Procès MUNYEMANA, mardi 28 novembre 2023. J11


Audition de monsieur Speratus SIBOMANA, détenu, témoin cité selon le pouvoir discrétionnaire du président à la demande d la défense, en visioconférence de Kigali.

Monsieur SIBOMANA, aussi surnommé KABILIGI, témoigne depuis le Rwanda où il a été condamné à la prison à vie pour des tueries. Il dit ne pas avoir eu le choix car comme il était nouveau dans son quartier, s’il ne s’était pas joint aux autres il aurait été accusé d’être complice des Inkotanyi[1].

Il conteste les accusations de certains témoins qui l’identifient comme faisant partie d’un groupe participant aux réunions chez REMERA et en capacité de prendre certaines décisions à Tumba. S’il nie que des réunions se soient tenues chez REMERA, il désigne MAMBO comme étant le chef de son groupe.

Il raconte à son sujet qu’il dirigeait l’attaque contre Innocent HATEGEKIMANA (alias KIRUSHYA) lorsque celui-ci s’est réfugié chez MUNYEMANA en sautant sa clôture; mais qu’il est arrivé après les assaillants qu’il menait et leur a interdit de s’en prendre à la famille de KIRUSHYA. Le témoin ne précise pas si cette interdiction a été donnée après que MUNYEMANA est sorti de chez lui en déclarant qu’il ne fallait pas poursuivre ceux qui se réfugient chez lui. Son discours semble se contredire, d’autant plus qu’il n’évoque pas cet épisode dans ses auditions précédentes.

Il semble également se contredire concernant la question de la fréquentation du bar-cabaret de RUGANZU par MUNYEMANA. Monsieur SIBOMANA se rendait dans cet établissement et déclare d’abord que l’accusé, lui, n’y allait pas ou du moins qu’il ne l’y avait jamais rencontré. L’avocate générale relève que lors d’une confrontation, il avait dit pourtant dit que celui-ci y venait occasionnellement. Le témoin confirmera à nouveau ne pas l’avoir rencontré, revenant donc sur ses déclarations précédentes.

Sur la question de l’existence d’une liste des Tutsi à tuer, monsieur SIBOMANA considère que celle-ci n’a jamais existé car elle aurait été superflue du fait que les responsables de cellule savaient très bien qui il fallait éliminer. Il réitère son propos après que le président lui ait fait remarquer que ces listes auraient pourtant été utiles pour les militaires et miliciens qui ne venaient pas de Tumba et ne connaissaient pas la population.
Il accuse Evariste SENKWARE, un rescapé du génocide dont son groupe savait qu’il se cachait chez MUNYEMANA, de mentir quand celui-ci le charge pour avoir recueilli des informations en vue d’établir ces listes durant des réunions avec REMERA et MUNYEMANA entre autres.

Monsieur SIBOMANA argue aussi que ce témoin ment quand il déclare que MUNYEMANA avait les clés du bureau de secteur et qu’il les remettait aux tueurs quand ils revenaient avec des prisonniers Tutsi. Selon lui, il y a une incompatibilité entre cacher des Tutsi chez soit et préparer les tueries. Il assure ne pas savoir si MUNYEMANA avait une clé de ce lieu et n’avoir jamais constaté que des gens y étaient détenus, même s’il l’a entendu dire.

 

Audition de monsieur Paul HABINEZA, témoin cité par l’accusation, en visioconférence de Kigali.

Monsieur HABINEZA purge une peine de 30 ans de prison au Rwanda à laquelle il a été condamné en mars 2007 pour avoir participé à des attaques et pillages, ce qu’il a toujours nié.
Il était auparavant agriculteur à Tumba et habitait à environ 200 mètres de chez monsieur MUNYEMANA. Étant son voisin, il a été témoin de l’épisode au cours duquel monsieur HATEGEKIMANA Innocent alias KIRUSHYA, un Tutsi, s’est réfugié chez l’accusé après qu’un certain Tharcisse l’ait poursuivi avec d’autres assaillants. MUNYEMANA a alors parlé à Tharcisse pour qu’il laisse KIRUSHYA et lui a donné de l’argent en échange selon monsieur HABINEZA.

