Procès Ngenzi/Barahira. Mardi 3 juillet 2018. J37. Plaidoiries des parties civiles.

Plaidoirie de maître PARUELLE, avocat d’Ibuka.

« J’aurais pu reprendre mes notes du procès en première instance mais rien ne s’est passé comme prévu. J’ai eu l’impression d’avoir changé de système juridique, d’être passé dans le système anglo-saxon. Mais les derniers interrogatoires ont remis les choses en place : il fallait qu’on parle des faits, de Kabarondo. »

« Un génocide oublié » a-t-on pu dire. Il est vrai que la presse aura manifesté peu d’intérêt à ce procès. Un million de personnes vont disparaître dans des conditions effroyables, le génocide le plus rapide de l’histoire : 10 000 morts par jour, 1 000 morts par heure, des hommes, des femmes, des enfants mutilés… »

« Je voudrais tenter de vous convaincre de la réalité de ce qui s’est passé au Rwanda ». L’avocat remercie monsieur et madame GAUTHIER, à l’initiative de cette affaire et de tant d’autres. De préciser ensuite que l’avocat des parties civiles n’est pas l’accusation, ce n’est pas à lui de requérir.

L’avocat des parties civiles est la voix des sans voix, sans haine, sans esprit de vengeance. Et s’adressant aux jurés : « Vous participez à un procès historique. » Et de souligner que le travail de mémoire est très important. C’est le thème développé par le président de l’association Ibuka. Il s’agit de se remémorer pour pouvoir vivre ensemble.

Au Rwanda, on a besoin des voisins. Après le génocide, il y avait le devoir de vivre ensemble.

Maître PARUELLE évoque alors son enfance et ses visites annuelles à Oradour-sur-Glane avec sa sœur et sa grand-mère. Après avoir évoqué les travaux d’Hélène DUMAS et de monsieur AUDOIN-ROUZEAU, pour qui la découverte tardive du génocide des Tutsi fut un choc. Ce choc, l’avocat l’a eu lui aussi en 1994 : « Il faut avoir connu le génocide pour en parler. »

NTARAMA, à quelques kilomètres de Kigali : 5 000 morts. « Si vous me demandez quel jour, à quelle heure, avec qui je m’y suis rendu, je ne sais plus. Mais j’y suis allé ! »

Un peu plus loin, à une dizaine de kilomètres, à NYAMATA, ce fut le même spectacle : des cadavres partout dans l’église, du sang sur les murs… « Quand, le même jour ? Avec qui ? Je ne sais plus, mais j’y étais ! »

MURAMBI, dans une école, 50 000 morts dont certains étalés sur des tables d’écoliers. « J’y suis allé en 1994. Était-ce avant NYAMATA, avec qui ? Je ne sais pas, mais à MURAMBI, j’y étais ! »

« Il en est ainsi de la mémoire. De temps en temps, nous oublions une partie de ces faits pour en conserver l’essentiel. Si vous essayez de vous souvenir d’un événement important de votre vie, vous ne vous souviendrez plus des détails. » Et citant le président d’Ibuka : « Sur la pellicule de leur mémoire, plusieurs pellicules se sont superposées. Le temps et le traumatisme ont brouillé leur mémoire. »

Il est important pour l’avocat que tous rendent compte de leurs responsabilités. Il est injuste qui ceux qui avaient pu s’échapper puissent s’expliquer. Ce génocide n’a pu se perpétrer que parce qu’il y avait un modus operandi : on rassemble les gens et on les massacre parce qu’ils sont Tutsi, comme on a exterminé les Juifs parce qu’ils étaient Juifs.

A Kigali, la vie continue pendant le génocide. On évite les cadavres sur les trottoirs. L’administration fonctionne, du haut en bas de l’échelle.

Maître PARUELLE revient sur l’extrait du livre Bad News qu’il a fait verser au dossier, qui souligne le rôle des bourgmestres et que la défense n’avait pas fait citer pour cela [1].

« Vous devez juger les faits qui se sont produits à Kabarondo. C’est le procès de NGENZI et BARAHIRA, par le procès du président KAGAME. En 1994, on ne pouvait pas laisser ces crimes impunis comme c’était le cas lors des événements précédents. Il fallait que cesse cette culture de l’impunité. Il n’y avait pas d’amnistie possible au Rwanda : plus de justice, plus de magistrats, plus d’avocats. Il aurait fallu de 150 à 200 ans pour juger 120 000 personnes emprisonnées. Il fallait trouver autre chose : on a remis en place les Gacaca entre 2005 et 2012  [2]. Environ 1 200 000 personnes jugées. Bien sûr, ce n’est pas une justice qui correspond aux critères internationaux. Les juges, personnes intègres, étaient des gens comme vous. Les Gacaca ont permis de juger un maximum de personnes, beaucoup de tribunaux composés de Hutu dans la mesure où les Tutsi avaient été exterminés. Il fallait nommer les victimes et désigner les bourreaux, dans un but de reconstruction nationale. On a ainsi pu vider les prisons (NDR. Parfois au grand dam des rescapés qui voyaient revenir les tueurs des leurs sur la colline.) Les Gacaca n’ont pas été parfaites, mais les témoignages n’ont pas été fabriqués. »

D’évoquer ensuite la décision du TPIR et de nombreuses instances nationales d’accepter d’extrader vers le Rwanda des personnes contre lesquelles des mandats d’arrêts internationaux avaient été lancés. (NDR. La France a refusé à ce jour d’extrader 42 Rwandais soupçonnés d’avoir participé au génocide et un nombre important d’entre eux n’a pas fait l’objet de poursuites judiciaires !)

L’avocat précise qu’il représente à ce procès l’abbé INCIMATATA qui n’a jamais varié dans ses déclarations et qui a perdu beaucoup de membres de sa famille. Il représente aussi l’association Ibuka dont il lit l’objet, association qui n’est pas aux mains du pouvoir. D’ajouter que le temps du procès est le temps du génocide : demain, 4 juillet, sera célébrée la fin du génocide.

« On fera appel à votre intime conviction. Vous aurez à répondre à des questions simples. Vous vous souviendrez que ça fait 24 ans que les rescapés attendent que justice soit rendue : ils ont besoin d’être reconnus en leur qualité de victimes. Les accusés n’ont jamais émis le moindre regret. Si vous hésitez encore, pensez à ces enfants de la salle que le Mémorial de Gisozi à Kigali leur a réservée : des portraits d’enfants avec des informations sur leurs goûts, leurs rêves, leur mode d’exécution… Vous penserez aux enfants du Rwanda, aux enfants de Kabarondo. »

 

Plaidoirie de maître Sabrina GOLDMAN, avocate de la LICRA.

Maître GOLDMAN commence par rappeler que le 19 mai dernier la Une des journaux annonçait le mariage princier à la Cour d’Angleterre. À l’ouverture de ce procès, elle a eu honte : il n’y avait personne à la tribune réservée aux journalistes ! « Et ici, nous parlions d’un million de morts ! Qui s’y intéresse à part vous, à part nous ? » Au procès BARBIE, il y avait 800 journalistes venus du monde entier en 1987 ! Et de citer MITTERRAND : « Que peut faire la France lorsque des chefs d’État africains règlent leurs comptes à la machette ! » Ou encore Charles PASQUA : « Il ne faut pas croire que le caractère horrible de ce qui s’est passé là-bas a la même valeur pour eux et pour nous ». De citer aussi AUDOIN-ROUZEAU qui a découvert tardivement le génocide des Tutsi et qui reconnaissait « n’avoir rien vu parce qu’il n’avait pas voulu voir ! »

Au Rwanda, ce fut le même mécanisme que dans les grands génocides du XXe siècle.

Maître GOLDMAN représente la LICRA qui est légitime parce que l’association combat l’antisémitisme et le racisme, définition légale du génocide. « Tuez-les tous pour ce qu’ils sont. Ils n’ont ni le droit d’exister, ni droit à une sépulture. »

De faire allusion ensuite au procès de Samuel SCHWARZ BART, un Juif qui avait assassiné un leader nationaliste ukrainien qui vivait en France en toute impunité. La Cour d’assises va l’acquitter parce que la justice n’avait pas fait son travail en ne jugeant pas le criminel. C’est là qu’est née la LICRA.

