Procès MUNYEMANA, vendredi 1 décembre 2023. J14


Audition de madame Gaudiose NTAKIRUTIMANA, citée par l’accusation, partie civile du CPCR.

Gaudiose NTAKIRUTIMANA

Mme NTAKIRUTIMANA habitait dans le village de Rango en 1994, à 15 minutes à pied du bureau de secteur de Tumba. Le 21 avril, un voisin est venu prévenir sa famille que la guerre contre les Tutsi avait commencé. À partir de ce jour, son mari et elle ne sont plus sortis de chez eux. Lui se cachait dans le faux-plafond pour ne pas être découvert, elle était violée par des hommes qui pillaient leur maison et qui lui transmettront le SIDA.
Ne supportant plus de l’entendre crier, son mari, Innocent RUTAYISIRE, est sorti de sa cachette. Il a été arrêté, ainsi que d’autres hommes Tutsi, et ont été emmenés d’abord dans la « maison 60 », puis le lendemain au bureau de secteur de Tumba. RURANGWA, un Interahamwe[1] à qui elle avait donné ses derniers biens qu’elle avait cachés en échange de la promesse de ne pas tuer ses deux fils de 3 ans et 9 mois, aurait dit à la témoin que c’est Sosthène MUNYEMANA qui leur a ouvert car il avait la clé. Il lui a aussi appris que lors d’une réunion chez Siméon REMERA, c’est MUNYEMANA qui avait donné pour instruction de prendre les biens des Tutsi pour se les partager.

« Maison 60 » où étaient enfermés les Tutsi avant d’être conduits au bureau de secteur.

Après leur passage par Tumba, le groupe d’hommes dont  son mari faisait partie a été emmené en camionnette à la brigade de Butare, car les fosses de Tumba étaient pleines. Un ami de la témoin travaillant à la préfecture en face de cette brigade lui a conseillé de trouver une carte d’identité pour aller voir son mari avant qu’il ne soit conduit à Kinihira. La sienne ayant été volée dans les pillages, elle est parvenue à s’en procurer une fausse auprès d’Émile, le responsable du comité de cellule, et d’un certain Cassien.
Lorsqu’elle s’est rendue à la brigade, Mme NTAKIRUTIMANA se rend compte que les personnes détenues étaient très nombreuses et qu’elles avaient été frappées et étaient très affaiblies. Son mari avait lui-même reçu des coups de couteau à la tempe et au bras. Trois ou quatre jours après leur transfert à la brigade, le groupe des hommes arrêtés à Rango disparaît. Leurs proches ne savent toujours pas où ils ont été tués et la témoin déplore de ne pas pouvoir inhumer son mari dans la dignité. Le président cite ses auditions précédentes lors de laquelle elle concluait que « si MUNYEMANA n’avait pas donné les clés du bureau pour qu’on les y enferme, peut être qu’ils auraient eu les moyens de fuir ».

 

Audition de Madame NYIRANGIRUWONSANGA, citée par l’accusation, partie civile de la CRF.

Mme NYIRANGIRUWONSANGA était la voisine directe de Sosthène MUNYEMANA à Tumba durant le génocide et elle habitait à proximité du bureau de secteur qu’elle voyait depuis chez elle.

Elle évoque une réunion au bureau de secteur convoquée par BWANAKEYE au cours de laquelle il a donné les clés à MUNYEMANA. La témoin se remémore les Tutsi passant sur la route devant chez elle lorsqu’ils étaient conduits au bureau de secteur. Elle observe, lors de son audition, que la possession des clés du lieu où ces personnes étaient enfermées avant d’être tuées la nuit dans la fosse de KARANGANGWA par l’accusé signifie bien qu’il était le détenteur des prisonniers. Elle affirme avoir vu les grands tueurs de Tumba, MAMBO, NGENZI, KABIRIGI, etc, aller chez MUNYEMANA pour récupérer cette clé.

Après cette réunion, les génocidaires ont passé la nuit à tuer. Mme NYIRANGIRUWONSANGA explique s’être cachée mais que certains hommes ont été attrapés et conduits chez Sosthène MUNYEMANA. Celui-ci aurait dit « laissez-les, ce n’est pas encore leur tour » et les aurait laissé partir mais d’autres auraient été amenés cette nuit là.
Elle raconte encore que son mari n’avait pas été attrapé cette nuit-là car ils avaient creusé un trou à l’arrière de chez eux où il se cachait. Les Interahamwe et les miliciens qui se réunissaient chez MUNYEMANA passaient la journée à circuler partout et l’ont vu. Ils ont sauté la clôture en criant « power » et l’ont arrêté pour le conduire à la fosse de chez Damascène pour le tuer. Ils sont ensuite retournés chez Sosthène pour donner le nom de ceux qu’ils avaient assassinés. Mme NYIRANGIRUWONSANGA rapporte qu’elle les entendait parler de ceux qu’ils n’avaient pas encore tués, parmi lesquels les deux fils de SENKWARE dont les corps ne seront ensuite jamais retrouvés.

Elle a aussi remarqué des visites particulières de KAMBANDA[2] et de BWANAKEYE chez l’accusé durant le génocide.

 

Audition de monsieur Evariste NTIRENGANYA, détenu, cité par l’accusation, en visioconférence de Kigali.

Une audition qui va passablement énerver monsieur le président, et on le comprend, à cause des mauvaises qualités de la transmission en visioconférence (NDR. Cette situation n’est pas une exception car nous connaissons les mêmes problèmes dans la salle. Il faut trop souvent tendre l’oreille, dans le public en tout cas, pour saisir tout ce que disent les témoins. La sonorisation est mauvaise ce qui rend parfois difficile la prise de notes.

Le témoin, détenu, commence par évoquer le souvenir qu’il garde du début du génocide à Butare. Mais il perd très vite le jury et le public avec des considérations qui n’éclairent pas beaucoup ceux qui tentent de le suivre. Si bien que le président intervient pour lui demander ce qu’il a à dire sur Sosthène MUNYEMANA. Très vite, il va décider de reprendre la main et se reporter aux auditions auxquelles le témoin a été convoqué.

