Monsieur le président annonce qu’il va commencer l’interrogatoire de l’accusé en suivant les thèmes qu’il avait annoncés en fin de la semaine précédente.
Le génocide.
Monsieur le président tente de résumer la position de l’accusé quant à l’origine du génocide des Tutsi. Il n’y aurait pas de planification ancienne. Il aurait plutôt tendance à partager l’opinion de monsieur André GUICHAOUA; le fait d’un petit groupe qui voulait garder le pouvoir. Il continue en disant que les témoins de contexte ne sont pas tous d’accord. Beaucoup penchent en faveur d’une planification:, de nombreux événements l’en attestent: les 10 commandements des Bahutu[1], les notes de BAGOSORA, discours de Léon MUGESERA à KABAYA, la naissance de la branche Power[2], la création de la RTLM[3], l’achat massif de machettes, les caches d’armes, le massacre des BAGOGWE et du BUGESERA considérés comme des sortes de galops d’essai, la Commission des droits de l’homme de 1993 sous la houlette de Jean CARBONARE, la rapidité des massacres sur tout le territoire, le soutien des intellectuels, une cruauté inouïe…. Autant d’éléments qui vont dans le sens d’une planification.
Aujourd’hui encore, l’accusé ne vois pas de planification. Par contre, concernant le génocide à Butare, Sosthène MUNYEMANA est d’accord pour dire que la destitution du préfet Jean-Baptiste HABYARIMANA le 19 avril 1994, le discours du président SINDIKUBWABO et celui du ministre Jean KAMBANDA sont bien à l’origine du génocide à Butare. Tout comme l’arrivée des miliciens et de la Garde présidentielle entraînent la population dans le génocide.
A Tumba, l’accusé déclare qu’il n’a pas eu vent de réunions de préparation à Tumba, il n’y a jamais participé, même si son nom revient souvent avec ceux d’autres personnalités. Pour lui, possible qu’il y ait eu « un pouvoir parallèle ». Il n’a jamais vu de rassemblement politique au bar de RUGANZU mais il a bien participé aux réunions organisées par BWANAKEYE au bureau de secteur. Il a aussi participé à des rondes mises en place le 17 avril par le conseiller de secteur à la demande du préfet pour assurer la sécurité: « Tout le monde avait peur. » Le 21 avril, le système s’effondre avec l’arrivée des militaires. Pas de rondes entre le 21 et le 24.
A partir de cette date, l’accusé dit s’être « auto-confiné ». La nuit, les miliciens continuent leur « travail ». Les rondes reprennent le 24. Les membres de la sienne? Des noms connus souvent évoqués: RUGANZU, REMERA, MUREKEZI. Des miliciens d’autres quartiers viennent patrouiller sur le secteur de l’accusé. Sosthène MUNYEMANA sera choisi pour faire partie du « Comité des sages ».
L’accusé répète à plusieurs reprises qu’il ne connaît pas les gens de Tumba: difficile pour lui de dire qui a organisé le génocide à Tumba, même s’il suspecte REMERA. Par contre, le bourgmestre KANYABASHI a bien ordonné l’enterrement des corps. Il répète qu’il a vu que des personnes avaient été tuées, mais il n’a vu que peu de corps. Il était informé par les autres. Par contre, la nuit, il entendait des courses poursuites
Sur question de maître Mathieu QUINQUIS qui veut savoir ce que l’accusé entend quand il dit que l’attentat a précipité les choses, Sosthène MUNYEMANA se contente de répondre qu’avant, il percevait une une tension, un « climat délétère« . Des contradictions entre ce qu’il perçoit depuis plusieurs mois et ce qu’il dit aujourd’hui? « Je n’ai pas d’éléments pour parler de planification » répond l’accusé.
À maître SIMON qui lui demande qui se rendaient chez REMERA, l’accusé reprend son « refrain »: « Je ne connaissais pas les gens de Tumba, ni les militaires. Peut-être des jeunes venus de Rango. Je ne circulais pas dans la quartier. Je ne pouvais pas voir si MAMBO s’y rendait. » Pour lui, il n’a pas eu connaissance de réunion préparatoire en mars 1994.
« Des amis à Tumba? » demande maître EPOMA. Oui, RUGANZU, mais d’autres à Cyarwa? A Butare ville.