Il affirme aussi que la réunion du 17 avril ne réunissait que les dirigeants et non la population, et qu’il n’y avait donc pas participé. Le Président remarque que c’est pourtant un point sur lequel tout le monde s’accorde: tout le monde y était convié.
Sur les rondes qui ont suivi cette réunion, le témoin explique que tout homme valide devait y participer mais que certains y avaient échappé en payant, dont MUNYEMANA.

Au cours de cette audition, le Président commentera que « c’est difficile de vous interroger » en s’adressant au témoin dont les propos n’étaient pas toujours clairs.
Notamment, au sujet de ce qu’il se passait quand quelqu’un était découvert au cours d’une ronde, il contredira puis se reprendra et confirmera sa déclaration antérieure selon laquelle il était emmené de force et enfermé au bureau de secteur jusqu’à ce qu’il soit tué. Monsieur HABINEZA habitait juste à côté de ce lieu dont il dit que BWANAKEYE en détenait les clés, il affirme que cela se faisait à sa vue, mais il n’y a pas aperçu KAGERUKA Vincent.

Ce témoin déclare n’avoir jamais vu l’accusé faire quoi que ce soit durant le génocide et que celui-ci n’était pas actif au niveau local.

 

Lecture des déclarations de monsieur Evariste SENKWARE par le président

Monsieur SENKWARE décrit l’accusé comme étant le chef d’une bande de tueurs, un des organisateurs du génocide sur Tumba avec REMERA, KABIRIGI et RUGANZU. Il reviendra là-dessus dans une de ses déclarations ultérieures en ne retenant plus que REMERA et RUGANZU.

Il désigne monsieur MUNYEMANA comme étant un ami lors du génocide, le témoin lui ayant vendu une terre à un prix raisonnable et eux deux étant au MDR[2]. Il maintient tout au long de la procédure que l’accusé l’a sauvé à 4 reprises des massacres en l’avertissant du fait que son nom se trouvait sur les listes de Tutsi à tuer et lui conseillant de se cacher. De plus, lorsqu’une nuit il est arrêté par une ronde, MUNYEMANA le fait relâcher. D’autre part, il l’aidera financièrement à deux reprises à hauteur de 1500 Francs rwandais chaque fois.

Emplacement de l’ancien bureau du secteur dont Sosthène Munyemana avait les clés.

Monsieur SENKWARE évoque le bureau de secteur, dans lequel de nombreux Tutsi ont été enfermés pour être tués pendant la nuit. Ils y étaient amenés sous la contrainte par SIBOMANA, qui allait chercher la clé de l’accusé. RUGANZU et BWANAKEYE étaient en possession des deux autres clés.
Il décrira aussi plusieurs réunions d’accalmie organisées par BWANAKEYE qui prennent place dans ce bureau. Elles auraient en réalité été des pièges dans lesquels ses fils seraient tombés avant d’être tués.

Au cours de ses différentes auditions, monsieur SENKWARE évoque les visites fréquentes de Jean KAMBANDA[3] Il suppose que celui-ci expliquait comment « on allait travailler ». Il soutient qu’après son départ le génocide reprenait avec plus d’ardeur.

 

Lecture des déclarations de monsieur Emmanuel NSABIMANA par le président

Monsieur NSABIMANA est un Tutsi qui se cachait à l’Arboretum, une forêt aux abords de l’Université de Butare, où il a échappé aux massacres commis à coups de hache. Il réussit à s’enfuir jusqu’à Tumba où il est pris avec son père et ligoté. Parvenant à se défaire de ses liens, il se cache de nouveau, dans des champs pendant 2 semaines avant que des miliciens ne le trouvent et ne l’emmènent chez SENKWARE où ils devaient être tués. MUNYEMANA les y sauve tous deux en disant qu’ils n’étaient pas les bons Inyenzi[4] qui devaient être recherchés. Le témoin explique que le plan était alors de s’en prendre d’abord aux Tutsi riches ou intellectuels.

Depuis sa cachette dans les champs de sorgho, monsieur NSABIMANA affirme avoir vu l’accusé ouvrir le bureau de secteur à 4 Tutsi de RAMBO, puis de l’avoir rouvert aux miliciens qui les ont conduits à la préfecture.

Monsieur SENKWARE et monsieur NSABIMANA ont été confrontés à plusieurs reprises. Malgré certaines discordances, ils s’accordent pour dire que l’accusé n’a jamais été inquiété par personne pour avoir protégé KIRUSHYIA.