« Sosthène MUNYEMANA détestait les Tutsi » a-t-il affirmé. Comment le sait-il? « Il ne faisait rien pour sauver les Tutsi » répond monsieur NTIRENGANYA. Un peu court comme justification. Les barrières? Il y en avait une devant le bar Rwigiro et une autre chez maman SALUMU (NDR. Souvent, au Rwanda, la maman ou le papa sont désignés de cette façon: la maman en question a un fils qui s’appelle SALUMU.) Une barrière devant la statue de la Vierge? Il ne sait pas. Par contre, à Tumba, on pouvait capter la RTLM[3].

Maître FOREMAN tentera bien d’obtenir des explications sur la mort d’un professeur pour lequel Sosthène MUNYEMANA n’aurait pas intercédé. Mais les explications du témoin sont confuses et l’avocat renonce à poursuivre.

Une audition qui se révèle peu utile pour éclairer le rôle de monsieur MUNYEMANA lors du génocide des Tutsi sur la colline de Tumba.

Lecture des auditions de madame Consolata NYIRACEKERI, partie civile qui devait être entendue mais pour laquelle il a été « passé outre ». Puis seront lues les auditions de madame Laurence KANAYIRE, partie civile du CPCR.

Mme KANAYIRE accuse Mr MUNYEMANA d’avoir tué plusieurs personnes, de détenir les listes de Tutsi à tuer qui avaient été élaborées avant le génocide et d’ouvrir le bureau de secteur pour y enfermer ceux qui seront tués.

Elle fait partie des nombreux témoins de la réunion tenue le 17 avril 1994 au bureau de secteur. Le conseiller BWANAKEYE avait convoqué toute la population et a appelé à la vigilance contre les Inyenzi[4]. Un major également présent aurait appelé la population à assurer sa propre sécurité du fait que les militaires étaient au front. Mme KANAYIRE rapporte que Sosthène MUNYEMANA aurait pris la parole en disant qu’il fallait lutter contre les Tutsi car ils étaient des complices du FPR[5]. Il a également invité ceux qui n’avaient pas d’armes à venir en chercher chez lui.

Elle évoque d’autres réunions qui lui ont été rapportées par son agresseur John NSENGIYUBE, notamment une chez l’accusé destinée à compter les Tutsi morts.

La défense revient sur une des auditions de Mme KANAYIRE menée par la juge d’instruction qui portait sur la question de l’intégrité et de la neutralité des interprètes au cours de la procédure contre Mr MUNYEMANA. L’avocat du CPCR intervient pour justifier que la fourniture d’une liste d’interprètes potentiels par le président du CPCR, monsieur GAUTHIER, à l’ambassadeur de France au Rwanda a été faite après qu’une témoin ait reconnu une personne impliquée dans le génocide parmi celles accompagnant les enquêteurs français. Le président demande à entendre monsieur GAUTHIER cet après-midi pour clarifier les choses:  l’avocat de la défense  reproche la proximité des associations de parties civiles avec les témoins.

Suite à cette lecture, monsieur le président confirme qu’il souhaite entendre , les représentants du CPCR, mis en cause pour les relations privilégiées que ces personnes entretiendraient avec le témoin. Madame Dafroza GAUTHIER devant s’absenter, elle devrait être entendue vendredi prochain.

Audition de monsieur Alain GAUTHIER, président du CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda).

Alain GAUTHIER: Je reconnais que je n’interviens pas dans les meilleures conditions, j’avais l’intention de préparer mon intervention ce week-end mais vous me demandez d’intervenir aujourd’hui . C’est la huitième fois que je témoigne devant la Cour d’Assises. Avec mon épouse nous avons participé à tous les procès de génocide en France.

Le CPCR est une association que nous avons créée en 2001 après le procès à Bruxelles des « Quatre de Butare » : seront condamnés Alphonse HIGANIRO, le directeur de l’usine d’allumettes SORWAL, Vincent NTEZIMANA, un professeur d’université et deux religieuses bénédictines de SOVU, sœur GERTRUDE et sœur KIZITO. Mon épouse étant originaire de BUTARE, nous participerons le plus souvent possible au procès.

Mon histoire avec le Rwanda commence en 1970, cela fait 53 ans que je fréquente ce pays. Je terminais deux ans d’études de théologie à l’université de Strasbourg et est venu le temps de mon service militaire. Je voulais le faire dans le cadre de la coopération. L’évêque de Butare, monseigneur Jean-Baptiste GAHAMANYI, avait fait une demande pour avoir des professeurs dans son diocèse. Je me porte volontaire et je pars là-bas début septembre 1970 avec deux autres collègues. Je suis nommé à SAVE sur une colline à 10 km au nord de Butare, dans un petit séminaire comme professeur de français pendant deux ans. L’équipe des enseignants est divisée en deux groupes, le groupe des Rwandais et le groupe d’une congrégation de frères flamands, les Vandales (c’est leur vrai nom), qui ne s’entendent pas du tout. J’ai appris plus tard que l’évêque m’avais nommé dans l’espoir de faire le pont être les deux communautés, mais dès mon arrivée le groupe flamand ne m’a pas accepté. J’ai eu la chance d’avoir parmi mes collègues un vieux professeur rwandais, Xaveri NAYIGIZIKI, Hutu royaliste qui m’a appris le Rwanda (NDR. L’expression « Hutu royaliste » surprend monsieur le président), C’était un homme très connu au Rwanda pour sa culture et son franc parler. Il avait une fille d’une douzaine d’années qui s’appelait Gemma qui venait souvent le voir. Elle venait me saluer à chacune de ses visites pour le plaisir de parler français. J’apprendrai en 1994 qu’elle était devenue l’épouse de Siméon REMERA

En juillet 1972, je quitte le Rwanda et je décide de changer d’orientation : je m’inscris en fac de Lettres de Nice, puis de Grenoble. En 1974, le curé de la paroisse de SAVE, le père Henri Blanchard avec qui j’avais passé deux ans est en congé dans la Loire. Il me propose de venir le voir en disant qu’il y a une jeune fille, Dafroza, qui vient lui rendre visite. Elle avait été chassée du Rwanda en 1973 et est réfugiée politique en Belgique.  Dafroza est celle qui en 1977 est devenue mon épouse, elle avait été mon élève au Rwanda. Pendant de nombreuses années, nous avons une vie classique de famille, nous avons trois enfants et nous partons régulièrement au Rwanda quand le budget familial nous le permet.

