- Audition de monsieur Innocent BAKUNDUKIZE, en visioconférence. détenu à la prison de Mpanga.
- Audition de madame Théodette MUKAMURARA, rescapée de l’école Marie-Merci. Partie civile.
- Audition de monsieur Second TWAKIRAMUKIZA, rescapé de l’église de Kibeho. Partie civile.
- Audition de madame Agnès KAMAGAJU, rescapée de Kibeho. Partie civile.
A la reprise, il est procédé au remplacement d’un juré qui doit cesser sa mission pour des raisons de santé.
Audition de monsieur Innocent BAKUNDUKIZE, en visioconférence. détenu à la prison de Mpanga.
Déclaration spontanée :
Ce que je sais sur BUCYIBARUTA Laurent, au moment du génocide, il était préfet. Je sais que c’était un homme calme et posé, qui respectait la législation du pays. Je l’ai rencontré lorsqu’il me faisait prêter serment pour devenir bourgmestre de la commune de MUBUGA. C’était en juin 1994. C’est à ce moment-là que j’ai prêté mon serment d’être à la tête de MUBUGA. Je remplaçais alors le bourgmestre NYIRIDANDI Charles qui venait de décéder. C’est Laurent BUCYIBARUTA qui m’a fait prêter serment en sa qualité de préfet de GIKONGORO. Avant, il m’avait invité dans son bureau, m’informant que le gouvernement intérimaire m’avait nommé bourgmestre de la commune de MUBUGA. C’est à ce moment-là que le préfet m’a dit que je devais me présenter à la population au mois de juin. C’était en période de guerre, le pays était pris par les militaires du FPR[1]. À ce moment-là, les gens étaient en train de fuir en masse. C’est à cette époque-là que j’ai vu pour la dernière fois le préfet Laurent BUCYIBARUTA.
Président : quel a été votre parcours personnel ? Si j’ai bien compris, vous avez démarré votre carrière en tant que fonctionnaire, agronome à la commune de MUBUGA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est exact, j’ai commencé mes activités professionnelles en 1977 comme agronome de MUBUGA.
Président : vous y restez à peu près 2 ans ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, juste après, je suis devenu agronome de la sous-préfecture de MUNINI
Président : ça c’est de 1980 à 1982 ?
Innocent BAKUNDUKIZE: c’est exact
Président : ensuite vous êtes désigné bourgmestre de la commune de MUBUGA
Innocent BAKUNDUKIZE: c’est exact, de 1982 à 1987
Président : qui vous a proposé pour exercer ces fonctions ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je ne saurai pas dire. J’ai d’abord été agronome de cette commune, d’où j’étais originaire.
Président : vous étiez connu de tout le monde à cette époque, vous faisiez partie du MRND[2] ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est exact
Président : pourquoi êtes-vous désigné bourgmestre de la commune en 1982? Et ces fonctions cessent en 1987 ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à l’époque, le critère était qu’on choisissait des gens originaires de telle ou telle commune ou alors des personnes qui y résidaient. On tenait compte de leur comportement.
Président : vous vous êtes porté candidat pour être bourgmestre ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne l’avais pas demandé. Je ne sais pas qui l’a suggéré. À l’époque on ne demandait pas votre avis, on regardait juste le comportement de la personne.
Président : c’est parce qu’on l’a observé, qu’on l’a estimé apte à exercer les fonctions de bourgmestre ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à l’époque, il y avait comme un programme gouvernemental qui désignait comme bourgmestre les agronomes dans le but de faire augmenter les activités agricoles de la commune. Je crois que c’est ce critère qui a prévalu.
Président : donc, selon vous, c’est seulement vos qualités professionnelles qui ont prévalu ? Quoi de vos activités politiques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à l’époque, quand j’étais bourgmestre, j’étais en même temps président de la commune du parti MRND.
Président : donc bourgmestre et président de la section locale du MRND?
Innocent BAKUNDUKIZE: c’était le système de l’époque
Président : en vigueur avant le multipartisme ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : à cette époque, vous avez connu Laurent BUCYIBARUTA en tant que bourgmestre de MUSANGE ou sous-préfet ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je l’ai connu quand il était sous-préfet à la préfecture.
Président : quel poste ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à l’époque il était chargé des affaires administratives et politiques
Président : il était à GIKONGORO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : sous-préfet à GIKONGORO, chargé des affaires administratives et politiques. SI je me rappelle bien, il était sous-préfet attaché au respect de la loi.
Président : pourquoi cessez-vous vos fonctions de bourgmestre ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai cessé mes activités de bourgmestre en 1987 à l’expiration de mon mandat de 5 ans
Président : que devenez-vous ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai continué mes activités d’agronome mais cette fois-ci dans l’usine à thé de MATA, dans l’ancienne commune de RWAMIKO.
