- Audition de Vestine NYIRAMINANI, partie civile.
- Audition de Celse GASANA, partie civile.
- Audition de Vincent HABYARIMANA, partie civile.
- Audition de Providence MUKANDORI, partie civile.
Audition de madame Vestine NYIRAMINANI, témoin cité à la demande de l’association IBUKA, partie civile.
Madame NYIRAMINANI avait 31 ans lors du génocide, durant lequel elle a notamment perdu sa mère, ses frères et sœurs et leurs enfants. En tout, 13 membres de sa famille seront tués lors des tueries.
Elle raconte que dès le 20 avril, des coups de feu se sont fait entendre en provenance de Butare. Ces coups de feu se sont étendus à son quartier le 21 vers 10-11h du matin. Voyant la population fuir, sa famille et elle ont fait de même, avant de rentrer chez eux quand ils ont constaté que seuls les riches Tutsi étaient visés.
Pendant toute la nuit, les tueries ont continué, les gens scandaient « power, power » rapporte la témoin en disant qu’ils avaient très peur. Leurs voisins sont venus les informer que les Tutsi étaient en train d’être tués, alors sa famille et elle se sont cachés.
Ils sont rentrés chez eux lorsque la pacification a été annoncée, c’était un dimanche, fin avril ou début mai, mais la témoin n’est pas sûre de la date. Une réunion était organisée au bureau de secteur, mais sa mère l’a empêchée d’y aller en remarquant que des gens venaient les compter et que c’était un piège pour mieux les tuer.
Elle avait raison et la nuit même, la situation s’est dégradée et ils se sont cachés à nouveau.
Mme NYIRAMINANI et sa famille ont été découverts début mai.
Dans un premier temps, les Interahamwe[1] ont séparé les femmes des hommes et ont emmené ces derniers, ainsi que la témoin dont la carte d’identité présentait des irrégularités selon eux. Ils les ont conduits à une barrière située devant chez monsieur MUNUEMANA et qui se trouvait sur la route menant au bureau de secteur, dans le but de les mener à ce bureau dont l’accusé avait les clés. La témoin indique que celui-ci se trouvait sur cette barrière et aurait dit que ce n’était pas encore le moment de tuer les femmes, avant d’accompagner les tueurs pour ouvrir le bureau de secteur aux hommes.
Le reste des assaillants ont amené les femmes Tutsi qui avaient été rassemblées à la barrière dans une bananeraie pour les violer. Parmi elles, deux petites filles seraient mortes après ces viols.
Mme NYIRAMINANI a été violée par 3 hommes: MUSONI, SINGIRANKABO et NDAYISABA Émile. Ce dernier l’a emmené chez lui ce soir-là où elle restera pendant 2 mois jusqu’à ce que ses violeurs prennent la fuite face à l’arrivée imminente des Inkotanyi[2]. Au cours de cette période, elle sera abusée sexuellement, violée quotidiennement. Elle confie qu’elle avait le sentiment d’être un objet.
La témoin retrouvera ses deux fils un an après le génocide. Ses garçons de 7 et 3 ans avaient été confiés par la mère de Mme NYIRAMINANI à des voisins Hutu lorsqu’elle a vu sa fille emmenée par des Interahamwe. Ceux-ci avaient fui à l’arrivée des Inkotanyi et ne sont revenus qu’un an après.
Pour prévenir les allégations de faux témoignage avancées par la défense à chaque audition de témoin, un avocat des parties civiles lui demande des précisions sur l’origine de sa participation à la procédure pénale contre monsieur MUNYEMANA. Elle explique avoir appris que l’accusé se trouvait en France par le biais de familles qui venaient à Tumba chercher des informations sur leurs proches disparus. En particulier, Mme Espérance PATUREAU-GAHONGAYIRE est venue à Tumba, principalement dans le but d’obtenir des renseignements sur la mort de son frère Laurent NSANZUMUHIRE, qui a été tué en même temps que les frères de madame NYIRAMINANI, et qui n’a pas fait le voyage seulement pour recueillir des accusations à l’encontre de monsieur MUNYEMANA.
L’accusé, réagissant à cette audition, rejette toutes les accusations de madame NYIRAMINANI et affirme qu’elle ment sur tout ce qu’elle raconte le concernant.
Audition de monsieur Celse GASANA, témoin cité par l’accusation, partie civile IBUKA.