L’été 1989 coïncidera avec notre dernier séjour Nous ne retournons plus au Rwanda à cause de la guerre. En 1994, le 7 avril au matin j’entends à la radio l’annonce de la mort du président HABYARIMANA et commence pour nous une grande inquiétude. Dafroza s’était rendue au Rwanda fin février 1994 pour rendre visite à sa mère et Kigali était déjà à feu et à sang, les gens lançaient des cailloux et des grenades sur la maison de sa mère qui lui dit : « Rentre en France, tu as un mari, tu as des enfants, nous ne nous reverrons plus ». Le 8 avril au matin, de mon bureau, je téléphone à la paroisse du père Blanchard. Je tombe sur un prêtre allemand qui me dit que Henri n’est pas disponible et de rappeler plus tard. Je rappelle vers 16h et Henri m’annonce que la mère de mon épouse a été tuée le matin dans l’église des Martyrs de l’Ouganda, la paroisse du quartier Nyamirambo à Kigali.  Me revient alors la dure tâche d’apprendre la nouvelle à mon épouse et à nos trois enfants. Notre fils qui avait 11 ans a eu une réaction que je n’oublierai jamais, il a dit « Maman je te vengerai ».

Nous avons vécu ces trois mois du génocide comme des fantômes, nous allons au travail, nous avons des contacts fréquents avec le Rwanda et tous les jours nous apprenons la mort de nos amis, de membres de notre famille. À la fin du génocide nous récupérons deux enfants d’un cousin de mon épouse retrouvés par une amie, la femme de Déo (NDR. Son nom a été évoqué dans l’attaque de KABAKOGBA). Elle avait réussi à partir au Burundi. Son mari qui l’avait accompagnée avait décidé de rentrer en pensant qu’à Butare rien ne se produirait. Nous nous adressons au ministère des Affaires Etrangères qui nous permet de récupérer ces deux enfants à l’aéroport de Roissy le 14 août. À partir de ce jour nous avons cinq enfants. Heureusement ils retrouveront leur pères un an plus tard. Il avait survécu caché par son voisin hutu.

Nous ne retournons au Rwanda qu’en 1996. A quelques exceptions près, tous les membres de la famille de mon épouse ont été exterminés, que ce soit à Kigali ou à Butare dont elle est originaire. Ma femme a passé son enfance dans la région du NYARUGURU : lors du procès de Laurent BUCYIBARUTA, il a été souvent question de la paroisse de  de KIBEHO ou près de 50 000 Tutsi ont été exterminés.. Les seuls membres de la famille que nous retrouvons, nous ne les connaissions pas, ce sont des exilés qui étaient rentrés du Congo où ils étaient pourchassés. On va se créer une nouvelle famille. À cette date, on rencontre une cousine de mon épouse qui était rescapée de l’Église de la Sainte Famille où officiait l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA qui était visé en France par une plainte. Elle nous fait rencontrer d’autres rescapés qui nous confient leurs témoignages, que nous consignons et que nous remettons à maître William BOURDON, en charge du dossier.

En 2001, nous créons le CPCR à la suite de notre participation au procès de Bruxelles. On est parti à Bruxelles et à la fin du procès nos amis nous ont dit : « Et vous que faites-vous en France ? ». Donc on a décidé de créer ce collectif. Dans un premier temps, nous allons nous constituer parties civiles dans six plaintes déposées entre 1995 et 2000. Ces plaintes concernaient Wenceslas MUNYESHYAKA, Sosthène MUNYEMANA, le colonel Laurent SERUBUGA, toujours poursuivi en France, Laurent BUCYIBARUTA jugé et condamné à 20 ans de prison, un militaire rwandais chargé de l’achat des armes à l’ambassade du Rwanda à Paris, Cyprien KAYUMBA et Fabien NERETSE visé par une plainte antérieure en Belgique et que nous avons retrouvé à Angoulême sous le nom de son père, Fabien NSABIMANA. La France l’a extradé vers la Belgique où il a été condamné à 25 ans de prison.

Nous commençons par nous intéresser au dossier de Sosthène MUNYEMANA à ce moment-là. Toutes les plaintes déposées avant la création du CPCR étaient ce que j’appelle « des plaintes dormantes » : les choses n’avançaient pas, parce que il y avait un manque total de volonté politique en France de juger les génocidaires.

Président : Mais il y a aussi une volonté judiciaire.

Alain GAUTHIER : Je pense que la France n’a pas mis les moyens suffisants financiers et en personnel. Aucune commission rogatoire n’avait été organisée sur les lieux, comme ça se fait. Les dossiers n’avançaient pas et nous avons voulu réveiller ces plaintes : alors on est parti au Rwanda. Vous avez souvent évoqué tel PV du Parquet de Butare transmis par le CPCR. On enrichit le dossier de Sosthène MUNYEMANA notamment.

Président : Quand vous récupérez les plaintes, dans ce dossier, beaucoup des auditions sont transmises par le CPCR. En principe ça passe par une commission rogatoire internationale du juge d’instruction français qui est transférée par voie diplomatique. Parfois des commissions rogatoires peuvent être bloquées sur le bureau d’un ministre pendant longtemps. Les procès-verbaux que vous adressez, certains ont été demandés par des juges français mais elles arrivent par vous. Pourquoi ?

Alain GAUTHIER : Ce n’est pas moi qui peux répondre à cette question. Nous connaissions très bien le ministre de la Justice, Jean de Dieu MUCYO, qui nous a permis d’aller dans les différents parquets et les procureurs nous ont adressé spontanément ces documents. À chaque procès on nous pose la question. Je n’ai pas d’explication de comment ça se fait que ces documents nous aient été transmis, mais on nous les remettait et à notre tour on les donnait à notre avocat qui adressait au juge d’instruction. Je ne sais pas mais ça s’est fait comme ça.