« Vous allez rendre la justice au nom du peuple français, au nom du principe de la compétence universelle car le génocide est un crime grave qui porte atteinte à l’Humanité toute entière. C’est donc à l’Humanité de juger ces crimes. »

L’avocate de faire allusion alors à la rafle des 44 enfants juifs d’Izieu. Et de citer Ernest HEMINGWAY : « Tout homme est un morceau du continent, une part du tout. » (NDR. En épigraphe de son roman Pour qui sonne le glas, il cite lui-même John DONNE : « Nul homme n’est une île, entière en elle-même ; tout homme est un morceau du continent, une partie de l’ensemble. Si une motte de terre était emportée par la mer, l’Europe en serait diminuée, aussi bien que si c’était un promontoire, aussi bien que si c’était le manoir de tes amis ou le tien propre : la mort de tout homme me diminue, parce que je fais partie du genre humain, et en conséquence, n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas ; il sonne pour toi. »

Maître GOLDMAN revient sur le procès BARBIE : « Personne n’est sorti du procès BARBIE comme il y était entré. Il en sera ainsi de nous tous. » Un nouveau vocabulaire a été utilisé : machetter, se faire tuer plusieurs fois. Et de rappeler le témoignage de Jean CHATAIN de retour à Kigali : « On avait l’impression que le sol vomissait des corps. »

L’avocate de la LICRA souligne la dignité des rescapés qui sont venus témoigner. Elle ne pourra oublier Christine MUTETERI, qu’elle représente. Et de rappeler les mots d’Elie WIESEL : « Le tueur tue toujours deux fois : la première fois en donnant la mort, la seconde fois en essayant d’effacer les traces de son meurtre. »

Et de conclure : « Ces neuf semaines de procès ont permis d’éviter cette seconde mort. Il faut que justice soit rendue. »

 

Plaidoirie de maître Rachel LINDON, avocate de la LICRA.

« Vous essayez de m’embrouiller » avait déclaré Marie MUKAMUNANA, que l’avocate représente et qui a perdu ses sept enfants « découpés à la machette parce qu’il fallait économiser les balles ! ».  La défense a essayé de nous transporter le plus loin possible de Kabarondo. Nous sommes en présence de crimes qui ne s’expliquent pas. Les accusés nient pour pouvoir continuer à vivre. Et de s’en prendre à la défense des accusés.

Le manque de moyens ? Monsieur BITTI a répondu. Nous sommes dans des systèmes différents.

Pas le temps ? Si on n’en avait pas perdu à parler du FPR, on aurait eu le temps de parler de Kabarondo.

On vous redemande des actes, on veut vous entraîner ailleurs. On refuse de passer outre !

On vous demande un transport sur les lieux ? La question a déjà été tranchée.

Et que dire de cette demande d’aller au Rwanda deux jours après le début du procès. Le Rwanda a répondu !

Il faudrait être Rwandais pour juger ?

La compétence universelle ? Oui mais…

Les tribunaux rwandais ne peuvent pas juger ! C’est une dictature.

On loue le TPIR ? Oui, mais il est fermé !

L’attentat [3] ? On veut faire porter aux victimes une partie du poids du génocide.

PEAN !!!

Le génocide n’a pas été le résultat d’une colère populaire !

Un génocide ? Oui, mais !

Pas d’entente en vue de commettre le génocide ? On sait que le génocide a eu lieu et à l’origine du génocide, il y a un plan préparé. Il y a eu exécution d’un plan concerté. Pas nécessaire de trouver des documents pour le prouver, il suffit d’exécuter ce plan.

Pas des massacres, pas une guerre : un génocide !

Un génocide ? Oui mais, il y a eu les crimes du FPR !

Les crimes de Staline annuleraient le génocide des Juifs ?

Aucun parallèle possible entre le génocide et les crimes qui ont suivi.

L’accusation en miroir était déjà une stratégie nazie. Chez HABYARIMANA on a trouvé des films sur HITLER !

A Kabarondo, là encore, oui mais…

  • Tous des menteurs comme le dit PEAN.
  • Des faux témoignages au TPIR ? Oui, c’est arrivé. Mais cela ne remet pas en cause tous les témoignages.
  • On n’est pas là pour juger le FPR !
  • Les prêtres mentiraient à l’église ! Par vengeance ?

Pour la défense, un témoignage ça ne vaut rien, sauf si c’est un témoignage à décharge !

Odette KAMPIRE a donné sa quatrième version à l’audience : elle a menti.

Et si tous les témoins mentent, on va garder la parole des accusés ? Eux aussi mentent !

NGENZI a menti de la CNDA. Les accusés n’ont pas lu le N°6 de Kangura  [4]. La radio, ils la ferment. Ils ont gardé de l’influence mais pas d’autorité.

Et les belles actions ! Pourquoi personne ne vient témoigner en leur faveur. D’autres bourgmestres ont sauvé des vies mais personne ne parle de NGENZI !

Il y aurait un complot généralisé ? C’est un peu facile.

Il y a un problème de mémoire ? On ne peut pas se souvenir de tout quand on a vécu cela. Monsieur BITTI a rappelé qu’on ne jette pas tout dans un témoignage.

Maître LINDON représente la LICRA mais aussi Léopold GAHONGAYIRE et Marie MUKAMUNANA. Quel intérêt cette dernière aurait à mentir ?

Monsieur NGENZI, vous connaissez la côte, mais vous ne connaissez pas cette femme ! Et pour vous, monsieur BARAHIRA, il faut se réconcilier ?

« Je suis handicapée mais je ne suis pas née handicapée » avait rappelé Marie MUKAMUNANA.

Et maître LINDON de conclure : « Vous avez essayé de nous embrouiller : c’est votre seule défense possible. Messieurs, vous n’avez pas réussi votre travail jusqu’au bout. »

 

Plaidoirie de maître Loïc PADONOU, avocat de parties civiles.

« Le 13 avril 1994, la mort courait sur Kabarondo. NGENZI et BARAHIRA ont-ils des responsabilités dans les événements de Kabarondo ? C’est la question qui vous sera posée. » Ainsi commence la plaidoirie de l’avocat de la FIDH.

« On voulait des témoignages parfaits ? Cela n’existe pas. C’est d’ailleurs celui dont tout le monde se méfie ! »

De régler son compte ensuite à Pierre PEAN qui est venu comme témoin de la défense.

BAGILISHEMA serait une référence pour la défense ? Mais il y a des différences de taille entre les deux bourgmestres. BAGILISHEMA a eu des témoins qui ont démontré qu’il les avait sauvés. De plus, il a écrit des courriers signés et a demandé que ces courriers soient lus lors des interrogatoires. « Il était contre les massacres ! » La posture de BAGILISHEMA est à l’opposé de celle de NGENZI.

Maître PADONOU signale qu’il est aussi l’avocat de deux personnes physiques parties civiles : Félicien KAYINGA et Donatille KANGONWA.

« Mes clients seraient des délateurs ? » demande l’avocat. Quel intérêt auraient à témoigner à charge des témoins condamnés à perpétuité ? Mes clients ont précisé que NGENZI les aurait aidés. Ce sont des parties civiles. Mais s’ils sont aussi témoins à charge, ce sont des menteurs ! »

Et puis, il ne faut pas oublier les mensonges des accusés. Tous les témoins ont entendu parler de cette réunion au terrain de foot de Cyinzovu. Dans son planning du 13 avril, BARAHIRA déclare passer devant l’église avec le chef de l’Electrogaz : il ne voit que 5 cadavres  [5] !

NGENZI parle d’un « homme de bonne volonté » qui vient l’avertir des rafles chez KAREKEZI et autres habitants. Il connaît les côtes des dossiers, mais pas le prénom du témoin anonyme !

La défense a déposé beaucoup de conclusions et ce n’est pas dilatoire. Mais quand les avocats de la défense disent souhaiter aller au Rwanda et qu’ils n’y vont pas, c’est une posture d’audience. Maître PADONOU révèle être le dernier à être allé à Kabarondo pendant le procès : il raconte ce qu’il a vu.

De revenir ensuite sur l’histoire des parties civiles qu’il représente. Donatille ? « Plus tard j’ai compris ce qui s’est passé » dira NGENZI. En fait, il est venu la chercher à Bisenga et au moment où elle est sur le parvis de l’église, elle recevra des grenades, des balles dans le bras… Quant à Félicien, il recevra des coups de machette, de massues, sous les sifflets des Interahamwe. Et l’avocat d’ajouter : « Vous vous souviendrez des déclarations de l’assistant bourgmestre. »

Et de conclure en faisant une hypothèse. « Imaginons que NGENZI ait conduit les rescapés à l’église dans un mauvais dessein, imaginons qu’il soit allé chercher les militaires, imaginons qu’il ait tiré sur les fuyards : dire que mes clients sont des menteurs, c’est la forme la plus aboutie du négationnisme. »

 

Plaidoirie de maître ARZALIER, avocat de personnes physiques parties civiles.

