- Audition de monsieur Jean-Paul MWONGEREZA. Détenu à la prison de KARUBANDA, à BUTARE. En visioconférence.
- Audition de monsieur Jean-Damascène GAHUNZIRE. En visioconférence du Rwanda.
- Audition de madame Marie-Grâce MUKANTARINDWA, rescapée. En visioconférence du Rwanda.
- Audition de monsieur Michel KAYITABA, rescapé. Partie civile.
Audition de monsieur Jean-Paul MWONGEREZA. Détenu à la prison de KARUBANDA, à BUTARE. En visioconférence.
Un témoin qui va avoir du mal à reconnaître les propos qu’il a tenu devant les enquêteurs français et à qui le président va devoir tirer les vers du nez.
Il habitait près de la barrière de KABEZA, mais lorsqu’il se rendait dans ce petit centre de négoce, c’était pour y faire ses courses. Il a bien vu qu’on demandait les cartes d’identité des gens qui passaient, qu’on y tuait les Tutsi[1]. Lorsque monsieur le président lit ses déclarations devant les enquêteurs français, il les conteste et dit qu’on n’a pas retranscrit les propos qu’il a tenus: « Une partie ne correspond pas à ce que j’ai dit » répètera-t-il à plusieurs reprises.
Concernant l’événement de la venue de Madeleine RAFFIN, monsieur le président lit un passage du livre que la responsable de la CARITAS écrira plus tard: « Rwanda. Un autre regard ». Elle voulait se rendre à MURAMBI pour secourir les réfugiés, accompagnée de trois gendarmes.
« Parvenue à proximité de l’entrée du camp, nous nous trouvâmes face à face avec un grand nombre de gens, armés de bâtons et machettes. Deux gendarmes sont sortis de la voiture pour parlementer avec le chef de bande et l’autre est resté dans la voiture. Ce chef de bande était un ancien sous-préfet bien connu, sans doute renvoyé pour incompétence, originaire de GASAKA. Ils tirèrent de la voiture les trois ouvriers en promettant de ne rien leur faire mais le chef donna aussitôt le signe ordonnant de tuer. L’un fut abattu d’un coup de massue sous mes yeux. La fille fut emmenée à l’écart, je compris qu’on voulait d’abord la violer. Le troisième a réussi à s’enfuir mais fut rattrapé plus tard et subit le même sort. Les gendarmes ne firent rien à part peut être négocier ma protection. Après avoir parlementé, ils ont tiré seulement en l’air ». Madeleine RAFFIN réussira à faire demi-tour. Elle précise aussi que dans la nuit, vers 2 heures du matin, elle a entendu des détonations en provenance de MURAMBI. « Et cela dura toute la nuit. Le bruit ne cessa qu’au petit matin, j’avais compris ce qui avait pu se passer »
Le témoin dit être « globalement d’accord » avec cette version des faits. La jeune fille dont il est question a été tuée mais n’a pas été violée. S’il y a eu des viols sur la barrière, il en a entendu parler mais n’en a jamais été témoin. Quant à Frodouald HAVUGA et David KARANGWA, ils étaient bien les responsables de la barrière et ne s’en cachaient pas. Pas impossible qu’ils aient eu des liens avec les gendarmes qui venaient de temps en temps les épauler. Par contre, le témoin n’a vu aucune autorité passer à cette barrière.
Avant l’attaque du 21 avril, MWONGEREZA reconnaît qu’il y a eu des petites attaques dont les gendarmes devaient avoir eu connaissance. Il confirme aussi le déplacement des femmes, enfants, vieillards, malades hutu vers l’école ACEPER[2], de crainte que les Tutsi n’attaquent la population. Lui-même faisait partie du nombre. Vers 8 heures du matin, il a vu de nombreux attaquants quitter MURAMBI pour se rendre à CYANIKA. habillés de feuilles de bananier, et probablement accompagnés de gendarmes. Mais lui ne faisait pas partie de l’équipée. Après l’attaque de MURAMBI, des engins sont venus creuser des fosses pour enterrer les victimes.