Président : Je vais peut-être donner une explication issue de ma pratique professionnelle, j’ai été moi-même juge d’instruction et il ne se passait rien si je ne faisais rien. Pour qu’il se passe quelque chose il faut se déplacer sur place. Moi c’était le seul moyen d’arriver à faire avancer un dossier. Mais on avait 130 dossiers par cabinet d’instruction et un déplacement, c’était des semaines de préparation pour une semaine sur place.

Alain GAUTHIER : C’est exactement pour cette raison que nous avons pris l’initiative de faire ces démarches pour les juges d’instruction. Si nous ne l’avions pas fait, aucun dossier n’aurait actuellement été jugé, aucun procès pour génocide n’aurait eu lieu en France. Le premier a eu lieu en 2014. Si le CPCR n’avait pas fait ça, on en serait au stade zéro de la justice en France.

Président : Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit, je ne pense pas que vous ayez forcé la main de Mme POUS.

Alain GAUTHIER : J’ai été entendu plusieurs fois par Mme POUS. On a attendu 28 ans pour que Sosthène MUNYEMANA soit jugé. Vous m’avez demandé mon explication, je tente de vous la donner.

Président : Quel est le but de votre association ?

Alain GAUTHIER : Notre but, c’est d’aider à poursuivre des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi se trouvant sur le sol français et le second volet, c’est d’aider financièrement les rescapés.

Président : Quel est le nombre de personnes dans votre association?

Alain GAUTHIER : Ça a beaucoup varié, à une époque nous étions 300, aujourd’hui environ 150.

Président : Et combien il y a de membres actifs?

Alain GAUTHIER : Mon épouse et moi-même, les membres du bureau et du conseil d’administration comme dans beaucoup d’associations. Mais comme je le disais, pour se rendre au Rwanda il faut parler kinyarwanda et mon épouse est la seule à le parler.

Président : Une personne n’a pas voulu venir témoigner parce qu’elle se dit victime de pressions d’agents de Kigali et elle désigne le CPCR. C’est quoi les liens entre le CPCR et le gouvernement rwandais ?

Alain GAUTHIER : C’est ce qui nous est toujours reproché, À chaque procès, la défense nous questionne là-dessus. On interroge sur nos liens avec l’ancien ministre de la Défense, James KABAREBE, un très proche du président KAGAME : effectivement, il a épousé une cousine de mon épouse. Cela ferait de nous des émissaires du gouvernement rwandais ? Moi, ça fait 53 ans que je fréquente le Rwanda, ce n’est donc pas anormal de connaitre un certain nombre de personnes, mais nous n’avons pas de liens étroits. Je sais qu’ont été versées au dossier deux photos nous montrant décorés par KAGAME. En reconnaissance de notre travail pour la justice et les rescapés, on nous a en effet octroyé une décoration.

Président : Toute personne décorée par un gouvernement y est-elle affiliée ?

Alain GAUTHIER : C’est ce que la défense nous reproche. Je vais vous informer : des amis voulaient demander pour nous la Légion d’Honneur. Qu’aurait dit la défense si nous avions accepté ? Serait-t-elle allée jusqu’à prétendre qu’on est de mèche avec le gouvernement français ? J’en doute.

Président : Quels sont vos liens avec le Collectif girondin ?

Alain GAUTHIER : Aucun, nous n’avons aucun lien avec le Collectif girondin. Nous avons suivi ce qui s’est passé mais les faux-documents ne nous concernent en aucun cas.

Président : Quelles sont vos méthodes de travail ? Vous n’êtes pas des enquêteurs ?

Alain GAUTHIER : Du tout, nous n’avons jamais ouvert un livre de droit. Quand nous apprenons la présence d’une personne soupçonnée d’avoir participé au génocide, ça peut être par un signalement en France ou au Rwanda. On part sur les lieux des crimes au Rwanda et on cherche à retrouver des rescapés, familles de victimes ; à récolter les témoignages, ceux des tueurs qui ont purgé leur peine ou ceux qui sont en détention, donc oui on va les rencontrer en prison. On demande l’autorisation au directeur des prisons à Kigali et le parquet sur place est informé. Certains acceptent de nous parler, d’autres pas.

Président : En France, il suffit de faire une demande au directeur de la prison sauf quand c’est dans le cadre d’une instruction et là c’est le juge d’instruction qui doit autoriser.

Alain GAUTHIER : Au Rwanda ce n’est pas le directeur d’une prison qui nous autorise à rentrer. Certains détenus me disent : « On n’a rien à vous dire ».

Président : Vu l’objet de votre association, on peut penser que vous ne posez des questions qu’à charge, donc on pourrait vous reprocher de ne chercher que des éléments à charge.

Alain GAUTHIER : C’est le cas. Nous ne sommes pas des juges d’instruction. Si nous n’allumons pas la mèche pour faire démarrer la procédure judiciaire, pratiquement aucune personne soupçonnée ne serait poursuivie. Toutes nos plaintes ont été suivies par l’ouverture d’une information judiciaire et là ce n’est plus notre travail d’instruire à charge ou à décharge.

Président : Nous on regarde s’il y a suffisamment d’éléments.

Alain GAUTHIER : Toutes nos plaintes ont été suivies de l’ouverture d’une instruction en France même si il y a eu quatre ou cinq non-lieux dans les dossiers dans lesquels on s’est investi.

Président : Qui sont vos adversaires, la défense ?

Alain GAUTHIER : En France, il y a beaucoup de personnes qui auraient participé au génocide et qui n’ont jamais été trouvées. Vous avez entendu entre autres l’ancien ambassadeur du Rwanda en France, il ne nous ménage pas. Depuis 28 ans, ces personnes en France ont créé des réseaux et on le voit bien dans les affaires quand il y a des écoutes téléphoniques, on découvre qu’il y a des échanges dans plusieurs dossiers : « C’est le diable Gauthier qui est à l’origine de tout ça ». Ils se connaissent et ils communiquent entre eux. Et puis il y a tous ceux qui nient le génocide encore aujourd’hui. Oui, on a des adversaires mais qu’on ne redoute pas.