Déclarations de monsieur Sosthène MUNYEMANA

L’accusé revient sur le jour du sauvetage de KIRUSHYA.
C’était en mai et il a entendu du bruit devant chez lui. KIRUSHYA, qu’il connaissait bien, avait sauté sa clôture en criant « au secours » et il est sorti alors qu’une partie des assaillants avaient déjà franchi son portail. Ils étaient très agressifs et il aurait commencé à parlementer avec MAMBO qui était le plus proche de lui. Il explique que c’est  la présence de ses locataires gendarmes qui sont sortis qui l’a sauvé et que cela n’a rien à voir avec son pouvoir.

Concernant l’aide financière qu’il aurait accordée à SENKWARE, il affirme avoir donné une première somme à la femme de celui-ci comme coutume de condoléance pour un de ses proches. La seconde fois l’accusé aurait donné 1000 Francs rwandais après qu’il lui ait demandé de l’aide. Cet argent provient selon ses dires de ce que lui avait envoyé sa femme Fébronie, en même temps que les billets d’avion Kinshasa-Bordeaux, pour fuir le pays.

Monsieur MUNYEMANA dément les déclarations de SENKWARE selon lesquelles il aurait eu connaissance des noms des personnes sur les listes de Tutsi à tuer. Il met en cause les pressions qui pèsent sur les témoins qui ont peur d’être retirés des listes de ceux qui bénéficient d’une aide en tant que rescapé du génocide.

L’accusé nie également que KAMBANDA soit venu lui rendre visite à un autre moment que le 19 juin et avance qu’il doit y avoir une confusion avec la fois où la femme du Premier Ministre est venue avec la femme de l’ambassadeur du Burundi.

 

Audition de monsieur Patrice NZEYIMANA, témoin cité par l’accusation, détenu à la prison de Mpanga, en visioconférence de Kigali.

Le témoin, voisin de l’accusé, avait 31 ans quand le génocide a commencé. Quand l’avion du président HABYARIMANA a été abattu, les jeunes gens de la commune de Ngoma, formés au maniement des armes, ont érigé des barrières. C’est le groupe de Sosthène MUNYEMANA qui les dirigeait.: BWANAKEYE François, Simon REMERA, Vincent MUREKEZI, KABILIGI, Boniface CYAMIRA. RUGANZU, NZINABIRA et Faustin GASHUGI parmi les plus connus.. Ces gens appartenaient à différents partis politiques dont la CDR[5], les Interahamwe du MRND[6], le PSD[7] et le MDR[2]. C’est ce groupe qui a donné les instructions quand le génocide a commencé: comment monter les barrières, comment organiser les pillages pour éviter que les assaillants ne se disputent, comment tuer.

Au mois de juin, on leur a communiqué un ordre du ministère de la défense qui interdisait de continuer les massacres. A partir de ce jour, les massacres ont cessé et les Tutsi sont sortis de leurs cachettes. Ils ont commencé à appeler les Tutsi qui sortaient de leur cachette.

Un peu plus tard, ce groupe leur a dit d’arrêter les Tutsi et de les conduire au bureau de secteur. Enfermés dans ce local, ils étaient ensuite embarqués pour être tués en ville, à Butare ou au laboratoire de l’université. Ils ont continué à les pourchasser. Le témoin affirme avoir fait partie d’un groupe qui a arrêté 8 personnes dans une église et les avoir conduites au bureau de secteur. Ils ont été ensuite chargés dans un véhicule et emmenés.. Le groupe de dirigeants continuait à les inciter à poursuivre leurs recherches. Celui qui s’y opposait était puni.

Ce même groupe leur disait de se partager les maisons des Tutsi. Celui qui occasionnait des problèmes était enfermé au bureau de secteur. Pareil pour celui qui ne participait pas aux barrières écopait d’une amende. La chasse aux Tutsi a continué jusqu’en juin/juillet, quand les Inkotanyi[1] ont conquis le pays. Ces derniers ont commencé à tuer: les Interahamwe ont fui en débandade au Congo. Certains des dirigeants sont dans les forêts du Congo, dont sont partis à l’étranger.