L’avocat commence sa plaidoirie par une citation d’Arthur KOESTLER : « Les statistiques ne saignent pas. Savez-vous ce qui compte? Le détail. Le détail seul compte. »

« Je suis devant vous pour défendre des victimes, la famille de Mélanie UWAMARIYA, sa fille Alexandra et la famille KAJANAGE. Un génocide, ce n’est pas un million de morts, c’est un mort, plus un mort, plus un mort… et à chaque mort c’est une famille qui est détruite. »

D’évoquer alors la mort des familles de ses clients et des conditions dans lesquelles elles ont disparu. Aucun corps n’a été retrouvé, ce qui augmente la souffrance des familles. Dans son témoignage, Dafroza GAUTHIER a évoqué « le vertige et le néant » ! Quand des survivants disent : « Ils nous ont tués ! », cela veut dire que quelque chose est mort en eux. « Les morts ne mentent pas, ils n’ont pas intérêt à mentir. »

Les mensonges des accusés sont une véritable ignominie. BARAHIRA parle de ses vis platinées, de sa brouette chargée de foin, de fumées de cuisine. Quant à NGENZI qui veut se faire passer pour un sauveur, il prétend avoir sauvé Papias alors qu’il a racketté l’évêché.

Dans son audition, Oscar KAJANAGE a dit : « La peur tue l’intelligence ! » NGENZI a eu peur de perdre ses pouvoirs, ses richesses ? » En fait, il a perdu sa liberté, son pays, ses amis qui se considéraient comme ses frères.

De conclure par ces mots : « J’ai plaidé pour mes clients, pour les détails du génocide des Tutsi, pour leurs enfants qui sont morts ! »

 

Plaidoirie de maître Arié ALIMI, avocat de la LDH.

Maître ALIMI commence par évoquer la mémoire « des hommes, des femmes, des enfants qui sont morts sans savoir pourquoi ! »

Le rôle d’une partie civile ? : « Contribuer à la manifestation de la vérité. Et pour plaider, une partie civile doit être recevable. »

L’avocat retrace rapidement l’historique de la LDH. Et de rappeler l’événement fondateur, la lettre d’Emile ZOLA, J’accuse, publiée dans le journal L’Aurore le 18 janvier 1898 : lettre adressée à Félix FAURE à l’occasion de l’affaire DREYFUS. L’auteur des Rougon Macquart sera traduit devant la justice et son défenseur émettra le souhait de créer une Ligue de défense des droits de l’Homme.

Sous l’Occupation, la LDH paiera un lourd tribut.

Partie civile au procès Maurice PAPON EN 1997, la LDH se veut être « une vigie dans cette nuit de l’humanité. » Le génocide des Tutsi est le résultat d’un long processus.

« NGENZI et BARAHIRA, vous faites partie de l’humanité et vous avez participé à son exécution au Rwanda en usant de votre pouvoir. » Les crimes contre l’humanité n’ont pas de frontières. Et l’avocat de faire allusion à Hannah ARENDT.

Les crimes du FPR, le rôle de la France ne font pas l’objet de ce procès. Le rôle de la justice est de déterminer la responsabilité individuelle des accusés : participation active/passivité criminelle ? L’histoire ne sera jamais totalement guérie : même passivité en Syrie !

« L’humanité sombre dans la Méditerranée ! »

Une dernière adresse aux jurés : « Puisse votre décision contribuer à sauver cette humanité si imparfaite. »

 

Plaidoirie de maître Jean SIMON, avocat de SURVIE.

Maître SIMON présente l’association SURVIE qu’il représente : créée en 1984, avec comme objet « la réforme de l’aide au développement » et « la résolution de la faim dans le monde ». L’association dénonce aussi la politique pratiquée par rapport aux pays d’Afrique, la « Françafrique ».

Concernant le génocide, l’avocat évoque l’intervention de Jean CARBONARE au Journal de 20 heures en janvier 1993 : un génocide se prépare au Rwanda. Billet d’Afrique du début 1994 dénonce à son tour ce qui se passe au Rwanda. Tout en parlant du travail de SURVIE pendant le génocide, maître SIMON évoque le souvenir de Sharon COURTOUX et du travail de François-Xavier VERSCHAVE. (NDR. Sharon COURTOUX a été pendant de nombreuses années une amie du CPCR avec laquelle nous avons beaucoup travaillé. Sa santé précaire l’a éloignée de nous depuis quelques temps).  Des marches sont organisées à Paris en juin 1994. L’association participera activement à la Commission d’enquêtes Citoyenne. SURVIE continue encore aujourd’hui à alerter l’opinion publique sur les grands événements dramatiques dans le monde.

SURVIE est légitime dans ce procès : aux assises, on juge des étrangers qui ont commis des crimes à l’étranger. On abolit les limites territoriales, on abolit le temps : le génocide est un crime imprescriptible.

L’avocat évoque les auditions des chercheurs, des experts qui ont bien précisé les spécificités de ce génocide : il s’agit d’un génocide de proximité, entre voisins, commis en en temps record avec l’extermination d’une population qu’on a déshumanisée. Sans oublier le négationnisme qui est inhérent à tout génocide.

Une question s’impose et à rejeter : pourquoi vouloir mettre en face du génocide les crimes de guerre qui ont été commis après ?

Il faudra décider en quoi les accusés sont coupables des faits qu’on leur impute.

Les dossiers sont construits sur des témoignages. « Nous prenons la parole pour les sans voix. Contrairement aux accusés qui ont pu s’exprimer, réagir, se défendre. » Ce dont on doit se féliciter.

Lors de l’audition du gendarme GRIFFOUL, on a appris que les magistrats instructeurs fonctionnent comme un filtre : cf la confrontation de BARAHIRA dont on a vu un extrait la veille.

Un second filtre : « C’est faire insulte à la Cour quand on vous dit que vous êtes face à des menteurs que vous ne pouvez pas juger. Il faut reconnaître que c’est une chance que ces faits soient jugés par une Cour française. »

En conclusion, l’avocat de SURVIE fait remarquer qu’on exige la vérité des témoins ! Mais que penser de la parole des accusés ? BARAHIRA n’a pas vu NGENZI… il aurait voulu rencontrer un interprète mais il n’en a jamais demandé un !

Des contradictions chez les témoins ? Et les contradictions des accusés ? Le 13 avril, BARAHIRA reste chez lui, part à Kabarondo, s’approche de l’église [5], suit le chef d’Electrogaz ! La parole des accusés n’est pas crédible, NGENZI avait toujours de l’autorité.

Aux jurés : « Vous rendrez la justice ! »

 

Plaidoirie de maître Richard GISAGARA, avocat de personnes physiques.

« La société nous a confié une tâche difficile : rendre justice pour mettre fin à l’impunité. » C’est en ces termes que maître GISAGARA s’adresse à la Cour. Il évoque alors le cas de sa cliente, madame MUKABAZAYIRE.

De dire ensuite qu’il est demandé aux jurés de se prononcer sur des faits anciens, avec des problèmes de culture, de langue. « Et la défense prétendra que vous ne pouvez pas juger La défense va marteler que les témoins ne sont pas crédibles ! » Bien sûr qu’il y a des problèmes de mémoire pour des gens qui étaient pourchassés. Qui pourrait se rappeler avec précision ce qu’il a vécu dans des conditions extrêmes. Il y a des divergences, des incohérences, des contradictions ! c’est vrai.

Mais il n’y a pas de complot de la part venant du gouvernement rwandais. Les témoins ne sont pas préparés par les autorités. « Vous devez accorder aux témoignages leur juste valeur. Vous êtes capables de faire le tri entre les informations. La vérité, il faut la rechercher. Les variations dans les témoignages sont normales. Elles sont dues au temps et aux traumatismes : c’est ce qu’a rappelé Gilbert BITTI. »

Si les témoins avaient été formatés, il n’y aurait pas d’incohérence, ni de contradictions

NGENZI est un menteur. Il a menti devant l’OFPRA : « Pour échapper aux tueurs du FPR ?  NGENZI fuyait son passé, il sait ce qu’il a fait, c’est pourquoi il ne regrette rien. » L’avocat de lire alors un extrait du document de la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) concernant l’accusé.

Maître GISAGARA reprend les mensonges de BARAHIRA : « J’ose espérer qu’il se moque de nous et non de la Cour ! » Constance MUKABAZAYIRE a droit à ce qu’on reconnaisse sa qualité de victime. De citer Yves TERNON à propos du négationnisme qui minimise les victimes.

Ce n’est pas le procès du FPR qu’on demande de faire.

Plusieurs témoins de contexte ont défilé : PEAN, GUICHAOUA, MICOMBERO ! Cités par la défense. Ce dernier vient régler ses comptes avec le FPR dont il s’est nourri. Il en a même oublié le secret qui aurait dû entourer ses déclarations.

L’avocat de madame MUKABAZAYIRE rappelle les nombreuses victimes de sa famille : plus de 60 personnes, dont son frère François, le plus aisé, le plus cultivé, qui aurait pu aider les autres. « Sa retraite, c’était ses enfants ! »

« Ce génocide auquel nous ne comprenons rien… est en réalité tout proche de nous…comme celui des Arméniens et des Juifs. »

De rappeler enfin que la négation du génocide des Tutsi tombe sous le coup de la loi. A l’heure où Simone VEIL entre au Panthéon, alors qu’on répète sans cesse le « Plus jamais ça », cela s’est reproduit au Rwanda. « Vous devez faire en sorte que ces crimes ne restent pas impunis. » Ce seront ses derniers mots en direction des jurés.