Président : Pouvez-vous expliquer les différentes formes de négationnisme concernant ce génocide ?

Alain GAUTHIER : La première manifestation et la plus répandue en France, c’est la théorie du double-génocide, même parmi des hauts-responsables politique comme Dominique De VILLEPIN et beaucoup d’autres dont je tairai le nom dans cette enceinte. Après, c’est aussi contester systématiquement tous les témoins et ce qu’ils ont vécu. Je ne dis pas que les accusés nient le génocide des Tutsi, la plupart le reconnaissent. C’est aussi ceux qui amoindrissent drastiquement le nombre de Tutsi tués alors que chaque année on découvre des fosses communes. Beaucoup de rescapés encore ne savent pas où sont les leurs.

Président : MUNYEMANA conteste fermement depuis le début toute implication dans les faits qui lui sont reprochés. Si je devais résumer sa défense c’est : 1) « la plupart des témoins mentent » et 2) « certains de mes actes n’ont pas été analysés à leur juste valeur, bien analysés et ça se retourne contre moi. » Il dit aussi que le gouvernement rwandais mène une traque contre ses opposants et ça peut être par recours à des procédures judiciaires.

Alain GAUTHIER : On connait l’argument depuis 28 ans alors je poserai une question : si tous les témoins mentent, pourquoi MUNYEMANA serait-il le seul à ne pas mentir ? Qu’il y ait eu des crimes de guerre par le FPR, je ne le conteste en aucune façon. Mais aujourd’hui ce n’est pas le procès du gouvernement rwandais ou du président KAGAME. C’est bien le procès d’un homme, de Mr Sosthène MUNYEMANA, contre lequel je n’ai aucune animosité. Mais nous, au CPCR, on nous présente comme le bras armé du Rwanda. Que voulez-vous que je dise, nous nous sommes engagés pour la justice et les rescapés, nous ne sommes pas des détracteurs ou des pourchasseurs d’intellectuels Hutu. Nous nous agissons sans haine ni vengeance.

Président : Vous auriez des liens privilégiés avec Laurence KANAYIRE ?

Alain GAUTHIER : C’est ce que j’ai entendu tout à l’heure mais je n’ai pas de réponse à ça. Nous avons des contacts avec des rescapés dans tous les coins du Rwanda, nous avons déposé à peu près 35 plaintes donc nous avons des contacts dans toutes ces affaires. Quand on rencontre un témoin, à chaque fois on nous dit : « Tu ferais bien d’aller aussi voir untel et untel et untel ». On fait notre travail et nous notre seul objectif est que les rescapés retrouvent un peu de leur humanité à travers la justice qu’ils demandent. Laurence pas plus qu’une autre.

Président : Quel est l’effet, vous vous avez l’habitude de côtoyer des rescapés, ils viennent témoigner devant la justice française et on leur dit : « Vous mentez » ?

Alain GAUTHIER : C’est une épreuve de venir en ces lieux, ce n’est drôle pour personne, même moi, je ne viens pas témoigner pour la huitième fois avec le sourire aux lèvres. Quel sentiment peuvent éprouver des témoins qui arrivent de leur campagne, qui parfois ne sont jamais allés à la capitale, qui du jour au lendemain sont transportés dans un pays qu’ils ne connaissent pas, l’hiver, devant une Cour d’assisses, ce qui est impressionnant, alors entendre dire par l’accusé « ils mentent » oui ça rajoute des blessures à leurs blessures.

Dans le dernier procès, une dame rescapée d’un groupe qui avait été attaqué est venue témoigner. Ces personnes s’étaient réfugiées sur leur colline. Le chef du groupe a dit : « Celui parmi nous qui survivra, qu’il soit notre porte-parole à tous devant la justice ». Cette dame qui a été blessée, qui a perdu toute sa famille, qui a été violée, est venue raconter tout ce qu’elle a vécu, et ça a presque été le plus beau jour de sa vie d’accomplir ce devoir envers son groupe. Donc, c’est une épreuve mais c’est un réconfort à la fois car la seule chose qu’ils demandent, c’est la justice.

Président : On reproche l’interventionnisme du CPCR à charge.

Alain GAUTHIER : Nous ne sommes pas juge d’instruction. Effectivement nous ne recueillons que des témoignages à charge parce que c’est notre vocation. C’est notre mission car sans cela, aucun procès n’aurait eu lieu. Ce n’est pas pour nous vanter, parce que depuis trente ans on préférerait faire autre chose de notre retraite mais depuis 28 ans on n’a pas passé un seul jour sans parler du génocide, et nos enfants nous le disent : « Vous ne voulez pas lever le pied un peu ? ». Pour nous aussi c’est une épreuve, nous avons dédié une bonne partie de notre vie à ce combat.

Président : Dernière question, sur le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies et l’article d’Africain Rights avec des personnes qui sont revenues sur les propos qu’on leur prête, est-ce que c’est le CPCR qui en est à l’origine ?

Alain GAUTHIER : Pas du tout, c’est le Collectif girondin. J’ai en tête la réaction d’Éric EMERAUX, l’ancien directeur de l’OCLCH qui était au débat à la suite d’un documentaire et qui n’a pas arrêté d’encenser le travail du CPCR[6].

Président : L’instruction a écarté certains témoignages en disant qu’ils n’avaient pas pu être corroborés, comment expliquer qu’ils n’aient pas paru suffisamment fiables à l’instruction ?

Alain GAUTHIER : Bien sûr, certains donnent des informations qu’ils ont entendues. Dans tout procès, encore plus dans des crimes de masse, il y a des témoins qui ont tendance à en rajouter. Et tant mieux si l’accusation, c’est normal, écarte des témoignages. Cela ne nous fait pas toujours plaisir, mais nous n’avons aucun contact, aucun lien avec le parquet. Les juges d’instructions parfois ne vont pas assez loin.

Président : Parfois on écarte des déclarations parce que ce n’est pas vérifiable.

Juge assesseur : Est-ce que la population aurait pu participer aussi au génocide ?

