Procès MUNYEMANA, mardi 21 novembre 2023. J6


Avant de commencer l’audition du premier témoin, monsieur le président annonce que monsieur Innocent BIRUKA, le témoin qui devait être entendu demain matin, a fait savoir qu’il ne se présenterait pas. Monsieur SOMMERER demande à madame la greffière d’envoyer un courriel au témoin pour qu’il donne les raisons de son refus de comparaître. Sa réponse viendra dans la journée:

 » J’ai des informations précises et concordantes à l’effet que des agents de Kigali, embusqués dans le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda sont déterminés et suffisamment bien organisés pour rendre la vie impossible à toute personne d’ethnie hutu qui ose intervenir en tant que témoin dans le procès Sosthène MUNYEMANA. Merci pour votre compréhension. Innocent BIRUKA, présentement à Paris. » « Grotesque« , réagira aussitôt maitre Simon FOREMAN, avocat du CPCR.

Le président précise que ce témoin était un membre de l’équipe de défense du bourgmestre KANYABASHI durant son jugement devant le TPIR[1], celui-ci ayant été condamné à une peine de 20 ans d’emprisonnement.


Audition de madame Diana KOLINKOFF, psychologue clinicienne.

Mme KOLNIKOFF est une psychologue clinicienne et psychanalyste qui travaille sur les violences collectives et la prise en charge des victimes. Au cours de sa carrière, elle a travaillé avec des victimes rwandaises souffrant de traumatismes liés au génocide. Elle explique que la cruauté, la terreur, la sidération, l’intentionnalité et l’impunité sont les mots clés de la commission des crimes de masse, qui visent intentionnellement à détruire une partie d’une population par des actes barbares et à instaurer la terreur.

Elle décrit le refus de parler de beaucoup de victimes qui ne veulent pas avoir à revivre les violences traumatiques qu’elles ont subies.

En ce qui concerne celles qui témoignent, malgré l’anxiété que cela produit, elles espèrent obtenir reconnaissance des horreurs qu’elles ont endurées et voir justice rendue mais il y a pas de haine ou de désir de vengeance. Leurs dépositions ne correspondent pas forcément aux exigences de temporalité qu’on peut attendre d’un récit, la vérité des victimes n’est pas toujours la même que la vérité des juristes ou des psychologues.

Mme KOLNIKOFF justifie les contradictions occasionnelles par l’écart énorme entre les faits et les procès, la subjectivité de la mémoire et le phénomène de mémoire traumatique, c’est-à-dire que les victimes peuvent à la fois avoir déformé certains souvenirs et en raconter d’autres avec une précision incroyable. Le récit collectif peut aussi légèrement influer dessus, mais ce n’est pas ce qui prédomine selon elle car les victimes veulent que ce soit leur histoire qui soit au premier plan, c’est l’opportunité pour elles de se faire entendre.

De plus, les témoins peuvent être déstabilisés par le procès, surtout quand ce qu’ils racontent est remis en cause, mais quoi qu’il en soit, pour cette psychologue, c’est leur vécu personnel qui émergera car on le perçoit et cela convainc, même si la manière d’interroger et d’écouter compte aussi.


Exposé de plusieurs pièces documentaires :

  • Projection d’un documentaire de la BBC versé par la défense
  • Lecture du compte-rendu du rapport d’Human Rights Watch versé par la défense :

L’avocate de la défense observe que cette pièce démontre que le régime actuel de Kigali obstrue la liberté d’expression des témoins et fait pression sur eux pour se débarrasser de tout opposant qui dénonce le gouvernement et ses crimes. Elle conclut en affirmant que « la justice rwandaise est tout sauf indépendante ».

Un avocat des parties civiles intervient pour reconnaître qu’on peut critiquer le régime du président Kagame mais conteste la théorie complotiste selon laquelle la présente Cour d’assises, française et non rwandaise, serait sous influence de Kigali, et interroge donc sur le lien entre la présente affaire et ce procès que la défense fait à un État.

L’accusé réagit pour avancer que toute critique du régime se termine par une confrontation judiciaire de son auteur destinée à le museler.

NDR. Ce documentaire de la BBC est un catalogue de crimes ou d’événements liberticides qui ne donnent aucun nom, complètement hors contexte. On peut procéder ainsi pour n’importe pays qu’on veut accuser de dictature. Qui peut se laisser convaincre?

