Procès MUHAYIMANA: mercredi 1 décembre 2021. J8


Audition de monsieur Alexis KABAGEMA, détenu à la prison de Muhanga, en visioconférence.

Point de droit. Le témoin ayant été condamné pour des faits connexes (semblables)  à ceux pour lesquels l’accusé est jugé, il n’aura pas à prêter serment. Ce sera le cas pour d’autres témoins.

Le témoin raconte un fait qui sera repris par de nombreux autres: le meurtre de madame NYIRAMAGONDO, de sa fille et de son petit fils. Une voiture conduite par Claude MUHAYIMANA est arrivée. A l’arrière, de nombreuses chèvres volées, une femme, sa fille et un enfant. Emmanuel TWAYIGIRA, qui sera appelé à témoigner plus tard[1], s’adresse au groupe déjà présent sur les lieux: « Les gars, vous n’avez pas tué les Tutsi? Vous savez comment on tue les Tutsi? Laissez-moi vous montrer. »

« TWAYIGIRA Emmanuel est descendu de la voiture, machette à la main. Il a découpé la vieille, la fille et le petit garçon. La voiture est repartie », précise le témoin.  » Un ou deux jours plus tard, une voiture Daihatsu bleue conduite par l’accusé est arrivée avec à son bord des gendarmes, des hommes et des jeunes gens. Tous sont partis jusqu’à Gasengesi. Les gendarmes ont commencé à tirer sur les Tutsi rassemblés plus haut qui se sont défendus en descendant même vers eux. Le gendarme MWAFRIKA y a perdu la vie.

Le conseiller François NAMBAJIMANA a organisé une réunion pour mettre un plan en pratique. Ils sont même allés chercher des renforts dans d’autres communes. Ils sont alors partis à Gitwa pour tuer. Arrivés à Karongi, le bourgmestre tient à son tour une réunion: « Celui qui a peur peut rentrer chez lui » déclare-t-il. « Que personne ne prenne de vaches ou de chèvres avant de tuer les Tutsi. »

Pour éviter de s’entretuer (car les Tutsi fondaient sur eux pour combattre corps à corps) « que chacun s’entoure le corps de feuilles de bananier pour se reconnaître » leur précise-t-on. On leur donne aussi un mot de passe: « Si vous croisez quelqu’un, prononcez le mot « Butare ». S’il répond « Kibuye, » il est des vôtres. » S’en suivra un combat acharné contre les Tutsi.

Sur questions du président. Il ne connaissait pas Claude MUHAYIMANA mais ceux qui le connaissaient ont dit que c’était lui. C’est le lendemain que MWAFRIKA sera tué, le véhicule qui est arrivé était toujours conduit par l’accusé.

Le témoin d’ajouter: « Ces choses qui se sont passées sont atroces. J’ai demandé pardon car c’est un crime qui dépasse l’entendement. Ce compagnon (NDR. L’accusé) devrait aussi demander pardon car sans tuer il conduisait les tueurs. Il est co-auteur. »

Sur question du ministère public, le témoin précise que MWAFRIKA était mort d’une grenade que lui-même avait lancée et qu’un jeune Tutsi avait renvoyée.

La défense s’étonne que le témoin, qui a plaidé coupable, n’ait pas bénéficié d’une remise de peine. Il purge une peine de trente ans de prison.

Audition de monsieur Gaëtan RUTAZIHANA, détenu à la prison de Muhanga, en visioconférence.

Monsieur le Président, en début de séance, annonce que le juré numéro 4 ne siègera plus pour cause de maladie. Il sera remplacé par le juré remplaçant numéro 1.

