Procès MUNYEMANA du jeudi 7 décembre 2023. J18


Audition de monsieur Yves GASAMAGERA, cité par la CRF sur pouvoir discrétionnaire du président.

Mr GASAMAGERA est un rescapé du génocide à Tumba.

Il avait 7 ans en 1994 lorsqu’un jour son père sort de chez eux et ne rentrera plus jamais à la maison. Ce soir-là, un voisin ami de ses parents est venu chez eux. Il a aidé sa mère à le cacher avec son petit frère de 5 ans dans une maison en construction dont les ouvertures étaient fermées par des briques adobes. Il en a retiré quelques unes pour les faire rentrer à l’intérieur avant de les remettre en place pour les enfermer. Durant les quelques jours où le témoin est resté là avec son frère, ce voisin et sa femme leur apportaient à manger.
Il les a ensuite déplacés à l’hôpital de KABUTARE où travaillait leur mère comme infirmière. Là-bas une dame les a cachés, avant de les déplacer à nouveau chez un monsieur à NGOMA lorsque les militaires blessés sont arrivés dans l’établissement.
Lorsque cet homme a fui avec sa famille face à l’imminence de l’arrivée du FPR[1] dans la région, les deux enfants et leur mère sont allés se réfugiés dans une localité à proximité où les militaires de l’APR les ont trouvés.

Ils se sont rendus à Tumba après le génocide pour tenter de trouver des survivants de leur famille. Ils ont pu enterrer leurs grands-parents, massacrés chez eux, mais n’ont jamais retrouvé les corps de leur père et de leur oncle.

La mère de Mr GASAMAGERA est décédée quelques temps après le génocide. Désormais orphelins, lui et son petit frère ont grandi difficilement, dans des conditions précaires, leur famille ayant été dépouillée de tous ses biens par les pillages. Pour ce témoin, les difficultés auxquelles ils ont été confrontés en grandissant ne sont dues qu’au fait d’être né Tutsi, ce qu’ils n’ont même pas choisi.

 

Audition de madame Claire UWABABYEYI, citée par la CRF, sur pouvoir discrétionnaire du président.

Mme UWABABYEYI avait 17 ans lors du génocide.

Elle fait partie des milliers de Tutsi réunis par les autorités sur la colline de Kabakobwa dont la plupart a été massacrée. Une grande partie de sa famille a péri ce jour-là. Les survivants ont été amenés à une fosse pour être achevés. Un Interahamwe[2] la voulant pour femme l’a obligée à venir avec lui et Mme UWABABYEYI a réussi à lui faire accepter d’emmener avec eux son petit frère et son petit cousin de 8 et 6 ans.
Quand au bout de quelques jours cet Interahamwe a voulu tuer ces deux garçons, elle s’est enfuie avec eux et ils sont parvenus à rejoindre leur localité de Sahera où ils se sont réfugiés chez un ami de leurs parents Hutu. Celui-ci réussit à leur faire obtenir des papiers pour qu’ils se rendent à la préfecture de Butare.
Ils sont parvenus à se rendre jusqu’à la barrière de SINDIKUBWABO à Tumba. C’est à cet endroit que son frère et son cousin sont morts. C’est aussi là qu’elle rapporte avoir vu Mr MUNYEMANA. Il parlait aux jeunes Interahamwe qui acquiesçaient à ce qu’il disait. Bien qu’elle n’ait pas entendu ce qu’il disait, la témoin affirme que c’est lui qui semblait donner les ordres. Mme UWABABYEYI ne le connaissait pas mais les Interahamwe l’avaient appelé par son nom et une autre jeune fille avec qui elle a fait une partie de chemin l’a identifié en lui disant qu’il était docteur à l’hôpital universitaire. Aujourd’hui à l’audience, elle atteste au président reconnaitre l’accusé, bien qu’elle précise qu’il a vieilli.

Mr MUNYEMANA affirmera ne s’être absolument jamais rendu à la barrière de SINDIKUBWABO.

 

Audition de madame Marie-Rose UWASE UMUGWANEZA, citée par la CRF, sur pouvoir discrétionnaire du président.