Alain GAUTHIER : dans toutes les grandes dates du Rwanda, la population locale a participé aux crimes de masse depuis 1959 :pour moi, le génocide était en gestation depuis 1959. Sinon comment expliquer qu’à la Noël 1963 il y a eu 15 000 Tutsi exécutés en quelques jours. Au début des années 90, il y aura une tentative d’éliminer les Bagogwe, sorte de galop d’essai. Puis le massacre de Tutsi au Bugesera. C’est quelque chose d’organisé depuis longtemps. C’est une population habituée à obéir aux ordres: des maris hutu qui ont tué leur femme Tutsi, d’autres leurs enfants, leurs neveux d’enfants etc. Ce mal qui est dans l’Homme, on le retrouve dans la population de la terre entière. Mais au Rwanda il y a culturellement une propension à obéir aux ordres et donc les grands responsables c’est quand même les donneurs d’ordre, ce qui n’enlève pas la liberté individuelle évidemment.

Magistrate : Qu’est-ce qui serait chez des rescapés le pendant de ce que vous venez de décrire, une population qui a une forte tendance à obéir aux ordres ?

Alain GAUTHIER : Les rescapés ne sont pas une population à part. Il ne faut pas faire des rescapés un groupe de saints. Il y a des Tutsi qui ont participé au génocide: Robert KAJUGA, le président des Interahamwe, était Tutsi!

Magistrate : Je voulais plutôt appuyer sur le côté liberté de parole : comment se distinguer d’un groupe qui a la propension à obéir aux ordres ? Est-ce que ça se retrouve chez les victimes une logique de témoignage qui est celle de son groupe en l’occurrence « MUNYEMANA a fait ceci, cela », est-ce que c’est aussi difficile pour les auteurs de dire : «  Je ne suis pas d’accord avec l’ordre? Et est-ce que ça vous fait écarter des témoignages ?

Alain GAUTHIER : Depuis le génocide, les rescapés ont été enfermés dans leur groupe de rescapés. Depuis 1994 la politique a toujours été une politique de réconciliation et les autorités ont toujours demandé aux rescapés de faire la plus grosse part de l’effort. Mais ce n’est pas en demandant aux gens de se réconcilier que ça va se faire comme ça. Nos amis rescapés nous disent : « Officiellement, on est réconciliés mais quand on rentre chez nous, le soir, on se retrouve avec nos démons. » Tous les jours, dans les campagnes, la première personne qu’une veuve croise, c’est le tueur de ses enfants ou de son mari. Comment vivre comme cela ? Imaginez dans quelle situation se trouvent ces gens. Et en plus beaucoup sont extrêmement pauvres.

Magistrate : J’ai mal formulé ma question. Quand on a accusé une fois, deux fois, trois fois et qu’on est dix à avoir vécu ça, est-ce qu’on est capable de mettre une nuance en disant :« C’est pas tout à fait ça »?

Alain GAUTHIER : Oui je pense, il y en a qui peuvent se dire : « Peut-être on a exagéré. »

Magistrate : Vous n’avez jamais écarté un témoignage parce que vous avez vu des choses qui se confortent les unes les autres ? Est-ce que c’est quelque chose que vous avez observé, que vous craignez ? Y a-t-il des précautions prises quand vous transmettez des témoignages ?

Alain GAUTHIER : Je ne peux pas dire qu’on l’ait rencontré souvent. Si ça nous est arrivé d’écarter des témoins c’est généralement parce qu’un témoin ne décrit que des choses qu’il a entendu dire. C’est au juge d’instruction de faire ce travail, de faire le tri dans ces témoignages, ce n’est pas le nôtre. On se trouve aujourd’hui en présence de rescapés qui refusent de témoigner parce qu’ils se sont réconciliés, parce qu’ils ont pardonné. On leur dit qu’on accepte mais pour nous le pardon ça n’empêche pas la justice et pour nous c’est le seul chemin vers la reconstruction des individus et du pays.

Juré N°6: Êtes-vous optimistes pour l’histoire du Rwanda?

Alain GAUTHIER : J’ai tendance à avoir une réponse de Normand, mais bien sûr qu’il faut être optimiste, c’est rare qu’un génocide se produise deux fois au même endroit, mais l’idéologie génocidaire n’a pas disparu au Rwanda. Au nom de la réconciliation des grandes autorités génocidaires ont été intégrées dans différents gouvernements alors qu’on savait qu’ils avaient participé au génocide. Au Rwanda il faut faire avec. Les rescapés, eux, sont inquiets, d’abord parce que la trentième commémoration arrive et on évoque la libération d’un certain nombre de prisonniers.

Juré N°3: Est-ce que, en tant qu’association, vous faites relire la retranscription d’un entretien à la personne?

Alain GAUTHIER : Bien sûr, parce qu’elle signe à la fin et on demande leur carte d’identité. Si elle ne sait pas lire on lui relit.

Président : Vous le retranscrivez brut ou vous arrangez ?

Alain GAUTHIER : Non brut, jamais deux témoins en même temps et on essaie de ne pas les rencontrer sur leur lieu d’habitation à cause de la proximité des voisins.

Me DUPEUX (défense) : Vous avez répondu à pas mal de questions que j’envisageais de vous poser. Quelque chose me frappe quand vous dites : « Nous ne recueillons que des témoignages à charge ». Ceci me parait totalement contraire aux principes de la justice démocratique, ça oriente un débat dans des conditions qui me paraissent très délicates parce que le débat d’instruction est fourni par le CPCR sur des éléments qui ne sont pas recueillis dans des conditions qui sont propres au développement d’une vraie justice démocratique. Ça me fait penser à ceux qui veulent rendre la justice eux-mêmes. Que pensez-vous d’une justice privée comme la vôtre qui ne recueillerait que les témoignages à charge ?

Alain GAUTHIER : Cette réflexion de la part d’un avocat chevronné comme vous m’étonne, vu votre expérience. Demander à des citoyens français d’être des juges d’instruction, ça m’étonne. Nous ne sommes pas la justice et ça me libère beaucoup. La justice va être rendue par des magistrats professionnels et un jury. Nous respecterons cette décision de la justice. Nous n’avons pas à faire le travail des juges, nous nous n’avons été qu’au début de l’affaire.

