Le matin ayant été consacré à la seconde partie du réquisitoire des avocats généraux, madame Sophie HAVARD et monsieur Nicolas PERON, c’est au tour des avocats de la défense, maîtres Florence BOURG et Jean-Yves DUPEUX de présenter leurs plaidoiries.
Il ne nous est pas possible, pour l’instant? de rendre compte des réquisitions de l’accusation. Simplement dire que les avocats généraux, après un réquisitoire implacable, demandent une peine de 30 ans de réclusion criminelle à l’encontre du docteur Sosthène MUNYEMANA.
Plaidoirie de maître Florence BOURG.
Dans une longue plaidoirie de près de trois heures et demie, maître BOURG a tenter de toucher les jurés, la voix empreinte d’émotion :
« Depuis jeudi matin, depuis 2 jours et demi vous écoutez un mur absolu d’accusations… Alors la défense se retrouve au pied de la montagne, parce que pendant ces 2 jours et demi vous avez eu droit à une construction magnifique… une construction qui peut paraître très crédible si l’on reste très confortablement assis dans son fauteuil en 2023, dans le confortable siège d’avocat ou de magistrat. Mais cette analyse, cette construction, pas à un moment elle n’a tenu compte des faits en 1994, des dilemmes vitaux auxquels étaient confrontés ces gens en 1994… ceux qui avec leurs moyens simples, ont tout fait, parfois par leurs petits gestes, pour sauver des vies, pour limiter la casse, pour limiter les dégâts, tout en restant en vie.
Et c’est peut être ça le problème, Sosthène MUNYEMANA est en vie et c’est peut être cela qu’on lui reproche aujourd’hui. »
Et de souligner l’importance déterminante du contexte de l’époque :
« Rappelez vous où vous étiez en 1990, quel âge aviez vous. Je vais vous demander de vous transporter en Afrique en 1990. On est loin des moyens d’informations d’aujourd’hui, il n’y a pas d’internet, pas de télévision. On est en Afrique, c’est là que démarre l’histoire avec ses références temporelles et géographiques. Je vais vous proposer une histoire vraie, tragique, pas d’un génocidaire ou d’un manipulateur, mais l’histoire d’un homme rwandais, Hutu, un médecin et un père de famille à Tumba. » Maître BOURG évoque « une jeunesse avec des parents Hutu, mère, père, aimants, contrairement à ce qu’on a pu dire, avec des valeurs. Ils viennent d’un petit milieu et Sosthène MUNYEMANA quand il était petit il gardait les vaches de son père. Il reçoit une éducation sévère certes mais avec des valeurs. Les valeurs c’est de ne pas pas faire la différence, c’est de ne pas prendre en compte les ethnies. Ça a été dit à l’audience par son amie d’enfance Daphroze[1]… il va faire des études brillantes, ce qui était extraordinaire compte tenu de son milieu. Il intègre l’université de Butare, une vocation. Parce que c’est un homme qui depuis le plus jeune âge est sensibilisé à la nature humaine. Il a vu sa mère, la souffrance de la mort lors de ses fausses couches, il en a été profondément meurtri. C’est comme ça qu’il choisit sa spécialité. » En 1979, il rencontre sa future femme, Fébronie, amie de collège de l’épouse de Jean KAMBANDA[2]: « Lui aussi il vient du sud, alors une amitié naît, on est au début des années 1980. Alors Sosthène MUNYEMANA continue sa carrière brillante et en 1984 il brigue d’un premier poste. Il est nommé responsable dans un hôpital dans le sud de Butare » avant de partir à Bordeaux pour se spécialiser en gynécologie. Le couple retourne au Rwanda en 1989, d’abord à Kigali puis à Tumba : « Ils fréquentent toujours le couple KAMBANDA. Ça fait partie de leurs amis. Ils vont embaucher une nounou parce que ses enfants sont petits, une nounou qui est Tutsi. Avec tous les autres médecins et tous les autres personnels du personnel médical. Il était promis à une grande ascension sociale ça ne fait aucun doute. »
Début 1990, à l’avènement du multipartisme Sosthène MUNYEMANA « va s’intéresser au MDR[3], ça va lui parler parce que ça correspond à ses valeurs. Mais ce MDR qui naît en 1990, c’est un MDR ré-no-vé qui a un acronyme qui existait précédemment parmehutu, un parti rance, aux relents ethniques. Le MDR rénové n’a rien à voir avec ça. On va vous faire croire que si, que ça n’a pas changé, mais non ». Il prône désormais « le partage de pouvoir, le retour à la paix, mais néanmoins favorable aux négociations avec le FPR et surtout un retour concerté des Tutsi exilés. C’est la ligne originelle du MDR de 1990 ».
Sosthène MUNYEMANA « n’a jamais été un membre du parti… c’est juste un citoyen engagé qui a envie de démocratie. Alors dans ce renouveau des idées il y a des médecins, des enseignants qui vont créer un espèce de think-thank… En conséquence du multipartisme en avril 1992, il va y avoir la constitution du gouvernement pluripartite. C’est un gouvernement de coalition où l’ensemble des partis vont être représentés. Et c’est vrai que le MDR est extrêmement présent… Le MDR, sous l’impulsion du Premier Ministre Dismas, va soutenir à bout de bras les accords de paix d’Arusha… le MRND ne voit pas ça forcément d’un très bon œil… C’est pas facile l’apprentissage de la démocratie et le 8 février 1993 alors que les accords sont là, nouvelle offensive du FPR au mépris total du cessez-le-feu. Cette fois-ci c’est un million de personnes déplacées. Et là on a des prémices de radicalisation, ces massacres qu’on connaît historiquement depuis les années 50, on est sur un terrain qui commence à être clairement miné. »
A l’été 1993, le MDR et la plupart des partis se disloquent en deux tendances dont une extrémiste dite « POWER »[4] « mais pour autant dans tout ça Sosthène MUNYEMANA, sauf à avoir mis son nom sur la liste des signataires qui dénoncent une manigance politique, lui, dit qu’il reste dans une troisième voie. Une troisième voie, mais qu’est-ce que c’est que cette troisième voie ? C’est la ligne MDR avant le split, avant la radicalisation de 2 blocs, celui qui est pour la paix, contre la radicalisation, pour les négociations, c’est ça sa ligne et il l’a toujours fait valoir…Dans le même temps, ça se radicalise. Le 4 août 1993, cette fois c’est acté le protocole d’Arusha qui prévoit l’intégration du FPR dans le gouvernement à base élargie. L’émergence du mouvement POWER, elle, est actée lors du discours de Froduald KARAMIRA en octobre 1993 au stade à KIgali, “power power power”, la tendance POWER émerge de manière radicale et claire ». Mais pour Sosthène MUNYEMANA « il n’y a pas au sein du MDR un MDR-POWER, c’est une mouvance », comprenne qui pourra.