Maître TAPI s’étonne que l’accusé puisse parler de confinement alors qu’il voit des gens. « On sortait le moins possible, dit l’accusé. Je restais à mon portail. »
S’il a été désigné comme « sage », c’est que les gens le connaissaient? « Les gens me connaissaient mais moi, je ne les connaissais pas. Je ne pouvais pas mettre un nom sur chaque visage. J’étais un des « notables » en tant que gynécologue. »
Sur question de l’avocate générale, l’accusé dit ne pas avoir eu connaissance de l’épisode rapporté par le général VARET à qui Pierre-Célestin RWAGAFILITA, chef d’Etat-major de la gendarmerie réclamait des armes lourdes pour régler la question des Tutsi en 1991. Pourtant, son ami Straton était un proche de ce gendarme et il ne lui en a jamais parlé! Étonnant.
Au tour de la défense de poser des questions. Maître BOURG veut en avoir le coeur net: « Je voudrais qu’on se retransporte à Tumba en 1994. On vous reproche d’être celui qui n’a rien vu, rien fait, étiez-vous au courant des massacres, dans le quartier et au bureau de secteur? » Réponse laconique de l’accusé: « Je l’ai appris. »
L’avocate: « Vous avez dit: « J’avais peur. On avait tous peur! »
MUNYEMANA. « Quand on voit des gens mourir autour de soi, on a peur. Quand on était opposant, j’avais peur. KAMBANDA était mon ami, c’est vrai. J’étais en danger en tant qu’opposant et résistant à la mesure de mes moyens. » (allusion aux témoignage de Laurien NTEZIMANA)
A propos de la notion de « notable » (sur laquelle on reviendra), pour MUNYEMANA, la notion est étrangement peu claire. Pour lui, un notable, « c’est une personne qui écrase tout sur son passage. » Ce n’est que progressivement qu’il va comprendre que c’est quelqu’un de respecté.
Concernant la planification, maître BOURG rassure son client. Il n’est pas le seul à avoir la conception qu’il défend: « Avec GUICHAOUA, vous n’êtes pas les deux seuls. Il y a Stephen SMITH, NDAGIJIMANA et même Jacques SEMELIN ( NDR. Rumeurs dans la salle où plusieurs personnes trouvent que l’avocate déforme les propos de ce dernier).
Quant au préfet HABYARIMANA, sur question de maître DUPEUX, l’accusé dit que c’était une connaissance, pas un ami. Tour comme la Première ministre Agathe UWULINGIYIMANA avec qui il entretenait de bonnes relations, étant du même parti. Ils se connaissaient depuis 1979.
Le positionnement politique de l’accusé.
Monsieur le président tente de préciser le positionnement politique de l’accusé: » Vous êtes MDR. Quand la tendance Power ( NDR. En Kinyarwanda on disait aussi « Pawa ») apparaît, le MDR se scinde en deux[4]. Vous, vous êtes dans une troisième voie, comme Dismas NSENGIYAREMYE que d’autres disent modéré[5]. Certains parlent de vous comme membre du MDR Power! » Sosthène MUNYEMANA réfute son appartenance à la mouvance Power.
Le président. « Ni GUICHAOUA, ni Alison DES FORGES ne parlent d’une troisième voie? Dismas est pour la démocratie. Il a été Premier ministre d’avril 1992 à juillet 1993. Il quitte le gouvernement parce qu’il trouvait que le président HABYARIMANA favorisait trop le FPR[6] et la CDR[7]. Il n’y a pas de preuve qu’il ait été Power. Son départ du gouvernement aurait précipité le MDR dans la tendance Power, selon Hélène DUMAS. »
Réponse de l’accusé: » Dismas voulait ramener le parti vers le centre. La troisième voie était une voie médiane. »
Vont suivre une série de questions sur le banc des parties civiles. Les avocats tentent de savoir quel était le vrai positionnement de l’accusé. « Le terme MDR Power serait quand les gens n’avaient pas d’idées » aurait-il dit devant l’OFPRA[8], lui rappelle maître QUINQUIS, donnant ainsi l’impression de minorer le rôle du MDR Power. MUNYEMANA conteste. Contrairement à ce que son épouse avait déclaré, l’accusé reconnaît qu’il n’a jamais été attaqué par des membres du MDR.