Monsieur GASANA avait 25 ans en 1994. Il participait à des rondes qui avaient déjà lieu début avril. Au cours de celles-ci, il a vu sur les collines voisines des maisons brûler et les paysans ont commencés à fuir. À partir de ce moment-là, le témoin rapporte qu’il a été dit qu’il fallait mieux assurer la sécurité à Tumba pour ne pas que ces troubles se propagent à cette localité.
C’est ainsi que la réunion du 17 avril fût convoquée par le conseillé de secteur BWANAKEYE. Cette réunion avait pour objet la sécurité de tout le monde. Au cours de celle-ci, monsieur GASANA affirme que Sosthène MUNYEMANA s’est levé et aurait dit d’un ton menaçant qu’il n’était pas d’accord avec BWANAKEYE car l’ennemi était parmi eux et que cet ennemi était Tutsi. Il aurait encore proclamé que le bureau de secteur n’était pas bien utilisé et qu’il devrait servir à accueillir des réfugiés; il en a demandé la clé. Après cela, les tensions sont apparues à Tumba.
Le 20 avril, le témoin précise ultérieurement au cours de son audition que les rondes n’étaient plus mixtes à ce moment mais que ce soir-là on était venu le chercher pour qu’il y participe. Il raconte que le fils d’un dénommé Barthélémy aurait traversé la ronde à laquelle il participait et qu’il avait un sac rempli de grenades et disait sortir de chez REMERA où MUNYEMANA et d’autres distribuait des armes. Il a alors su que le moment était venu de se cacher.
Le lendemain, le 21, des coups de feu retentissaient et les gens couraient ensanglantés en criant « Fuyez, fuyez », alors que d’autres avaient des machettes ou des gourdins. Monsieur GASANA a réussi à se cacher dans la brousse jusqu’au 15 juin. Entre 0h et 3h du matin, il se rapprochait des rondes pour chercher à manger et entendait les informations.
Depuis sa cachette dans les champs de sorgho, il a également était témoin de plusieurs choses. Il évoque le fait que ceux qui étaient attrapés par des tueurs et qui résistaient étaient tués sur place, et qu’il entendait que les autres étaient conduits au bureau de secteur. Notamment il a assisté au meurtre d’un professeur d’université dénommé Jean, un voisin de l’accusé, que les miliciens avaient traqués sur les ordres de Sosthène MUNYEMANA. C’est en tout cas ce que ces miliciens ont dit à cet homme avant de le tuer parce qu’il refusait de les suivre au bureau de secteur, et que monsieur GASANA a vu depuis sa cachette.
Il a aussi entendu des tueurs dire qu’il fallait amener les Tutsi au bureau de secteur où se trouvait le groupe des responsables, qu’il identifie comme étant REMERA, RUGANZU et MUNYEMANA (NDR. Comme le remarque plusieurs personnes dans l’assemblée, dont le Président, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent). Dans ces auditions précédentes, le témoin désigne le bureau de secteur comme « le cachot ». Tous les membres de sa famille qui sont passés par ce lieu sont morts. Interrogé sur la possibilité que ce bureau soit un lieu de refuge, monsieur GASANA répond: « on ne peut pas protéger les gens en les emprisonnant ».
Monsieur GASANA explique avoir fait ses propres recherches avant de se constituer partie civile dans cette affaire. Il effectue cette démarche pour rendre justice et hommage aux siens. Il se défend vivement d’avoir un quelconque intérêt autre que celui de la justice lorsqu’on le lui suggère et condamne l’idée de ceux qui diraient qu’il serait là pour l’argent.
Audition de monsieur Vincent HABYARIMANA, témoin cité par l’accusation, partie civile de l’association SURVIE.
Le 20 avril 1994, le témoin entend des coups de feu et apprend que ce sont des Tutsi qui se font tuer. Monsieur le président l’invite à situer sa maison sur un plan qu’il lui présente. Il habite en contre-haut de la gendarmerie.
« Le 21 à 10 heures, nous étions sur la route: des membres de la Garde présidentielle sont arrivés du côté où se trouve une petite « chapelle » dédiée à la Vierge Marie. J’étais avec un jeune homme lorsqu’un certain Boniface nous a demandé de le suivre. Il nous a conduits dans une boutique où il nous a enfermés. Je comprendrai plus tard que c’était pour nous protéger.