Le témoin purge une peine de réclusion à perpétuité. « On a tué nos compatriotes en 1994. On a été emprisonnés et avons demandé pardon au peuple rwandais qui nous a pardonné. Mais j’ai été condamné pour une deuxième affaire. »  Lors de la construction de l’agrandissement de l’hôpital, on a découvert une fosse commune. Interrogé, le témoin a dit que les victimes de cette fosse étaient des Hutu morts dans le cachot communal. Convaincu de mensonges, le témoin et ses co-accusés ont été condamnés à perpétuité. Il donnera plus de précisions lorsque monsieur le Président le questionnera sur ces faits.

Le témoin s’empêtre dans ses réponses. Pour la défense, il a menti. Dans son audition par les enquêteurs français en 2014, il avait accusé Claude MUHAYIMANA, mais pas pour obtenir une réduction de peine. Il n’a pas non plus subi de pressions.

 

Audition de monsieur Louis MUSABYIMANA, alias MIDO.

Le témoin fait partie des gens qui ont plaidé coupables. Il a été condamné à 14 ans de réclusion. Il a connu Claude MUHAYIMANA lorsque ce dernier travaillait à la Guest House de Kibuye. C’est d’ailleurs pour des faits commis dans cet hôtel qu’il a été jugé et condamné, ainsi que pour sa présence au stade Gatwaro.

C’est suite à des réunions organisées par le préfet Clément KAYISHEMA, puis par le bourgmestre Augustin KARARA, que l’ordre de tuer sera donné. A ces réunions, il note la présence du directeur de l’hôpital monsieur Charles TWAGIRA. Ce serait le gérant de la Guest House de Kibuye qui auraient donné cet ordre de tuer un employé, Anaclet. Ce dernier était rescapé de l’église. Il était venu se cacher à la Guest House. Selon le témoin, Claude MUHAYIMANA aurait été présent et aurait participé au meurtre. Le témoin avait accusé Claude d’avoir aussi  participé au meurtre de MASENGESHO, mais il avait avoué s’être trompé.

Monsieur le Président précise que Claude MUHAYIMANA a bénéficié d’un non-lieu pour ce crime.

Selon le témoin, Claude MUHAYIMANA a conduit une Daihatsu bleue volée à Bongo Bongo pendant le génocide. Il a transporté les tueurs à Bisesero. Il l’a vu le jour où ils ont ramené la tête de Jean Marie Vianney BIGILIMANA. C’est l’accusé qui, avec Stanislas MBANENANDE en particulier, choisissait ceux qui devaient partir avec lui. Et de préciser que Claude n’a jamais été contraint de conduire. Aucun chauffeur n’a été tué pour avoir refusé.

Quand ils partaient, ils chantaient qu’ils allaient exterminer les Tutsi.

Le témoin sait que MUHAYIMANA a conduit le corps d’un gendarme  mais que son absence n’a pas excédé deux ou trois jours. Il n’a jamais su si l’accusé avait accompagné des soldats français de l’Opération Turquoise.

Louis MUSABYIMANA reconnaît avoir été contacté par téléphone par l’accusé. Il déclare que Claude MUHAYIMANA ferait mieux de reconnaître le génocide plutôt que d’embrouiller la Cour. Ce dernier prétend que c’est le témoin qui l’a contacté et qu’il aurait été obligé de l’accuser pour obtenir sa libération. Le témoin dément et précise que c’est pour avoir plaidé coupable qu’il a obtenu une réduction de peine: « J’ai plaidé coupable pour assumer ce que j’ai fait et être puni par la loi. »

Le témoin reconnaît avoir été contacté par une avocate de Kigali (Antoinette MUKAMUSONI) qui lui a offert de l’argent pour changer ses déclarations au sujet de l’accusé. Elle venait mandatée par Claude MUHAYIMANA.

La défense veut savoir s’il a rencontré Alain GAUTHIER en août 2012.  Il répond par la négative. Il le connaît pour l’avoir entendu à la radio. Il a rencontré un Blanc avec une femme rwandaise. L’avocat du CPCR éclaire alors la Cour. Lorsque Dafroza et Alain GAUTHIER ont rencontré le témoin, ils n’avaient pas dit qu’ils étaient en couple. Madame GAUTHIER se présentait comme l’interprète. Raison pour laquelle le témoin a répondu ainsi.