Le témoin, après avoir dit qu’elle avait perdu son père et trois autres membres de sa famille dans le génocide à Tumba, va tracer « le chemin de (ma) sa vie ». Elle énumère alors tous les défis auxquels sa mère et sa famille ont dû faire face: blessures physiques et morales, emprunt contracté par son père et qu’il faut rembourser, difficultés pour faire des études, querelles familiales.

Monsieur le président se permet alors de rappeler à Marie-Rose UWASE UMUGWANEZA qu’on juge Sosthène MUNYEMANA. Il veut savoir si elle a quelque chose à raconter sur l’accusé. Mais elle reprend l’histoire de sa famille et parle du traumatisme de sa mère.

Sur question du président, elle parle de réconciliation et des problèmes que cela pose. Puis parle du pillage du magasin que sa mère tenait;

Monsieur le président reprend la main: « Je ne sais pas si votre avocat vous l’a dit, mais nous ne sommes pas saisis des faits que vous évoquez ».

Maître GISAGARA tente de donner des explications quant au choix des témoins appelés à venir à la barre: « C’est la CRF (Communauté Rwandaise de France) qui a choisi les témoins qui devaient venir témoigner. Des soi-disant experts viennent témoigner. Nous pensons qu’il vaut mieux faire entendre des jeunes qui connaissent le Rwanda aujourd’hui ».

C’est madame l’assesseur qui reprend la balle au bond: « Puisque votre avocat vous a demandé de témoigner pour faire connaître le Rwanda d’aujourd’hui, comment vivez-vous cet après-génocide, dans la vie courante, dans votre travail… »

Le témoin: « Après le génocide (NDR. Le témoin avait deux ans en 1994) j’ai eu la chance d’aller à l’Université. Ce qui ne fut pas le cas pour mes grandes sœurs ».

Maître GISAGARA reprend la main, souhaite que le témoin parle de l’efficacité des Gacaca[3]. Cette dernière dit que cela ne lui a rien rapporté, réponse que n’attendait pas l’avocat. En l’interrogeant sur l’importance des commémorations, il obtiendra une réponse plus détaillée: événements indispensables, temps de partage avec d’autres rescapés, écoute des témoignages, voie vers l’unité et la réconciliation, temps qui brise la solitude, qui libère.

 

Projection d’une interview de Paul RUSESABAGINA après son retour aux Etats Unis et son séjour en prison au Rwanda. En lieu et place de l’audition qui avait été prévue en visioconférence des USA où il est réfugié, et à la demande de la défense.

Aucune des autres parties ne souhaitant poser des questions, monsieur le président souhaite que l’on diffuse une interview de Paul RUSESABAGINA, « un héros » du Rwanda, dira maître BOURG, l’avocate de l’accusé. (NDR. À noter que monsieur RUSESABAGINA, appelé à témoigner par la défense, a finalement refusé d’intervenir en visioconférence, après en avoir échangé avec son avocat. C’est en tout cas la version officielle). Mais avant la diffusion, maître BOURG va faire une longue introduction pour présenter ce « héros fabriqué par le cinéma américain ». Elle ne tarit pas d’éloge, dresse une biographie « mythologique » du gérant de l’Hôtel des Mille Collines. Ahurissant quand on connaît la véritable version. (NDR. Les avocats des parties civiles ne se priveront pas de rétablir la vérité).

Sur un ton monocorde, RUSESABAGINA va sortir tous les poncifs concernant son pays d’origine: « Les Rwandais sont prisonniers dans leur propre pays (…) J’ai reçu la Médaille de la liberté présidentielle aux USA. La prison à laquelle j’ai goûté près de trois ans? le pire système carcéral« . Il a été victime d’un kidnapping, ce qui est vrai, a subi l’emprisonnement et la torture. Pour conclure par ces mots: « Le Rwanda, c’est l’enfer. » (NDR. Concernant le kidnapping dont monsieur RUSESABAGINA a été victime. Lorsque, le 11 mai 1960, les Israéliens ont kidnappé  le criminel de guerre nazi Adolf EICHMANN en Argentine, le monde entier n’exprimait-il pas son admiration pour le coup d’éclat des services secrets israéliens? Quand il s’agit du Rwanda, on n’hésite pas à dénoncer. Deux poids deux mesures. Et le prisonnier n’a pas été relâché).

