- Audition de Jacqueline MUGUYENEZA, rescapée et partie civile.
- Audition d’Augustin NSENGIYUMVA, cousin de Médiatrice UMUTESI.
- Audition de David TANAZIRABA, assistant bourgmestre en 1994.
- Audition de Marie MUKABARANGA, en visioconférence.
- Audition de Marie-Thérèse NAKAZI, épouse de David TANAZIRABA.
Audition de Jacqueline MUGUYENEZA, rescapée et partie civile.
Madame MUGUYENEZA entreprend de raconter avec force détails les journées qui font suite à l’attentat contre le président HABYARIMANA, le 6 avril 1994, et le 17 date à laquelle elle échappera à la mort après avoir été transférée à Kibungo pour y être tuée avec les rescapés qui avaient trouvé refuge chez Médiatrice UMUTESI. Elle va s’attacher à décrire avec le plus de précisions possibles les événements qui ont jalonné sa vie au cours de ces journées du génocide à Kabarondo. A tel point qu’à deux reprises le président lui demandera de synthétiser davantage afin qu’on puisse lui faire apporter davantage de précisions lors de la série des questions. Ce qu’elle raconte se rapproche assez souvent de ce que Médiatrice UMUTESI a déclaré la veille devant la Cour, même si les deux récits ne sont pas identiques. En effet, vu les circonstances, chacun appréhende la réalité à sa façon. Beaucoup de rescapés de l’église avaient trouvé refuge dans la maison de madame UMUTESI, proche du lieu de culte. Comme son amie, elle signale la présence de NGENZI, armé, et de nombreux militaires qui ont encerclé la maison ce fameux 17 avril 1994. Elle évoquera aussi bien évidemment son « voyage » à Kibungo, dans la voiture des militaires, où la plupart des rescapés seront exécutés. NGENZI fait partie du convoi. Comment a-t-elle pu échapper à la mort? C’est pratiquement un miracle, elle qui avait renoncé à la vie. Au milieu des pleurs et des cris des enfants, elle a réussi à fuir. Elle sera définitivement sauvée avec l’arrivée des Inkotanyi [1].
Va suivre la série de questions du président qui va chercher à avoir plus de précisions sur certains points restés encore obscurs: ses propres relations avec NGENZI, les relations entre NGENZI et RWAGAFILITA [2], les visites du cousin de médiatrice, Jean-Marie Vianney MUNYANGAJU… Maître DECHAUMET lui demandera si elle écoutait la RTLM (Radio Télévision Mille Collines): c’est par le canal de cette radio qu’elle pouvait suivre la situation dans tout le pays. Quant à l’avocat général, il n’aura de cesse de faire dire au témoin que NGENZI était « dans un mauvais état, qu’il était fâché » et que c’était bien lui le « superviseur » de la rafle.
Maître MATHE, au nom de la défense, renonce pratiquement à interroger le témoin: « Vous témoignez si souvent que vous ne savez plus où vous avez témoigné! »
Audition de Laurent BUCYIBARUTA, ancien préfet de Kibungo, préfet de Gikongoro en 1994, l’épicentre de la zone Turquoise, lui-même visé par une plainte pour génocide depuis l’année 2000.
Monsieur BUCYIBARUTA se présente à l’audience mais vu le retard pris sur le planning établi, il accepte de revenir le mardi 28 juin 2016.
Audition d’Augustin NSENGIYUMVA, cousin de Médiatrice UMUTESI.
Le témoin était en visite chez sa cousine Médiatrice depuis le 6 avril. Pendant plusieurs jours, il restera enfermé dans la maison de son hôte, reconnaissant être sorti pour chauffer de l’eau afin de donner du thé à boire aux enfants et aux vieilles femmes qui se trouvaient dans la maison. C’est alors que la demeure a été encerclée par des militaires. On leur demandera de lever les bras en l’air. Un des militaires ironisera: « C’est de cette manière-là que les Inyenzi lèvent les bras, c’est ainsi que vous dansiez? [3] » NGENZI, arme au poing, aurait alors ordonné à Médiatrice de faire sortir de la maison toutes les personnes qui y avaient trouvé refuge, reconnaissant que lui-même avait livré les enfants de MURENZI qu’il avait hébergés quelques jours. Les rescapés seront alors emmenés à bord des deux voitures qui se trouvaient tout près. Le témoin a bénéficié d’une courte halte à la commune pour ne pas faire partie du voyage à Kibungo. Dative, la femme de KAJANAGE va être embarquée à son tour. Quant à lui, un militaire l’a fait descendre de la voiture: « Personne ne meurt avec de l’argent. Lève les bras et ne te retourne pas! » Il s’attendait à recevoir des balles dans le dos! Il sera le seul à ne pas faire le « voyage » vers Kibungo!
Le lendemain, le témoin recevra de nouveau de la visite de militaires: l’un d’entre eux lui demandera de l’argent. Il le trouvera sous le lit de sa cousine, dans une bouteille que le soldat cassera. Il repartira après avoir volé quelques objets de valeur.