Les GP sont descendus dans le quartier de Gashora et ont cherché MAMBO, le responsable du comité de cellule car il savait ce qui allait se passer. Boniface leur dit qu’on allait tuer les Tutsi. Les GP sont allés voir les jeunes gens, sont montés ensemble au bureau de secteur. Ils ont commencé à tuer des Tutsi, dont un certain Népomucène. C’est ainsi qu’ont commencé les tueries à Tumba. »
Le témoin dit s’être caché des assaillants et signale que des réunions étaient organisées, au cours desquelles on demandait le nom des Tutsi qui n’avaient pas encore été tués. Ces rencontres se tenaient chez RUGANZU. Parmi le participants, on retrouve entre autres Simon REMERA, RUGANZU, KABILIGI, Sosthène MUNYEMANA et autres tueurs.
Sur question du président, le témoin dit qu’il avait eu connaissance de ces réunions alors qu’il se cachait chez Marie NYANDWI, et il a vu des gens qui sortaient de chez un certain Christophe. Il avait vu MUNYEMANA, GATABAZI Martin et d’autres. Monsieur HABYARIMANA a oublié de signaler que des gens venus de Musange et Runyinya croyaient qu’ils allaient survivre aux tueries: ce qui ne fut pas le cas. Les Tutsi seront tués et jetés dans la fosse de KARANGANWA.
Le soir, il est parti avec un homme qui avait apporté de la bouillie à une femme, Vestine, devant le bureau de secteur. Les assaillants ont continué à les pourchasser équipés d’armes traditionnelles. Un certain KAGAMBAGE l’a arrêté. Il était avec NGENZI. Avec ceux qui l’accompagnaient, il a pris la route qui mène chez MUNYEMANA dont il était voisin. Il y avait une barrière en contre-bas de chez l’accusé et une autre tout près de la statue de la Vierge. Arrivés à cette barrière, ils ont vu Sosthène MUNYEMANA et d’autres personnes qui conduisaient des gens en provenance du bureau de Tumba. Ces gens seront tués et leur corps jeté dans la fosse de Damascène.
Sosthène MUNYEMANA détenait les clés du bureau et en ouvrait les portes. Arrivés chez Damascène, ils les ont fait coucher par terre et ont commencé à tuer. Le témoin s’est mis à courir et leur a échappé. Tous les autres ont été tués. Traumatisé, il est rentré chez lui. C’est alors qu’il a vu son père et son grand frère se faire arrêter. Il part alors chez son autre frère pour lui recommander de fuir. Voyant des assaillants accourir, il a sauté la clôture et s’est réfugié chez son oncle Charles TABARO. Quant à son grand frère, Innocent HATEGEKIMANA, il a sauté la clôture de chez Sosthène MUNYEMANA.
Ils ont arrêté Evariste SENKWARE et d’autres personnes qu’ils ont attachées avec leur vêtements. Le lendemain, quand son frère a appris la mort de leur père, il a décidé de se suicider. Arrivé à temps, le témoin a décroché la corde.
Sur questions de monsieur le président, le témoin définit les barrières comme un moyen de contrôler les cartes d’identité. De sa maison, avec Alice, il a pu voir, à travers la barrière en cyprès, Sosthène MUNYEMANA ouvrir les portes du bureau de secteur et livrer des Tutsi aux assaillants.
Monsieur le président fait remarquer au témoin qu’il dit aujourd’hui des choses qu’il n’avait jamais dites auparavant. Et d’énumérer les contradictions qui sont apparues.
Pour laisser place à la visioconférence de madame Providence MUKANDOLI en provenance des USA, monsieur le président interrompt l’audience du témoin. Elle reprendra finalement le lendemain, vers 11 heures.
Suite de l’audition du témoin.
C’est au tour des questions des parties. Maître BERNARDINI évoque les conditions dans lesquelles le témoin a été interrogé par les juges, notamment la façon dont les questions étaient posées. Il souhaite que le témoin puisse donner des indications plus précises sur les lieux dont il a parlé.
Maître Jean SIMON veut savoir si, de la maison d’Alice où il se trouvait, il avait une vue sur le bureau de secteur. Les deux bâtiments n’étaient séparés que d’une vingtaine de mètres, précise monsieur HABYARIMANA. Alice habitait chez ses parents, elle était dans la même classe que le témoin, à l’école. C’est lors des Gacaca[3] qu’il a rencontré des Tutsi qui avaient échappé aux massacres: ils venaient témoigner sur la mort des leurs. Si les corps des victimes ont été transportés à la fosse de Damascène, c’est parce que celle de KARANGANWA était pleine. Plus de 200 corps seront retirés de cette dernière fosse.
