Procès MUNYEMANA, lundi 27 novembre 2023. J10


Audition de madame Claudette UMUHOZA, partie civile citée par l’association IBUKA.

Madame UMUHOZA est une habitante de Tumba depuis toujours. C’est sa première audition dans le cadre de la procédure contre monsieur Sosthène MUNYEMANA. Elle commence ses déclarations en disant qu’elle a été personnellement témoin des faits dont elle va parler.

Le premier épisode en rapport avec le génocide dans le cadre duquel elle a rencontré l’accusé, c’était le 20 avril, la veille du début des massacres à Tumba. Il y aurait eu des tirs et la population avait fui vers la forêt de Karutege. Plus tard ce jour-là, MUGENZI, GAPYIKIRI, MAMBO Gérard et MUNYEMANA sont arrivés, et ce dernier aurait dit qu’ils connaissaient les gens qu’ils voulaient voir. La sœur aînée de la témoin, UWIZEYE Monique, a compris qu’elles n’étaient pas concernées et elles sont rentrées chez elles.

Le lendemain matin, le 21 avril, Monique informe ses sœurs qu’elle a appris que les Tutsi allaient être tués. Monsieur MISAGO Boniface, l’époux d’une de ses sœurs qui était présent, leur a dit de chercher un endroit pour se cacher car dans moins de 10 minutes tout Tutsi allait être tué. Madame UMUHOZA explique que ses sœurs et elle sont parties chacune dans une direction. En allant se cacher chez sa tante maternelle, la témoin est tombée sur RUGEMINTWAZA Célestin, TWAGIRAYEZU Emmanuel et MUNYEMANA Sosthène. Celui-ci avait la liste de tous les Tutsi qui devaient être tués et il lui a demandé où était son cousin NSENGIMANA Vianney.

Plus tard dans le génocide, le jour de la pacification, Mme UMUHOZA a retrouvé ses sœurs. Elle ne se souvient pas précisément de la date mais situe cet épisode en mai, aux alentours du 7. Il y avait une réunion au bureau de secteur et toutes les personnes qui s’étaient cachées devaient y aller. Il y avait aussi des Hutu. Avant que tout le monde n’arrive, la témoin dit avoir vu MUNYEMANA ouvrir le bureau de secteur et que beaucoup de personnes étaient enfermées dedans. Au cours de la réunion, celui-ci a pris la parole. Mme UMUHOZA rapporte ses propos: il a remercié les gens qui avaient bien travaillé, ceux qui avaient tué beaucoup de gens, et il a demandé s’ils avaient reçu tous les outils pour tuer. Il a terminé en disant: « Lorsque vous semez, après avoir cultivé les graines vous devez retourner sarcler ». Cela signifiait que les tueries des Tutsi n’étaient pas terminées, qu’ils devaient encore tuer les survivants, mais il aurait précisé que l’heure des femmes n’était pas encore arrivée. Les Tutsi ne se sont pas enfuis à ce moment- là car à cette période, les tueries n’avaient lieu que la nuit.
Le soir, il y a eu une attaque de grande envergure. Des assaillants ont rassemblé les gens de la maison de Mme UMUHOZA et des maisons de ses oncles KAREKEZI et KABEGA et les ont conduits autour d’une fosse. À ce moment-là, la témoin est parvenue à s’échapper et s’est réfugiée chez sa tante maternelle. Elle a appris le lendemain qu’une bonne partie de sa famille avait été tuée autour de cette fosse: ses deux frères NZEYIMANA Marc et MUSONERA Jacob, sa sœur Monique après qu’elle a été violée par les assaillants de leur maison, ses oncles paternels KAREGA Marcel et KAREKEZI Venant respectivement avec ses 4 enfants, son petit-enfant et avec ses deux fils.