Le témoin évoque ensuite, sur question du président, ses condamnations par les Gacaca[3], d’abord à 17 ans de réclusion puis, accusé de viols, il a été condamné à la prison à perpétuité.
Pour conclure, monsieur le président revient sur le fait que le témoin ait déclaré n’avoir jamais connu Laurent BUCYIBARUTA.
« C’est cela, confirme le témoin, avant je vivais à CYANGUGU et donc juste avant le génocide je n’ai pas vu le préfet. Jusqu’en mars 1994, je n’étais pas revenu chez nous à GIKONGORO. C’est pour cela que je ne pouvais pas connaître beaucoup de choses sur le préfet Laurent BUCYIBARUTA. »
Maître FOREMAN interroge le témoin sur le déplacement de la population hutu à l’ACEPER. « On était une centaine, précise le témoin, c’était une école secondaire mais je ne sais pas ce que veulent dire ces lettres ACEPER. »
Me LÉVY, pour la défense, tente une question: « Vous avez été condamné à la perpétuité. Si je comprends bien, vous n’avez pas participé à la procédure du plaider coupable qui consiste à dénoncer des gens pour avoir une remise de peine ? »
J.P MONGEREZA : Non je n’ai pas plaidé coupable.
La remarque de maître LEVY, qui déclare que « le plaider coupable consistait à dénoncer des personnes pour avoir une remise de peine » attire à propos la réplique de maître GISAGARA: « Plaider coupable ne veut pas dire dénoncer un autre« .
Maître LEVY semble bien être le seul à avoir cette interprétation.
Audition de Jean-Damascène GAHUNZIRE. En visioconférence du Rwanda.
Dans sa déclaration spontanée, le témoin évoque le rassemblement des réfugiés tutsi à l’ETO[4] de MURAMBI le 14 avril. Le 15, il a vu Laurent BUCYIBARUTA et les autres autorités de la région tenir une réunion auprès des réfugiés. Le préfet promet d’assurer leur sécurité et leur ravitaillement. Le 18, KARANGWA aurait fait couper l’eau après le départ du préfet. La nourriture promise aurait été détournée à la barrière par HAVUGA au profit des tueurs.
Le 19, la population hutu est invitée à rejoindre les locaux de l’ACEPER[5].
Le 20 avril, vers 18 heures, Laurent BUCYIBARUTA serait passé à la barrière avec SEBUHURA et beaucoup de gendarmes. « Tenez bon, aurait-il dit, que personne ne passe par là. Quiconque arrive avec un fusil, vous devez l’arrêter. » En arrivant avec un grand nombre de gendarmes, le préfet pouvait laissé croire qu’ils venaient assurer la sécurité. Les réfugiés étaient invités à se défaire de leurs « outils ». Les gendarmes se sont saisis de toutes les « armes » pour les déposer dans la jeep dans laquelle ils étaient venus. Laurent BUCYIBARUTA aurait demandé aux réfugiés de ne pas avoir peur. Ces derniers ont cru aux promesses du préfet.
Dans la nuit, MURAMBI a été encerclé, des armes lourdes ont tiré sur les réfugiés, beaucoup de véhicules transportant des Interahamwe[6] sont arrivés.. Les réfugiés ont essayé de se défendre: en vain. Les plus vigoureux ont réussi à fuir vers CYANIKA où ils seront poursuivis. D’autres se sont réfugiés à la gendarmerie où ils ont été tués.
Les corps resteront deux jours avant d’être enterrés par des engins des travaux publics. Les prisonniers ont participé à l’enterrement des corps qui étaient déversés par des camions-benne dans les fosses communes. Laurent BUCYIBARUTA serait venu voir si le travail était fini. HAVUGA a demandé de bien nettoyer la place car les Français allaient arriver. (NDR. Cette dernière remarque attirera une précision: a-t-on parlé de Français ou de Blancs? La présence des soldats français de Turquoise ne sera signalée que deux mois plus tard[7]. Le témoin finira par reconnaître qu’il s’agissait bien de Blancs. Impossible donc d’évoquer la présence de soldats français le 28 mai comme l’affirme le témoin. »
Monsieur le président évoque « un problème de calendrier« . Le témoin dit avoir été membre du MRND[8] et qu’il n’a jamais cédé aux sirènes du MDR[9], David KARANGWA ayant tout fait pour l’attirer au MDR PAWA[10]. Il reconnaît être venu sur les barrières et il en a demandé pardon. Mais il n’a jamais travaillé comme jardinier à la préfecture. Il remplaçait son frère comme gardien le week-end au PDAG[11].