  • Lecture d’extraits de l’ouvrage « Rwanda La trahison de Human Rights Watch » [2] de Richard JOHNSON préfacé par Mme Linda MELVERN.

Me PARUELLE, avocat des parties civiles, s’appuie sur ce document pour nuancer la fiabilité du rapport de Human Rights Watch sur lequel se base la défense.

Monsieur le Président SOMMERER évoque le livre d’ALISON DES FORGES « Aucun témoin ne doit survivre »[3] dont parlent les extraits lus pour dire que dedans, des accusations sont portées à l’encontre de monsieur MUNYEMANA à 6 reprises.

  • Projection d’un documentaire versé par la défense

Le président explique que ces images ont été commentées et proviendraient apparemment d’un quartier de Kigali vers la fin du mois d’avril 1994. On y voit la collaboration entre l’armée et les Interahamwe[4], le ramassage des corps au bord des routes par des véhicules en train d’agoniser. Ces images feraient parties des archives de Radio Rwanda.

Monsieur MUNYEMANA se manifeste alors, voulant préciser que les cadavres n’étaient pas aussi nombreux à Butare dans les endroits qu’il fréquentait. Quand il a emprunté de grands axes, c’était déjà plus tard dans la période du génocide,  il y avait  moins de corps, d’autant plus qu’il faisait en sorte d’être le moins visible possible car, selon lui, il était risqué d’aller dans des quartiers où on ne le connaissait pas.

 


Audition de monsieur Jean-Philippe REILAND, directeur de l’OCLCH, l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine.

Le témoin commence par présenter le service dont il est le directeur depuis 2020. service créé par décret du Premier Ministre en 2013. Dans la mesure où ce sont les gendarmes qui avaient été sollicités pour s’occuper des affaires rwandaises, il était normal que ce soit la gendarmerie qui soit choisie. A noter que les officiers de police judiciaires de la gendarmerie sont les seuls à pouvoir travailler dans ce genre d’enquêtes. Ce service est composé d’une quarantaine d’enquêteurs rompus aux techniques d’enquêtes.

Les investigations dont ils ont la charge sont centrées sur le recueil des témoignages. Les enquêteurs ne se déplacent qu’avec l’accord des autorités du pays visité. Ils accompagnent parfois les juges d’instruction dans leurs enquêtes sur le terrain. Au Rwanda, n’en déplaise à la défense, les enquêteurs conduisent eux-mêmes leurs investigations sans la présence des autorités locales lors des auditions des témoins. Seul un interprète se joint à eux. Le témoin précise que ce n’est pas le cas au sein des pays de la communauté européenne.

Si dans un premier temps, la plupart des enquêtes intéressaient le Rwanda, aujourd’hui elles concernent un nombre important de pays.

Monsieur le président cherche à savoir si les témoins, au Rwanda, sont sous influence ou pas. Monsieur REILAND est amené à répéter qu’il n’en est rien  et qu’il « n’y a guère qu’au Rwanda qu’on travaille sans présence des autorités rwandaises. » Le recueil de la parole des témoins est libre, sans pression. Certains témoins sont entendus plusieurs fois. La liste des témoins est établie à l’avance et présentée aux autorités judiciaires du pays pour permettre la localisation de ces derniers.

Le témoin précise enfin qu’il n’a pas travaillé sur le dossier de Sosthène MUNYEMANA: il n’était pas encore en poste à cette époque-là. (NDR. Le témoin suivant, le capitaine Olivier GRIFOUL, va témoigner de son implication dans le dossier qui fait l’objet de ce procès d’assises.)


Audition de monsieur Olivier GRIFOUL, officier de gendarmerie, cité à la demande du Parquet.

Le témoin a participé à de nombreuses commissions rogatoires au Rwanda de 2011 à 2015. Il a enquêté dans l’affaire qui nous concerne. Il précise, comme l’ont fait tous les témoins de contexte, que le génocide a commencé relativement tardivement à Butare pour les raisons qui nous ont déjà été exposées. Le séjour des juges était préparé à l’avance pour le rendre le plus efficace possible. Il s’agissait de rencontrer des témoins qui n’avaient pas été encore entendus et recueillir des éléments incomplets. Si un membre du GFTU, l’unité qui traque les fugitifs[5], est présent, c’est uniquement pour aider à localiser les témoins et assurer la sécurité des juges ou des gendarmes français.