Le soir même, RUGEMINTWAZA Célestin est venu la chercher en disant sortir d’une réunion au cours de laquelle il est apparu qu’un des enfants de Claude n’avaient pas été trouvés parmi les personnes tuées la veille et qu’il allait la cacher chez lui. Avant de l’emmener à son domicile, il l’a conduite chez REMERA Siméon, où beaucoup d’Interahamwe[1] étaient réunis, pour la présenter à MUNYEMANA. Il aurait répondu; « Vous pouvez partir avec elle, vous allez prendre soin d’elle, vous allez l’éduquer » et la témoin affirme que cette autorisation de prendre soin d’elle avait un double sens et constituait une autorisation de la violer. Elle avait 11 ans.

Mme UMUHOZA est alors allée vivre avec Célestin « comme mari et femme » pendant 2 mois, puis a fui avec lui lorsque les Inkotanyi[2] ont pris le contrôle du pays. Un jour, ils ont croisé un groupe de militaires et l’un d’eux l’a reconnue comme la fille de Claude. Il l’a reconduite à Tumba où elle a retrouvé deux de ses sœurs qui avaient survécu et elles ont commencé une nouvelle vie. Elle n’a jamais revu Célestin qui se serait enfui au Congo.

Interrogée sur les propos tenus par TWAGIRAYEZU Emmanuel dans le cadre de la présente procédure selon lesquels la seule chose que MUNYEMANA aurait faite durant le génocide aurait été de sauver un dénommé Innocent HATEGEKIMANA, Mme UMUHOZA réagit en disant que cet homme est un grand tueur de Tumba condamné à la perpétuité et qui n’a rien à perdre. Elle avance que dans ce genre de cas, les condamnés à perpétuité se chargent des crimes commis par ceux qui sont à l’extérieur en échange d’une aide à leur famille.

L’accusé conteste tout ce qui a été dit par la témoin au cours de sa déposition. Pour contredire cette audition, il avance que c’est la première fois dans le dossier que des tirs sont évoqués en date du 20 avril. Il relève aussi le paradoxe concernant la prétendue réunion de la pacification et les propos qui lui sont attribués alors que les Tutsi seraient présents. Il nie être jamais allé chez REMERA Siméon.

À la suite de cette intervention, Mme UMUHOZA clôt son audition en avançant que participer au génocide, ce n’est pas seulement prendre une machette pour tuer mais aussi, pour les intellectuels, préparer et donner des ordres en ce sens. Elle reproche à l’accusé de ne pas les avoir aidés alors qu’il en avait les moyens. Elle attire l’attention de la Cour sur le fait qu’il n’ait fui qu’après le génocide et non avant alors qu’il en avait là aussi les moyens.

 

Audition de madame Beata UWAMARIYA, témoin citée par la défense.

Madame UWAMARIYA est une femme Tutsi qui a perdu de nombreux membres de sa famille dans le génocide.

À cette période, elle était enceinte de 8 mois et le Dr MUNYEMANA était son gynécologue. Elle précise l’avoir choisi elle-même sur recommandation d’autres femmes, et qu’il n’a jamais demandé son origine ethnique. Elle déclare qu’il savait pourtant probablement qu’elle était Tutsi car son époux KABANZA Stanislas, qui était Hutu, travaillait à la Croix-Rouge et que les gens parlaient beaucoup à l’hôpital. Le président remarque que dans des auditions passées, la témoin avait tour à tour dit que l’accusé avait connaissance puis n’avait pas connaissance de son ethnie. La défense relève que ce manque de clarté témoigne du fait que monsieur MUNYEMANA ne demandait pas à ses patientes si elles étaient Hutu ou Tutsi.

Au cours du suivi de la grossesse de madame UWAMARIYA, monsieur MUNYEMANA recommande un accouchement par césarienne. Il était présent lors de celle-ci le 28 avril 1994, « il m’a secouru » dit-elle. La témoin soutient au début de son audition qu’il travaillait et qu’il venait la voir tous les jours. Cependant, l’accusé déclare depuis le début de la procédure avoir été en congé du 19 mars au 9 mai de cette année.
À la suite de la déposition de Mme UWAMARIYA, il précisera avoir été en congé mais que compte tenu des antécédents de sa patiente et au vu du contexte, il avait pratiqué la césarienne et avait assuré le suivi post-opératoire. Cependant, il reconnait avoir donné « une réponse automatique » en mentant à l’OFPRA[3] devant qui il a déclaré s’en être occupé tous les 2 jours, et admet aujourd’hui ne l’avoir vue qu’environ 3 fois.

