Ayant assisté à l’interrogatoire de Fabien NERETSE aux assises de Bruxelles vendredi 8, je reprends mes habitudes en rédigeant ce compte-rendu quelque peu exhaustif.
La présidente commence par rejeter toutes les demandes déposées la veille par la défense qui réclamait jusqu’à l’acquittement de l’accusé. Demande avait été faite aussi de faire citer des témoins de contexte comme Judy REVER ou Peter VERLINDEN. La projection de deux documentaires avait aussi été réclamée : « In praise of blood » de J. REVER et « Des espions parmi nous ». La défense souhaitait aussi faire verser au dossier le dernier rapport de la CNLG d’avril 2018 sur le génocide des Tutsi à RUHENGERI. La Cour rejette toutes les demandes de la défense.
La procédure peut donc se poursuivre. Après avoir expliqué aux jurés la notion de « pouvoir discrétionnaire » de la présidente, l’interrogatoire de NERETSE commence par le rappel des grands événements qui ont jalonné la vie de l’accusé : né en octobre 1948, deux frères « assassinés par le FPR » à leur retour du Congo en 1996, études supérieures en Allemagne d’où il revient en 1975 comme ingénieur agronome. Jusqu’en 1978, il sera affecté à l’ISAR/KARAMA puis dans un Projet de développement au BUGESERA jusqu’en 1980. En 1981 il travaille au Projet GEBEKA chargé du reboisement de la région de Kigali et de Butare. En 1989, il devient directeur de l’OCCIR Café. NERETSE réfute l’idée qu’il était « un homme puissant ».
Le 8 février, il apprend par la radio qu’il est remplacé à ce poste : il se sent écarté par le MRND à l’heure du multipartisme. Après quelques semaines de chômage, il est affecté au Ministère de l’Industrie et de l’Artisanat, mais on ne lui donne rien à faire, le secteur de l’artisanat étant désormais aux mains du PL. Il crée alors un Bureau d’études privé. NERETSE prétend, contrairement à ce que rapportent certains témoins, qu’il ne s’intéresse plus à la politique du MRND. Il déménage à NYAMIRAMBO : la famille SISI lui a signalé une maison libre dans leur quartier. Contrairement à ce qu’affirment certains témoins, il ne prendra aucune responsabilité dans son nouveau quartier, ne sera jamais « chef des Interahamwe ». Seul lui importait son Bureau d’études.
Meurtres des familles BUCYANA/BECKERS et SISI.
Jamais non plus il n’a participé à une grève avant l’attentat, n’a jamais fait arrêter les bus pour vérifier l’identité des occupants, n’a pas circulé dans le quartier après l’attentat car « c’était interdit ». Il avait de bonnes relations avec la famille BUCYANA/BECKERS (éliminée avec des membres de la famille SISI qui étaient « ses amis ». Monsieur SISI contestera plus tard ce dernier point.
Pendant un certain temps, les jurés vont être amenés à se pencher sur le plan du quartier pour bien s’imprégner des lieux des massacres.
Du 6 au 16 avril, NERETSE dit être resté cloîtré chez lui : couvre-feu, peur, aucun contact avec l’extérieur. Il n’est sorti de chez lui que le 10, mais n’a rien vu de ce qui se passait. Il a toutefois entendu les cris des militaires qui ordonnaient à des gens qui tentaient de fuir de rentrer chez les SISI où ils seront abattus. C’était le samedi 9 avril. NERETSE se chargera de faire inhumer les victimes le lendemain. Il précise que Isaïe BUCYANA ne faisait pas partie des victimes ! L’accusé va alors accueillir chez lui plusieurs personnes qui se cachaient dans le plafond de chez BUCYANA. Par contre, il n’a jamais surveillé les familles de ses voisins.
Son départ de Kigali le 16 avril.
S’il quitte Kigali, Fabien NERETSE dit que c’est à cause des tueries et que le gouvernement intérimaire avait lui aussi quitté la capitale. Pour lui, direction MATABA, sa commune d’origine. Il évoque la présence de barrières multiples pour arriver à Saint-Michel, barrières auxquelles il laisse « beaucoup d’argent » Il n’arrivera à MATABA que le lendemain.