Me DUPEUX : Est-ce qu’on ne peut pas craindre que quand vous allez voir des témoins qui vont devenir des parties civiles, des détenus, des membres du parquet au Rwanda, vous risquez de provoquer des faux-témoignages ou des témoignages biaisés ou d’insuffisance de la vérité. Vous violez le principe du secret de l’instruction et de la présomption d’innocence. Je suis inquiet par ces risques que vous pouvez provoquer.

Alain GAUTHIER : Je ne comprends toujours pas. Nous nous sommes à l’origine de la plupart des procès qui ont eu lieu et qui auront lieu. Je ne comprends pas ce que vous nous reprochez. La justice, ce n’est pas nous qui la rendons et j’évalue la responsabilité du jury qui se trouve devant nous. Si le Rwanda accepte de nous donner ces documents, c’est parce qu’ils savaient que jamais ces gens qu’on poursuit ne seraient renvoyés dans leur pays. Si on avait attendu les premières enquêtes des juges d’instruction en 2011- 2012, imaginez où nous en serions aujourd’hui.

Me DUPEUX : Laurence KANAYIRE, la proximité que vous avez avec elle, c’est troublant.

Alain GAUTHIER : Il n’y a pas plus de proximité avec Laurence qu’avec les autres témoins. Laurence est une rescapée comme une autre.

Nous avons appris que la défense avait versé au dossier des photos de la décoration que nous avons reçue au Rwanda.

Me DUPEUX : Je ne pensais pas vous convaincre. Je m’attendais à ce que ce soit évoqué. Vous ne faites pas une différence entre recevoir une décoration de la part d’une dictature et d’une république démocratique.

Alain GAUTHIER : C’est de la délation. Je ne porte pas la décoration, vous oui. Je ne considère pas le Rwanda comme une dictature, sinon « je suis citoyen de cette dictature-là ».

Me DUPEUX: Vous savez qu’il est interdit de porter en France la décoration d’un pays étranger? (NDR. Monsieur le président ne semble pas aussi convaincu que l’avocat. A propos de Légion d’Honneur, j’aurais souhaité porter à la connaissance de maître DUPEUX que le chef d’Etat major de la gendarmerie au Rwanda dans les années 90-94, Pierre-Célestin RWAGAFILITIA, celui qui avait demandé des « armes lourdes » au général VARRET en 1994 pour exterminer les Tutsi, avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France avant le génocide: « Je vous demande ces armes, car je vais participer avec l’armée à la liquidation du problème. Le problème, il est très simple : les Tutsi ne sont pas très nombreux, on va les liquider » Ce gendarme, même mis à la retraite comme BAGOSORA et SERUBUGA, a été très actif dans le génocide en 1994. C’était l’homme fort dans la préfecture de KIBUNGO, à l’est du pays.)

Me BOURG (défense) : Vous avez parlé de l’immobilisme de la justice française. Dans ce dossier, un juge d’instruction bordelais était saisi, il a beaucoup travaillé et a fait beaucoup d’interrogatoires. Ensuite vous avez évoqué Mme POUS qui n’aurait apparemment rien fait. Madame POUS, tous les interrogatoires que nous avons entendus ont été fait par Madame POUS, les juges ont pris un nombre considérable d’actes en 2011. Toute la préparation du procès depuis 2010 provient d’un travail conséquent. On a eu un directeur de recherche Mr GEROLD qui a fait un travail considérable pendant tout ce dossier.

Alain GAUTHIER : Je n’ai jamais dénigré le travail des juges d’instruction, c’est grâce à eux que ces procès ont lieu mais c’est notre rôle de citoyen de dénoncer les lenteurs de la justice.

Me BOURG : La justice française n’a pas attendu le CPCR. Je suis intéressée par vos méthodes d’enquête. Ce n’est pas banal. M’est venue une remarque/ quand vous interrogez vos témoins, dans leurs déclarations il y a toujours des éléments à charge et souvent aussi des éléments à décharge. Comment vous faites, vous les retranscrivez ces éléments ?

Alain GAUTHIER : J’ai été très clair, nous n’entendons que des témoins à charge. On souhaite que la justice française rende justice.

Président : La question c’est : que faites-vous des éléments à décharge dans les témoignages à charge, vous les transmettez ?

Alain GAUTHIER : Non ce n’est pas mon rôle. Même lorsque les témoins à décharge cités par la défense viennent devant les juges, souvent ce sont eux qui marquent les buts contre leur camp.

Me BOURG : Toujours sur vos méthodes d’enquêtes, vous avez des pouvoirs d’enquête, tout de même ce n’est pas banal. Dans le dossier, on apprend la chose suivante :

« Le parquet général de KIGALI met à notre disposition des officiers de police judiciaire pour nous assister et aider pour la traduction, et parfois même nous partons ensemble pour recueillir des témoignages dont nous avons besoin ». Êtes-vous des collaborateurs du parquet de BUTARE, de KIGALI ? C’était en 2011.

Alain GAUTHIER : Quand j’ai dit ça, je pensais essentiellement à un dossier, celui des bourgmestres de Kabarondo, Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA. J’étais parti seul au Rwanda et quand je suis allé voir le parquet, le procureur n’a pas voulu me laisser partir seul pour des raisons de sécurité.

Me BOURG : Je voudrais parler de quelqu’un que vous avez l’air de bien connaître, c’est le Substitut du parquet, c’est Martin KAGIRANEZA. Quelles sont vos relations, vos travaillez ensemble ?

Alain GAUTHIER : On a été mis en contact dans un dossier mais nous ne l’avons plus jamais revu. Ce n’est pas du tout une de nos connaissances.