 

Plaidoirie de maître Guillaume MARTINE, avocat de la FIDH.

« Au moment où se referme ce procès, je repense aux heures où il s’est ouvert. Deux mois, presque une éternité. La défense avait annoncé que ce procès serait une farce. Deux mois après, ce ne fut pas une farce, mais un grand procès » commence maître MARTINE.

Ce procès a en effet prouvé l’efficacité du mécanisme de la compétence universelle.

De souligner ensuite le rôle de la FIDH : combattre contre la violation des droits de l’homme. La FIDH est légitime à se constituer partie civile dans ce type de procès.

Maître MARTINE évoque le rapport de 1993 sur les massacres au Nord du Rwanda. Dès 1995, l’association participe à des actions en justice (NDR. En particulier dans les dossiers MUNYESHYAKA et MUNYEMANA. Ce dernier a fait l’objet d’un réquisitoire du Parquet qui demande à ce qu’il soit déféré devant la Cour d’assises.)

Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’on ne savait pas, que tout cela a émergé de nulle part. L’avocat de faire allusion aux travaux d’Alison DES FORGES. La FIDH ne craint d’ailleurs pas dire qu’aujourd’hui, au Rwanda, les droits de l’Homme ne sont pas toujours respectés.

Aux jurés : « L’objet de votre décision, c’est dire quelle est la responsabilité de ces deux hommes dans la perpétration du génocide. On vous a fait une annonce : vous allez voir ce que vous allez voir. Les témoins, comme des acteurs, sont capables de pleurer à la demande. Ils appartiennent à des syndicats de délateurs ! »

Maître CHOUAI est allé jusqu’à faire ouvrir une enveloppe qu’un témoin tenait à la main. On a demandé au témoin, lors d’une visioconférence, s’il était bien seul dans la salle.

Des témoins à charge et à décharge ont menti. Un complot ? « C’est le plat qui nous a été servi ! »

Quand des témoins disent la même chose, c’est un complot pour la défense. Si les témoignages sont différents, encore un complot !

Les accusés seraient pourchassés par le régime ? Ils ont conservé leurs biens à Kabarondo. « Avec le complot, on peut répondre à tout. »

Il n’y a pas de recette, mais une méthode. Comme disait le témoin MICOMBERO, il faut prendre chaque témoignage et voir ce qui peut être acceptable. Dans cette Cour, on a étudié chaque témoignage ?

Il n’y a pas eu de massacres spontanés. Des paysans, du jour au lendemain, prennent la machette ! La RTLM est mal entendue à Kabarondo ? Mais qui donne les ordres, alors ? BARAHIRA serait une autorité absente, NGENZI une autorité intermittente ! « On veut vous dévier de l’essentiel : l’écrasante responsabilité des accusés. »

Le soir, ils rentrent chez eux. Sans doute ont-ils trouvé le sommeil quand des centaines de personnes agonisaient, quand des enfants pleuraient… Certains auraient encore pu être sauvés.

« Ce fut un grand procès et vous êtes en capacité de juger. Vous jugerez ces deux hommes pour ce qu’ils on fait, strictement pour ce qu’ils ont fait. Et la France ne sera lus un territoire d’impunité. La décision que vous allez rendre participera à la lutte contre l’impunité des crimes commis hier, peut-être aussi ceux commis aujourd’hui. » Tel est le dernier message adressé aux jurés.

 

Plaidoirie de maître Kévin CHARRIER, avocat du CPCR.

Madame la Présidente,

Messieurs les Conseillers,

Mesdames et Messieurs les Jurés,

C’est avec beaucoup d’émotion, d’honneur et de fierté que je me présente devant vous aujourd’hui au soutien des intérêts de 11 parties civiles personnes physiques.

11 hommes et femmes tous soumis au même destin : celui de la mort de leurs proches

La mort des êtres chers assassinés au mois d’avril 1994 sur une terre du bout du Monde – la Commune de KABARONDO.

Leur histoire c’est celle du Rwanda.

Leur histoire c’est celle de ce Pays des Mille Collines, décrit unanimement comme le joyau de l’Afrique.

Cette Afrique verdoyante des Grands Lacs – ce pays qui un soir d’Avril 1994 est devenu fou.

Ce pays qui un soir d’Avril 1994 a décidé d’abattre les cloisons entre l’enfer et la terre des hommes.

Ce pays qui bascula à l’aube du XXe siècle dans l’horreur la plus absolue, et qui durant 100 jours élimina mécaniquement et méthodiquement 12 à 13% de sa population.

Ce pays où les voisins se sont mis soudainement à assassiner leurs voisins, ce pays où des hommes se sont mis soudainement à assassiner leurs amis d’enfance.

Ce pays où des pères de famille ont décidé d’assassiner d’autres pères de familles et leurs enfants.

Ce pays dans lequel mourir criblé de balles afin d’échapper aux souffrances effroyables de la machette coupe-coupe et du gourdin clouté est soudainement devenu un luxe, une faveur qui se monnaye.

Le Rwanda de 1994 est devenu ce pays dans lequel tuer un TUTSI était devenu aussi facile que de tuer une chèvre.

 

Les victimes de cette horreur, venues témoigner comme parties civiles, les victimes de ce Génocide ont des visages et des noms il s’agit de :

Médiatrice UMUTESI

Jovithe RYAKA

Jean Damascène RUTAGUNGIRA

Francine UWERA

Benoite MUKAHIGIRO

Berthilde MUTEGWAMASO

Straton GAKWAVU

Eulade RWIGEMA

Augustin NTARINDWA

Véronique MUKAKIBOGO

Jacqueline MUGUYENEZA

Et tant d’autres… victimes dont le seul crime est d’être nées TUTSI.

Ces victimes qui devant vous au cours de ces deux derniers mois ont fait le lien entre les vivants et les morts : leurs morts.

Ils ont tout perdu : ils ont affronté les épreuves les plus abominables, des épreuves qui dépassent l’entendement.

Ils ont vu de leurs propres yeux leurs enfants mourir – leurs parents se faire décimer – leur femme / leur mari se faire achever.

Leur histoire, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est l’histoire de la mort dans ce qu’elle a de plus terrifiante – de plus barbare.

La mort planifiée / organisée / des êtres qui vous sont les plus chers, des fruits de votre corps – la mort de ceux que vous avez aimés et à côté de qui vous vous êtes construits.

Ne nous trompons pas : ces habitants de KABARONDO qui avec une dignité incroyable sont venus vous raconter leur histoire ont tous vu une partie d’eux- mêmes disparaître dans les abîmes de la cruauté en ce mois d’avril 1994.

Pour certain, Ils ont traversé la planète pour venir témoigner devant vous – ici dans cette Europe qui aurait dû être pour eux une terre d’apaisement.

Ils auraient voulu venir à Paris pour visiter leurs enfants qui auraient pu devenir des grands de ce monde / qui auraient pu venir étudier dans nos universités mais qui ont été victime d’un autre destin – être assassiné froidement sans aucune compassion par des artisans de l’apocalypse.

Écoutons ces victimes qui, dans leurs costumes trop grands pour elles, sont venues raconter leur souffrance avec un seul dessein, pas celui de la vengeance, pas celui de la haine, mais celui de la justice.

 

Ces parties civiles, Mesdames / Messieurs de la Cour, Mesdames et Messieurs les Jurés ont fait l’objet tout au long de ce procès d’attaques inacceptables.

A défaut d’avoir réussi à les faire taire, on a voulu les salir en les décrédibilisant.

Ces personnes se sont vues traitées de menteurs, d’affabulateurs, comme si leur témoignage avait été téléguidé par une machination obscure venue des plus hauts dignitaires de Kigali.

N’oubliez pas que pour appuyer sa thèse fantasmatique la défense est venue sortir du fond des tiroirs de la déraison une équipe de fossoyeurs de l’histoire, des pseudos intellectuels fleurtant chaque jour un peu plus avec le négationnisme.

N’oubliez pas que ces personnes sont toutes à contre-courant des plus grands chercheurs / des plus grands historiens du Rwanda – des personnes qui font autorité par la qualité de leur travail

Mais surtout : face à ces calomnies, n’oubliez pas le traumatisme et l’écoulement du temps qui ont quelques fois pu altérer la précision des témoignages. Nous avons demandé à ces personnes de se souvenir : de faire ressortir de leur inconscient des douleurs et des traumatismes enfouis au plus profond d’eux- mêmes.

C’était il y a 25 ans : pour eux c’était hier, mais c’était aussi il y a une éternité.

On viendra vous dire « L’heure des faits peut varier » – On viendra vous dire que la tenue vestimentaire des accusés peut différer. Mais est-ce cela qui est important ?