En raison de la situation dans le pays, le mari de la témoin et le Dr MUNYEMANA ont convenu de la transporter à l’hôpital plus tôt que sa santé ne le nécessitait, car l’accusé rapporte avoir entendu des rumeurs selon lesquelles il ne serait bientôt plus possible pour les Tutsi de circuler. Mme UWAMARIYA est ainsi arrivée à l’hôpital un ou deux jours avant le début du génocide.
Elle a pu y rester plusieurs semaines grâce aux documents fournis par l’accusé qui a aussi signé des papiers à son frère et ses deux sœurs attestant qu’ils étaient malades et garde-malade et qu’ils pouvaient ainsi rester des les locaux hospitaliers. Cela allait à l’encontre des ordres des militaires qui avaient ordonné que toute personne dont la présence n’était pas nécessaire dans ces lieux devait partir.
La témoin confirme les propos déjà tenus par son mari devant la justice belge selon lesquels Mr MUNYEMANA a pris des risques en faisant ces attestations à une époque où personne n’osait aider les Tutsi. Elle dit encore ne pas penser que l’accusé ait pu être favorable aux tueries alors qu’il l’avait sauvée, elle. De plus, Mme UWAMARIYA n’imagine pas qu’un médecin puisse participer à un génocide.
Pourtant, elle n’était pas au courant du fait que l’accusé avait une dette de 15 000 Francs rwandais envers son mari KABANZA Stanislas.

Les avocats des parties civiles notent des incohérences après les précisions données par l’accusé. Ils constatent notamment qu’il avait dit au cours de l’instruction n’avoir pratiqué qu’une seule fois durant son congé, et n’avoir pas mentionné le fait qu’il avait accouché la femme de l’ambassadeur du Burundi sur demande du Premier Ministre KAMBANDA Jean[4].
D’autre part, ils le questionnent sur l’apparente liberté de circulation dont il bénéficiait pour se rendre facilement à l’hôpital à Butare. Monsieur MUNYEMANA explique qu’il avait été transporté les 3 fois par un véhicule de la Croix-Rouge pour visiter madame  UWAMARYIA, puis par ceux qui s’occupaient de la femme de l’ambassadeur pour l’accouchement de celle-ci.

 

Audition de monsieur Evariste NTIRENGANYA, témoin cité par l’accusation, détenu, en visioconférence de Kigali.

A l’heure prévue, le colonel LESAFFRE, à Kigali, nous fait savoir que le témoin n’est pas présent. Il est proposé de fixer une nouvelle date d’audience: le vendredi 1er décembre 2023 à 14 heures. Il avait été décidé de passer outre concernant les deux témoins initialement prévus, Consolata NYIRACEKERI et Aimable KARIRIMA.

Monsieur le président décide de procéder à la lecture des déclarations de monsieur Jean KAMBANDA[4] devant le TPIR[5].

Ses relations avec l’accusé. Monsieur KAMBANDA a déclaré que Sosthène MUNYEMANA était Tutsi mais que les gens ne le savaient pas: « Aucun doute qu’il est Tutsi mais il avait intérêt à le cacher. » L’accusé lui aurait demandé de l’aider à évacuer ses enfants. Il reconnaît avoir rendu visite à MUNYEMANA, avant et pendant « la guerre ». Par l’intermédiaire de sa femme, il aurait demandé au médecin d’accoucher l’épouse de l’ambassadeur du Burundi.