L’avocate générale: « Vous avez évoqué la présence de plusieurs barrières dont une située un peu plus bas que chez l’accusé, au carrefour de la route qui mène à ATRACOM »? Le témoin confirme. La barrière dite « de chez François » était bien la même que celle qui se trouvait près de chez MUNYEMANA. Ils étaient voisins.
Monsieur le président fait remarquer que les enquêteurs ont omis d’établir un plan précis des barrières de Tumba. Il demande à l’avocate générale si elle pourrait travailler sur un plan plus précis.
Pour monsieur MUNYEMANA, la seule barrière dans le quartier était celle qui allait du bureau du secteur à la route principale qui mène à Rango. Il conteste totalement la présence de barrières à proximité de son domicile.
Maître DUPEUX souligne les contradictions du témoin lorsqu’il a parlé des témoignages qu’il aurait porté contre MUNYEMANA. Monsieur HABYARIMANA répond que lorsque plusieurs personnes avaient déjà donné leur témoignage contre un accusé, il n’était pas nécessaire d’ajouter le sien. D’où son silence et les contradictions apparentes que soulève l’avocat de la défense. Ce dernier veut savoir si le bureau du secteur était gardé ou non car le témoin a fait, là aussi, des déclarations contradictoires.. Le témoin répond que, à ce moment-là, il y avait beaucoup de Tutsi au bureau de secteur et que de nombreux Interahamwe[1] rôdaient tout autour. Il précise que des jeunes gens avaient été formés au maniement des armes et restaient là.
Réaction de monsieur MUNYEMANA. « Quand le témoin a été confronté à GASHONGORE, ce dernier a dit qu’HABYARIMANA mentait. Il a parlé des propos que j’aurais tenus quand son frère était chez moi. Lui était chez TABARO, son oncle. Il ne pouvait pas entendre ce que je disais. En plus, au dehors, il y avait un grand brouhaha. Ce sont les gendarmes qui sont intervenus ». On s’en tiendra là.
Audition de madame Providence MUKANDORI, citée par l’accusation, partie civile CPCR, en visioconférence des USA.
Madame MUKANDOLI témoigne des Etats-Unis où elle a rendu visite à son fils. Elle est seule dans une immense salle: personne à ses côtés, par d’interprète… Elle va se lancer dans le récit d’une histoire qu’elle n’a que trop racontée (NDR. Monsieur le président, lorsqu’il reprendra la parole, fera remarquer qu’elle a été entendue sept fois! Elle parle vite sans que monsieur l’interprète ne lui demande de lui laisser le temps de traduire, d’où des imprécisions dans la traduction qu’il donne, voire des erreurs. Monsieur le président l’a toutefois fait remarquer à plusieurs reprises)
Après avoir entendu des coups de feu le 21 avril 1994, alors qu’elle se trouve en famille, madame MUKANDOLI, avec son père, le bébé qu’elle porte au dos et de nombreux autres habitants de Tumba, se rend à KABAKOBWA où, dit-elle, les réfugiés seront bien accueillis. Au troisième jour, des militaires sont arrivés mais les assaillants, trop peu nombreux sont repartis. Ordre est donné aux rescapés de se disperser.
Alors que son père part de son côté, le témoin décide de se rendre au bureau du secteur de Tumba. Les paysans qu’elle croise dans les champs le lui conseillent. Arrivée là, elle retrouve son père qui la fait entrer. Dans ce local, de nombreux Tutsi s’entassent: du sang partout, des conditions d’hygiène inhumaines. Elle passera une journée dans le bureau, en compagnie de son père.
A un moment, Sosthène MUNYEMANA étant présent, monsieur BITIRA, le père du témoin, tente de s’approcher de lui pour lui demander s’il pouvait secourir sa fille et son bébé. Les deux hommes se connaissent, l’un travaillant au laboratoire, l’autre à l’hôpital. Mais le gynécologue refusera d’apporter le moindre secours au témoin, allant jusqu’à prétendre qu’il ne connaît pas monsieur BITIRA: « Qu’est-ce qu’il y a? Je n’ai rien à échanger avec toi, lui aurait-il répondu. Ote-toi de devant moi, BITIRA. » Le père du témoin insiste, mais pour toute réponse il entendre l’accusé couper court: « Ne sois pas naïf, les choses ont changé. C’est la mort des Tutsi » aurait-il répondu.
Madame MUKANDOLI finira par repartir, remise entre les mains de jeunes gens qui sont chargés de la raccompagner chez elle. Il sera toujours temps de revenir au bureau du secteur.