Sur questions de monsieur le président, le témoin, habillé en rose, explique qu’il n’y a pas de différence avec ceux habillés en orange. Il reconnaît qu’il a d’abord été condamné à 30 ans de prison ramenés à 19, puis à perpétuité pour avoir été accusé de viol. Ce qu’il conteste. Il avait reconnu un certain nombre de faits.

Monsieur le président lui rappelle les propos qu’il a tenu en présence des juges français et souligne des contradictions avec ce qu’il vient de dire devant la cour. Il avait dit qu’en juin 1993 les membres des partis d’opposition avaient commencé à s’agiter, en particulier lorsque le contingent du FPR[8] avait été installé au CND[9] à Kigali. Des Hutu se sont réunis pour envisager une stratégie. Les personnalités de Tumba dont on a déjà parlé se réunissaient au bar de RUGANZU. C’est Faustin, des Abakombozi[10], qui lui faisait un rapport de ce qui se disait dans ces réunions.

Le président. « KUBWIMANA vous faisait des comptes-rendus? »

Le témoin. « Son fils était le chef des Abakombozi et nous rapportait ce qui était dit. On élaborait les listes des Tutsi importants qui devaient servir d’exemples dans les massacres. » Ce qui est contraire à ce qu’il avait dit précédemment.

Maître Simon FOREMAN revient sur l’épisode de l’arrestation des 8 personnes arrêtées à Kagarama. ce qui donne au témoin l’occasion de donner plus de précisions sur cet événement. L’avocat demande si le témoin confirme que la pacification était un piège et si les dirigeants ont arrêté leur réunion pour statuer sur le sort des Tutsi. Sosthène MUNYEMANA était bien présent mais n’a pas pris la parole à cause de la présence de deux majors?

Le témoin confirme. Et de souligner la responsabilité du groupe qui primait sur les responsabilités individuelles. Les décisions étaient prises d’un commun accord.

Le témoin va perdre ensuite le jury et le public en rapportant des propos qu’il n’avait jamais tenus et sans rapport avec ce dont on discute. Monsieur le président demande qu’on revienne à MUNYEMANA et aux barrières. Une nouvelle fois le témoin est hors sujet et le président souhaite que l’on change de thème.

Maître Mathilde AUBLE voudrait savoir si le témoin se souvient du nom des 8 personnes qu’ils ont remis au bureau de secteur. Il ne se souvient que d’un vieux nommé KANAMUGIRE.

Monsieur l’avocat général demande où se trouvait exactement la barrière installée tout près de chez l’accusé. Le témoin répond que cette barrière se trouvait à la hauteur du domicile de Sosthène MUNYEMANA, à côté de chez MUREKEZI. On l’interroge ensuite sur la formation au maniement des armes qu’il a suivie à Butare. Il ne se souvient pas des noms de ceux qui ont suivi cette formation avec lui: « Tous les jeunes de Tumba ont reçu cette formation, mais c’était après les massacres, pour s’opposer aux Inyenzi. » Et de reconnaître, toujours sur question de monsieur PERON, que GASASIRA, alias PANCARTE, avait bien suivi la formation, avec GASHUGI chargé de la sécurité à Kagarama.

En réponse à la question de madame Sophie HAVARD, le témoin confirme qu’il a bien vu le major HABYARABATUMA à la réunion du 14/06 (pas plutôt en mai lui fait-on remarquer?). Il confirme l’avoir vu à la mi-juin.

Maître DUPEUX: « En 2010, entendu par les juges, vous avez dit que tous les adultes hutu, qu’ils aient ou non tué, étaient considérés au Rwanda comme des génocidaires. Vous confirmez? » Le témoin confirme.

 

Audition de madame Marie-Josée MUKANKURANGA, témoin cité par l’accusation, en visioconférence de Kigali. Partie civile IBUKA.

La témoin, dit avoir quitté Tumba dès le 20 avril pour se rendre chez son amie Laetitia en ville de Butare car elle avait peur. Beaucoup de Tutsi venus d’autres préfectures affluaient déjà dans la préfecture du sud  C’est cette nuit-là que les soldats de la MINUAR[11] avaient quitté le pays par l’aéroport de la ville. Le discours du président SINDIKUBWABO mettra le feu le lendemain[12]. Elle décide de retourner à Tumba et rencontre un certain Mathias qu’elle connaît: il la prend dans sa camionnette, passe plusieurs barrages. Arrivée à hauteur de l’Hôtel Faucon, elle voit les corps de Tutsi tués dès le départ de la MINUAR.