Me BOURG : En côte D 937, il a dit : « Précisons que nous, Martin KAGIRANEZA, avons été contacté par Alain GAUTHIER, une partie civile française, qui cherchait des éléments sur Joseph HABYARIMANA. En janvier 2010, nous avons mis Alain GAUTHIER en relation avec le témoin qui lui a fait des déclarations sur les agissements de Joseph HABYARIMANA en notre présence. Le témoin ayant dît qu’il savait également des choses sur RWAMUCYO et MUNYEMANA, il lui a demandé s’il pouvait faire une déclaration écrite sur les agissements des trois hommes. Aucun document de justice n’a été établi, il s’agit d’un écrit sans forme de droit. Mais le jour de la rencontre, je précise que le témoin avait déjà remis un écrit à Monsieur GAUTHIER sur les seuls agissements de Joseph HABYARIMANA. Je précise également que j’ai mis Alain GAUTHIER en relation avec une douzaine de témoins en tout, concernant le cas de Joseph HABYARIMANA seulement ». Il ment ?

Alain GAUTHIER : S’il l’a dit, c’est que c’est vrai. Mais nous ne sommes pas des relations.

Me BOURG : Pourtant, vous transmettez beaucoup de déclarations faites par Martin qui sont en général traduites par votre épouse. Il y en a eu bien après 2011. C’est difficile à croire quand même.

Alain GAUTHIER : Vous pouvez ne pas me croire, c’est ma parole contre la vôtre. Mais je ne vois pas pourquoi je mentirais devant Cour d’assises, ça fait plus de 10 ans que j’y passe mes journées

Me BOURG : Donc il ment ?

Me FOREMAN intervient : Il a confirmé.

Alain GAUTHIER : Il ne ment pas, mais ce n’est pas une personne avec laquelle j’ai des relations, je ne l’ai plus revu depuis 2011. Si je le rencontre dans la rue je ne le reconnaîtrai pas.

Me BOURG : Vous avez dit que vous ne vous rendez jamais dans la maison des personnes que vous interrogez ?

Alain GAUTHIER : Non je n’ai pas dit « jamais », j’ai dit de plus en plus rarement. Nous avons parlé à des témoins au Rwanda dans une autre affaire et ils ont demandé qu’on s’éloigne pour parler plus librement. Ce sont les témoins qui demandent de quitter leur commune parce qu’ils craignent toujours leurs voisins, ils demandent un peu de discrétion.

Me BOURG : Je voudrais reparler de Marie NYIRAROMBA. Vous la connaissez bien ?

Alain GAUTHIER : Bien sûr, c’est une vieille femme, c’était une voisine de ma belle-mère, ma belle-mère avait un champ à 50 mètres de chez elle. C’est une dame qu’on connait depuis très longtemps bien avant le dossier de MUNYEMANA. Et chaque fois que nous allons à Butare nous lui rendons visite.

Me BOURG : Donc vous ne l’avez pas interrogée sur le dossier ?

Alain GAUTHIER : Si, bien sûr.

Me BOURG : On voit dans le dossier qu’après son audition, vous êtes retourné la voir parce que vous estimiez qu’il y avait des différences notoires entre ce qu’elle vous avait dit et son audition.

Alain GAUTHIER : C’est ce que Maître FOREMAN vous a expliqué plus tôt. Lors de la rencontre avec l’équipe de monsieur GEROLD, le gendarme enquêteur, elle a reconnu en la personne de l’interprète quelqu’un de la famille d’un génocidaire. Les propos qu’elle a tenus devant eux ont été influencés par cette présence. Décontenancée, elle n’a pas dit tout ce qu’elle nous avait dit.

Me BOURG : C’est la lettre que vous avez écrite à l’ambassadeur ?

Alain GAUTHIER : Oui, à sa demande.

Me BOURG : Vous avez parlé de la réconciliation, est-ce que pour favoriser cette réconciliation, est-ce qu’il est audible d’écouter la souffrance, les massacres de Hutu qui eux également ont fait l’objet de tueries, je ne parle pas de génocide. Est-ce qu’on peut l’évoquer librement au Rwanda ?

Alain GAUTHIER : Je ne sais pas si on peut l’évoquer facilement, mais nous sommes sensibles à la notion de traumatisme tant chez les rescapés que chez les enfants de tueurs. Il y a des soins à apporter à la fois aux rescapés et aux enfants de génocidaires.

Me BOURG : Vous avez été au courant des poursuites faites contre le chanteur KIZITO pour avoir chanté la réconciliation ?

Alain GAUTHIER : C’était un de nos amis qu’on a beaucoup côtoyé à Paris quand il est venu faire ses études de musicologie. Dans un souci de réconciliation facile, il a fréquenté les milieux génocidaires de Bruxelles mais il s’est aussi impliqué dans le soutien à des auteurs de crimes à KIGALI. Il a été emprisonné et libéré, et quelques mois plus tard il a été surpris en train de fuir. Il a été de nouveau emprisonné. Et quelques mois plus tard, il a été retrouvé pendu dans sa cellule.

Me BOURG : Un avocat américain, a été arrêté au Rwanda … (interrompue).

Alain Gauthier : Oui, c’est maître Peter ERLINDER?

Me BOURG : Il a été arrêté, on lui a fait un procès pour négation du génocide ?

Alain GAUTHIER : Mais combien d’avocats ont été arrêtés ? C’est le seul. Je crois avoir appris qu’en justice un seul témoignage ne peut suffire.

Me BOURG : Vous êtes extrêmement médiatiques avec votre épouse : récemment, un documentaire et une BD sont sortis, vous êtes régulièrement invités dans les médias. Vous êtes présentés comme les KLARSFELD du Rwanda. Vous vous considérez comme tels ?

Alain GAUTHIER : Alors, ça date d’un article d’un journaliste dans un journal satirique.

Me BOURG : Non c’était très récent. Dans le quotidien Libération.

Alain GAUTHIER : Pas du tout, mais cette expression est régulièrement reprise par les journalistes. Elle ne vient pas de nous On ne se compare pas nous-mêmes. Ça ne nous a pas fait spécialement plaisir et je ne pense pas que ça leur fasse plaisir non plus.

 

 

  1. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  2. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[]
  3. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[]
  4. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[]
  5. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  6. Rwanda : la traque des génocidaires | Les débats de Débatdoc, débat diffusé le 16/10/23 sur LCP Assemblée nationale à la suite du documentaire « Rwanda, à la poursuite des génocidaires« .[]

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