Quant à Agathe, la Première ministre, « elle était idéologiquement dans une voie médiane, mais tactiquement proche du FPR. » Comprenne qui pourra.
Maître FOREMAN cherche à savoir comment il se situe par rapport au MDR Power car entre novembre 1993 et avril 1994 il n’a jamais exprimé de désaccord avec Jean KAMBANDA!
Maître BOURG fait remarquer que le ralliement de TWAGIRAMUNGU au FPR a dû choquer au sein du MDR. Son client confirme.
Ses relations avec Jean KAMBANDA.
L’accusé se dit scandalisé par le nouveau positionnement de Jean KAMBANDA à partir de son entrée dans le gouvernement. Au fil du procès, MUNYEMANA semble s’éloigner des positions de son ami. C’est ce que lui fait remarquer le président. L’accusé confirme. Monsieur le président égrène alors tous les faits que KAMBANDA reconnaît devant le TPIR[9]. L’accusé ne sait que répondre.
Jean KAMBANDA ne serait venu qu’une fois chez lui pendant le génocide. Ses locataires et les réfugiés qu’il hébergeait serait même venus le saluer! C’était le 19 juin. Ce n’est pas ce que disent un certain nombre de témoins.
Le président s’étonne que, le 16 avril, l’accusé soutienne le gouvernement de Jean KAMBANDA sans se soucier de son positionnement! (NDR. Allusion à la motion de soutien du 16 avril dont il sera question plus loin.)
Sur le banc des avocats des parties civiles, on s’étonne que l’accusé n’ait jamais parlé politique avec son ami KAMBANDA, même si devant l’OFPRA il a pu dire le contraire. C’est bien ce qui irrite maître FOREMAN: « Vous voulez nous faire croire qu’avec KAMBANDA vous n’échangez pas politique? Votre discours ne cesse de se modifier! »
Si les miliciens ne sont pas venus chez lui pour piller, c’est tout simplement parce qu’il savaient qu’il était ami avec Jean KAMBANDA. C’est la réponse qu’il donne à la question de maître EPOMA. Il justifie sa fuite à la fin du mois de juin parce qu’il se dit menacé par les miliciens et les militaires. Quant à la notion « d’ennemi« , dont il dit qu’elle n’est pas claire pour lui, monsieur le président lui fait remarquer qu’il est bien le seul à le dire.
Maître DUPEUX vient à son secours en lui faisant répéter qu’il n’a vu KAMBANDA qu’une fois et que, quand on a un ami, c’est plus difficile de lui faire remarquer ses fautes. L’accusé confirme. Quant à son autre ami, Straton, là encore, il n’a pas eu le temps de parler politique quand il l’a vu. Un juré lui fait remarquer que c’est peu compréhensible. Maître FOREMAN revient à la charge pour savoir si l’accusé considère Straton comme un extrémiste. MUNYEMANA n’a pas d’élément pour le dire.
C’est maître BOURG qui met un point final aux échange, sur un ton qui la caractérise: « Au moment où vous voyez Straton, on vous reproche de ne pas parler politique. Vous avez d’autres chats à fouetter! »
« C’est un moment où j’étais menacé par les militaires« , conclut l’accusé.
Son statut de notable à Tumba.
A la question de savoir s’il était un notable à Tumba, Sosthène MUNYEMANA, qui ne semble pas avoir encore compris le sens du mot, dit avoir toujours été humble. Il ne se considérait pas comme un « sale type ». Monsieur le président lui redit qu’être notable ne veut pas dire « être un sale type« . Quant à savoir s’il avait une influence sur la vie locale à Tumba, l’accusé précise qu’il n’a pas participé à la vie de son quartier. Avait-il le pouvoir de faire tuer, comme le disent des témoins? « Ce n’est pas dans ma nature de faire des actes répréhensibles » répond MUNYEMANA. S’il avait une confiance aveugle en KANYABASHI, c’est parce qu’il avait une bonne réputation. Mais ce n’était pas un ami.
Monsieur le président s’étonne dans la mesure où KANYABASHI a été lourdement condamné par le TPIR: incitation publique à commettre le génocide! « On a l’impression que vous avez vécu dans une bulle » fait remarquer monsieur SOMMERER.