Au début du génocide, « Sosthène MUNYEMANA a deux personnes qu’il connaît très bien au gouvernement[5]. Il y a le Premier ministre Jean KAMBANDA, il y a le ministre de l’agriculture Straton. Alors remarque, si il était motivé par un destin politique comme on vous l’a laissé croire mais on serait allé le chercher. Il remplit toutes les cases, c’est un intellectuel, il est de BUTARE, mais monsieur MUNYEMANA, il n’en fait pas partie. Si c’était cet homme de volonté de rentrer au gouvernement, il avait une opportunité formidable avec ces allumettes à ce moment-là. Pourquoi ? Parce qu’il était pas POWER tout simplement et s’en est bien la preuve. Ça ne l’empêche pas de réfléchir pour autant.
Le 12 avril la confusion est totale. On a des préfets qui se battent. Et puis en même temps on a un élément extrêmement fort, le 12 avril on a 10 officiers supérieurs dont le colonel Marcel GATSINZI qui va publier un communiqué de résistance. C’est le 12 avril, les discours sont brouillés parce qu’en parallèle il y a les communiqués du ministère de la défense et en même temps on a le discours du MDR, Froduald. Mais il y a aussi ça, ce n’est pas univoque, ça ne va pas dans un sens, c’est confus. Et les FAR font un communiqué dans lequel ils disent quoi? Ils rappellent qu’il y a des massacres et ils appellent à mettre fin à la tragédie, il appellent à une rencontre avec le FPR pour pacifier le pays, ils demandent l’institution des accords d’Arusha, il appellent à faire la paix. Pas un mot dans le double langage. Il y a des nuances dans l’histoire et de nuance on en a cruellement manqué ces derniers jours. Ce communiqué des FAR, Alison DES FORGES l’intitule dans son livre “l’opposition des militaires au génocide”. Alors c’est le chaos, les discours sont confus, il y en a dans tous les sens on n’arrive pas à avoir une ligne déterminée, et dans ce chaos du 12 avril, qu’est-ce qu’il y a ? Des ordres du ministre belge qui annonce aux Nations Unies que la Belgique retire son contingent de la MINUAR. Ce même 12 avril, comment s’y retrouver? Désinformation, plein d’informations, une confusion politique extrême.
C’est dans ce contexte ce 12 avril que le cercle de réflexion va se réunir. Dans ce contexte de grande confusion politique que quelques jours après, le 16 avril ils rédigent le 16 avril cette lettre parce que c’est une lettre. Une lettre qu’ils veulent adresser à l’ONU, aux ambassadeurs. Cette lettre elle a un but principal, sous le choc du retrait du contingent belge, et la première lecture de l’ambassadeur, souvenez-vous, il l’a dit[6], c’est un appel à l’aide aux Nations Unies “ne partez pas, ne partez pas”, et c’est aussi un appel à la négociation. Cette lettre, l’accusation en fait la clé de voûte de tout parce que selon l’interprétation qu’on en fait ça va contaminer tous les faits de Sosthène MUNYEMANA. Ou vous pensez que Sosthène MUNYEMANA, il est POWER, ou …
Rien n’est simple, rien n’est prouvé, rien ne peut permette de dire que Sosthène MUNYEMANA est POWER. Alors cette lettre… aujourd’hui c’est bien de dire “ah mais c’était une magouille”. C’est très facile de dire ça dans son fauteuil d’avocat général. C’était simple en 1994 ? De savoir que le gouvernement allait faire ce qu’il allait faire? Non ce n’est pas simple. Ce que je vous dis là, ça ne sort pas de nul part, ce n’est pas une histoire inventée, imaginaire, alors il n’y a pas dans le texte de cette lettre un seul mot qui soit susceptible de vous faire douter, il n’y a pas le mot travail non il n’y a pas ça. Le seule chose qu’on peut lui reprocher à cette lettre, c’est avec du recul, avec du recul de remercier le gouvernement intérimaire… Alors pour conclure sur l’aspect politique, deux choses, non Monsieur MUNYEMANA n’est pas un extrémiste, rien rien rien dans son parcours politique ne le démontre. »
Maître BOURG aborde ensuite le second point de son intervention, TUMBA :
« Butare la préfecture rebelle, même chose contexte, contexte. Le Sud ce n’est pas le Nord, le contexte, c’est fondamental, les hostilités, les massacres ça arrive plus tard. Bien sûr qu’il y a des massacres, il y en a depuis tellement longtemps. Cette localité, ce bastion de la résistance est menacé, il est dirigé par un préfet indiscutable le préfet Jean-Baptiste HABYALIMANA[7]. Le génocide n’est pas encore arrivé, il n’arrivera que le 21 avril mais la résistance s’organise et là encore il y a un document essentiel, c’est le communiqué des préfets du Sud. Le communiqué du 16 avril du préfet HABYALIMANA et de son collègue le préfet du GIKONGORO[8], il vont se réunir autour des questions de sécurité. Ils vont constater la résurgence des violences innommables contre les Tutsi. Et les massacres ont commencé dans le Nord, et les réfugiés il y a un afflux considérable de personnes, ils fuient, et les préfets se disent “qu’est ce qu’on fait?”… Ils arrêtent des mesures. On ne peut pas les suspecter d’être des préfets génocidaires (NDR. L’un des deux préfets, Laurent BUCYIBARUTA, a toutefois été condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour complicité de génocide et de crime contre l’humanité aux assises de Paris! Son procès en appel n’aura jamais lieu, il est décédé le 6 décembre 2023)…/ils vont inciter les autorités administratives à tenir des réunions avec la population dans le but de promouvoir la paix. Ils vont donner des instructions aux autorités, au sujet de barrages routiers, pour l’organisation de patrouilles. Dans le but de quoi? De contrer les attaques, les fauteurs de troubles, les criminels’. Et de citer Alison DES FORGES : “Dans bien des endroits Hutu et Tutsi patrouillaient […] entre les 14 et 18 avril. Il organisèrent des patrouilles et des tours de garde […] tant Hutu que Tutsi”.