 

Audition de monsieur Esdras NGENDAHAYO, pasteur, comptable du Guest House.

Après avoir remercié la Cour, le témoin ajoute que la justice est essentielle et que quelqu’un qui a mal agi peut demander pardon.

Il ne sait pas si des réunions avaient été organisées à la Guest House mais il avait appris qu’un employé, Anaclet MUNYANKINDI avait été tué. Il ne savait pas s’il était Hutu ou Tutsi, sa famille ne lui ayant pas appris à faire cette distinction. Il ne sait pas ce qu’est devenu le gérant Tatien avec lequel la famille de Claude MUHAYIMANA serait partie. Il ne sait pas non plus si l’accusé a servi les militaires français de Turquoise[2]. D’ailleurs, pendant le génocide, il ne sortait pas de chez lui ayant peur qu’on l’oblige à tuer. Il s’est réfugié au Congo, au camp de Kashusha, jusqu’à sa destruction. C’est en 1999 qu’il est revenu au Rwanda.

Il a bien entendu parler des attaques dans la préfecture de Kibuye. De chez lui, il voyait des feux allumés sur les collines. De retour chez lui, il a appris de son beau-frère que le fils de MURAKAZA transportait des Interahamwe[3]. Par contre, il n’a rien su de Claude MUHAYIMANA.

On pourrait penser, à ce stade de l’audition, que ce témoin n’était pas très utile. Mais on va lui présenter un « ordre de mission » dont Claude MUHAYIMANA vient de donner l’original. Il n’avait jusqu’à ce jour fourni qu’une copie. Monsieur  le Président et le ministère public s’étonnent que l’accusé et ses avocats ne fournissent l’original qu’aujourd’hui. Il aurait dû être versé il y a bien longtemps.

Ce document, qui se révèlera un faux, avait été fourni par l’accusé pour justifier son absence de Kibuye lors des grands massacres de la ville. Du 14 au 27 avril, il aurait conduit le corps du gendarme MWAFRIKA à Ruhengeri pour qu’il y soit inhumé. C’est l’alibi qu’il avait donné.

Le comptable n’a jamais vu un tel document. Il explique alors la procédure en cas de mission. Rien ne correspond à ce qui aurait dû être fait. « Un document curieux, un document qui pose question. » déclare le témoin. Claude MUHAYIMANA tente de donner des explications mais il s’embrouille. Cet ordre de mission est manifestement un faux.

L’accusé avait déclaré que s’il était resté si longtemps à Ruhengeri c’est parce que la ville était coupée en deux, une partie occupée par les FAR[4] une autre par le FPR[5], et qu’il était donc difficile de circuler. Une explication qui, là encore, ne tient pas la route.

L’accusé ajoutera qu’à son retour de Ruhengeri il a été malade, qu’il est resté chez lui jusqu’à l’arrivée des Français. Ce qu’aucun autre témoin, dont son épouse qui sera entendue le mardi 7 décembre, ne confirme. Probablement un mensonge de plus.

Interrogé sur ce fameux « ordre de mission », Claude MUHAYIMANA dira que c’est son épouse qui le lui avait amené alors qu’il était au Kenya en 1998. Il conserve depuis tous ses papiers dans une valise que les enquêteurs n’ont pas pris lors de la perquisition effectuée à son domicile.

Nous attendrons le témoignage de Médiatrice MUSENGEYEZU, son épouse, qui devrait apporter quelques éclaircissements précieux.

L’audience est suspendue.

Alain GAUTHIER

  1. voir le compte rendu de son audition du 3 décembre[]
  2. Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994. Lire également le témoignage de Patrick de SAINT-EXUPÉRY[]
  3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  4. FAR : Forces Armées Rwandaises[]
  5. FPR : Front patriotique Rwandais[]

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