Jean KAMBANDA avait demandé à Sosthène MUNYEMANA de s’occuper de la maison de son frère mort en 1991. Comme on l’accusait d’être un planificateur, le fait qu’on se connaisse avec MUNYEMANA suffisait à le considérer comme tel.

Les clés du bureau de secteur? « Je ne vois pas pourquoi il les aurait eues. » MUNYEMANA était « un militant actif du MDR. » Il était MDR Power[6]. Entre avril et juillet 1994, on lui avait attribué le surnom de « boucher de TUMBA. » (NDR. C’est en fait le titre du document d’African Rights dont les témoignages seront pour la plupart écartés par les juges[7].) MUNYEMANA lui disait qu’il était menacé. À un certain moment il a trouvé refuge chez ses beaux-parents. Il se rappelle s’être déplacé une fois chez lui et d’ajouter que « personne n’a jamais pu démontrer qu’il avait participé aux massacres. » Il n’a jamais livré d’armes chez l’accusé qui, à sa connaissance, n’en possédait pas. C’était une personne respectée à Tumba.

En exil, il n’a jamais eu de contact avec Sosthène MUNYEMANA, mais leurs épouses, oui. Il ne peut pas imaginer l’accusé habillé avec des feuilles de bananier. Il confirme qu’un de ses amis, KAVAMAHANGA, a voulu se réfugier chez lui mais qu’il a été tué par des militaires devant l’Hôtel Faucon.

Le président continue la lecture. À maître Simon FOREMAN qui cherche à savoir qui l’aurait assassiné, ce dernier lui répond que nous aurons trois journées pour interroger Sosthène MUNYEMANA. Il communiquera aux parties les thèmes qu’il compte aborder lors de l’interrogatoire. Il poursuit en disant à l’accusé que KAMBANDA confirme ses relations amicales et le fait qu’il est venu le voir à Tumba.

Monsieur MUNYEMANA répond qu’il est venu le voir une fois, le 19 juin 1994 quand il a appris qu’il avait subi des menaces. Il conteste de nouveau avoir été MDR Power[6]. Par contre, à partir de novembre 1993, il sent que son ami se rapproche du MRND[8] et glisse vers la tendance Power.. Il n’a pas vu la troisième voie qu’il préconisait. Si Jean KAMBANDA le considère comme un MDR Power c’est parce que si on était contre Faustin TWAGIRAMUNGU, il ne restait que l’option Power. S’il ne s’est pas opposé au MDR Power, c’est parce qu’on « ne pouvait que se taire. »

À monsieur le président qui s’étonne d’avoir des souvenirs aussi précis, l’accusé rétorque:  » Je m’occupe de mon dossier. » Et par qui était-il menacé, reprend le président? Sosthène MUNYEMANA signale qu’il devait partir le 19 juin mais que son départ a dû être retardé d’une semaine. Il dira plus loin qu’il ne fuyait pas le FPR[9], mais les militaires et les Interahamwe[1]. C’est en passant à Butare qu’il aurait eu connaissance des menaces dont il faisait l’objet. Il a pris la décision de partir après avoir reçu les billets d’avion que sa femme lui a fait parvenir.

Quant à la voiture de son ami assassiné, il dit qu’il a fait des démarches auprès du commandant de la place, MUVUNYI, pour la remettre ensuite à sa femme réfugiée chez lui. Maître FOREMAN lui rappelle que devant l’OFPRA[3], il avait dit que c’est BWANAKEYE qui s’en était chargé. Et l’avocat d’ajouter: « Cela fait 28 ans que vous rabâchez votre histoire et que vous changez de version. On finira par connaître la vérité? »

Sur questions de l’avocat général, l’accusé répond que, devant la dérive de KAMBANDA, il n’a pas pensé à lui écrire. Par contre, il lui écrira plus tard pour qu’il prenne soin de ses enfants. Monsieur PERON de reprendre la parole: « Si les parties civiles ne versent pas l’interrogatoire de Jean KAMBANDA au TPIR, vous ne parlez pas de vos relations avec lui. »