Maître FOREMAN ne peut laisser passer de telles inepties: ce monsieur a acquis la notoriété grâce à un film. Il faisait payer les chambres aux réfugiés de l’Hôtel des Mille Collines et chassait ceux qui ne pouvaient régler la note. Il aurait reconnu avoir financé des terroristes…  Et puis, à l’adresse des avocats de la défense, il se demande ce que ce film vient faire dans ce procès. Sosthène MUNYEMANA veut faire croire qu’il était torturé? Il est libre depuis près de trente ans et n’a jamais été kidnappé! Ce document n’est rien moins qu’une propagande contre le régime de Paul KAGAME.

Maître GISAGARA souhaite donner plus de détails en lisant des extraits d’un article de Libération daté du 17 septembre 2021 intitulé « La guérilla d’un ancien héros d’Hollywood » dans lequel on déconstruit le mythe RUSESABAGINA[4].

L’avocat de la CRF évoque aussi le témoignage donné en Grande Bretagne dans le cadre d’un procès de quatre ressortissants rwandais dont le Rwanda demandait l’extradition. Ses propos sont édifiants.

Maître DUPEUX tient, comme la loi le lui permet, à prendre la parole en dernier. Il rappelle l’audition de Laurien NTEZIMANA devant la cour, mardi 5 décembre, en visioconférence de Kigali[5]. Ce « Juste du Rwanda », comme le nomme l’avocat, avait été inquiété entre 1995 et 1999 pour avoir écrit un article qui ne plaisait pas à certaines autorités (NDR. L’avocat de la défense oublie de dire que le témoin avait été acquitté.) Et maître DUPEUX d’ajouter que le procès de RUSESABAGINA a été critiqué partout, jusqu’au Parlement Européen:  »  Nous sommes dans un procès injuste et inéquitable, la marque de fabrique du Pays des Mille Collines. »

 

Audition de monsieur Marcel KABANDA, président d’IBUKA France, partie civile au procès.

Monsieur KABANDA commence par présenter l’association dont il est président, IBUKA, « Souviens-toi » créée en 2002. Il existe plusieurs sections dans le monde, chacune ayant son propre fonctionnement et son indépendance, mais toutes ayant le même objectif: le soutien aux rescapés du génocide des Tutsi et la mémoire. Des liens existent bien sûr avec IBUKA au Rwanda. Comme le CPCR, et parfois avec lui, IBUKA intervient dans le domaine de l’information et de l’éducation. (NDR. De nombreux établissements, au sein desquels se mobilisent des professeurs engagés, font appel à nos associations).

Après 1994, beaucoup de personnes qui auraient participé au génocide des Tutsi ont profité du chaos pour quitter le pays. Le rescapé, resté au pays, n’a aucune prise sur ces personnes qui ont fui: « Il faut bien que quelqu’un s’en occupe. »

Monsieur KABANDA précise que l’association qu’il préside n’est jamais allée sur le terrain pour enquêter. Sur question de monsieur le président, il dira qu’ils « n’ont pas la capacité de le faire« . Et de remercier le CPCR engagé dans ce travail de recueil des témoignages et à l’origine de toutes les plaintes depuis 2001 (NDR. Le Parquet a pris l’initiative d’initier des poursuites à partir de 2019, avec l’affaire Thomas NTABADAHIGA.)

Enfin, le président d’IBUKA insiste sur un de ses objectifs prioritaire: la préparation des commémorations chaque année, au mois d’avril. Cette année, une stèle sera inaugurée sur les quais de Seine, avec le soutien de la Ville de Paris.

 

Audition de madame Dafroza MUKARUMONGI GAUTHIER, co-fondatrice du CPCR.

 

En cours de rédaction

 

Alain GAUTHIER

Margaux MALAPEL, bénévole

Jacques BIGOT, notes et présentation

  1. FPR : Front Patriotique Rwandais[]
  2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  3. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012, cf. glossaire.[]
  4. Rwanda : la guérilla d’un ancien héros de Hollywood financée depuis l’Europe, Libération, 17/9/2021[]
  5. voir l’audition de Laurien NTEZIMANA, 5/12/2023[]

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