Quand 97 % du témoignage concorde avec les déclarations recueillies par les gendarmes français il y a plus de 7 ans, doit-on s’attarder sur les 3 % de contradictions ?

Quand vous avez échappé à la mort et que vous avez vu les êtres qui vous sont les plus chers se faire déchiqueter vivant par la lame froide des machettes – doit-on vous reprocher de ne pas avoir regardé l’ensemble des détails qui vous entouraient ?

Il y a des éléments qui ont été occultés volontairement par la défense et qui pourtant auraient permis de définitivement fermer la porte à la théorie de la machination.

Ces éléments de vérité ressortent justement des contradictions : ces contradictions sont l’assurance pour vous que la sincérité inonde les témoignages.

Le plus grand des manipulateurs n’accepterait pas que son témoignage le trahisse.

Le faussaire – le trafiquant d’histoire- ne saurait faire preuve d’imprécision.

Le vrai menteur calcule le poids de chacun de ses mots.

Non, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous n’avez pas été confrontés à des syndicats de délateurs mais à des victimes porteuses de sincérité qui n’ont jamais fait preuve de la moindre haine envers leurs bourreaux d’hier.

Écoutons ces victimes qui ont été bousculées – salies – écoutons-les pour comprendre ce qui s’est passé.

Écoutons-les pour entrevoir la part la plus sombre de l’humanité, celle qui a conduit des hommes au printemps 1994 à obéir aux ordres les plus fous, les plus inimaginables, de responsables nationaux et locaux qui les ont sommés d’aller éliminer leurs compatriotes.

Écoutons ces victimes qui n’ont pour seul objectif que faire vivre la mémoire de leurs morts au nom de la vérité – au nom de la justice.

 

Votre responsabilité, Mesdames et Messieurs de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés, est aujourd’hui de juger deux hommes accusés de l’un des pires crimes prévus par le Code Pénal Français, par le droit international.

Des crimes qui vous permettent aujourd’hui en France, 25 ans après les faits, de siéger en ces lieux pour rendre justice.

Ce procès nous a tous bouleversés, Magistrats / Avocats / Jurés tant par son intensité que par les horreurs qu’il a permis de mettre en exergue.

Je n’ai pas, contrairement à certains de mes Confrères présents dans cette salle, eu la chance et l’honneur de me déplacer au Rwanda.

Je n’ai pas, et je n’ai pas honte de le dire, été particulièrement sensible au Génocide des Tutsi avant de rentrer dans ce dossier il y a maintenant quelques mois.

Non pas par désintérêt, bien au contraire, mais par manque d’information.

Non par racisme ordinaire, comme le témoignait Monsieur AUDOIN-ROUZEAU, mais parce que ce génocide était éloigné des miens et de mes racines.

Je suis de cette génération qui n’avait pas 10 ans en avril 1994 et qui dans l’insouciance de l’enfance, n’a brièvement été confronté au génocide du Rwanda que par l’intermédiaire de bribes du journal télévisé.

Je suis de cette génération du « non » à la guerre en Irak, je suis de cette génération qui a vu les tours de Manhattan s’effondrer un beau et chaud mardi de septembre 2001.

Je suis de cette génération qui s’est construite avec son temps.

Je suis de la Génération BATACLAN, celle qui identifie l’horreur à son échelle parce qu’elle touche son pays, sa ville, ses amis.

Je n’étais pas la Génération RWANDA et pourtant …

Comme pour vous mon destin m’a conduit dans ce procès.

J’ai du tout apprendre – tout découvrir – tout décrypter.

J’ai dû, comme vous, me plonger dans l’histoire du Pays des Mille Collines – analyser ses spécificités géopolitiques, ethniques.

J’ai appris qui étaient les victimes du Génocide, j’ai compris qui étaient les Génocidaires.

J’ai dû comme vous me confronter aux spécificités administratives de ce Rwanda de 1994, dans lequel un Gouvernement génocidaire a projeté son dessein criminel sur toutes les sphères de la Société.

J’ai appris comme vous que ce gouvernement génocidaire à fait redescendre ses ordres dans chaque préfecture, dans chaque commune, à chaque Préfet, à chaque Bourgmestre.

Nous avons compris ce Génocide et ses mécanismes, nous l’avons vécu à travers la parole des bourreaux, des idéologues et de ses victimes.

Ses victimes, que j’ai découvertes comme vous avec leur dignité, leur sagesse et quelquefois avec leur maladresse.

C’est au nom de ces 11 victimes que je m’adresse à vous, c’est en leur nom que je vous demande justice.

C’est en leur nom que je vous demande de ne pas céder aux théories complotistes les plus primaires qui ne servent qu’à salir, qu’à effacer la mémoire de ceux qui sont morts sur cette terre de KABARONDO.

 

Ces théories complotistes qui nous ont été servies par Messieurs NGENZI et BARAHIRA ne sont là que pour contrer l’évidence de leur culpabilité qui découle des nombreux témoignages concordants de leurs victimes directes et indirectes.

Non, Messieurs NGENZI et BARAHIRA, vous n’échapperez pas à la justice des hommes par ce déni stérile !!!!!!!

N’oublions jamais que l’homme dans son absolue complexité est toujours doué d’une conscience qui lui permet de se plonger dans sa part sombre et d’affronter celle-ci pour exprimer des regrets.

N’oubliez pas qu’au nom de cette conscience certains des bourreaux d’hier se sont résolus à assumer leurs actes.

Au nom de cette conscience, certains des bourreaux d’hier ont demandé pardon à leurs victimes.

C’est au nom de cette conscience que le Rwanda s’est aujourd’hui tourné vers une reconstruction et une réconciliation comme l’avait fait avant lui l’Allemagne, la France, le Cambodge et tant d’autres États mutilés dans leur chair.

Sachez que les victimes que je représente n’auront jamais la chance d’entendre les regrets de Messieurs NGENZI et BARAHIRA.

Sans avoir le pouvoir de panser les plaies béantes du passé, ce pardon aurait pourtant été un point de départ vers la reconstruction.

Pour Monsieur Jovithe RYAKA :

Qui a perdu toute sa famille dans l’église de KABARONDO et qui gardera pour l’éternité l’image du corps supplicié de sa mère gisant sur le sol ce 13 avril 1994.

Pour Francine UWERA :

Hantée à jamais par l’image de sa petite sœur de 8 mois tétant le sein de sa mère morte au visage à moitié arraché

Pour Benoite MUKAHIGIRO :

Qui s’est présentée devant vous tard un vendredi soir, la voix éraillée à vie en raison d’un coup de machette et ne pouvant rester debout en raison du coup de gourdin porté à sa colonne vertébrale.

Pour Médiatrice UMUTESI:

Médiatrice la courageuse qui aura caché durant des jours entiers des TUTSI promis à une mort certaine et qui ne doit la vie qu’à la rançon qu’elle aura été contrainte de verser à ses bourreaux.

Pour Straton GAKWAVU :

Qui n’a pas pu sauver son bébé de 3 mois mort de faim dans la brousse après son évasion de l’église.

Pour Jean Damascène RUTAGUNGIRA et pour Eulade RWIGEMA :

A qui on a arraché la vie de leurs enfants, de leur épouse, de leur mère, Jusqu’à leurs frères et sœurs, ses cousins et cousines.

Pour Berthilde MUTEGWAMASO :

Qui n’aura eu la vie sauve que par le terrible sort de son bébé, lequel aura pris à sa place le coup de machette qui lui était destiné.

Pour Augustin NTARINDWA :

Qui la semaine dernière est venu vous raconter comment à travers ses yeux d’enfant il avait été témoin de l’assassinat de sa maman / de son papa / de sa vie et qui n’a jamais pu se construire normalement dans sa vie d’adulte.

 Pour Véronique MUKAKIBOGO

Jacqueline MUGUYENEZA et tant d’autres

Qui attendaient tant de ce procès et qui n’auront entendu des deux accusés que des dénégations morbides et insultantes comme si rien ne s’était passé en ce mois d’avril 1994 sur les terres de KABARONDO.

 

Messieurs NGENZI et BARAHIRA ont certes manqué leur RDV avec l’histoire : cela n’enlèvera en revanche pas à ce procès son caractère historique – son caractère exceptionnel !

Dans quelques jours vous vous retirez pour délibérer.

Il vous sera demandé avec l’aide de votre intime conviction de juger ces deux accusés.

Quelle que soit votre décision, soyez fiers de votre contribution.

Soyez fiers de la ténacité qui a été la vôtre et qui vous a régulièrement conduit jusque tard dans la soirée à écouter avec attention ceux qui se présentaient devant vous.

Ce procès a bousculé votre vie durant plus de deux mois : il marquera votre vie à tout jamais.

Quelle que soit votre décision, vous aurez contribué à ce que la parole des victimes soit écoutée .