Les déclarations qu’il fait concernant Laurent BUCYIBARUTA sont assez souvent incohérentes. On a du mal à le suivre. Si le préfet était un homme calme avant le génocide, il aurait bien changé en 1994.
Le témoin confirme les propos que, sur lecture de monsieur le président, il a tenus auprès des enquêteurs français. Il a bien vu le préfet plusieurs fois, en particulier le jour des « fouilles ». SEBUHURA[12] était craint, la présence du préfet rassurait.
Quant au plaider coupable, il a été « le premier » à le faire et a été suivi par d’autres. « Je l’ai fait de mon plein gré, cela m’a apaisé le cœur. J’ai accompli ma peine. Mon cœur ne me condamne plus. »
A la question d’un assesseur, il répond qu’il a perdu plusieurs membres de sa famille maternelle à MURAMBI. Plus de vingt personnes.
Maître BIJU-DUVAL interroge le témoin sur l’exécution de la peine à laquelle il a été condamné. Il a bien eu une remise de peine pour avoir donné des informations aux Gacaca[13]. Il a bien témoigné contre SEBUHURA et BUCYIBARUTA mais s’il a plaidé coupable, c’est « en pleine conscience » comme il aime le répéter. Sa remise de peine, il ne l’a pas obtenue en dénonçant les autorités. Il a bien assisté à la coupure de l’eau par KARANGWA. Il était tout près, chez lui, sur la route. L’avocat de la défense n’est pas convaincu. Par contre, il n’a pas vu BUCYIBARUTA avec un fusil.
Quant à savoir s’il a été entendu par la commission MUCYO, sur la responsabilité de la France dans le génocide, il ne peut l’affirmer. Il a donné son témoignage à des journalistes et au parquet, mais il ne sait pas devant qui.
Laurent BUCYIBARUTA est invité à réagir à la déposition du témoin. Il conteste plusieurs points: il n’est jamais allé à MURAMBI le 14 avril avec SEBUHURA, il est allé à l’ETO avec BIZIMUNGU. Il n’a jamais confié de mission à HAVUGA, le 16 avril n’a pas accompagné des militaires et des gendarmes, il n’a jamais été au courant de la coupure d’eau, il ignore le regroupement des Hutu à l’ACEPER, conteste la saisie de la nourriture au profit des tueurs à la barrière. Enfin, il n’est pas au courant de la fouille dont parle le témoin.
La suite du procès permettra-t-elle d’y voir plus clair dans la responsabilité du préfet BUCYIBARUTA? Il y a encore beaucoup de témoins à entendre.
Audition de madame Marie-Grâce MUKANTARINDWA, rescapée. En visioconférence du Rwanda.
Le témoin, dans sa déclaration spontanée, commence par évoquer l’incendie des maisons des Tutsi et la fuite des habitants? Ils pensaient passer la nuit chez ses parents mais finiront pas aller directement à MURAMBI. A la demande des siens, le témoin part se réfugier chez leur voisin hutu, Juvénal RWANDANGA, qui la chassera le lendemain matin. De retour chez elle, elle voit arriver un autre voisin, François RWEMERA, qui dit à son père: « Nous ne venons pas pour vous tuer. Nous voulons tuer les Tutsi qui ont fui. Nous vous tuerons après. »
Vers 10 heures, le témoin part en courant en voyant arriver des attaquants à la suite d’une réunion organisée par RWEMERA. Son père ne voulait pas voir ses enfants mourir sous ses yeux.
Un autre voisin, prénommé YUSUF est arrivé à son tour. Il a demandé à son père de ne pas partir, qu’il le protègerait ainsi que ses vaches, comme il l’avait fait en 1959.
Le témoin, à la demande de son père, est partie en courant, poursuivie par les tueurs. Elle s’est cachée sous un rocher pour laisser passer ses poursuivants.