À propos de la réunion du 17 avril au bureau de secteur de Tumba : « Sur les collines avoisinantes les maisons brûlent, il y a des flux de réfugiés, des réfugiés de guerre, il affluent dans toutes les directions. Il faut bien faire quelque chose. Il faut bien faire quelque chose alors le conseiller BWANAKEYE, qu’est-ce qu’il fait? Il va essayer d’organiser une réunion, il a eu des instructions du préfet la veille, et le but ça va être quoi? Ça va être d’informer la population, pour éviter quoi? Que les troubles alentours n’arrivent pas jusqu’à Tumba, que ce dernier bastion tienne. C’est dans ce contexte que des réunions, comme le dit le communiqué, ces réunions de po-pu-la-tion vont être organisées, et là on va appliquer ces mesures dont on parle, de préfets qui appellent à organiser des rondes entre Hutu et Tutsi, il faut sécuriser le Sud. »
Au cours de cette réunion, Sosthène MUNYEMANA est alerté par son fils que des réfugiés arrivent à la maison: « Onesphore KAMANZI qui arrive, qui vient de KIGEMBE, qui vient de voir toute sa famille Tutsi, sa femme Tusti et ses 8 enfants Tutsi, massacrés. Il l’a accueilli monsieur MUNYEMANA, ce Tutsi. Alors on va vous dire : “ah oui mais le père, il est Hutu, c’est pas des enfants Tutsi. Alors non non non”. Et qu’est ce qu’il vous dit, Monsieur KAMANZI? “Il nous a accueilli comme des réfugiés”, il l’a caché pendant un mois, il l’a dit “je ne peux que lui être reconnaissant”… Il n’y a pas que lui, il y aussi la fameuse Marie M(?), elle va en faire des caisses certes, la femme du chauffeur, n’empêche que chez qui on la met? Chez Sosthène MUNYEMANA. On la mettrait chez un génocidaire? Je ne pense pas. N’empêche qu’il revient, et la réunion qui continue, alors il revient et dit à BWANAKEYE ce qu’il se passe. Et BWANEKEYE lui dit : tu vas l’exposer. Alors je ne sais pas ce qu’il dit dans cette réunion mais toutes les interprétations sont permises, il n’y en a aucun qui dit la même chose : “ah il nous a dit que les réfugiés fuyaient les militaires burundais Tutsi”. Et puis Monique AHEZANAHO: “ils fuyaient les Inyenzi”, mais ça n’a aucun sens, comment pourrait-il dire des choses pareilles alors qu’il vient d’ouvrir ses portes à ces réfugiés. Qui a tué la femme de KAMANZI? Le FPR? Et bah non. Qui est-ce qui persécute la femme Tutsi de Bonaventure? Bah oui, c’est les miliciens Hutu, donc c’est totalement invraisemblable, bien sûr qu’il n’a pas dit ça, bien sûr qu’il n’a pas tenu des propos incendiaires ».
Alors voilà pour cette réunion, et qu’est-ce qui se passe? Et bah on va mettre en place les rondes et les barrières, alors on va vous dire il s’est passé autre chose et c’est vrai, il y avait ce comité de sécurité et il y avait un citoyen et c’est possible, qui a souhaité qu’il y ait une désignation de sages mais c’est informel, il n’y a pas eu d’élection de Sosthène MUNYEMANA au comité de sécurité, mais pas du tout. C’est une assemblée de population, il y a des Hutu, il y a des Tutsi, le comité de sécurité, il existe, c’est le chaos. »
Maître BOURG fustige « une reconstruction faite en 2023 avec une littérature qui n’est pas la bonne… Moi, je me fie à ce qu’on m’a déclaré par des sources incontestables, selon le parquet Alison DES FORGES et André GUICHAOUA, je ne parle pas d’Eric GILLET…
Ce sont des rondes de nuit, on divise le groupe en deux parce qu’il faut tenir le coup, 8 personnes un jour sur deux et Sosthène MUNYEMANA fera la ronde un jour sur deux de 19h à 6h. Fatiguant, très fatiguant, il faut récupérer. Ça c’est l’organisation et c’est tous les jours et ce sera tous les jours jusqu’au bout. Et le périmètre c’est le pâté de maison, le patelin, la dizaine de maisons… Alors la mécanique, la froide théorie se met en place, bah non c’est pas ça ce qu’il s’est passé, elles se sont maintenues et des témoins à charge viennent vous dire comment ils ont été sauvés sur des rondes, ce qui montre qu’il y a eu des rondes de sauvetage. Est-ce qu’il y a un témoignage comme quoi la ronde de Sosthène MUNYEMANA aurait tué quelqu’un? Et bah non, personne et pourtant il a été accablé… » Pas de participation aux barrières non plus selon maître BOURG : « Je ne m’attendais pas à ce qu’on passe autant de temps sur les barrières parce que l’acte d’accusation ne retient pas les barrières… il y a quand même eu toute une journée où des personnes sont venues parler d’une barrière, avec la même description, c’était la journée de la statue de la Vierge et en plus ils étaient les uns après les autres, Vestine, etc. Très bien, vous en avez tout autant qui vous disent qu’il n’y en avait pas. Donc les barrières non, non, non. »
Quant au bureau de secteur, c’est « traditionnellement un lieu de rassemblement de la population, un lieu où on tient les réunions… ça peut être un lieu de refuge, au même titre que les églises, les écoles. Des lieux de refuge notamment pour les Tutsi et ils avaient l’habitude de s’y réfugier. Alors ce lieu de refuge a été utilisé dans les faits, et ce que nous maintenons, dans l’urgence de manière temporaire pour éviter le pire… Le 21 avril quand les massacres se déchaînent et par réflexe, par réflexe historique, ces Tutsi ils vont s’orienter vers le bureau de secteur, de la même manière certains vont se jeter sur les églises.
On est bien placés au niveau de la défense parce qu’on a défendu un prêtre et on nous opposait la même situation “dans les églises, il n’y avait pas de refuge”, et bien non, on a eu un non-lieu parce que ce n’est pas si simple. Parce qu’il faut se mettre à la portée des gens ».
Alors que les massacres se multiplient « qu’est-ce qu’il faut faire? Sosthène MUNYEMANA est médecin, c’est un homme, pas une machine génocidaire, ce n’est pas un robot. Non il est sensible monsieur Sosthène MUNYEMANA, il ne peut pas rester comme ça, chez lui. Alors il va appeler BWANAKEYE, il va lui dire, conseiller de secteur, c’est normal d’appeler le responsable. Il habite loin, BWANAKEYE, il ne voit pas, alors il dit les gens d’hier ils y sont tous passés. Alors BWANAKEYE, il dit : il faut ouvrir ce bureau de secteur.
Et sans doute en raison de sa femme Tutsi, que sais-je, il est attaqué par les miliciens, parce qu’encore une fois ce n’est pas simple. Il y a les simples et les gentils, BWANAKEYE il est méchant, Sosthène MUNYEMANA il est méchant, non. J’espère que vous pouvez voir plus loin que ça. C’est la débrouille parce qu’on est dans l’urgence, c’est impro totale. Alors BWANAKEYE il dit “bah les clés je vais te les faire porter”. Et on fait quoi, on garde encore une nuit à regarder les gens jetés dans les fosses, encore une nuit à les massacrer? Et là Félicien KUBWIMANA, ancien conseiller de secteur, dit “non va pas attendre BWANAKEYE on va aller voir, peut-être que le responsable de cellule MAMBO il a peut-être les clés”. On dit quoi? “Ah bah non faut pas y aller parce que c’est un méchant hein”, et d’ailleurs c’est un méchant, non sortez de ça. On essaie parce qu’il faut faire quelque chose, alors on va chez MAMBO, on va chez MAMBO et non il n’a pas la clé alors encore une nuit à se faire massacrer. Et là les clés arrivent. Les clés arrivent et Sosthène MUNYEMANA va y aller et qu’est-ce qu’il voit? il voit l’horreur, il voit les réfugiés qui sont là assis, debouts, les miliciens armés de gourdins et de machettes qui crient, qui vocifèrent, ils ne sont pas non plus 350, ils sont 6.