Le récit du témoin devient un peu confus. Elle répète plusieurs fois la même chose, revient en arrière si bien que jury, parties et public ont du mal à suivre.
Le soir du 6 mai, alors que les Tutsi ont été rassemblés au bord d’une fosse commune pour y être exécutés, le témoin se laisse lentement glisser vers les derniers membres du groupe et va réussir à se cacher dans un caniveau. « Tout le monde est mort, sauf mon bébé et moi » confie-t-elle.
Une vielle femme hutu accepte de l’accueillir chez elle et s’occupe de son bébé. Jeanne, c’est son nom, est responsable de cellule et a un mari Tutsi. raison pour laquelle elle accepte de l’aider, pense-t-elle.
Monsieur le président juge alors utile de faire le point sur les déclarations du témoin (NDR. Elle parle depuis près de deux heures). Il reprend une à une les différentes auditions auxquelles le témoin a été confrontée pour tenter d’éclairer les jurés. Il demande au témoin si elle confirme les propos qu’elle a tenus devant ses différents interlocuteurs. Des contradictions avec ce qu’elle dit aujourd’hui? Certes, mais à plusieurs reprises elle confirme les propos que lui rapporte le président, même si ce dernier ajoute à un moment: « Entendue sept fois, septième version! » Ce qui n’est pas tout à fait le cas!
Maître Simon FOREMAN, l’avocat du témoin, voudrait savoir si le bureau de secteur a été, selon elle, un lieu de refuge ou de détention. C’est toute la question à laquelle le témoin a du mal à répondre. A t-elle d’ailleurs bien compris la question? En tout cas, elle précise bien qu’une fois entrée dans le bureau on ne pouvait en sortir que si on avait une autorisation.
A ce stade, sont projetées les photos de son père et de son frère: « Papa qui a cru qu’il pouvait compter sur Sosthène MUNYEMANA pour le sauver« , murmure-t-elle.
Madame l’avocate générale demande au témoin si elle se souvient des personnes blessées, dont une jeune femme qui saignait au niveau du sein qu’on lui aurait coupé et un homme blessé à la tête sans que personne ne vienne le soigner. Bien sûr que le témoin s’en souvient.
Maître BOURG, pour la défense, ne désire pas poser de questions « vu le nombre de versions différentes données par le témoin. »
Monsieur MUNYEMANA ajoute à la confusion lorsque qu’il dit que, lors des Gacaca[3], un certain GASHIRABAKE, dont il a été plusieurs fois question dans le récit du témoin, aurait dit que cette dernière aurait été hébergée chez sa propre mère. (NDR. Monsieur le président demande à l’accusé d’être plus clair car on a cru un instant qu’il rapportait les propos de madame MUKANDOLI.)
Madame MUKANDOLI demande à reprendre la parole. Elle ne comprend pas pourquoi l’accusé conteste ce qu’elle vient de dire. Elle a tenté de résumer le trajet qu’elle a fait de KABAKOBWA au bureau du secteur. Contrairement à ce qui à pu être dit, ce n’est pas grâce à Sosthène MUNYEMANA si elle a pu sortir du « cachot » et être aujourd’hui en vie. C’était à la demande de son père. D’ailleurs, tous les autres Tutsi enfermés au bureau ont été tués. Le témoin ne comprend pas que l’accusé puisse dire qu’il ne connaissait pas son père.
Monsieur MUNYEMANA, appelé à réagir aux propos de monsieur Celse GASANA enfin de matinée, conteste tout ce que ce dernier a pu dire. Il n’y a pas eu de rondes avant le 17 avril puisque ces dernières ont été décidées lors de la réunion de ce jour. « Je conteste la totalité de ses propos » finira-t-il par dire. (NDR. Cette posture n’est pas étonnante puisqu’il en fait le fondement de sa défense. En fait, il serait le seul à dire la vérité).
Quant à l’histoire des seringues retrouvées fichées dans le corps de certaines victimes, il réfute le fait d’avoir une quelconque responsabilité. Il n’est pas besoin d’être médecin pour tuer avec des seringues! (NDR. Malgré les demandes qui ont pu être faites, aucune investigation n’a été réalisée, tant sur l’origine de ces seringues que sur le produit qui aurait été injecté. Il est à craindre que ce mystère ne soit jamais élucidé.)
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Margaux MALAPEL, bénévole
Jacques BIGOT, pour les notes et la présentation
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑][↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[↑]
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑][↑]