Madame MUKANTARINDWA éclate en sanglots, comme elle le fera à plusieurs reprises lors de sa déposition. Elle est manifestement troublée au point qu’elle demandera, par la suite, d’arrêter qu’on lui pose des questions car elle est malade.
A des gendarmes qu’elle croise dans sa fuite, elle dit qu’elle se rend à l’église, à une réunions d’enfants de chœur. Les gendarmes n’en croient pas un mot. Elle disait cela pour que ces derniers ne sachent pas où elle irait se cacher.
Un gendarme lui demande, en lui pinçant le nez, si elle voulait aller au CND, pas celui de KIGALI, mais un endroit sous un pont où ont découpait les gens en morceaux. Maître FOREMAN fera connaître à la cour que le CND de KIGALI était le Parlement où 600 soldats du FPR[14] avaient installé leur QG suite aux accords d’ARUSHA.
En voulant traverser un marais, la jeune Grâce va s’embourber dans la vase et éprouvera les pires difficultés à s’en dégager. Ce sera fait le lendemain matin et elle se dirigera vers KIZIRA pour se rendre à MURAMBI. A une barrière, elle tombe sur une file de réfugiés que les tueurs, fatigués de tuer, obligent à sauter vivants dans une fosse. La jeune fille fait tout pour retarder son tour. Elle trouvera finalement la force de s’élancer et de sauter par dessus la fosse. Elle continuera sa fuite pour arriver à MURAMBI au bout de trois jours.
Là, elle ne connaît aucune sécurité, contrairement à ce que les autorités prétendaient. « Nous n’avions aucune vie » finira-t-elle par ajouter, les Hutu venaient tous les jours. »
Pas d’eau, pas de nourriture, personne ne pouvait sortir sans courir le risque d’être découpé. Le témoin affirme que des fils électriques avaient été placés sur le sol. Deux gendarmes étaient présents, simplement pour les dissuader de partir. Le préfet est venu accompagné de gendarmes et a promis de les aider. En repartant, il a dit aux Hutu, presque comme un secret: « Avant de brûler les mauvaises herbes, il faut les rassembler ». (NDR. Phrase qui fera l’objet de nombreuses questions de la part de maître BIJU-DUVAL quand viendra son tour d’interroger le témoin.) Le préfet ne tiendra pas ses promesses. Toutefois, un jeudi, Madeleine RAFFIN apportera du riz mais les réfugiés n’avaient ni eau, ni bois de chauffage, ni marmite.
Et de poursuivre: « Dans la nuit, ils sont venus nous fusiller. Ils ont beaucoup tiré, toute la nuit. » Les réfugiés ont bien lancer des pierres pour se défendre. En vain, les assaillants lançaient des grenades. Vers 11 heures sont intervenus des miliciens armés de machettes. Le témoin s’est enfuie vers CYANIKA.
« Arrivée à CYANIKA, les gendarmes nous y avaient précédés. Ils nous ont rassemblés dans la cour intérieure du presbytère et nous ont tiré dessus. Nous étions cernés de partout » déclare le témoin.
Réfugiée dans une chambre des prêtres, la jeune Grâce sera alors violemment frappée au front par des gendarmes. Une balle la blessera au niveau du cou. Elle montre ses blessures. Revenue à elle, elle voit les Hutu venir achever les blessés.
Elle restera elle-même longtemps cachée au milieu des cadavres. Les tueurs venaient découper les victimes en morceaux pour emporter des parts de chair humaine. Des prisonniers sont venus emporter les cadavres dans des camions-benne pour les enterrer elle ne sait où.
Le calvaire du témoin n’est pas encore fini. Elle s’est trouvée ensevelie sous des corps qu’on avait entassés sur elle. Et par-dessus, les tueurs aveint placé une armoire. Par miracle, elle échappera encore à ses bourreaux alors que ces derniers venaient enlever les corps un à un.
Elle se rendra chez des amis hutu chez qui elle restera un mois, puis retournera à MURAMBI. Les soldats de Turquoise[15] étaient là. De là elle choisira d’être emmenée dans la zone tenue par les Inkotanyi[16], à MARABA.