Il est courageux monsieur MUNYEMANA. Ah non il n’est pas courageux monsieur MUNYEMANA, n’oubliez pas c’est un gros génocidaire POWER, bah non c’est pas ça. Il va y aller et vous avez remarqué, il est très calme. Pendant cette audience, j’ai regretté qu’il soit si calme. Il a cette espèce de bonhomie, de sourire, permanent, ça vous a peut-être énervé, et bah voilà c’est ça monsieur MUNYEMANA. Il est médecin, il a l’habitude des situations extrêmes parce qu’en urgences à l’hôpital il a l’habitude des fous-furieux. Il sait gérer, il est médecin, il a été urgentiste alors l’urgence il prend sur lui, il y va avec sa bonhomie…
BWANAKEYE arrive enfin, on est le 24 avril, et là qu’est-ce qu’on va faire? Alors on refait une réunion, qu’est-ce qu’on fait, on n’a pas la solution, il n’y a pas de sanitaire, on ne peut pas les laisser là, donc on convoque la population pour savoir: qu’est-ce qu’on en fait de ces gens? Et bah voilà il y a des gens, alors ils ne sont pas 150, ils essaient de trouver une solution mais on ne l’a pas. Alors là BWANAKEYE dit “je vais essayer d’appeler le bourgmestre”. Il va chez Sosthène MUNYEMANA pour appeler le bourgmestre KANYABASHI. Parce que nous on ne peut pas les garder, c’est un endroit où on ne peut pas garder les gens, c’est une évidence. Alors il appelle KANYABASHI, il va dire “bah j’envoie une camionnette et on va affecter la police municipale”.
Ce sera la même chose pendant tout ce temps où monsieur MUNYEMANA aura les clés. Quel intérêt aurait eu monsieur MUNYEMANA qui l’a ouvert encore deux fois, ce bureau de secteur entre le 23 avril et la date où il ouvre la dernière fois, le 15 mai?…
Alors le 14 mai, c’est particulier parce que cette fois-ci c’est l’affaire KAGERUKA. Monsieur MUNYEMANA, une fois encore, il est alerté et quand il arrive il entend les hurlements “le roi de TUMBA le roi de TUMBA”, alors est-ce qu’il est arrivé escorté? Alors est-ce qu’il est venu avec les miliciens… ou comme la première fois les miliciens qui tournent, qui tournent. J’ai pas la réponse et lui non plus, toujours est il que quand il arrive, le bureau de secteur est entouré de miliciens, comme la dernière fois il fait la même chose, comme la dernière fois il fait ce qu’il pense qu’il a à faire. Il fait entrer KAGERUKA, il rentre et puis il est appelé une deuxième fois ce jour-là, pareil il le dit spontanément.
Lui il dit, il ne pense pas à mal quand il dit ça, il le dit “j’ai ouvert une deuxième fois à 17h” et quand il ouvre c’est un groupe. Alors ce groupe-là je dois dire, il y a un doute. Est-ce que c’est le groupe de RANGO? Là on a quand même des déclarations très contradictoires en termes de chronologie et en termes de faits. C’est pas évident. Monsieur MUNYEMANA dit c’est certainement pas eux, si on lui dit c’est un autre il dit c’est un autre, si on lui dit c’est le groupe de RANGO il dit “ah c’est le groupe de RANGO”.
En tout cas ce qu’il sait c’est qu’il a ouvert à 17h une deuxième fois à un groupe. Alors plusieurs problèmes entre les déclarations et les faits, il y a des contradictions. Vincent KAGERUKA dit qu’il est capturé le 15 mai, il dit qu’il est libéré le 15 mai le lendemain. Ce qui est classique puisque jamais jamais les réfugiés ne restaient plus d’une nuit, voir deux mais pas sûr, c’était rare.
Vincent KAGERUKA et monsieur MUNYEMANA sont d’accord sur les dates, mais pas les mêmes dates données par les femmes de RANGO. Et c’est surtout Générose qui semble-t-il est la mémoire de ces femmes, elle va dire que ces hommes étaient emmenés à la « maison 60 » le 18 mai, le 17 ou le 18 mai. Générose dit que ces gens ont été transférés au bureau de secteur le 18 mai au matin. Parce que normalement si on en croit KAGERUKA il serait déjà parti parce qu’il part le 15 et logiquement ça ne peut pas être MUNYEMANA parce qu’il a déjà rendu les clés le 15.
Il y a un problème de date. Alors on peut dire, et jamais il ne s’en est offusqué, c’était il y a 30 ans on peut se tromper de date. Mais il y a aussi autre chose, Générose est le seule à dire ça, elle dit qu’elle est venue donner à manger au bureau de secteur le 18 mai, il y a KAGERUKA et son mari, elle dit “je leur ai donné à manger, j’ai vu il y avait son frère Vincent KAGERUKA”. Le problème c’est que ça ne correspond pas puisque d’autres déclarations viennent dire que c’était une femme qui s’appelait Cécile. Je pense sincèrement que si c’était sa belle-sœur qui était venue il s’en souviendrait. Bon.
Et il y autre chose aussi c’est que ces femmes, qui sont nombreuses je n’ai plus les prénoms, Rose, Générose, Gaudiose, il y en a une quatrième je ne me rappelle plus le nom. Il n’y en a aucune qui dit avoir vu Sosthène MUNYEMANA. Elles ne sont pas témoins directs, on leur a dit que à la gacaca de RURANGWA, et là elles ont écouté la collecte d’informations et c’est lors de la collecte d’information qu’elles ont su ce qu’il s’est passé par la bouche de ce fameux du RURANGWA, or c’est quand même de la collecte d’informations indirectes. On ne saura jamais ce qu’il s’est passé sur cette histoire de la maison 60, je ne dit pas que ce sont des menteurs, je dis seulement qu’il y a des contradictions et qu’on ne saura jamais.
Alors, après, sur la nature de ce lieu de refuge il y a des témoins qui ont dit que c’était un lieu de refuge, et plusieurs: il y a Josepha, une voisine à Tumba jusqu’au bout, jusqu’en juillet. Elle, elle dit, ce ne sont pas ses déclarations, s’est devant la Cour d’assises: c’est un bâtiment où toutes les personnes qui arrivaient étaient admises. Humainement c’était très difficile de voir tous ces gens dehors mais on ne pouvait pas les héberger. Il y avait des miliciens la nuit qui venaient chercher les jeunes filles, les jeunes hommes pour les tuer. Pour que les miliciens n’aillent pas les chercher. Question: “est-ce que c’était un lieu de refuge?”. Réponse “oui c’était le but”.
Un deuxième témoin qui est mort malheureusement, c’est Alexis KUNAMUGIRE, à la question de savoir si le bureau de secteur était un lieu d’emprisonnement, à la question du juge il dit “non c’est faux si c‘était vrai j’en aurais entendu parler”. Il est Tutsi, il est de Tumba, pourquoi il dit ça, parce que les gens qui se vantaient de leurs crimes ils ne se cachaient pas donc tout le monde l’aurait su. …voilà ce qu’il a répondu “ce n’était pas des gens qui étaient emprisonnés au bureau de secteur, la nuit les tueurs fouillaient les maisons et il les amenaient à cette fosse où ils les exécutaient”.