Il prétend avoir été attaqué sous prétexte qu’il avait transporté des Tutsi.
A MATABA, le père de NERETSE avait créé une école en 1929. Il l’a lui-même agrandie dès 1989 pour en faire un établissement très réputé dans la région. Il aurait détourné de l’argent à cette occasion ? « C’est James GASANA qui l’a dit, mais c’est faux. » Pourtant, GUICHAOUA a lui-même fait allusion au fait que l’accusé « devait rembourser de l’argent détourné ». Les explications de NERETSE restent évasives, même vaseuses.
Sont ensuite abordés les problèmes que l’école a rencontrés en 1993 : des professeurs hutu s’en sont pris à des Tutsi. NERETSE est alors présenté comme le « Seigneur de MATABA », « l’homme clé de MATABA » selon le préfet de RUHENGERI. Même Sa femme parle de lui comme « l’élite de la région » !
A MATABA, l’accusé va rouvrir l’école et assurer les cours d’un professeur qui a fui. Mais il n’a pas circulé dans la région, comme le prétendent des témoins. Les militaires vont l’obliger à les transporter à NDUSU qu’il n’atteindra pas. Il n’est jamais retourné à KIGALI.
Le lendemain de son arrivée à MATABA, on lui aurait dit que la plupart des Tutsi avaient déjà été tués. Lui-même n’a été témoin d’aucune tuerie. Par contre, il a vu des cadavres flotter sur la NYABARONGO. Par contre, il n’y a eu aucun mort dans l’école dont il a la charge.
De longues minutes vont être consacrées aux gardiens de l’école, ce qui permet à l’accusé de redire que « les témoins à charge sont des témoins choisis » ! Tous ces témoins, il attend le moment de la confrontation car il est étonné de ce qu’ils ont dit sur lui.
NERETSE a bien participé à une réunion dans la cour de l’école primaire en présence du préfet Basile, réunion suivie de massacres. Contrairement à ce que disent des témoins, il n’y a pas pris la parole. Mais pour l’accusé, il n’y a pas eu d’incitation à tuer. Si les témoins à charge l’accusent, « c’est pour faire plaisir à quelqu’un » !
Episode qui se déroule trois semaines avant la prise de Kigali.
NERETSE a été réquisitionné pour transporter une vingtaine de militaires à NDUSU. Arrivé à MUVUMBA, à trente kilomètres de MATABA, il doit renoncer à poursuivre sa route, la voiture ne pouvant monter la côte vers RUSORO. Abandonnant les militaires, il fait demi-tour et rencontre d’autres militaires qui viennent d’arrêter un certain MUPEDWANZI (?), frère de son ami Christophe BONEZA (NERETSE explique dans quelles conditions il é décidé de prendre en charge la scolarité du neveu de son ami). MUPEDWANZI avait les mains liées et était accusé de recruter des jeunes gens au profit du FPR. Quand la présidente demande à l’accusé comment il le savait : « Tout le monde le savait », répond NERETSE. Ce dernier est de nouveau réquisitionné pour transporter le prisonnier à KIVURUGA où se trouvait un camp militaire.
Après un court arrêt pour se restaurer chez lui, NERETSE reprend la route. Pendant tout le trajet, il se demandait comment il pouvait faire pour sauver le prisonnier : « J’aurais aimé que les militaires le relâchent mais ils ont refusé » ajoute-t-il. Après l’avoir déposé, il n’aura plus de nouvelles du frère de son ami. C’est en lisant le rapport de 2018 de la CNLG qu’il apprendra qu’il aurait été tué à GATONDE. Malgré les témoignages que cite la présidente et qui contredisent ce que vient de raconter l’accusé, ce dernier conteste :il n’a jamais donné 60 000 francs pour le faire arrêter. Et d’ajouter : « Ce qui se passe chez nous au Rwanda, on dirait que c’est le mensonge qui fait la loi. On a tendance à dire, quand les gens voyaient des militaires dans ma camionnette, que c’était des Interahmwe. »
A propos de cet épisode, le préfet BASILE aurait rapporté les propos de l’accusé : « On l’a eu ! » « Il ment », rétorque NERETSE.