Avant de conclure, madame MUKANTARINDWA voudra ajouter une dernière précision: « Depuis ma naissance, je n’avais jamais vu la nudité de mes parents. Avant, c’était un tabou devoir ses parents nus. Cela m’a terriblement affligée. Et ça continue de m’affliger encore aujourd’hui. »
Monsieur le président interroge le témoin sur la composition de sa famille, sur les victimes. Elle est la seule rescapée avec un de ses frères qui n’était pas dans la région. Des questions aussi sur les responsables de la préfecture qu’elle nomme. sur la notion d’Interahamwe, « des gens devenus des tueurs » dira-t-elle. Tous ses voisins hutu étaient devenus des Interahamwe. Ses parents, elle ne les aura revus que morts.
Concernant la fosse dans laquelle elle devait se jeter, le témoin précise qu’elle était presque pleine: des femmes, des enfants, des hommes, des vieillards. Des viols? Elle en a été témoin à MURAMBI où elle dit être restée trois semaines. (NDR. Bien se rappeler que, pour des gens qui ont subi de tels traumatismes, la notion du temps est complétement annihilée. Trois jours peuvent paraître trois semaines. C’est la réponse que le témoin fera lorsqu’on lui demandera combien de temps elle est restée sous les cadavres à CYANIKA).
Le témoin n’en peut plus de répondre aux questions qu’elle semble subir comme un interrogatoire. Elle pose sa tête sur la table qui est devant elle, demande qu’on arrête. Elle acceptera finalement de répondre aux questions de la défense qui met en doute les propos qu’elle attribue au préfet: « Les mauvaises herbes, il faut les rassembler avant de les brûler. » Maître BIJU-DUVAL voudrait bien lui faire dire qu’elle n’a pas pu entendre de telles paroles, qu’elle les aurait entendues en Gacaca[17].
Réponse du témoin: « Je n’ai jamais participé aux Gacaca. »
Monsieur le président met fin à une audition qui aura été une véritable épreuve pour le témoin.
Audition de monsieur Michel KAYITANA, partie civile.
Dans une longue déclaration spontanée, le témoin va faire le récit de ce qu’a été la vie de sa famille; Depuis 1959, c’est toujours le même mode opératoire qui a été utilisé: 1963, massacres à GIKONGORO, le jour de Noël, au cours desquels la famille de son père sera exterminée. Le témoin avait 12 ans. Les tueries auront duré quatre jours au bout desquels les autorités, qui avaient ordonné de tuer, demanderont que l’on arrête les massacres. Il en sera de même en 1990 et en 1994.
En 1990, suite à l’attaque des Inkotanyi[18] le 1er octobre, ce sera la chasse aux complices, les Ibyitso[19]. Dans la nuit du 4 au 5 octobre, on fera courir le bruit que les Inkotanyi ont attaqué KIGALI; Cette rumeur sera suivie de l’arrestation d’un grand nombre de Tutsi. A GIKONGORO, les Tutsi seront arrêtés, mais après qu’on aura organisé des perquisitions. Le témoin sera conduit au parquet mais rien ne pouvant lui être reproché, il pourra rentrer chez lui.
1994. Monsieur KAYITANA va raconter dans le détail les différentes visites qu’il fera à des « amis » hutu. à partir du 8 avril. Le 9, il va rendre visite à des connaissances: on lui dit que la situation est dramatique. Dans la soirée, l’évêque de KIGEME vient le voir. Norman KAYUMBA est son évêque, mais aussi son ami. Il sera dirigé chez un pasteur, du nom de Samuel MUNDERERE, qui va l’héberger et lui fera croire qu’il va le protéger. En réalité, ce dernier cèdera aux appel d’un homme à moto (il utilise un mégaphone et invente la mort de deux Tutsi pour encourager les gens à le suivre) et ira se ranger du côté des Interahamwe dont il adoptera la tenue. Le témoin, aujourd’hui encore, est hanté par cette vision. On est le vendredi 15 avril.
Dans un retour en arrière, le témoin parle du sort des membres de sa famille à MURAMBI. Ils seront tous tués là-bas.