Et ça m’amène à un sujet qui est celui de la confusion, on peut tout à fait penser que ces gens et ces témoins, ce n’est pas une question de faux témoignage, je pense qu’il y a une confusion entre le bureau de secteur et le lieu, la zone, et je pense que pour beaucoup, dans l’esprit des gens quand on dit on va aller les tuer au bureau de secteur, on dit en fait c’est dans la zone, et dans cette zone il y en a quoi? Il y a la fosse. Je pense, sans y voir de la malice, que beaucoup de témoins font une confusion entre le bâtiment administratif et la zone.
Alors il y a aussi une question importante, c’est la question du transfert de ces gens-là. Ces gens il ont été, et c’est un fait, ils ont été transférés. C’est un fait Sosthène MUNYEMANA le savait qu’ils étaient transférés. Concrètement il savait qu’ils étaient transférés, il venait ouvrir et c’est BWANAKEYE qui les faisait sortir. Ce qu’il savait c’est qu’il y avait une camionnette qui venait, qui venait de chez KANYABASHI pour emmener les gens au bureau communal et c’est ce qu’il a toujours cru. Après qu’est ce qu’il s’est passé, est-ce qu’ils ont été à la commune, ou emmenés à la préfecture, il faut se concentrer sur ce que Sosthène MUNYEMANA sait, puisqu’on dit que c’était le chaînon de la chaîne génocidaire.
Un mot sur KANYABASHI… on l’appelait KANYABA-TUTSI parce qu’il était réputé pour sauver les Tutsi. Si on prend toute la période où Sosthène MUNYEMANA avait les clés, pouvait-il avoir confiance dans le bourgmestre, pouvait-il se dire que ce transfert en tout cas s’ils n’étaient pas plus mal. qu’est-ce qu’on a dans le contexte de cette période-là? KANYABASHI n’a pas été considéré comme tel dans les décisions du TPIR, là encore je me réfère à des éléments concrets.
Le point d’orgue de l’accusation, ils savent tout parce que c’est formidable en 2023 on sait tout: il ne pouvait pas ignorer que KANYABASHI était un [génocidaire], parce qu’il fait un discours, qu’il ne pouvait manquer d’avoir étendu. Bah si. Le jugement du TPIR a étudié le discours de KANYABASHI du 19 avril et il a dit clairement que ce n’était pas un discours incendiaire. Le bourgmestre KANYABASHI n’a pas été condamné pour ce discours » mais pour « pour incitation au génocide. Pour quels faits et à quelles dates? Il a été condamné pour avoir fait des annonces au mégaphone à deux occasions: fin mai et mi juin 1994, appelant clairement la population à tuer les Tutsi.
Si on se réfère à des décisions judiciaires, on ne reproche pas à Sosthène MUNYEMANA d’avoir su que le bourgmestre était quelqu’un d’horrible, les faits qui lui sont reprochés sont extrêmement tardifs, fin mai, mi-juin. KANYABASHI n’a jamais été condamné pour des faits relatifs au bureau de secteur.
Alors et en résumé, sur le bureau de secteur, vous retiendrez que monsieur Sosthène MUNYEMANA, il n’avait aucune intention criminelle, monsieur MUNYEMANA a fait ce qu’il a pu, dans l’horreur, dans le chaos, dans une sorte d’improvisation. On était dans une situation de danger absolu, il n’y avait pas de bonne solution ».
Le quotidien de monsieur MUNYEMANA :
Sosthène MUNYEMANA n’a pas pu accueillir chez lui la vingtaine, la trentaine, la quarantaine de gens qui sont passés par le bureau de secteur. Pourquoi? Parce que quelle était la vie, quel était le quotidien de Monsieur MUNYEMANA?… C’était la stratégie de survie, c’était un père de famille qui était seul, sa femme était partie, avec 3 enfants qui en 1994, avaient 6 ans, 11 et 12 ans…une nuit sur deux, il fait des rondes. Il est crevé, il se met en danger toute la nuit. Il est fatigué mais il faut gérer le quotidien, avec une nounou Tutsi… Il approvisionne la famille, les réfugiés, il sort. Parce que c’est ça son quotidien, on va faire les courses, c’est ça le quotidien. On discute sur l’avenir politique du pays, ce n’est pas ça l’enjeu, là, non pas du tout quotidien.
[sur le fait qu’il n’a pas vu de cadavres]. Il faut se méfier des films, on n’est pas à Kigali, surtout quand ils viennent de KIGALI. Trois témoins disent qu’il n’y avait pas de cadavres, des témoins de l’accusation, Anaclet le gendarme dit “on ne voyait pas de cadavre”. Le deuxième c’est le chauffeur, François RUSHUNGA, lui aussi dit “non on ne voyait pas de cadavre”. Le troisième témoin Rose NIKUZE qui affirme qu’à RANGO il n’y avait pas de cadavre non plus, et nous on est là avec nos films. C’est horrible mais c’est ça…il prend des risques. Et par conscience professionnelle, c’est un médecin, c’est important. On essaie d’aider.
Il a pris des risques aussi en cachant au quotidien des réfugiés… Et puis surtout, et ça je vais l’expliquer parce que ça, Sosthène MUNYEMANA, il n’y arrive pas. Rappelez-vous, c’est peut être le dernier jour, sa fille un soir lui a dit “tu ne parles que de ton dossier mais parle de nous, parle de toi, parle de ce qu’on a vécu, les attaques”. Et dans un réflexe de défense incroyable, de vous expliquer, parce que c’était terrible, et dans un sentiment d’humilité, il dit je ne veux pas m’attarder sur ces attaques parce que par rapport à ce qu’ont vécu les gens ce n’est rien. Mais moi je vais la raconter l’histoire. Un jour, il était à son domicile et il y a des miliciens qui rentrent, parce que oui il y a des miliciens qui rentrent chez Sosthène MUNYEMANA le POWER, l’organisateur. Et les miliciens ils rentrent parce qu’ils cherchent la nounou Tutsi et ils tombent sur les enfants de MUNYEMANA qui jouent dans l’enclos. Mais Liliane, la fille de MUNYEMANA, elle est très jolie, elle a le visage fin, on va les mettre à genoux, et sur le point de leur fracasser le crâne, et là est arrivé Sosthène MUNYEMANA, il y est arrivé. Je crois que c’est la scène de la honte. Alors c’était ça aussi le quotidien, les attaques, les contrôles et comment on faisait?… Pour protéger sa famille, pour se protéger, c’est une stratégie… Il faut faire la double face, il faut faire bonne figure avec les militaires, avec les miliciens, il faut être visible pour ne pas être suspecté. Laurien NTEZIMANA a décrit en 4 mots cette attitude de protection qui est commune à tous les conflits de guerre et partout: “pour éteindre les soupçons, il faut se manifester”. Et c’est peut-être là l’élément du dossier, peut être qu’en ayant cette visibilité, en allant au bar de RUGANZU alors qu’il ne boit pas il se dit je vais aller boire une bière parce qu’il ne voit pas il fait semblant de la boire mais il se dit: je suis là, on me voit. Et puis quand je croise un militaire qui m’a menacé de mort et qui m’a menacé d’exterminer toute ma famille quelques jours avant et bien je l’invite à boire un verre chez moi…
Le 9 mai, Sosthène MUNYEMANA écrit à sa femme: “Fé chérie, j’ai la chance, le ministre Straton… nous allons tous bien avec les enfants ne t’inquiète pas, … comme beaucoup d’autres familles… J’essaie tous les jours les téléphones mais ils sont toujours en panne… je ne saurais pas comment te le raconter…on n’a plus le temps de réfléchir sur ces choses-là… un jour peut-être qu’on pourra… si Dieu le veux.” et le 4 juin : “cette lettre tient lieu de testament, au cas ou il m’arriverait malheur … puisse…”. Et Maître BOURG de souligner: « Ah il est en sécurité monsieur Sosthène MUNYEMANA avec ses amis génocidaires qui tiennent le pays par le bout du nez! C’est ça la vie de Sosthène MUNYEMANA c’est pas autre chose, le reste c’est dans le film, c’est dans la tête des avocats généraux, mais la vraie vie c’est celle là. La vraie vie, c’est celle que je vous raconte, ce sont des lettres, pas des faux, non ».