Mon rôle dans ce procès s’arrête par ces derniers mots : mais mon devoir est de déposer devant vous une dernière doléance.

N’oubliez jamais les morts de KABARONDO

N’oubliez pas non plus les vivants : ceux qui ont survécu.

Ces vivants qui ont vu mourir par l’intervention de la folie des hommes les êtres qui leur étaient les plus chers.

Le temps a passé, la reconstruction a fait son chemin mais n’oubliez pas que ces victimes – ces 11 personnes que je représente – auront vu mourir en ce mois d’avril 1994 une partie d’elles- mêmes.

Ils demeureront à jamais perforés dans leur chair par la disparition soudaine de ceux qu’ils aimaient.

Ils demeureront à jamais des victimes de l’histoire – des victimes de ce dernier Génocide du XXe siècle.

Mais grâce à l’intervention d’hommes et de femmes qui se sont décidés à traquer à l’autre bout du monde les génocidaires qui espéraient fuir leur responsabilité, ces victimes ont échappé à l’oubli.

Merci pour votre attention.

 

Plaidoirie de maître Michel LAVAL, avocat du CPCR.

Madame la Présidente,
Messieurs de la Cour,
Mesdames et Messieurs les jurés,

Comme lors du premier procès, la charge me revient d’être la dernière partie civile à prendre la parole.
En commençant mon propos il y a deux ans, j’avais dit que je mesurais l’honneur qui m’était fait par mes confrères en même temps que rien ne m’échappait de l’épreuve que représentait le fait de parler après eux.
Cette épreuve je l’assume encore pleinement et je m’en honore encore parce que je vois dans cette dernière plaidoirie l’aboutissement d’une action engagée il y a presque dix ans.
Je ferme la marche. Je suis l’arrière garde. Je suis la dernière voix, je suis la voix des morts et mes paroles, comme celles de mes confrères des parties civiles, sont les stèles gravées du nom des victimes. C’est par nous que leur souvenir perdurera et que jamais nous ne pourrons les oublier.
Au moment où je me lève à mon tour du banc des parties civiles, une impression m’étreint, souvent éprouvée, jamais dissipée, de parler au bord d’un immense tombeau où gisent des centaines de milliers de morts sur un lit de sang et de larmes.
Cette impression je l’ai ressentie la première fois lorsque, peu de temps après le génocide, je me suis rendu avec un haut magistrat français au Rwanda pour œuvrer à la mise en place d’un tribunal pénal international pour le Rwanda dont le conseil de sécurité des Nations Unies avait décidé la création.
Je ne l’ai pas fait parce que je suis un militant : je ne suis pas un militant. Je suis un avocat qui agit selon sa conscience qui lui dicte ce que je dois faire. J’appartiens à la génération d’après-guerre qui rêvait d’une justice internationale après la promesse non tenue de Nuremberg et comme beaucoup je regardais la décision du conseil de sécurité comme une sorte d’aube.
Nos hôtes rwandais nous conduisirent sur le site de massacre de Ntarama que mon confrère et ami Gilles Paruelle a évoqué.
Plusieurs milliers de Tutsi, dont de nombreuses femmes et des enfants, s’étaient réfugiés dans l’église où le 15 avril 1994 ils avaient été tous massacrés en une seule journée.
J’ai vu le carnage.
J’ai vu l’horreur.
J’ai vu l’église aux murs éventrés, les dépouilles des victimes, le corps des enfants encore accrochés au dos de leurs mères.
J’ai vu les pyramides de crâne disposés sur d’immenses tables.
J’ai vu les ossements.
Et je me suis dit : « je suis en enfer ». C’est à dire exactement ce dont je vous ai prévenus au deuxième jour du procès.

Aussi bien quand plusieurs années plus tard Alain Gauthier est venu me voir pour me demander si j’accepterais d’être l’avocat de son association dans des plaintes contre des rwandais vivant en France et soupçonnés de génocide, je n’hésitais pas.
Je savais la tâche difficile : elle fut redoutable.
Je pressentais les nombreux obstacles que nous rencontrerions : ils furent légion.
Je savais les courants contraires d’enjeux politiques et diplomatiques qu’il faudrait affronter : ils faillirent nous être fatals.
Je pressentais l’inertie, la réticence qu’il faudrait vaincre ici en France.
La France, pardon le gouvernement français, parce que je chéris trop la France pour la confondre avec ses gouvernements, les gouvernements français, quelle que soit leur couleur politique, ont eu longtemps une politique très particulière dans cette affaire.
Pendant des années nous nous sommes battus dans le désert, avec Alain et Dafroza Gauthier.

Peut-être gardez-vous en mémoire le souvenir de mon échange un peu vif avec Monsieur Péan sur la « justice des vainqueurs ».
Peut-être vous souvenez-vous que je m’étais offusqué de cette singulière expression forgée par les défenseurs des criminels nazis jugés à Nuremberg et des criminels japonais jugés à Tokyo est à bannir.
Quels vainqueurs ?
Qui peut se dire vainqueur d’un tel désastre humain, d’une telle tragédie, qui peut revendiquer la gloire d’une quelconque victoire devant une telle faillite de la conscience humaine ?
Quels vainqueurs ?
Il n’y a ni vainqueur ni vaincu
Il y a des bourreaux et de victimes,
Il y a des persécuteurs et des persécutés
Il y a des accusés et des juges.
Vous êtes les juges, vous n’appartenez à aucun camp. Nul ne peut dicter les règles de votre conduite.
Vous êtes des juges. Des juges libres qui ont à trancher sur le fondement de ce qu’on appelle la compétence universelle.
Sur la base de cette compétence, vous avez à juger les crimes qui intéressent l’humanité tout entière, qui concernent l’humanité tout entière, si bien que vous n’êtes pas seulement une cour d’assise française, vous êtes aussi des juges de l’humanité, des juges du genre humain.

On vous l’a dit, votre mission est terrible et simple.
Elle ne supporte aucun compromis, aucun accommodement. Elle est la mission du juge. J’ignore si ce procès est historique. Mais, vous n’êtes pas là pour faire l’histoire. Vous êtes là pour juger deux hommes, deux accusés pour ce qu’ils ont fait, pour leur participation à un génocide et à un crime contre l’humanité commis entre avril et juillet 1994 au Rwanda sur le territoire de la commune de Kabarondo dans le ressort de la préfecture de Kibungo contre la communauté tutsi qu’on a voulu exterminer exclusivement pour la raison qu’elle était tutsi.
Là est votre tâche, votre mission claire, sans équivoque.
Vous avez à vous prononcer sur cette question et aucune autre.
La philosophe Hannah Arendt dit quelque chose d’essentiel dans le livre qu’elle consacre au procès d’Eichmann qu’elle a couvert comme journaliste. Elle dit : « une cour de justice est faite pour juger un homme, un individu, pour trancher la responsabilité de cet homme, de cet individu dans le crime qu’on lui impute ».
Cette charge est suffisamment considérable pour ne pas s’accommoder d’autres préoccupations.

On a voulu instruire de faux procès.
On a voulu vous égarer, on a voulu vous distraire et répandre la confusion dans vos esprits.
Vous n’êtes pas là pour connaître la nature politique du régime rwandais.
Vous n’êtes pas là pour connaître des crimes de guerre que le FPR a commis, je ne dis pas : « a pu commettre », je dis « a commis ».
Vous n’êtes pas là pour juger le TPIR dont j’ai cru comprendre que pour la défense il avait toutes les vertus quand il acquitte les accusés et tous les vices quand il les condamne.
Vous n’êtes pas là pour juger la France.
Vous n’êtes pas là pour juger les gacacas.
Vous n’êtes pas là pour juger l’attentat du 6 avril dont vous avez bien compris qu’il n’était pas élucidé.

On a voulu faire le procès du procès. On a voulu le discréditer.
On a voulu accréditer la thèse que vous étiez manipulés, que vous étiez joués, bernés, abusés.
Par qui ? Par quels procédés ? Dans quelles circonstances ? On l’ignore.
On a prétendu que le procès ne serait pas équitable. Une information qui a donné lieu à des milliers d’actes, qui a duré plusieurs années ; des accusés qui ont pu demander autant d’actes complémentaires qu’ils le souhaitaient, qui ont été défendus de manière remarquable, je dis bien remarquable, par leurs premiers avocats, est-ce la marque d’absence d’équité ?
Ce procès est équitable. Monsieur l’avocat général a fait remarquer plusieurs fois que le procès équitable s’appréciait à travers tout son déroulement et pas seulement à l’aune d’un acte isolé.
On a soutenu que les témoins étaient manipulés, qu’ils mentaient, qu’ils récitaient leur leçon. Hier matin encore, une lettre venue de nulle part prétendait à propos d’un témoin qu’« on lui avait dit de réciter un texte préalablement écrit ».
On a laissé entendre que ces témoins avaient été manipulés par le pouvoir de Kigali. On a même été plus loin : on s’est moqué d’eux. Ces paysans venus déposer à vos audiences, ces paysans vêtus de leur grand costume d’emprunt, ces paysans qui n’étaient jamais sortis de chez eux, qui n’étaient jamais montés dans une voiture, qui n’avaient jamais pris l’avion, qui ont parcouru plus de cinq mille kilomètres et à qui on a posé la question de savoir où ils s’étaient procuré leurs chaussures ! Est-ce là un procédé digne ? Est-ce digne de se moquer de ces petites gens venues témoigner de l’immense tragédie qu’ils ont vécu. Je le dis sans détours : c’est une honte. Ce n’est pas bien. On ne peut pas se comporter comme cela. On ne peut pas traiter les hommes de cette façon. On ne peut pas, devant un malheur pareil, parler avec une telle désinvolture, parler avec un tel mépris.