Assassinat de NZAMWITA.
Un témoin cité dans le dossier reconnaît avoir tué NZAMWITA avec une petite houe usée. NERETSE rétorque aussitôt : « Tuer avec une houe usée, c’est la méthode du FPR. » Vives réactions sur le banc des parties civiles. L’accusé a réponse à tout, réfute les témoignages, donne sa propre version des faits. Lorsque quelqu’un qu’il connaissait bien l’accable : « Je ne comprends pas » répète-t-il !
Départ de MATABA.
NERETSE dit avoir quitté MATABA le 4 juillet 1994 à cause de l’arrivée du FPR. La présidente rapporte à ce sujet les propos de sa propre sœur restée au pays : « Ceux qui ont fui, c’est parce qu’ils avaient quelque chose à se reprocher ! » Réponse de NERETSE : « C’est sa déclaration ».
Après un séjour de deux semaines à GISENYI, il rejoint GOMA le 14 juillet. Au bout d’un mois, il prend l’avion pour KINSHASA où il va encore rester un mois. Puis départ vers la Centrafrique, via Brazzaville, où il va rester deux ans.
« Tout cela coûte cher. Avec quel argent payez-vous tous ces déplacements ? » questionne la présidente. NERETSE répond que sa femme avait revendu un énorme stock de vivres de l’école et qu’il avait des amis européens. Il a emprunté de l’argent à des amis de KINSHASA
Our des raisons de sécurité (mutinerie de l’armée centrafricaine), il quitte BANGUI pour BOUNA ( ?). Il se réfugie au petit séminaire de la ville. Pendant ce temps, un de ses fils arrive en France, suivi, en 1996, de sa femme et de deux enfants.
Au Consulat du Canada au Cameroun où il se rend pour obtenir des papiers pour sa fille, il fait face à un refus car on dit qu’elle est « la fille d’un génocidaire qui a entraîné les miliciens de PATASSE ! »
La présidente s’étonne qu’à son arrivée en France, en 1998, où il obtient le statut de réfugié, il déclare être né à BUSANZA et s’appeler Fabien NSABIMANA (Note du rédacteur : c’est sous ce nom que le CPCR le retrouvera à Angoulême). Sans emploi, il s’occupait de ses enfants. En 2000, il trouve du travail au Conseil général et s’occupe de la gestion des sinistrés de la tempête de 1999. Il finira par trouver un nouveau travail dans une association de micro-crédit, l’ADI. (Note du rédacteur : lorsque le CPCR a révélé sa nouvelle identité et son lieu d’habitation, les responsables de cette association m’ont téléphoné. Ils étaient inquiets de cette annonce car ils s’apprêtaient à lui confier de nouvelles responsabilités.)
A partir de 2010, NERETSE aura des problèmes de santé. Auparavant, en octobre 2008, il apprendra qu’il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par les GACACA, pour avoir transporté des miliciens et avoir été le chef d’une milice.
Du 30 août au 30 mars 2018, NERETSE séjournera en prison, deux mois à Bordeaux puis le reste en Belgique. Il s’étonne qu’on l’ait affublé du titre de lieutenant alors qu’il n’a jamais été militaire (Note du rédacteur : confusion avec un homonyme, Emmanuel NERETSE) Pour lui, c’est un dossier monté par l’Etat rwandais.
Une dernière question de la présidente : « Votre belle-sœur Madeleine aurait tenté de soudoyer des témoins ! » Réponse immédiate de l’accusé, peu convaincante : « Impossible. Ma belle-sœur est en France. Comment pourrait-elle soudoyer des témoins ? Les gens racontent n’importe quoi. Les moins à décharge sont menacés, torturés au Rwanda. »
Alors que la présidente voudrait lui poser deux ou trois questions avant de clôturer la journée, NERETSE fait un malaise dont il va se remettre assez vite. La séance est suspendue et l’interrogatoire reprendra le mardi 12 novembre.
Alain GAUTHIER, président du CPCR