Arrivée chez elle, elle se rend compte que la population avait très peur, on entendait des balles siffler: c’était le 21 avril vers 9 heures. François KARANGANWA venait d’être tué, signal pour commencer les massacres et les pillages. Les soldats leur confisquaient leur cartes d’identité: ils savaient que les Tutsi allaient mourir. Avec sa maman, sa petite sœur et une domestique, la témoin se réfugie dans une maison où elle retrouve beaucoup de Tutsi. Le frère de sa filleule était sorti et il a croisé un certain Pascal, le fils du commerçant NGOGA qui les rejoint sur le lieu de leur cachette. Il va les cacher dans une chambre, chez lui.

A ce stade du récit, monsieur le président précise pour les jurés que souvent les Tutsi se sont cachés dans le faux plafond des maisons d’où ils sortaient la nuit pour se ravitailler.

Un soir, Pascal dit s’être rendu au bureau de secteur où il a croisé Sosthène MUNYEMANA armé d’une lance. Madame MUKANKURANGA dit ensuite avoir aperçu, par la fenêtre de la chambre où elle se cachait, un groupe d’assaillants: l’accusé était parmi eux habillé d’un grand manteau et porteur d’une torche. C’est lui qui dirigeait l’attaque. Un gendarme la frappera sur la tête avec son arme. Invitée à suivre les gendarmes pour être tuée, le frère de Pascal leur remet de l’argent qui la laisseront sans lui faire de mal. Avec son amie, elle s’est cachée dans la charpente de l’étable où elle restera plus d’un mois.

Sur question de monsieur le président, la témoin dit avoir perdu sa mère, tuée chez RUBAYIZA, un demi-frère et deux demi-sœurs. Un autre de ses frères est mort au combat. Elle précise qu’elle a enseigné aux enfants de MUNYEMANA. Un jour, en 1993, l’épouse de l’accusé, Fébronie, aurait prononcé « ironiquement » une phrase un peu mystérieuse: « Nous allons montrer aux Tutsi que nous ne les haïssons pas. » (NDR. Qu’avait-elle voulu dire exactement? Problème du double langage dont il a déjà été question.) Au président qui lui demande si elle voulait dire le contraire, la témoin  répond que c’est ce qu’elle pense.

Monsieur le président lui rappelle qu’elle avait dit que le soir où elle avait vu l’accusé avec un long manteau, il était accompagné d’un de ses fils de 12 ans environ. Déclaration qui provoquera une vive réaction de Sosthène MUNYEMANA lorsqu’il sera invité à réagir. Monsieur le président rapporte alors des propos d’Alison DES FORGES qui signalait la présence d’enfants dans les rondes[13].

Monsieur le président lui rappelle aussi qu’elle avait déclaré que Pascal (c’était un adolescent) lui donnait des informations: c’est Sosthène MUNYEMANA qui avait donné le signal du génocide. Il lui avait annoncé aussi la mort de sa mère et que les enfants d’un certain Pierre étaient enfermés au bureau de secteur. Ce jeune homme participait aux réunions pour s’informer. Toujours sur questions du président, la témoin dit qu’a Tumba on écoutait Radio Rwanda et la RTLM[14] qui appelait aux meurtres.

Maitre LINDON demande au témoin si elle a été payée pour témoigner. Elle répond par la négative et ajoute qu’elle ne demande que la justice pour les siens. Elle ajoute que si Pascal NIYONZIMA a dit n’avoir jamais vu MUNYEMANA pendant le génocide (tout le contraire de ce qu’elle vient de dire), c’est parce qu’il a eu peur qu’on continue à le questionner. Maître LINDON signale que ce dernier a été condamné à perpétuité et qu’il est toujours en prison. Mais qu’au moment des déclarations du témoin, il n’avait pas encore été condamné.