L’accusé est ensuite questionné sur les notables de Tumba. Il donne quelques noms connus maintenant de tous. Le silence de REMERA? il ne se l’explique pas qu’il dit n’avoir jamais donné son avis. MAMBO? Il ne l’a pas contacté. A son arrivée à Tumba, il est allé saluer le conseiller de secteur: c’est lui qui lui a remis sa carte d’adhérent au MDR.
Le message de pacification? Il n’a rien entendu. Il ne sait pas qui l’a annoncé. Difficile à croire quand on sait que les Tutsi qui étaient terrés dans leurs cachettes l’ont entendu!
Ses relations avec les autorités locales actives dans le génocide.
Alors que le président énumère les noms bien connus des autorités locales suspectées d’avoir participé au génocide, l’accusé se contente de dire qu’il n’est jamais allé chez REMERA, qu’il ne le rencontrait même pas chez RUGANZU. Ce qui contredit les déclarations de nombreux témoins qui doivent être des menteurs.
Il savait que le docteur HABYAREMYE, venu chez lui en mai 1994, était membre de la CDR. Il n’a invité chez lui qu’un militaire. Lors d’une ronde, il avait été menacé par ce dernier alors qu’il était ivre et il l’invite chez lui le lendemain pour avoir des explications sur son comportement de la veille. Il a alors prévenu un certain KABALISA pour lui signaler qu’il était en danger. Personne ne croit vraiment à cet épisode.
Maître BOURG, une nouvelle fois, tente de trouver une explication pour son client: pour ne pas attirer l’attention, ne valait-il pas mieux se montrer? Cette déclaration convient très bien à son client qui acquiesce: « Il fallait rester visible! »
Le Cercle des Intellectuels de Butare.
Avant d’aborder le sujet, monsieur MUNYEMANA demande de projeter des photos de famille pour bien montrer qu’il avait des amis au sein du FPR: baptême du fils de son ami James par exemple. Il dit même avoir reçu une lettre d’un autre ami, Joseph NSENGIMANA (NDR. Joseph et sa femme Bernadette étaient nos amis. Bernadette a été tuée à Butare avec des enfants)
MUNYEMANA était le vice-président de ce Cercle des Intellectuels de Butare. Quant à ce qu’on appelle la « motion de soutien au gouvernement« , il s’agissait en fait d’une lettre adressée à la communauté internationale pour faire part de leur inquiétude suite à la décision de réduire les forces de la MINUAR[10].
Monsieur le président va énumérer les points contenus dans cette lettre:
- mise en cause du FPR qui refuse les négociations et qui a repris le combat et soutien au gouvernement intérimaire et aux Forces armées.
- condamnation de l’attentat qui a causé la mort de deux présidents et condoléances aux familles des victimes.
- condamnation des massacres aveugles qui ont coûté la vie, entre autres à la Première ministre.
- remerciements aux FAR qui ont aidé à mettre en place le gouvernement
- le Cercle exige des explications concernant les événements qui se sont passés à l’aéroport alors aux mains des Casques Bleus belges.
- invite les Nations Unies à ramener le FPR à la raison pour ramener « le calme légendaire » qui régnait au Rwanda.
Monsieur le président s’étonne que ces intellectuels possèdent autant de renseignements détenus au cœur du pouvoir. Et de quel « calme légendaire » parlent-ils alors qu’avant même le génocide la ville de Kigali était à feu et à sang. L’accusé prétend que ces informations étaient connues de tous.
Le président: « C’est connu de tous? Et le massacre des Tutsi est tu? Le 14, déjà, il y a des milliers de morts à Kigali et ailleurs dans le pays, et vous ne dites rien sur ces massacres? »
Réponse étonnante de l’accusé: « On a préféré ne pas dénoncer le massacre des Tutsi pour ne pas les mettre en exergue, pour ne pas les désigner comme des cibles potentielles. C’était pour garder la cohésion du peuple rwandais » Personne ne comprend un tel cynisme. Le président trouve ce raisonnement « tortueux« .
L’accusé insiste. Roméo DALLAIRE s’était montré trop favorable au FPR en ne dénonçant pas les assassinats que ce dernier avait commis dans le Nord du pays en novembre 1993. DALLAIRE ne voulait pas que les enquêtes aboutissent Personne ne comprend vraiment à quoi MUNYEMANA fait allusion.