Dès le 9 mai, il se sent menacé « alors qu’on ne vienne pas nous dire qu’il fuit avec les autres génocidaires… et bah oui il va se servir de ses relations et oui il connaît Jean KAMBANDA, c’est vrai il connaît Straton, c’est vrai, ces gens qu’il a rencontré dans les années 70… Il y en a un d’entre vous qui ne le ferait pas pour sauver sa famille? C’est ça la vie. C’est là la stratégie de survie… et si il faut se servir de ces mauvaises amitiés et bien on s’en sert. Et si il faut emmener un enfant de plus et bien on le fait. Et oui c’est la fille de Straton mais c’est des liens de famille, des liens bien avant tout cela ». Le 22 juin, ils partent avec Straton « parce qu’il faut traverser quand même jusqu’au Zaïre… Mais rien n’est simple dans cette sauvagerie ambiante. Même, même quand on a un ministre… Ils se font arrêter… on les fait descendre de la voiture et là, on regarde la fille de monsieur MUNYEMANA et là, même chose encore, elle est jolie cette petite, elle ressemble à une Tutsi. Et Je le sais, je la connais cette histoire parce que lui il n’arrive pas à la raconter mais moi je la connais. À ce moment-là ils mettent en joue Liliane qui a 12 ans à une barrière parce qu’elle ressemble à une Tutsi, elle est en joue, et lui il est là, il n’y a rien à faire, la sauvagerie est là mais elle n’a pas de limite. Il dit finalement on a réussi à s’en sortir, parce que Straton est revenu sur ses pas, il ne vous raconte pas l’histoire jusqu’au bout parce qu’à quoi tient la vie à ce moment-là? Les miliciens tiennent Liliane, ils l’ont sortie du véhicule, elle est emmenée pour être violée, pour être tuée? Et là cette gamine elle a une réaction d’angoisse incontrôlée, elle se met à rire, elle se met à rire et là les miliciens se disent : hein? Une fille qui rit, ça porte malheur, ouais c’est comme ça qu’ils sont sauvés… C’est ça. Non on n’est jamais en sécurité, jamais, jamais, jamais.
Ensuite il passe la frontière et la suite de l’histoire vous la connaissez. C’était l’histoire de monsieur MUNYEMANA et qu’on arrête de voir monsieur MUNYEMANA en feuilles de bananier le 24 juin à la cérémonie… qu’on arrête de dire qu’il était là à l’arrivée de Turquoise, à l’arrivée du FPR. Il est parti un peu tôt quand même, l’arrivée du FPR à Tumba c’est le 5 juillet donc qu’on arrête de dire “il est parti avec toute la clique”, c’est pas vrai ».
Et de conclure sur la fragilité des témoignages :
« Un témoin d’abord et spécialement dans ce dossier c’est fragile parce que ce sont des gens qui ont fait face à l’innommable, qui ont vécu l’innommable, qui ont vécu un génocide, avec tous les traumatises que ça peut impliquer, ce sont des gens qui ne savent pas où sont les corps de leurs proches, ce sont des femmes qui ont été violées, qui ont vu leurs enfants massacrés, comment leur demander effectivement d’avoir un témoignage parfait, c’est impossible.
La deuxième chose c’est le temps qui passe, 30 ans après les faits, c’est délicat, c’est difficile, mais c’est valable pour les deux parties.
Troisième chose, c’est une réalité c’est la mémoire collective. Ce sont les souvenirs qui se construisent par une parole collective. C’est une culture orale, les gacaca[9] en sont la démonstration. On est devant les gacaca et cette parole collective au fil du temps on peut la faire sienne et les propos qu’on a entendu d’un tiers, on peut la faire sienne. Un tel m’a dit que, le nombre de témoignages indirects que vous avez, un tel m’a dit que c’est de la répétition. Et il y a autre chose aussi, il y a des gens, ils ont vu des choses, il ne se sont pas trompés mais il les ont mal compris.
Et puis il y a autre chose aussi, il y a la contrainte, il y a la contrainte d’un régime qui impose une vérité et ça c’est une réalité aussi et il ne faut pas se cacher. Le principe même de la gacaca est un principe hautement louable et je pense que face à des crimes de masse comme est un génocide avec autant de tueurs, comment faire autrement que cette justice? Mais la limite c’est le régime politique. C’est le régime politique qu’on a et qui va orienter et menacer. Vous avez dans le dossier Evariste SENKWARE qui vous l’a dit, il ne fallait pas dire du bien de Sosthène MUNYEMANA, vous avez MURERA qui se souvient du témoignage de SENKWARE “il était hué…”. Ça n’empêche pas que le système soit bon mais il est sous la houlette d’une menace permanente et la contrainte d’un régime dans lequel on ne peut pas s’exprimer et toutes les organisations vous le disent. Il y a également une parole qui sur les gacaca, c’est le président de la gacaca de Sosthène MUNYEMANA, il a été acquitté en première instance il indique qu’il n’y avait pas de charges contre Sosthène MUNYEMANA mais que c’était difficile. Alors, vous avez vu le poids de la gacaca à RANGO, tout tient sur les témoignages de RURANGWA. Vous avez un système, rappelez vous de la BBC: on a un régime qui vous demande de ne pas critiquer le FPR. Vous avez des rapports d’Amnesty International, Human Rights Watch, qui vous disent “il vaut mieux garder le silence”.
Ces gens que vous avez vu ici ils sont venus en France tous ensemble, ils sont logés tous ensemble, ils sont repartis tous ensemble, imaginez “Ah bah oui moi j’ai dit du bien de Sosthène MUNYEMANA”, c’est pas possible dans ce système là, ce n’est pas possible ils sont dans le risque manifeste.