Et l’accusé de revenir sur l’épisode de l’accouchement de l’épouse de l’ambassadeur du Burundi: « Tous ceux qui ont dit qu’ils ont vu le véhicule de Jean KAMBANDA sont des menteurs. C’est sa femme qui est venue chez nous avec la voiture de son mari. »

Cette présentation a pu paraître un peu fastidieuse dans la mesure où c’était une suite de citations. On a pu toutefois comprendre les relations privilégiées de Sosthène MUNYEMANA avec la plus haute autorité du gouvernement à qui il ne s’est pas opposé malgré son glissement vers les forces Power.

 

Audition de monsieur Fidèle MURERA, cité par la défense. Ce témoin a été condamné à 19 ans de prison.

Le témoin a été entendu plusieurs fois par les enquêteurs français. Mécanicien chauffeur à la gendarmerie, il habitait tout près du bureau de secteur de Tumba. Il a témoigné dans plusieurs gacaca[10] et a été accusé lui-même par Monique AHEZANAHO et Jean-Marie Vianney GASHUGI. Il connaissait l’accusé mais ne s’est jamais rendu chez lui et ne connaît pas ses idées politiques. Il ne sait pas si Sosthène MUNYEMANA a été impliqué dans le génocide car il ne sortait pas de chez lui. Par contre, il reconnaît avoir dit que Simon REMERA avait lancé le génocide à Tumba. C’est de chez lui que partaient les les tueurs, souvent accompagnés de deux gendarmes.

Il ne souvient pas avoir été entendu par le procureur Martin KAGIRANEZA alors qu’il existe un PV d’audition  versé par le CPCR. Le témoin finira par reconnaître qu’aujourd’hui il se souvient que cette audition a bien eu lieu. Le bureau de secteur? C’était bien une prison dans laquelle les Tutsi étaient maltraités: tout cela se passait devant chez lui. Ce bureau était gardé par les tueurs. Arrêtés aux barrières ou lors des rondes, les Tutsi étaient enfermés au bureau.

Les clés? Le témoin avait dit qu’il y en avait deux: une chez un certain Philippe, qui sera tué, l’autre chez BWANAKEYE. C’est chez lui que les tueurs venaient chercher la clé. Après l’éviction du conseiller, la clé aurait été détenue par REMERA. A sa connaissance, Sosthène MUNYEMANA n’aurait pas possédé de clé!

On fait remarquer au témoin que MUNYEMANA a reconnu avoir la clé du bureau et qu’il prétend avoir enfermé les Tutsi pour les protéger. C’est alors que le témoin de la défense, sensé venir témoigner en faveur de l’accusé rétorque:  » S’il dit qu’il avait les clés, ce n’était pas pour protéger les gens. Mais je n’ai jamais vu Sosthène MYNYEMANA ouvrir le bureau pour sauver les gens. »

Le témoin continue. Il n’a pas vu l’accusé prendre part au génocide, il n’a subi aucune pression avant devenir témoigner, n’a jamais vu quelqu’un apporter de la nourriture aux prisonniers car personne ne pouvait approcher. Toujours sur questions de monsieur le président, il dit qu’il connaît Anaclet DUFITUMUKIZA[11] mais pendant le génocide il n’est jamais allé au bar avec les autres.

Madame Sophie HAVARD lui rappelle ses déclarations en présence des enquêteurs français. Il n’avait pas vu Jean KAMBANDA rendre visite à l’accusé. Aujourd’hui il dit le contraire. Il redit qu’il n’a jamais vu personne ouvrir le bureau, pas plus MUNYEMANA que REMERA et finit par reconnaître qu’il a bien été interrogé par le procureur Martin KAGIRANEZA mais qu’on ne l’a pas interrogé sur MUNYEMANA.