Le président va tenter d’y voir un peu plus clair dans le témoignage du témoin. Il y a manifestement un problème de date, mais pas seulement. Le témoin avait signalé la présence d’Interahamwe [4] lors de cette visite chez sa cousine! Il est le seul. NGENZI avait bien un pistolet, mais il avait une autre arme, un fusil SMG qu’il portait en bandoulière [5] . Ayant des difficultés à définir exactement le type d’arme, le témoin de répondre, désignant NGENZI: » Je pense que celui qui portait cette arme est ici, il pourrait nous éclairer! »
A l’avocat général, il précisera que lors de la visite chez UMUTESI il semble bien que NGENZI était le chef, même si le capitaine TWAGIRAMUNGU jouait un rôle éminent. L’objet de la rafle, en tout cas, n’avait d’autre objectif que de tuer les Tutsi.
Le témoin, interrogé par maître MATHE, va se perdre dans des explications assez alambiquées concernant le capitaine: il aurait été « masqué » et ne l’aurait reconnu que le lendemain!
Audition de David TANAZIRABA, assistant bourgmestre en 1994.
Son audition va essentiellement tourner autour d’une réunion le 9 avril, réunion de sécurité à laquelle participe le témoin. Le même jour, NGENZI aurait participé aussi à une réunion importante à la Préfecture de Kibungo, réunion qui rassemblait toutes les autorités de la région. A la réunion de Kabarondo, il avait été difficile de trouver un consensus concernant l’organisation des rondes. A son retour, le bourgmestre aurait demandé à ce que chacun organise sa propre sécurité. Le témoin donne une chronologie rapide des événements et signale que le Centre de Santé et l’IGA ont été attaqués le 17 avril. Pendant toute la période des massacres, le témoin dit être resté chez lui: il cachait une quinzaine de Tutsi. Il reproche à NGENZI de ne pas avoir usé de son autorité pour protéger la population.
Le président cherche à savoir si les cartes d’identité étaient obligatoirement signées par le bourgmestre. « Généralement oui, sauf s’il était absent. Dans ce cas, c’est le conseiller supérieur qui pouvait apposer sa signature« . A propos de l’IGA [6], il précise que c’est sa femme, Marie-Thérèse NAKAZI, d’origine ougandaise, et assistante sociale, qui donnera les clés aux veilleurs pour qu’ils ouvrent les portes pour les réfugiés. Ce que cette dernière contestera vigoureusement lors de son audition.
En cachant des Tutsi, il a donc risqué sa vie? Effectivement, il a pris des risques et pourrait bien être considéré comme un « Juste ». Il a d’ailleurs été menacé de mort.
L’interrogatoire du témoin reprendra après une interruption d’audience car il était prévu une visioconférence avec Kigali.
L’avocat général interroge le témoin pour savoir si des armes ont été distribuées dans la commune. Le témoin confirme. Il connaissait aussi les Simba Bataliani [7], les Abalinda [8], les Interahamwe [4] du secteur. Le bourgmestre les connaissait aussi.
Question délicate: « Si vous aviez été bourgmestre, qu’est-ce que vous auriez fait? » Le témoin n’hésite pas, il aurait donné des ordres pour que cessent les massacres: « Tuer est un péché, ne faites pas cela« , aurait-il fait passer comme message. Pour lui, toutes les autorités avaient le pouvoir de faire cesser les tueries. En étant présent pendant les massacres, il faisait savoir qu’il n’y était pas opposé. Idem pour les rafles. Ce qui s’est passé, » c’est horrible et terrible« .
Le témoin, questionné par maître MATHE, reconnaît qu’il est parti en Tanzanie à l’arrivée du FPR, avec les enfants qui s’étaient réfugiés chez lui. Il traversera la frontière en même temps que NGENZI. L’avocate lui fera remarquer qu’en tant que militaire, les autorités judiciaires ont eu du mal à obtenir l’autorisation pour qu’il soit entendu!
C’est à ce moment-là que le président, monsieur DUCHEMIN, interrompt l’interrogatoire pour demander à NGENZI les raisons pour lesquelles, depuis un moment, il rit! L’accusé veut s’expliquer mais il lui est répondu qu’il aura l’occasion de le faire plus tard. Il finira toutefois, en fin de journée, par obtenir l’autorisation de s’excuser. Mais le président ne renonce pas à revenir sur l’incident.
Audition de Marie MUKABARANGA, en visioconférence.
Après l’attentat contre l’avion d’HABYARIMANA, « les gens se sont mis à incendier les maisons des autres. Les Tutsi fuyaient, les Hutu tuaient ». Elle aurait appris que des militaires venus de Kibungo auraient tiré sur l’église et ses occupants. Trois jours après les massacres, des gens se sont réfugiés chez elle. NGENZI est alors venu chez eux et s’est entretenu avec son mari: « Si demain on trouve des Tutsi chez toi, tu n’auras à t’en prendre qu’à toi-même« . Il avait croisé le frère du témoin, un certain RUTAYISIRE, en arrivant à la maison. C’est d’ailleurs la seule fois qu’elle a vu NGENZI chez elle!