« Vous faites quoi de vos journées » demande le président? Comme il l’avait dit en début de procès, il gérait le quotidien, s’occupait de ses enfants et de leur suivi scolaire,
Maître BOURG donne lecture d’un communiqué des FAR qui appellent à une trêve. Un autre communiqué dit que « l’ennemi est toujours le même, celui qui veut rétablir la monarchie » (Ministère de la défense). MUNYEMANA n’est pas au courant. Il a bien entendu le discours du président mais pas l’intervention de KAMBANDA dans sa totalité. Il était donc mal informé sur la situation au niveau national lui fait remarque monsieur le président.
Madame l’assesseure a beau souligner les contradictions dans ses propos, l’accusé n’est pas convaincu. Étonnant aussi que cette lettre, il n’ai pas éprouvé le besoin d’en parler lui-même. On ne la découvre que tardivement dans le dossier. La mise en place du gouvernement, il ne la voit pas comme un coup d’état. Il avait bien appris la mort d’Agathe, mais pas celle des autres opposants. Difficile de savoir son degré de connaissance de la situation dans la mesure où ses déclarations ont varié. Devant l’OFPRA, lui fait remarquer maître FOREMAN, il avait dit, en 2006, que c’est lorsqu’il a vu arriver les réfugiés de Gikongoro. Donc bien avant le 16?
Monsieur le président va lui faire remarquer qu’il analyse une situation le 16 sans être informé, au risque de dire n’importe quoi.
La suite des questions continuera de porter sur la connaissance véritable qu’il avait de la situation lors de la diffusion de cette motion. Maître BOURG veut en finir: « il faut replacer cette lettre dans son contexte. et ne pas se fier aux explication de monsieur GILLET. Monsieur MUNYEMANA, est-ce que vous utilisez les mots « ennemi », « travail »? NON. Donc, il n’y a pas de double langage. La lettre est rédigée en Français et destinée à l’ONU et aux ambassades? Il y a bien eu un communiqué des deux préfets, celui de Gikongoro et celui de Butare pour appeler à la paix? Pour organiser barrages et patrouilles pour protéger contre les fauteurs de trouble? » L’accusé confirme. On s’en tiendra là.
La réunion du 17 avril 1994.
Monsieur le président donne la liste de tous les témoins qui disent que, lors de cette réunion, il a pris la parole pour s’opposer à BWANAKEYE et faire courir de faux bruits sur des massacres de Hutu par des Tutsi. D’autres prétendent le contraire. L’accusé reconnaît seulement avoir dit que des gens s’étaient réfugiés chez lui. C’est son fils qui était venu l’avertir au cours de la soirée. Il savait pourtant que c’était les Tutsi qui étaient tués, mais il ne l’a pas dit.
Ceux qui l’accusent se sont concertés, prétend l’accusé. Ils ont harmonisé leurs témoignages. Monsieur le président lui rappelle que même BWANAKEYE l’accable. « Quand il était en prison« , réplique MUNYEMANA.
« La composition du groupe des Sages, rien ne vous inquiète? » demande l’assesseure.
« Pour moi, les membres étaient irréprochables. Ils avaient été choisis par une centaine de personnes. Ma présence était là pour tempérer les membres du conseil de sécurité, dont REMERA et MAMBO » répond l’accusé. (NDR. Grande habilité de l’accusé pour se justifier à postériori: « Ce n’est que découvrant le dossier que je me suis interrogé sur ma participation au Comité des Sages » Mais personne ne viendra par la suite le solliciter.
Sur question de maître DUPEUX qui intervient en dernier, monsieur MUNYEMANA précise qu’il a quitté la réunion lorsque son fils est venu lui signaler la présence de réfugiés chez lui et qu’il est revenu ensuite pour annoncer ce qu’il venait d’apprendre.
Audition de madame Daphrose BAZIZANE, citée par la défense, sur pouvoir discrétionnaire du président, en visioconférence de Grande-Bretagne.
Un témoin dont tout le monde se serait bien passé. Citée par la défense qui ne la connaissait probablement pas, madame BAZIZANE va passer une grande partie de sa déclaration spontanée à vanter les mérites du jeune MUNYEMANA dans sa commune de MUSAMBIRA. Elle ne tarit pas d’éloges à l’égard de ce cet « enfant exemplaire, studieux, premier de classe« , digne à être fréquenté. Il faut dire qu’il avait bénéficié d’une excellente éducation.