Je voudrais finir simplement pour vous dire qu’encore une fois vous avez à juger un homme, pas un dossier. Je voudrais vous dire que madame l’avocate générale et monsieur l’avocat général vous ont énuméré leur beau tableau de chasse, c’est bien parti la justice française, 2 condamnations par an. Il y a eu des non lieux au bout de 28 ans donc c’est pas un critère 28 ans d’instruction, c’est pas un critère ça, libérez-vous de ça. Et moi j’en appelle à votre intime conviction mais je voudrais aussi en appeler à votre liberté, on en a besoin dans ces dossiers rwandais. On a besoin de respirer dans ces dossiers rwandais. Faites la différence, prenez en compte l’humain et vous acquitterez monsieur Sosthène MUNYEMANA. »
Plaidoirie de maître Jean-Yves DUPEUX.
« J’ai la voix tremblante pour beaucoup de raisons » commence maître DUPEUX. Il a été sous le charme de la plaidoirie de sa collègue, maître BOURG. Mais il est surtout en colère, faisant allusion au réquisitoire des avocats généraux, à cause d’une « construction froide, destructrice, par une série d’acrobaties » auxquelles se sont livrés les avocat(e)s généraux. Ces derniers se sont livrés à des « travestissements d’un homme qui s’est très bien comporté » et contre lequel on a requis trente ans de réclusion criminelle. « J’ai la voix brisée, nous nous connaissons depuis 28 ans, 28 ans que nous portons le cas de Sosthène MUNYEMANA. On a eu le temps de se convaincre, de parler. »
Une grande émotion aussi car maître DUPEUX annonce qu’il fera ce soir sa dernière plaidoirie. Il se retire du barreau.
L’avocat de la défense annonce qu’il va développer trois points importants:
- la construction d’un dossier entièrement tourné vers l’accusation.
- l’absence totale de volonté de participer au génocide de la part de Sosthène MUNYEMANA.
- insistance sur le doute qui irrigue ce dossier dans toutes ses dimensions.
1) La construction d’un dossier entièrement tourné vers l’accusation. Ce dossier est mal parti. Et l’avocat d’évoquer le démarrage de la plainte, à Bordeaux, en 1995, alors que l’accusé, ayant retrouvé des compatriotes, va donner deux conférences sur la façon dont il voit le Rwanda nouveau, suite à des contacts qu’un certain James a pris avec des activistes d’un Collectif girondin. Pour Sosthène MUNYEMANA, il faut en revenir aux accords d’Arusha. Dès son retour au Rwanda, d’ailleurs, il veut s’inspirer des idées de démocratie qu’il a vécues en France, avec l’espoir de vivre cette démocratie dans son pays d’origine.
Mais les propos qu’il tient semblent ne pas plaire à ses anciens amis. Une plainte es déposée en novembre 1995: » Ca part très mal! » Et l’avocat de dénoncer le rôle du couple DUPAQUIER dont il va dénoncer l’incompétence dans cette affaire, un journaliste qui va signer une plainte dont il ne connaît pas le contenu.. Et puis, y est joint un « faux » des Nations Unies, sans oublier la présence d’un second document qui émanerait de la gendarmerie, un document qui ne sera jamais authentifié malgré la promesse des plaignants. Sans oublier encore un dernier document qui va donner « une réputation de génocidaire » à son client, celui publié par African Rights, » Sosthène MUNYEMANA Le boucher de Tumba« .
Une plainte saugrenue, donc, qui crée une atmosphère toxique pour toute l’instruction du dossier. En 1996, cette plainte remonte à Paris rejoindre toutes les autres à cause de l’adoption de la loi de compétence universelle dont l’avocat rappelle les principes: des crimes commis à l’étranger, par des étrangers sur des étrangers, à condition, mais je crois que l’avocat oublie de le préciser, que l’accusé se trouve résider sur le territoire français.
Et puis, un nouveau rebondissement avec la plainte du CPCR, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda. Alain et Dafroza GAUTHIER vont prendre l’affaire en mains. Lui a vécu de nombreuses années au Rwanda (NDR. J’ai vécu à Save de septembre 1970 à juillet 1972). Ils ont dans ce pays de nombreuses relations qui leur donnent beaucoup de facilités. Ils reçoivent une aide formidable de la part de la justice rwandaise. Ils vont parcourir le pays à la recherche uniquement des témoins à charge que personne ne connaît. (NDR. Lors de mon audition du 8 décembre, j’avais manifesté mon étonnement auprès de maître DUPEUX qui m’avait interrogé sur le sujet et j’avais cru bon de lui préciser que nous n’étions pas des juges d’instruction. Je pensais qu’il avait compris. Mais il revient maladroitement à la charge.)
Pour l’avocat, ce sont des entraves à la manifestation de la vérité. Ce procès est biaisé. On ne peut pas se satisfaire d’une telle situation.
Maître DUPEUX aborde le thème des barrières et des rondes mais sans s’y appesantir dans la mesure où sa collègue a longuement traité le sujet. Il ne peut toutefois s’empêcher d’insister sur le témoignage de Laurien NTEZIMANA qui est allé sur les barrières pour protéger les Tutsi cachés chez lui (NDR. Et qui a fait de MUNYEMANA un anti-héros!)
2) L’absence d’élément intentionnel chez Sosthène MYNYEMANA lors du génocide.
« J’ai peine à croire qu’on puisse prêter à MUNYEMANA cette intention criminelle. Il n’y a dans le dossier aucun élément matériel (qui puisse le compromettre). Il est tout, sauf un ethniciste, fréquente aussi bien les Tutsi que les Hutu, ne connaît pas l’ethnie de ses patients à l’hôpital. A l’Université, il va demander l’anonymisation des copies. Il est anti-ethniciste comme on est anti-raciste. » Et de poursuivre: « Il ne peut pas avoir d’intention de destruction, ni dans la tête, ni dans le cœur. »
Non seulement Sosthène MUNYEMANA va accueillir beaucoup de réfugiés chez lui mais encore il va suivre une de ses patientes et pratiquer une césarienne. « Cette femme est Tutsi et va mettre au monde un enfant Tutsi! (NDR. C’est FAUX! Son mari étant Hutu, son enfant, selon la culture rwandaise, sera lui aussi Hutu).
Entendre dire que tous les génocidaires ont sauvé des Tutsi, argument très souvent avancé, cela l’énerve.: « Je déteste ce raisonnement » tonne-t-il.
3) La notion de doute.