Maître BOURG prend la parole: « Vous avez beaucoup témoigné, vous avez beaucoup cité Pascal qui ne confirme pas ce que vous avez dit. Sosthène MUNYEMANA ne reconnaît rien non plus. Vous avez dit ne pas avoir reconnu les propos qu’on vous prête dans le document d’African Rights, que KANYABASHI n’était pas favorable aux tueries car il avait une femme tutsi... »

La témoin: « Je confirme. J’ai dit ce que j’ai vu à Butare. S’il n’y avait pas eu le discours de SINDIKUBWABO, il n’y aurait pas eu de génocide. » Elle confirme aussi avoir vu Sosthène MUNYEMANA en compagnie de son fils Gustave. L’avocate de la défense lui fait remarquer qu’elle est bien la seule à le dire.

Sosthène MUNYEMANA se dit choqué en entendant de tels propos.

 

Après cette audition, monsieur le président choisit de faire la lecture du jugement en appel de Joseph KANYABASHI au TPIR. Il s’agissait du procès dit « Butare »[15]. Le bourgmestre était jugé avec Pauline NYIRAMASUHUKO, ministre de la famille dans le gouvernement génocidaire, son fils SHALOM, le préfet Sylvain NSABIMANA et son successeur.

La culpabilité du bourgmestre de Ngoma a été reconnue en appel mais a été acquitté pour les massacres de Kabakobwa. Il sera condamné à 20 ans de prison. Quant à Pauline NYIRAMASUHUKO, elle écopera d’une peine de 47 ans de prison[16].

Entendu lors de ce procès, Filip REYTJENS évoquera « les dénonciations comme phénomène général au Rwanda« , dénonciations tant au niveau national que local. Les témoins à charge et les témoins à décharge seraient de faux témoins (NDR. Il n’y aurait donc eu que lui pour dire la vérité?) Quant aux témoins détenus, ils auraient été soumis à encore plus de pression. Un témoin accusera Monique AHEZANAHO d’avoir préparé de faux témoins contre KANYABASHI.

Monsieur le président fera toutefois remarquer qu’il est improbable que tous les témoins aient été de faux témoins dans le procès KANYABASHI. Et d’ajouter que la Cour a fait un constat judiciaire: le génocide perpétré contre les Tutsi est incontestable. On ne peut plus le mettre en cause.

L’audience se terminera par l’analyse du double langage. Quant au nom de monsieur MUNYEMANA, il apparaît à quelques reprises dans le jugement KANYABASHI.

Maître BOURG veut faire remarquer qu’en appel monsieur KANYABASHI a été acquitté du chef de génocide. Il a été condamné pour « incitation directe à commettre le génocide. ». Il a été reconnu non coupable de génocide en appel. Et d’ajouter que l’accusé a été acquitté en appel de 8 chefs d’accusation sur 9!

 

 

  1. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[][]
  2. MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[][]
  3. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[]
  4. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste, cf. Glossaire.[]
  5. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  6. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  7. PSD : Parti Social Démocrate, créé en juillet 1991. C’est un parti d’opposition surtout implanté dans le Sud, voir glossaire[]
  8. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  9. CND : Conseil national pour le développement, bâtiment du Parlement.[]
  10. Abakombozi : « Les libérateurs », milice de jeunesse du parti PSD, cf. glossaire.[]
  11. MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda, créée le 5 octobre 1993 par la résolution 872 du Conseil de sécurité pour aider à l’application des Accords d’Arusha. Voir :
    Focus : le contexte immédiat du génocide – les accords d’Arusha.[]
  12. Théodore SINDIKUBWABO, président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide (voir Focus – L’État au service du génocide): discours prononcé le 19 avril à Butare et diffusé le 21 avril 1994 sur Radio Rwanda. (voir  résumé et transcription sur le site francegenocidetutsi.org).[]
  13. Alison DES FORGES a notamment rédigé Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, Éditions Karthala, 1999[]
  14. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[]
  15. Le jugement en appel du procès dit « Butare » est archivé sur le site du TPIR.[]
  16. Pauline NYIRAMASUHUKO : ministre de « la Famille et du  Progrès des femmes » à partir de 1992 jusqu’à la fin du génocide, n’hésite pas à inciter les tueurs, voire son fils Shalom, à violer les femmes tutsi. Jugée au TPIR et condamnée à perpétuité en 2011, peine réduite à 47 années de prison en 2015. Voir également: Madame Pauline, la haine des Tutsis, un devoir historique, podcast de France Culture, 28/4/2023.[]

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