Une réunion est organisée qui rassemble, entre autres, tous les responsables religieux, sous la houlette du préfet. Les décisions prises lors de cette réunion, à laquelle participe Norman KAYUMBA, vont ramener le calme chez les réfugiés. On leur promet eau et nourriture.
Samuel MUNDERERE incite alors le témoin à se rendre chez l’évêque Norman. Monsieur KAYITABA cherche toujours une réponse à une question: le préfet était-il au courant de ce qui se préparait à MURAMBI? Si un citoyen le savait, Laurent BUCYIBARUTA devait le savoir aussi? Une question restée pour lui sans réponse.
Le témoin reste chez Norman KAYUMBA qui, le lendemain, lui ramène deux de ses enfants qui étaient scolarisés à KIGEME. Ils vont restés cachés à 5 dans une petite chambre. Dans la nuit, ils vont entendre des explosions, vers 3 heures du matin, en provenance de MURAMBI. Les rescapés courent sur les collines, au milieu des cris. Le témoin précisera qu’on a fouillé les cadavres pour voir s’il faisait partie des victimes. Comme on ne le trouvait, déduction a été faite qu’il devait être chez l’évêque KAYUMBA. En fait, il logeait avec sa famille chez une maison louée par l’évêque à un propriétaire qui voulait chasser le témoin et les siens.
Monsieur KAYITABA va vivre là « le jour le plus long de (sa) vie. » Il va le passer en prière et en préparant les siens à la mort. Ils iraient au ciel. Le soir, Norman KAYUMBA revient et les dirige chez un jeune homme, KAMANZI, qui accepte de les héberger. Ils resteront là pendant cinq semaines.
Monsieur le président, le maître des horloges, demande au témoin de conclure. Le témoin de déclarer que le 22 mai, pour la Pentecôte, l’hôpital de KIGEME a été attaqué. L’évêque a demandé de l’aide aux autorités de GIKONGORO qui ont pris la décision de conduire tout le monde à MURAMBI. Ce que le témoin ne comprend pas.
Parole est donnée à l’accusé. « Je suis content de revoir le témoin. A GIKONGORO, il était considéré comme un bon chrétien ». Il souhaite toutefois réagir sur sa déclaration.
Il conteste la date du 11 avril concernant l’accompagnement des réfugiés par le bourgmestre à MURAMBI. C’était le 13 que la décision a été prise.
Le 15 avril, il n’a pas participé à une réunion au cours de laquelle il aurait dissuadé les attaques.
L’homme à la moto et au mégaphone, il ne le connaît pas: c’est le témoin qui dit l’avoir vu deux fois qui aurait dû essayer de l’identifier.
L’attaque du 21 avril aurait été « minutieusement préparée« ? Par qui? Il n’était pas au courant.
Le 22 mai, attaque à KIGEME. Si la décision a été prise de conduire les gens à MURAMBI, c’est parce qu’il y avait déjà des rescapés là-bas et qu’on ne pouvait assurer la sécurité des gens sur les deux sites.
Monsieur le président s’étonne des derniers propos de l’accusé. Le préfet affirme que des rescapés ont été protégés à MURAMBI jusqu’à l’arrivée des soldats de Turquoise.
Le témoin contestera à son tour les explications du préfet. En partant, il lui serrera toutefois chaleureusement la main.
Alain GAUTHIER, président du CPCR, pour la synthèse
Mathilde LAMBERT et Jade FRISCHIT pour la prise de notes
Jacques BIGOT pour les notes et la mise n page
- Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[↑]
- ACEPER : Association pour la contribution à l’éducation et au perfectionnement au Rwanda.[↑]
- Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.[↑] - ETO : Ecole Technique Officielle.[↑]
- Ibid.[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
- Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.[↑]
- MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[↑]
- MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[↑]
- Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.[↑]
- PDAG : Projet de Développement Agricole de Gikongoro[↑]
- Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.[↑]
- Ibid. [↑]
- FPR : Front patriotique Rwandais[↑]
- Ibid. [↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[↑]
- Ibid. [↑]
- Ibid. [↑]
- Ibyitso : présumés complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). Cf. Glossaire.[↑]