A l’adresse des jurés, il leur rappelle qu’ils ont prêté serment. Ils auront à procéder à un examen scrupuleux des charges, et le doute doit profiter à l’accusé. Or, dans ce procès, il n’y a que des témoignages dont beaucoup sont « biaisés« . Biaisés à l’égard de la mémoire, le génocide ayant été perpétré voici bientôt trente ans; biaisé à l’égard de la culture rwandaise, un pays où le témoignage colle à la rumeur. Biaisé, parce que le témoignage individuel rejoint une version collective, d’où un effet d’entraînement: c’est un piège. Biaisé aussi parce que le témoignage peut être causé par le ressentiment des victimes. Et d’ajouter: » Je me méfie des associations qui vont à la pêche des témoins (NDR. Suivez mon regard) et de cet Etat totalitaire qui maintient une pression sur les témoins! Les associations récolteraient des témoignages qui sont « formatés ».
Ce sont donc autant d’éléments qui mettraient en doute chaque témoignage. Et de rappeler, pour presque s’en gargariser, la réflexion de madame Diana KOLNIKOV: » Les victimes ne sont pas des saints. » (NDR. Qui l’a jamais prétendu?) L’avocat de revenir alors sur le témoignage de cet homme récemment sorti de prison, Alfred MAGEZA, qui ne cesse de se contredire. D’ailleurs, selon l’avocat, la Cour d’appel de Paris a évoqué « ces témoignages farfelus » Il évoque aussi le point de vue différent de deux enquêteurs, Patrick GEROLD et Olivier GRIFOUL concernant les rapports de la justice rwandaise et ceux de la justice française, l’un soulignant les différences, l’autre y voyant plutôt de grandes concordances. Et pourtant, soutenant l’avis du premier, » Monsieur GEROLD n’est pas n’importe qui, c’est un directeur d’enquête! » Deux enquêteurs qui n’ont pas le même avis, « c’est l’archétype du doute. C’est ENORME ».
Le bureau de secteur, dont on a tant parlé: refuge ou prison? Sosthène MUNYEMANA y enfermait les réfugiés pour les protéger, pour qu’ils ne soient pas assassinés. Maître DUPEUX de rappeler qu’on a pris soin de ne pas leur donner l’adresse de monsieur GEROLD pour ne pas le faire citer (NDR. L’accusation a déjà contesté cette affirmation: ils n’ont pas trouvé la nouvelle adresse du gendarme!)
Il y aurait eu plusieurs clés? Il y a là aussi un doute énorme. Et puis, qu’est-ce qu’on pouvait faire? Que pouvait faire Sosthène MUNYEMANA? C’est un médecin qui a fait le serment d’Hyppocrate. S’il n’avait pas fait ça, (enfermer les Tutsi?), les réfugiés auraient été tués. Lui-même ne serait peut-être pas là aujourd’hui.
Aux jurés, de nouveau. » Vous êtes une cour d’assises ordinaire. Il n’y a rien dans le dossier et vous devez juger avec rien. C’est IMPOSSIBLE. N’oubliez pas votre serment. S’il y a un doute, on ne peut pas condamner. Or, il y a un doute absolu. Je fais appel à vous. Je vous en supplie, prenez cela en considération avant de voter. Votez NON! NON! NON! à chaque fois. C’est ce que vous devez faire » Et surtout ne pas oublier les qualités exceptionnelles de Sosthène MUNYEMANA rapportées par ses deux collègues: « J’ai été convaincu par ses deux chefs de service. On a du mal à imaginer cet homme-là porte-drapeau d’une idéologie génocidaire. C’est INIMAGINABLE! »
Encore deux ou trois choses avant de conclure.
« Je vous rappelle votre serment. On ne peut pas condamner un homme avec de tels doutes. Tout le monde réclame la justice.. La justice, ce n’est pas un mot, c’est une valeur morale qui fait partie intégrante de notre pacte social. »
Et pour toucher le coeur des jurés, maître DUPEUX souhaite leur partager trois moments de forte émotion.
Tout d’abord celle qu’il a éprouvée devant le témoignage de Gustave, le fils de l’accusé, un jeune homme sain, intelligent, qui affirme que son père l’a élevé dans le respect des valeurs humanistes: « J’espère que vous vous en souvenez« , ajoute l’avocat.
Puis lorsque MUNYEMANA a évoqué, sur l’insistance de ses avocats, de son épouse et de sa fille, l’épisode au cours duquel Liliane a failli être assassinée dans l’enclos même de sa maison alors que les miliciens étaient à la recherche de la jeune employée tutsi. Ce jour-là, l’accusé a rompu l’armure.
Enfin l’émotion ultime et peut-être la plus forte, après le témoignage de madame Dafroza GAUTHIER. Sosthène MUNYEMANA ayant été appelé à réagir dira en substance des choses extraordinaires: » Les amis de madame GAUTHIER étaient aussi les miens. KARENZI et autres Tutsi, Laurent (NDR: dont il ne se souvient plus du nom. Il s’agit de Laurent NKUSI, professeur à l’Université qui se trouvait alors en France mais dont Germaine, son épouse, a été tuée à Tumba avec deux de ses enfants. Seules leurs deux jumelles seront jetées vivantes dans une fosse commune, récupérées par la Croix Rouge et transportées à Bujumbura où une femme les récupèrera et voudra les garder lorsque Laurent reviendra. J’avais retrouvé Laurent sur les bancs de la faculté de Nice, en 1973, où il faisait des études)
« Nous pleurons les mêmes morts, avait ajouté MUNYEMANA. Ce génocide nous a cassés ».(NDR. Maître DUPEUX omet de citer la dernière phrase de l’accusé qui a profondément choqué mon épouse: » Nous devrions nous embrasser! Cela viendra peut-être un jour! » (NDR. Je cite de mémoire.)
Pour conclure, maître DUPEUX adresse ses remerciements aux jurés (NDR. Qui le méritent bien vu leur application à prendre des notes, à poser des questions), au président, ceci dit « sans flagornerie« . Et d’ajouter en direction des jurés: » Nous vous faisons confiance« .
Monsieur le président rappelle à Sosthène MUNYEMANA qu’il sera entendu le lendemain à 9 heures, pour la « dernière parole donnée à l’accusé« , selon la tradition de la cour d’assises. Puis le jury se retirera pour délibérer.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
- Voir l’audition de Daphrose BAZIZANE, citée par la défense, sur pouvoir discrétionnaire du président, en visioconférence de Grande-Bretagne.[↑]
- Jean KAMBANDA : Premier ministre du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[↑]
- MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[↑]
- Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. À partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et dite « modérée », rapidement mise à mal, cf. glossaire.[↑]
- GIR : Gouvernement Intérimaire Rwandais pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide.[↑]
- voir l’audition de Johan SWINNEN, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 à 1993. Cité par la défense sur pouvoir discrétionnaire du président.[↑]
- Jean-Baptiste HABYARIMANA (ou HABYALIMANA) : le préfet de Butare qui s’était opposé aux massacres est destitué le 18 avril puis assassiné (à na pas confondre avec Juvenal HABYARIMANA).[↑]
- Laurent BUCYIBARUTA, condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour complicité de génocide et de crime contre l’humanité à l’issue de deux mois de procès aux assises de Paris, du 9 mai au 12 juillet 2022. Décédé le 6 décembre 2023, il avait fait appel de cette décision ainsi que le parquet.[↑]
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[↑]