Procès MUNYEMANA, mercredi 22 novembre 2023. J7


Avant que les auditions ne commencent, maître FOREMAN, avocat du CPCR, souhaite intervenir rapidement à propos du courriel adressé la veille par monsieur BIRUKA pour annoncer son refus de venir témoigner. « Les éléments embusqués au sein du CPCR » et qui sont présents dans cette salle ne sont autres que Dafroza et Alain GAUTHIER et une jeune femme bénévole qui prend le verbatim en vue des comptes-rendus d’audience de l’association. Et de conclure:  » On est dans le délire le plus complet. »

 


Audition de madame Monique AHEZANAHO, citée par le ministère public. Partie civile aux côtés d’IBUKA, rescapée du génocide des Tutsi à Tumba.

Le témoignage bouleversant d’une rescapée qui ne doit la vie qu’à son violeur qui l’a séquestrée pendant toute la durée du génocide.

La déposition de cette témoin a fait l’objet d’une traduction par des interprètes assermentés par la Cour.

En 1994, Mme AHEZANAHO avait 25 ans. Elle était mariée et avait 2 enfants. Rien que dans le secteur de Tumba, elle a perdu son mari dans le génocide, ainsi que son beau-père, sa belle-mère, son beau-frère, ses enfants et ses deux belles-sœurs et leurs enfants. Elle a aussi perdu ses biens et sa maison a été pillée et détruite.

Tout a commencé après l’attentat contre l’avion du Président dont les gens disaient qu’il avait été abattu par des Tutsi. Une méfiance entre les Hutu et les Tutsi se serait alors développée.

Des troubles ont éclaté sur une colline proche et Mme AHEZANAHO désigne monsieur MUNYEMANA, qu’elle connait par le biais de son beau-père et qu’elle avait croisé à l’hôpital, comme celui ayant envoyé des jeunes pour aller y commettre des tueries contre les Tutsi qui se défendaient. Elle le décrit comme un notable du fait de sa qualité de médecin et de membre éminent d’un parti politique.

Une réunion a été convoquée le 17 avril au secteur de Tumba à laquelle assistaient des Hutu et des Tutsi. Le témoin s’y est aussi rendue avec son mari. Selon elle, les autorités présentes étaient RUGANZU, MUNYEMANA, REMERA, MABOMBOGORO, SIMPUGA, et elles ont demandé à Dionisio et KIOGORI de sortir parce qu’ils étaient Tutsi, ainsi qu’à Jeanne dont le mari était Tutsi.

À cette occasion, monsieur MUNYEMANA aurait informé les gens que des réfugiés Hutu venus de la localité de RUTENGE d’où est originaire sa femme étaient chez lui car ils fuyaient les Inyenzi venus du Burundi. Cela a provoqué de la peur chez les Tutsi présents et a déclenché la haine chez les Hutu.

Mme AHEZANAHO explique que c’est là que la décision de mettre en place des barrières a été prise. Initialement, elles devaient être tenues par des Hutu et des Tutsi mais ces derniers ont été chassés par les Hutu qui ne voulaient pas rester avec des Inyenzi.

Une autre réunion s’est tenue le 19 avril vers 14h, convoquée cette fois par MUNYEMANA, REMERA et d’autres et destinée aux autorités, dont un certain Xavier lui aurait rapporté qu’elle portait sur les armes et leur  distribution.

La témoin décrit monsieur MUNYEMANA comme étant un des organisateurs des réunions durant lesquelles il était préconisé de tuer les Tutsi, même si elle dit ne pas l’avoir vu tuer lui-même. Il aurait aussi collecté des informations sur ceux qui étaient morts et ceux qui étaient encore en vie auprès des gens qu’il désignait pour aller tuer.

Elle raconte qu’un jour en allant puiser de l’eau au robinet du secteur de Tumba, elle a vu KAMBANDA[1] avec un véhicule où se trouvaient des armes devant chez MUNYEMANA. La témoin connaissait KAMBANDA dont le père avait épousé sa grand-mère.

Le 21 avril le génocide débutait à Tumba sur les ordres des responsables dont Mme AHEZANAHO a donné les noms. Elle explique que des tueries ont eu lieu au domicile de François KARANGANWA qui a été tué avec sa femme. Elle dit avoir vu cette dernière sur une brouette avant qu’elle ne soit jetée avec les autres dans la fosse de chez KARANGANWA.

À peu près à ce moment, les Tutsi ont commencé à se cacher car ils savaient qu’ils seraient tués, dont son mari, puis elle-même le 21 avril. Ils étaient cachés séparément, et pour sa part elle était dans les champs de sorgho avec ses enfants.