Devant les contradictions du témoin, maître DUPEUX, pour la défense, ne peut que se contenter de lui demander quand il dit la vérité. Monsieur MURERA de répondre:  » Ce qui est vrai, c’est ce que je dis aujourd’hui. »

Comme lors des procès précédents, il n’est pas certain qu’un témoin cité par la défense soit d’un grand secours pour l’accusé. Beaucoup d’autres témoins défileront à la barre dans les prochains jours.

 

Monsieur le président, pour clôturer la journée, propose de lire le texte du jugement de Jean KAMBANDA[4] devant le TPIR[5].

Arrêté au Kenya, Jean KAMBANDA a décidé de plaider coupable pour génocide, entente en vue de commettre le génocide, incitation directe à commettre le génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Il sera déclaré coupable de tous les chefs d’accusation et pour motiver sa décision, le TPIR se réfère au TPIY[12]. Il sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Voyant qu’il n’a tiré aucun bénéfice pour avoir plaidé coupable, il fera appel: confirmation de sa culpabilité et de la sentence prononcée.

Interrogé, monsieur MUNYEMANA reconnaît avoir pris conscience tardivement du fait que KAMBANDA avait dévié de la ligne du MDR. Il lui a fallu lire le livre de André GUICHAOUA pour en prendre conscience. Monsieur le président s’étonne que dès le 12 avril, et plus encore après son discours à Butare, l’accusé soit « passé complètement à côté. Vous semblez le seul à n’avoir rien vu! » MUNYEMANA se défend en disant que la motion de soutien au gouvernement qu’il a signée est antérieure au discours de Jean KAMBANDA!

Maître FOREMAN fait remarquer à l’accusé que ce que dit l’accusé ne correspond pas aux déclarations qu’il a faite devant l’OFPRA: « Vous continuez à dire que vous ne saviez pas avant votre motion du 16? A quelle date comprenez-vous ce qui se passe? Vous aviez reconnu que les gens arrivaient de Gikongoro, et c’était avant le 16 avril! »

Sosthène MUNYEMANA de rétorquer: « Il y a une différence entre prendre conscience et en apprécier l’ampleur. » L’avocat du CPCR lui rappelle qu’il recevait des informations en provenance de Kigali, qu’on apprend qu’il parle au téléphone avec Jean KAMBANDA et d’autres personnalités comme NKEZABERA[13]! (NDR. La position de l’accusé est difficilement tenable.)

A maître DUPEUX les derniers mots: « La cour doit savoir que l’OFPRA est une entité administrative qui n’a rien à voir avec les procédures judiciaires. A l’OFPRA, ça dure une demi-journée! » Et de contester le fait qu’on ait pu demander le texte de la comparution de l’accusé devant l’OFPRA, texte dont la cour « fait son miel. »

Maître FOREMAN fait remarquer à son confrère de la défense que son client ac confirmé tout ce qu’il a dit à l’OFPRA. Maître DUPEUX tente une dernière  explication:  » On parle bien d’appels au meurtre des Tutsi et des Hutu modérés? » Les Hutu modérés au rang desquels il place bien évidemment Sosthène MUNYEMANA.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Margaux MALAPEL, bénévole

Jacques BIGOT, responsable des notes et de la présentation

  1. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[][]
  2. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990, cf. glossaire.[]
  3. OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides[][]
  4. Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[][][]
  5. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[][]
  6. MDR : Mouvement Démocratique Républicain. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire. [][]
  7. « Sosthène Munyemana – Le boucher de Tumba : en liberté en France », African Rights, avril 1996 – document archivé sur « francegenocidetutsi.org« []
  8. MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[]
  9. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  10. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012,
    cf. glossaire.[]
  11. voir l’audition d’Anaclet DUFITUMUKIZA, gendarme.[]
  12. TPIY : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie[]
  13. Ephrem NKEZABERA : surnommé le « banquier du génocide », reconnu coupable d’un nombre « indéterminé » de meurtres, de tentatives de meurtre et de viols. Voir AFP/Le Monde – 1/12/2009 : Le « banquier du génocide » condamné à trente ans de prison.[]

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