Mais toutes ces manipulations ne changent rien à la vérité du procès, à sa vérité profonde, essentielle.
On sait, il est établi, historiquement établi, judiciairement établi, qu’un crime de masse a été commis au Rwanda entre avril et juillet 1994
On sait, il est établi que ce crime de « notoriété publique » a pris la forme d’attaques généralisées et systématiques contre une population pour la seule raison d’être ce qu’elle était.
On sait, il est établi, que ce génocide a provoqué la mort de 600.000 à 800.000 victimes.
On sait, il est établi, que ce crime de masse n’est pas une explosion soudaine de violence et de haine, qu’il n’est pas une explosion imprévisible de barbarie.
On sait, il est établi, que ce crime organisé, orchestré, s’est propagé comme un immense incendie.
On sait, il est établi, que ce crime de masse a été exécuté sous les ordres d’un gouvernement de fait, le gouvernement dit « intérimaire » qui s’est emparé du pouvoir à la faveur d’un coup d’État, qui a enrôlé dans son projet criminel tout l’appareil d’État rwandais, que la hiérarchie légale est devenue une hiérarchie criminelle, que les ministres sont devenus des ministres criminels, que les préfets sont, pour une partie d’entre eux, devenus des préfets criminels, que les bourgmestres sont, pour une partie d’entre eux, devenus des bourgmestres criminels, que les officiers de l’armée sont devenus des officiers criminels.
On sait cela, c’est établi, ce n’est pas contestable, sauf par ceux qui se sont aventurés dans une démarche intellectuellement et moralement désastreuse de négation et expliquent que ce génocide n’a pas eu lieu ou qu’il est imputable à ceux qui l’ont subi. Ce qui est le comble de la méchanceté et de la perversion.
On sait, il est établi, que ce crime de masse est un génocide commis selon un plan concerté.
On nous dit : quel plan ? Où sont les preuves ?
Les preuves ?
Elles sont dans le mode opératoire comme l’a jugé la Cour d’assises de Paris dans son arrêt de première instance dans l’affaire Simbikangwa : rapidité et propagation à tout le pays des opérations d’élimination, utilisation à tous les échelons de la chaine administrative et militaire, formation des milices à l’usage des armes, distribution des armes aux civils et aux Interahamwe et aux civils, établissement des listes de tutsis à tuer, fouille des domiciles occupés par les tutsis, ramassage des cadavres avec des camions appartenant à l’administration, inhumation des personnes tuées dans des fosses communes anonymes, ampleur considérable. Du nombre de victimes en l’espace de seulement trois mois.
Les preuves ?
Elles sont dans la fulgurance du crime, la similitude des procédés et des méthodes, les gens entassés dans les églises, les écoles, les couvents, les hôpitaux, lieux publics pour y être massacrés, les groupes de tueurs qui arpentent la terre ensanglantée armés de machettes, de lances, de gourdins ; qui ravagent les villages, qui torturent, violent et se livrent à des atrocités épouvantables. Et en arrière, l’armée qui suit, qui achève le travail.
Le voilà le plan. Que veut-on de plus ? Un papier signé ? Une attestation sur l’honneur ?
Il n’en est nul besoin. Les grands génocides qui ont ensanglanté l’humanité au XXème siècle n’ont donné lieu à aucun ordre écrit.
1915, en Turquie : les Arméniens ont été mis sur les routes poussée en la baïonnette dans les reins, contraints de marcher jusqu’aux confins du désert où les derniers survivants sont morts abandonnés. 1.500.000 victimes. Pas d’ordre écrit.
1941-1945. L’extermination des juifs. On connait le processus. Les massacres par balles, les camps d’extermination. 6.000.000 de victimes Pas d’ordre écrit
1975-1979 : le Cambodge. 2 millions de victimes Pas d’ordre écrit
On a cherché à contester le plan en prétendant qu’il n’y avait pas d’entente. On a invoqué l’arrêt Bagosora pour tenter de vous en convaincre. Mais comme le professeur Bitti l’a expliqué le plan et l’entente ce n’est pas la même chose, qu’il peut ne pas y avoir d’entente et cependant qu’un plan concerté existe. Les deux accusés ne sont pas poursuivis pour entente, mais pour génocide.
Donc, il faut arrêter, il faut arrêter, de soutenir des positions qui sont aux antipodes du droit et de la jurisprudence. Si on veut un procès équitable, il faut se comporter avec honnêteté. Tenter de tromper un jury avec des interprétations fausses ce n’est pas l’honnêteté. La grandeur du débat judiciaire est dans sa loyauté.
Dire comme l’a fait Monsieur Guichaoua que le génocide a commencé le 19 avril est un mensonge. On sait que c’est faux, que c’est même une aberration historique de soutenir une telle thèse.
On sait, il est établi, que le génocide a commencé dès le 7 avril au matin. Dès le 7 la machine à tuer s’est en marche. Partout on tue, on massacre, on pille, on torture, on viole et on le fait de la même manière. Dans son rapport de témoin expert au procès Bagosora, Alison Desforges dont personne ne conteste l’autorité, a bien décrit l’enchainement des faits. Tout a commencé le 7 avril puis s’est poursuivi les 8, 9, 10, puis s’est amplifié et 11, avec l’intervention de l’armée.
Cela ne vous rappelle rien le 11 avril ? Vous ne vous souvenez pas de Ngenzi qui revient de Kibungo et dit à l’abbé Incimatata qu’il ne faut rien faire, qu’il ne faut pas de patrouilles, qu’il ne faut pas prendre de mesures de protection et de sécurité parce que, explique-t-il avec un cynisme extraordinaire, « l’armée va arriver pour s’en occuper ». Le rapport d’Alison Desforges révèle qu’à partir du 11, l’armée a commencé en effet à « s’en occuper » comme le dit Ngenzi, mais à sa manière, pas pour protéger les Tutsi, mais pour les massacrer. En vérité, le 11, le génocide a pris une dimension massive grâce à l’intervention criminelle de l’armée.
Voilà ce qu’on sait, ce qui est établi.
Et ce qu’on sait encore, ce qui est établi, c’est que la préfecture de Kibungo fut l’une des premières préfectures touchées par le génocide.
Kibungo c’était le fief de Rwagafilita, le pire des Hutu extrémistes, dont Tito Barahira et Octavien Ngenzi étaient les créatures et qui comme TOUS les bourgmestres étaient membres du MRND devenu parti criminel.
Kibungo fut mise à feu et à sang dès le début du génocide. Les premiers crimes surviennent dès le 7 avril, et se multiplient tous les jours, dans toutes les communes. J’ai dans la main le bulletin de l’évêque de la paroisse de Kibungo, publié moins d’un an après le génocide. J’en ai lu des passages en interrogeant Octavien Ngenzi. Madame l’avocate général vous en a lus aussi. On sait la succession des massacres.
Un procès-verbal de synthèse belge établi à l’occasion du procès Habymana, alias Cyasa, cote D742/3-4, de nombreux témoignages rassemblés attestent la violence des massacres. Je lis : « armes utilisées pour perpétrer le crime à grande échelles : fusils, grenades, petites haches appelées « macaku », machettes, épées, couteaux, lances, gourdins ; des victimes ont été brûlées vives dans leurs maisons, ou bien liées sur une table et aspergées d’essence, ou encore enroulées dans des feuilles de bananiers. Des enfants ont même été grillés à la poêle ». Voilà ce qui se passe à Kibungo où Monsieur Ngenzi se rend tous les jours dans sa Toyota rouge franchissant sans encombre les barrages des tueurs.
Vous vous souvenez de ce qui s’est passé le 15 avril ? Monsieur Ngenzi prend sa petite voiture rouge et se rend à Kibungo pour voir le préfet. A cet instant on massacre 2.500 personnes au Centre Saint Joseph.
Quatre jours plus tard, on dénombre 50.000 Tutsis massacrés dans la préfecture.