Selon ses souvenirs, le dimanche 20 mai à 14h, quelqu’un a crié « c’est l’accalmie c’est l’accalmie » sur demande des autorités: MUNYEMANA, RUGANZU, MURERA, REMERA… Mme AHEZANAHO explique y avoir cru, tout comme son mari. Tous les Tutsi qui s’étaient cachés et qui auraient pu survivre ont alors été tués. Son mari a été tué ce jour-là et le plus terrible pour elle c’est qu’il l’ait vue avant de mourir, alors qu’elle ne pouvait plus marcher tellement elle avait été violée et affamée.

Elle explique que les autorités qu’elle a évoquées en amont, dont l’accusé, ont permis aux hommes de violer les femmes et les jeunes filles. La témoin raconte avoir été violée par plusieurs hommes, parmi lesquels Xavier, son protecteur.

Au cours des différentes auditions précédant ce procès, elle n’en a parlé qu’une seule fois car elle ne voulait pas que ses enfants, ni ceux de Xavier qui était son voisin soient au courant. Son mari actuel n’est pas au courant non plus.

Elle relate avoir tout fait pour qu’on la laisse tranquille mais que malgré cela, elle a été violée même avec un enfant sur le dos.

Mme AHEZANAHO explique que les femmes Tutsi violées étaient protégées par leur agresseur. Elles pouvaient ainsi circuler.

Elle aurait aussi vu des seringues dans les fosses qui étaient mises dans les sexes des femmes. La témoin dit en avoir elle-même enlevée une des parties intimes de sa belle-mère. Elle se dit persuadée qu’elles venaient de chez MUNYEMANA du fait qu’il était médecin. Xavier le lui aurait également confirmé.

En juin avant que MUNYEMANA ne parte pour fuir les Inyenzi[2], il aurait donné une fête pour dire au revoir à ses amis.

Les Interahamwe[3] qui n’avaient pas été payés avant que les responsables ne partent ont compris que c’était perdu. Mme AHEZANAHO dit avoir compris à ce moment-là qu’ils allaient les exterminer. Elle a pris la fuite.

 


Audition de monsieur Alfred MAGEZA, cité par le ministère public. Ancien détenu.

Le témoin, manifestement perturbé, se présente devant la cour pour raconter la façon dont il a vécu le génocide à Tumba. Le témoignage qu’il donne ne correspond  presque en rien avec les déclarations qu’il a faites devant les enquêteurs français en 2010 alors qu’il était en prison. A part le fait de reconnaître que monsieur MUNYEMANA faisait partie des autorités, il va remettre en question ses dépositions précédentes

Trois documents apparaissent dans le dossier:

  1. Une courte audition par le parquet de Butare versée par le CPCR
  2. Une autre datée de 2003, également versée par le CPCR
  3. Le long témoignage de monsieur MAGEZA en présence des juges des enquêteurs français.

Monsieur le président commence par préciser qu’il demandera au représentant du CPCR comment il s’est procuré ces documents (NDR. Il est fort probable que la défense posera la même question, comme à chaque procès depuis dix ans.) Toujours est-il que lors de cette audition le témoin va tenir des propos totalement contraires à ceux qu’il a tenus précédemment. Monsieur le président aura beau demander à monsieur MAGEZA pourquoi il a menti aux juges d’instruction, mesdames POUS et GANASCIA, le témoin ne trouvera aucune justification. Monsieur SOMMERER, après avoir tenté de résumer les propos du témoin, finira par déposer les armes. Il renonce à poursuivre l’audition.

Et ce ne sont pas les questions posées pat l’accusation ou la défense qui permettront d’apporter des réponses.


Audition de monsieur DUFITUMUKIZA, gendarme Tutsi (s’était déclaré Hutu pour entrer dans la gendarmerie). Accusé devant deux gacaca[4] mais acquitté. Cité par le ministère public.

Ancien bureau du secteur de Tumba

Monsieur DUFITUMUKIZA commence son audition en disant qu’il connaît l’accusé pour avoir été gendarme à Tumba pendant toute la durée du génocide. Il le connaissait même avant. Le témoin était locataire d’une maison située tout près du bureau du secteur, non loin également de chez Sosthène MUNYEMANA. Il vivait là avec sa femme tutsi et ses deux enfants. Lui-même, Tutsi du Nord, avait changé « d’ethnie » pour pouvoir entrer dans la gendarmerie.

Avant le génocide, au temps du multipartisme, le témoin déclare avoir fréquenté régulièrement le bar de RUGANZU où il se retrouvait le soir avec MUNYEMANA et ses amis: on parlait souvent politique. Et le témoin de préciser que dès la naissance du Hutu Power[5] monsieur MUNYEMANA, alors membre du MDR[6], est devenu MDR Power, comme tous les membres de son groupe. Ces derniers tenaient des propos virulents à l’égard de Faustin TWAGIRAMUNGU et de Agathe UWILINGIYIMANA, adeptes de la tendance modérée du parti. Très rapidement, le MDR Power s’est rapproché de la CDR[7] et du MRND[8] dont le but était le même: exterminer les Tutsi.

