient escaladé la clôture et déménagé le bourgmestre.

L’avocat des parties civiles, maître GISAGARA, aura beau commencer ses questions par un « J’ai l’impression que vous vous moquez de nous! », on progressera peu dans la compréhension des faits.

A l’avocat général, le témoin dira que les policiers communaux n’ont jamais tiré sur les réfugiés. Si des ordres pouvaient être donnés, seul le bourgmestre pouvait le faire. Le témoin a-t-il peur de témoigner? Pas vraiment!

Maître MATHE tente de faire dire au témoin que NGENZI était quelqu’un de bien, ce qu’il va confirmer.

L’audience est suspendue. Il est 22h15!

 

  1. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
    [Retour au texte]
  2. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, déjà cité par plusieurs témoins pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
    [Retour au texte]

Lire aussi

Procès en appel HATEGEKIMANA : lundi 2 décembre 2024. J20

Auditions d'Éric MUSONI, Télesphore NSHIMIYIMANA, Damascène BUKUBA, Anne-Marie MUTUYIMANA (partie civile) et Cyriaque NYAWAKIRA (partie civile). Dépôt de conclusions au sujet de l’inclusion des faits sur la colline de KARAMA.