Il appartiendra à l’accusation d’établir la culpabilité de Tito Barahira et Octavien Ngenzi.
Mais qu’il me soit permis d’en dire quelques mots.
Vous avez devant deux hommes déjà âgés et même, pour l’un, malade.
Mais en quoi cela concerne leur culpabilité.
Pensez à ce qu’ils étaient en 1994 quand ils ont commis les crimes qu’on leur impute.
Regardez-les, jeunes sur le champ de supplice, forts, arrogants.
Imaginez Tito Barahira poussant Joséphine devant l’église, Joséphine qui le supplie de lui laisser la vie sauve.
Imaginez Ngenzi ou pendant les fouilles et les descentes de tueurs improprement appelées perquisitions.
La vie leur a infligé son épreuve, mais en quoi faudrait-il qu’elle influe sur votre jugement ?
Ce sont ces deux hommes que vous jugez, non les vieillards qu’ils sont devenus. Le temps n’altère rien.

Par-delà toutes les preuves, par-delà tous les témoins, Tito Barahira et Octavien Ngenzi sont d’abord confondus par eux-mêmes. Ils sont leur propre accusateur. Ils sont leurs pires ennemis
Tito Barahira va dans sa bananeraie. Il va chercher du foin pour ses vaches avec une brouette. Il balaie devant sa porte. Il ne voit rien, il n’entend rien. Dans un des films qu’on vous a projeté des voitures arrêtées, on aperçoit les Interahamwe qui tournent comme des mouches venimeuses. Il ne voit rien, il n’entend rien. L’église de Kabarondo se remplit de réfugiés qui passent à proximité de sa maison : il ne voit rien, il n’entend rien.
Quand, il aperçoit de la fumée qui s’échappe au-dessus de l’église, il pense que les réfugiés font la dinette. C’est quoi cette dinette ? Un méchoui humain ? C’était quoi cette fumée haute, dense. La fumée d’un réchaud à gaz ?
Il finit par admettre qu’il s’est rendu à l’église après le massacre. Il y a près de trois mille morts ! Il en voit cinq. Il ne tente de secourir personne et part réparer un générateur. Il y a des enfants qui pleurent, des femmes qui gémissent. La plainte qui s’élève est épouvantable. Que fait-il ? Il va réparer une ampoule ! Et quand on l’accuse, quand un très grand nombre de témoins l’accusent d’avoir participé au massacre et les jours précédents d’avoir participé à la chasse aux Tutsis, il crie au mensonge, à la conspiration.
Ngenzi.
Parmi tous les faits retenus à sa charge, il y en a trois qui l’accablent :
Premier fait : le massacre de l’église.
Ngenzi est resté plusieurs heures devant l’église aux côtés des militaires. Il prétend être est en « garde à vue » ! Mais quand les militaires s’en vont, il circule tout à fait librement. Il dit qu’il est « resté à la disposition des militaires ». Pourquoi ? Pour les aider, leur faciliter le travail. Toutes les déclarations de Ngenzi sont tellement absurdes qu’elles ne peuvent pas être prises en considération.
Deuxième fait : L’enfouissement des corps.
De tous les crimes reprochés à Ngenzi, c’est celui-là qui signe sa culpabilité. Je ne peux pas concevoir, il m’est intolérable de penser, qu’on a enfoui les victimes de cette manière si on n’est pas coupable. Nous avons tous été confrontés à la mort de proches. On comprend l’enterrement, on sait que c’est dans l’enterrement que se manifeste l’humanité. On sait que la trace des hommes est dans le rite dont ils entourent la mort. On le sait. Croyant ou pas, c’est le signe de l’homme. Il faut emmener les morts dans la dignité, leur faire des tombes, mettre leur nom sur des plaques, ça c’est l’humanité.
Si j’ai parlé d’un prêtre, c’est parce que les gens qui étaient enfouis étaient de confession chrétienne. Auraient été des Juifs, j’aurai parlé de rabbin. Auraient-ils été des musulmans, j’aurai parlé d’imam. Ma tradition laïque
Que fait Ngenzi ? Il recrute des fossoyeurs de circonstance. Soixante-dix. Que font ces fossoyeurs ? Descendent-ils les morts un à un dans la fosse ? Les alignent-ils avec précaution ?
NON, ils les jettent en tas comme des paquets de linge sale.
Ngenzi compte-t-il les morts ? Tente-t-il de les identifier ? NON.
Est-ce là le comportement de bourgmestre protecteur de sa population, comme il le prétend.
Je le dis, Octavien Ngenzi n’a pas inhumé des êtres humains : il a voulu dissimuler des corps, effacer des traces.
Je le dis, Octavien Ngenzi n’a pas agi en croyant : il s’est comporté en bourreau.
Troisième fait : Papias
Octavien Ngenzi a vendu l’abbé Papias. Quand deux témoins, à l’unisson, sont venus nous l’expliquer ici, aucune question n’a été posée par la défense. Pourtant la défense n’a pas été avare de questions. Mais devant un fait aussi patent, aussi accablant, qui à lui seul démontre le système de mensonge dans lequel Ngenzi s’est enfermé, rien, aucune contestation, aucune remise en cause. Un silence qui résonnait comme un aveu.
Que dit Ngenzi quand on l’accuse, quand un très grand nombre de témoins l’accusent d’avoir participé au massacre et les jours précédents d’avoir participé à la chasse aux Tutsis, il crie au mensonge, à la conspiration

L’expert, le docteur Zaguri est venu dire ici que Tito Barahira et Octavien Ngenzi n’étaient pas des monstres, qu’ils ne souffraient d’aucune pathologie mentale, que c’étaient « des hommes ordinaires ».
Comment concevoir que des hommes ordinaires commettent des actes aussi monstrueux ?
C’est un grand et grave problème, c’est un problème qui touche un aspect fondamental de la personne humaine.
C’est la question du jugement moral, de la conscience morale.
Nous avons tous la faculté d’exercer notre jugement moral, de distinguer le bien du mal. Il y a des valeurs qui ne sont pas relatives. Il y a des valeurs absolues, universelles. Nous n’avons pas, par exemple, le droit de tuer notre prochain. Il peut arriver qu’un homme tue un homme mais il ne peut pas considérer que c’est bien.
Nous sommes constamment confrontés au jugement moral et il ne dépend que de nous de l’exercer.
Ce qui explique le comportement Tito Barahira et Octavien Ngenzi qui sont des hommes ordinaires, c’est l’abdication de leur jugement moral.
Ils sont des hommes ordinaires qui ont abdiqué leur jugement moral. Ils ont cédé au Mal. Ils pouvaient refuser, dire : « non, je ne le ferai pas ».
Certains ont refusé. Le 12 avril des officiers supérieurs des FAR ont refusé d’obéir au Gouvernement intérimaire et ils ont été destitués. Des bourgmestres ont refusé dont Bagilishema. Des préfets dont celui de Kibungo ont refusé.
Tito Barahira et Octavien Ngenzi pouvaient dire NON : On peut toujours refuser. Ils pouvaient dire : NON. Je ne ferai pas ça. Je ne peux pas sauver ma vie au prix du déshonneur.
Ils ne l’ont pas fait. Ils se sont murés dans le mensonge.
Je suis arrivé sur la rive qui longe le fleuve de l’autre côté duquel l’accusation attend pour ses réquisitions.
J’ai entendu l’autre jour un mot qui m’a frappé. Ce mot est le mot pardon.
Quel mot magnifique. Y-a-t-il plus belle chose humaine que le pardon.
C’est la partie supérieure de la conscience humaine.
Mais vous n’êtes pas là pour accorder le pardon.
Le pardon, c’est la prérogative exclusive de la victime. Mais pour qu’elle puisse l’accorder, il faut lui demander. Parce que demander pardon à la victime, c’est reconnaître le mal qu’on lui a fait, c’est lui rendre la part d’humanité qu’on lui a volée dans le crime.
Tito Barahira et Octavien Ngenzi ont-ils demandé pardon ? Ils n’ont pas même formulé le moindre regret.
Vous, c’est la justice que vous avez à rendre.
Vous allez la rendre sans trembler, sans faillir.
Les parties civiles attendent votre justice avec la sérénité des âmes innocentes.

Michel Laval
Avocat à la Cour
Le 3 juillet 2018

 

 

En fin de soirée, monsieur BERNARDO commence le réquisitoire articulé  en 3 parties.

 

  1. « Son statut de bourgmestre signifiait qu’il avait eu un rôle décisionnel dans les tueries. C’est à eux qu’incombaient l’organisation et la planification des massacres. C’était eux qui recevaient les ordres officiels et qui étaient responsables de l’extermination au niveau local ». Anjan Sundaram, Bad news, Paris, Marchialy, 2018 (Traduit de l’anglais (Inde) par Charles Bonnot), p. 112.
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  2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.
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  3. Attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel. Voir également : FOCUS – Avril – juin 1994 : les 3 mois du génocide.
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  4. Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un « Appel à la conscience des Bahutu », dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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  5. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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