Si le génocide a commencé le 20 avril 1994 à Butare, suite au discours du président SINDIKUBWABO[9], le témoin précise qu’un groupe l’avait préparé « avec minutie, intelligence et méchanceté » (sic). Dans ce groupe, des noms connus: MUNYEMANA, Vincent MUREKEZI, Siméon REMERA et sa femme Gemma, KUBWIMANA, RUGANZU et Innocent, le fils de François BWANAKEYE. « Ce sont ces personnes qui ont dirigé les massacres. »

Le témoin d’évoquer ensuite le déroulement des massacres sur la colline de Tumba: organisation des rondes auxquelles participait l’accusé, soutien des gendarmes qui allaient « travailler » avec les meneurs. La méthode semblait rôdée: d’abord élimination des hommes tutsi, surtout les gens importants, puis les pauvres de sexe masculin puis les femmes et les jeunes filles après les avoir violées. Est venu l’ordre, ensuite, de tuer tous les Tutsi.

Le témoin affirme avoir sauvé beaucoup de gens: en tant que militaire, il recevait beaucoup de nourriture qu’il partageait avec les plus nécessiteux. Pour confirmer ses dire, il va donner plusieurs exemples: celui d’une femme tutsi qui avait épousé un Hutu et dont les enfants allaient sur les barrières . Quand ils ont appris qu’on allait tuer leur mère, ils sont venus voir monsieur  qui les a rassurés:  » Si on tue votre mère, dites au tueurs qu’on viendra tuer leurs femmes. » Le témoin va donner aussi l’exemple d’un cousin de son épouse auquel il fera apporter de la nourriture alors qu’il était enfermé au bureau du secteur. Cela ne suffira toutefois pas à le sauver. Un dernier exemple concernera une maman qui travaillait à l’hôpital à Butare.

Enfin, le témoin évoque l’arrivée des soldats français dans la Zone Turquoise[10], juste au moment où Sosthène MUNYEMANA décide de fuir vers le Congo. Le 22 juin? (NDR. On peut avoir des doutes, malgré le tampon sur son passeport, dans la mesure où des témoins l’auraient vu habillé de feuilles de bananiers lors du passage de monseigneur ETCHEGARAY à Butare, le 24 juin.)

Monsieur le président va reprendre alors les points importants de l’audition du témoin devant les enquêteurs français. A aucun moment monsieur DUFITUMUKIZA ne sera pris en défaut. Il confirmera tous les propos qu’il avait tenus en présence des Français.

Il se fait tard. Le ton monte quelque peu lorsque monsieur le président demande au témoin ce qu’auraient dit les extrémistes si monsieur MUNYEMANA s’était comporté autrement, s’il avait cherché à sauver les Tutsi. Monsieur DUFITUMUKIZA se refuse à faire de la science-fiction.

La défense, quelque peu démunie devant ce témoignage, s’étonne que le témoin ne se souvienne plus d’une visite qu’il aurait rendue à MUNYEMANA le 23 ou le 24 avril. Le témoin s’en était déjà expliqué sur question de monsieur le président. Quant aux clés du bureau du secteur est-il très important de savoir combien il y en avait? Dismas NSENGIYAREMYE était-il du MDR Power[11]? Le témoin répond qu’il était simple caporal et qu’il n’a pas véritablement d’avis.

« Et vous, combien avez-vous sauvé de Tutsi? » demande maître BOURG pour tenter un dernier assaut.

« J’ai sauvé entre 50 et 100 Tutsi. J’aurais pu écrire un livre qui se serait intitulé: « Combattre seul pendant le génocide », conclut le témoin.

Monsieur MUNYEMANA se lève pour prendre la parole. Monsieur le président accepte qu’il donne une courte réaction devant les témoignages entendus ce jour:  » Je rejette en bloc toutes les accusations qu’on porte contre moi. » déclare-t-il d’un ton sec.

On s’en tiendra là au soir d’une journée éprouvante.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Margaux MALAPEL, bénévole

Jacques BIGOT pour la gestion du site, les notes et la présentation.

 

  1. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[]
  2. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[]
  3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  4. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012,
    cf. glossaire.[]
  5. Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire.[]
  6. MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[]
  7. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  8. MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[]
  9. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir  résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  10. Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.[]
  11. Voir l’audition du 17/11/2023 de Dismas NSENGIYAREMYE, premier ministre entre le 2 avril 1992 et le 18 juillet 1993, il sera remplacé par Agathe UWULINGIYIMANA, assassinée des le 7 avril au matin.[]

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