À Butare, les auditions des témoins se faisaient soit dans les locaux du Parquet, soit au domicile de ces derniers, ou encore dans le véhicule des enquêteurs, toujours pour protéger les personnes entendues. Monsieur GRIFOUL précise qu’il fallait réaliser un maximum d’auditions pour tenter d’approcher la vérité: plus de 200 témoins seront entendus.

Le témoin tient à préciser une nouvelle fois que les auditions se déroulent sans la présence d’officier rwandais. Seul un interprète dont le nom a été fourni par l’ambassade de France accompagne les enquêteurs qui se sont rendus sur tous les lieux où monsieur MUNYEMANA était accusé: Tumba, Kabakobwa, Rango, l’hôpital  universitaire, l’église anglicane…

La cour va passer un long moment à consulter le plan de Tumba et ses alentours, des photos sont projetées.

La question de la fiabilité des témoignages est abordée, cheval de bataille de la défense. Monsieur GRIFOUL, après avoir rappelé les conditions dans lesquelles il a travaillé, après avoir abordé les difficultés qu’il pouvait rencontrer, finit par dire que les auditions étaient « globalement pertinentes« . Et d’ajouter: « Nous avons écarté tous les faits qui n’étaient pas étayés. » (NDR. D’où les nombreux non-lieux partiels dont l’accusé a bénéficié au grand dam des rescapés, à l’hôpital de Butare en particulier. »

Les questions des parties permettent au témoin de préciser ses déclarations antérieures. Globalement, les témoins disent la vérité, les enquêteurs se sentaient totalement libres: ils choisissaient leur hôtel, sortaient comme ils voulaient le soir sans avoir jamais été suivis. S’ils étaient parfois accompagnés, c’était pour assurer leur sécurité. Si les comptes-rendus des auditions peuvent paraître longs, c’est tout simplement que plus le canevas des questions est large, plus on recueille d’informations. Il faut placer le témoin dans le contexte avant de le faire parler des faits. Il sera toujours temps de faire le tri.

Les synthèses rédigées par un autre enquêteur, monsieur Patrick GEROLD vont faire l’objet de querelles avec la défense. Le témoin, de son côté, n’en a jamais produit. Son collègue, qui l’a précédé dans les enquêtes, et qui, lui, était toujours accompagné d’un OPJ[6] rwandais, fait remarquer qu’il y a parfois des contradictions entre les déclarations recueillies par des officiers rwandais et les enquêteurs français.

Maître DUPEUX aimerait savoir ce que le témoin pense du travail de son collègue GEROLD. Monsieur GRIFOUL reconnaît qu’il ne partage pas le point de vue de monsieur GEROLD concernant la façon dont les Tutsi étaient tués à Tumba. Ils n’ont pas eu la même expérience, c’est tout.

Et l’avocat de la défense de s’insurger contre les avocats généraux qui ne lui ont pas fourni les coordonnées de monsieur GEROLD qu’il voulait faire citer. Madame Sophie HAVARD lui rappelle sa réponse: « Monsieur GEROLD a cessé ses fonctions et nous ne savons pas où il se trouve. » Maître DUPEUX n’en démord pas et revient sur les différences entre les témoignages recueillis par les autorités rwandaises et ceux recueillis par les Français. (NDR. Cela suffirait pour laisser entendre, comme le fait la défense, que le Rwanda est une dictature? Ridicule!)

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Margaux MALAPEL, bénévole lors du procès

Jacques BIGOT, responsable du site, de la présentation et des notes

  1. Jugement du Tribunal Pénal International pour le Rwanda : https://ucr.irmct.org/scasedocs/case/ICTR-98-42#appealsChamberJudgement[]
  2. « Rwanda La trahison de Human Rights Watch » :  dossier de presse  archivé sur francegenocidetutsi.org[]
  3. Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Human Rights Watch, FIDH, rédigé par Alison Des Forges, Éditions Karthala, 1999[]
  4. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  5. GFTU : « Genocide Fugitive Tracking Unit », section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.[]
  6. OPJ : officier de police judiciaire.[]

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