De retour de ses études en Europe, il était resté égal à lui-même, pas du tout fier, contrairement à ses camarades qui avaient suivi la même voie. S’il était ivre, ira jusqu’à dire le témoin, il était « ivre d’intelligence » (sic). Devenu médecin, il n’a pas changé. Il ne faisait pas de différence entre les gens. Il était aussi très ficèle en amitié.
A plusieurs reprises, monsieur le président va bien tenter d’arrêter le témoin qui nous entraîne loin de notre affaire, mais dès qu’on lui laisse la parole, elle continue à encenser son ami d’enfance.
« Où étiez-vous en 1994 » demande le président? « A Kigali » répond le témoin. Et de souligner que ses parents étaient fiers d’avoir un fils médecin.
Monsieur le président, avec humour, déclare que c’est pareil en France: les parents sont fiers d’avoir un fils médecin, avocat, magistrat. (NDR. Il n’ira pas jusqu’à dire président de cour d’assises mais…) Il fait dire au témoin que, aujourd’hui, les intellectuels sont malmenés.
Sur question de monsieur le président qui semble avoir hâte d’en finir, le témoin reconnaît n’avoir pas vu Sosthène MUNYEMANA pendant le génocide, n’avoir eu avec lui aucun contact téléphonique. Mais elle se permet d’ajouter que tout ce qu’on raconte sur l’accusé, ce ne sont que des mensonges. Monsieur le président se dit « désemparé », tout comme maître DUPEUX.
L’avocat de l’accusé semble pressé d’en finir. Il fait dire au témoin que, compte tenu de ce qu’elle connaît de son client, il est impossible qu’il ait commis les faits qui lui sont reprochés. Elle a entendu dire qu’il aurait accueilli des réfugiés chez lui. Pour prouver l’ineptie de ces accusations, elle va citer deux ou trois exemples qui prouvent que tout ce qu’on raconte n’est que mensonge: MUNYEMANA est accusé d’avoir tué un certain Ephrem qui était toujours en vie à la fin du génocide. Un autre exemple de manipulation? Dans un article d’Izuba, en date du 26 février 2010, on évoque le fait qu’on lui a refusé le statut de réfugié. Une photo illustre le document, mais c’est celle de Claver KAMANA (NDR. Claver KAMANA, un riche homme d’affaires tutsi a été pendant longtemps visé par une plainte du CPCR mais il est décédé en cours d’instruction).
Maître LINDON s’étonne qu’elle se soit manifestée si tard pour témoigner: si on l’avait appelée, elle serait venue.
L’audition s’arrête là, au grand soulagement du président et de la défense qui n’avait pas dû se renseigner sur l’identité du témoin et sur les propos qu’elle tiendrait.
Seul MUNYEMANA semble y avoir trouvé son compte. Occasion pour lui de préciser que, dans sa commune, tout le monde s’entendait bien. Avant la fin de l’audition, il adresse un salut amical au témoin.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Margaux MALAPEL, bénévole
Jacques BIGOT pour la présentation et les notes
- « Appel à la conscience des Bahutu » avec les 10 commandements » en page 8 du n°6 de Kangura, publié en décembre 1990.[↑]
- Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire.[↑]
- RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines – cf. Focus : LES MÉDIAS DE LA HAINE[↑]
- MDR : Mouvement Démocratique Républicain. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire. [↑]
- Voir l’audition du 17/11/2023 de Dismas NSENGIYAREMYE, premier ministre entre le 2 avril 1992 et le 18 juillet 1993, il sera remplacé par Agathe UWULINGIYIMANA, assassinée des le 7 avril au matin.[↑]
- FPR : Front Patriotique Rwandais). Il reprochait à KAMBANDA d’avoir pactisé avec le MRND((MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[↑]
- CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
- OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides[↑]
- TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda, créé à Arusha (Tanzanie) par la résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 8 novembre 1994 (en anglais ICTR).[↑]
- MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda, créée le 5 octobre 1993 par la résolution 872 du Conseil de sécurité pour aider à l’application des Accords d’Arusha. Voir Focus : le contexte immédiat du génocide – les accords d’Arusha.[↑]