Le lendemain, les attaquants sont arrivés mais son mari avait demandé à son beau-frère de quitter la maison. Ils n’ont donc trouvé personne, trois jeunes enfants ayant été passés par-dessus la clôture du voisin. NGENZI ne participait pas à l’attaque. Les attaquants sont repartis après avoir tenté de voler le véhicule de son mari: ils sont allés continuer leurs rafles ailleurs. Quant à eux, ils ont fui en Tanzanie.
Son mari, Jean-Baptiste RUZINDANA sera incarcéré à leur retour de Tanzanie mais n’ayant pas plaidé coupable, il sera libéré après avoir fait plus de six ans de prison. Reste à savoir si NGENZI, comme il le prétend, est venu pour avertir son ancien camarade de classe qu’il serait attaqué, et donc pour le sauver, où s’il était venu pour s’assurer que le témoin cachait des Tutsi! Parole contre parole! Pour elle, il ne fait pas de doute: le bourgmestre était bel et bien venu pour dénoncer la présence de Tutsi et non pour protéger la famille du témoin. Il était bien évidemment au courant de l’attaque.
Maître LAVAL se contentera de faire remarquer: « Ce témoin est cité par la défense? Il satisfait pleinement les parties civiles ».
Questionnée par l’avocat général, le témoin confirmera que dans la mesure où NGENZI venait chez eux pour la première fois, ce n’était pas pour les aider. Il était au courant que son mari était Hutu et qu’on pouvait héberger des Tutsi, étant elle-même Tutsi.
Toujours sur question de monsieur COURROYE, le témoin rapporte que le bourgmestre ne leur a jamais fourni de fausse carte d’identité; par contre, un jeune homme qui exerçait le métier d’agent recenseur le leur avait bien proposé contre de l’argent. Ces cartes avec la mention « Hutu » ne leur ont servi à rein dans leur fuite. Elles ont été déchirées.
Maître MATHE ne partage bien évidemment pas l’analyse du témoin: « On prévient, c’est mal! On ne prévient pas, c’est mal! » Pourtant, le témoin acceptera la proposition de l’avocate: » Si NGENZI n’était pas passé, vous auriez été tués? » Quant à savoir si la signature du bourgmestre figurait sur les cartes d’identité, le témoin ne saura répondre!
Audition de Marie-Thérèse NAKAZI, épouse de David TANAZIRABA.
On peut se demander pourquoi ce témoin a été cité à comparaître pour témoigner! Elle n’a jamais vu ni NGENZI, ni BARAHIRA pendant toute la période du génocide. Elle travaillait à l’IGA [6] et avait donc NGENZI comme employeur. Elle va contredire son mari qui avait prétendu que c’est elle qui avait remis les clés du centre de formation permanente aux veilleurs pour qu’ils ouvrent les portes.
Sur questions de l’avocat général, on apprendra qu’elle avait conseillé à KAJANAGE de fuir. De plus, elle avait entendu dire par des Interahamwe [4] que l’église serait attaquée!
Le témoin répond ensuite à Maître MATHE. NGENZI était un homme sociable, qui ne faisait aucune différence entre Hutu et Tutsi. » Le bourgmestre ne vous en a pas voulu d’être originaire du pays d’où le FPR avait attaqué? » Pas du tout! C’est lui qui les avait mariés: « NGENZI était comme un parent« . Elle redit que l’attaque du Centre de Santé et de l’IGA ont bien eu lieu le même jour. Elle prend la défense de NGENZI en affirmant qu’il « était très choqué après le génocide: il avait conduit des blessés à l’hôpital, fait enterrer les morts de l’église, hébergé des Tutsi chez lui... » A Benako, le bourgmestre était un réfugié comme les autres. Elle souligne toutefois qu’il a repris sa responsabilité de bourgmestre! Qu’il est devenu humble et qu’il n’a jamais maltraité de Tutsi. Affirmer qu’une certaine Benoîte le tiendrait d’elle, c’est un mensonge.
« Je vous crois« , conclut l’avocate.
Alain GAUTHIER
- Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. « Glossaire« .
[Retour au texte] - Le colonel RWAGAFILITA était l’homme fort de la région, éminence grise du pouvoir génocidaire. Il valait mieux bénéficier de ses faveurs pour devenir bourgmestre… Il fut parmi les activistes les plus impliqués dans les massacres autour de Kibungo dont il était originaire. Voir le glossaire pour plus de détails.
[Retour au texte] - Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. « Glossaire« .
[Retour au texte] - Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. « Glossaire« .
[Retour au texte] - Abréviation de « Submachine Gun » ou pistolet-mitrailleur en français (cf. Wikipedia). Le président cite à ce propos l’Uzi, un pistolet-mitrailleur israélien.
[Retour au texte] - Centre communal de formation permanente.
[Retour au texte] - Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, déjà cité par plusieurs témoins pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
[Retour au texte] - Abarinda : dans secteur de NGENZI, ce groupe avait repris le nom traditionnel « des gens qui savent chasser » pour l’appliquer à la traque des Tutsi.
[Retour au texte] - Lors de son audition, Jean-Baptiste KARUYONGA confirme que TOTO lance une grenade qui provoque la mort de 6 personnes.
[Retour au texte]