Président : votre successeur en 1987 est Charles NYIRIDANDI ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : Charles NYIRIDANDI fait aussi parti du MRND ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, le système était tel que le bourgmestre était aussi le président du parti au niveau communal
Président : que pouvez-vous dire de vos activités d’agronome à l’usine à thé ? Elles durent jusqu’à ce que vous soyez à nouveau bourgmestre ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je suis resté agronome de l’usine à thé de MATA jusqu’en juin 1994 jusqu’à ma nomination en tant que bourgmestre
Président : le président de l’usine à cette époque était Juvénal NDABARINZE?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’était lui
Président : que pouvez-vous nous dire à son sujet ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne vois rien d’autre à dire à part qu’il était notre chef en tant que directeur de l’usine
Président : c’était une personnalité originaire du Nord du RWANDA, il était lié à la famille du Président Juvénal HABYARIAMANA ou de sa femme ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je sais qu’il était originaire du Nord du pays. En ce qui concerne la filiation avec HABYARIMANA ou son épouse, je n’en sais rien ?
Président : Juvénal NDABARINZE était un homme politiquement engagé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à y voir de près, on constate que ce sont ces gens qui étaient originaires du Nord qui étaient beaucoup dans la politique et qui dirigeaient.
Président : est-ce que ses activités politiques l’ont mené à soutenir l’entrainement militaire de jeunes ? Vous avez été informé de ce genre d’activités ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce que je sais, c’est qu’à MATA, il y avait des militaires de l’école des sous-officiers qui y entrainaient des jeunes dans le but de les envoyer se battre au front.
Président : mais l’usine à thé de MATA n’est pas une école militaire. Quel lien entre l’usine à thé et l’école militaire ?
Innocent BAKUNDUKIZE : on avait exproprié la population pour y installer un camp militaire, même avant l’attaque du FPR.
Président : mais le camp militaire ne dépend pas de l’usine à thé de MATA ? Les jeunes qui sont allés suivre une formation militaire n’étaient pas militaires eux-mêmes ? Est-ce que les jeunes envoyés là-bas étaient envoyés aussi pour des raisons d’ordre politique ? Par engagement politique ?
Innocent BAKUNDUKIZE : même avant, on formait des militaires démobilisés. Par après, avec l’attaque du FPR, on a commencé à informer des gens qu’on voulait les envoyer au front pour se battre.
Président : les jeunes formés dans ce camp étaient Hutu ou Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE: c’était des Hutu puisque l’armée était en général composée de Hutu
Président : que pouvez-vous nous dire des changements entrainés par le multipartisme ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il y a eu des changements. Du temps du parti unique, on n’était pas libre, pas d’émancipation. Avec l’avènement du multipartisme, chacun a pu adhérer au parti politique de son choix. Généralement, tout ceci a été accompagné de troubles. Il y a eu une période de racolage, des personnes qu’on prenait de force d’un parti pour qu’ils adhèrent à un autre parti.
Président : c’est le Kubohoza ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui
Président : à cette époque, le bourgmestre de MUBUGA a fait l’objet de pressions ?
Innocent BAKUNDUKIZE: à l’époque, les bourgmestres du MRND subissaient des pressions pour qu’ils soient débauchés.
Président : Charles NYIRIDANDI a changé de parti ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non il est resté membre du MRND
Président : vous, vous avez changé de parti ?
Innocent BAKUNDUKIZE : moi j’ai changé pour adhérer au PSD.
Président. : il y a eu beaucoup de troubles comme vous l’avez dit à cette époque. vous vous souvenez du sous-préfet Damien BINIGA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je me souviens de lui, il était sous-préfet de MUNINI. Il était lui aussi membre du MRND
Président : il a fait face à des situations difficiles ?
Innocent BAKUNDUKIZE: c’était quelqu’un de très virulent pour le MRND, il ne s’entendait pas bien avec les autres partis. Chacun voulait avoir le maximum d’adhérents.
Président : est-ce qu’à un moment, les tensions ont été telles qu’il a dû fuir ?
Innocent BAKUNDUKIZE : tout le monde a fui
Président : je ne parle pas de fuir en 1994, mais avant ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non, il a toujours résidé là-bas.
Président : nous verrons qu’un certain nombre de documents font état de troubles et que le sous-préfet BINIGA a dû partir à KIGALI car il ne se sentait pas en sécurité. Il y a aussi un certain nombre d’assassinats d’hommes politiques à cette époque. Qu’en savez-vous ?
Innocent BAKUNDUKIZE: dans notre localité je ne vois pas qui a été tué mais ailleurs il y en a eu.
Président : je vais être plus précis. Vous avez dit que vous étiez du PSD, vous vous souvenez de Félicien GATABAZI ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui j’allais justement parler de lui, il est mort à cause de ces troubles-là. Il était parmi les membres du PSD au niveau national.
Président : c’était en effet un dirigeant du PSD au niveau national et sauf erreur de ma part, ministre des transports ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : quand a-t-il été assassiné et pourquoi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je me souviens pas des dates. Il a été victime de la politique, ce sont des choses dont j’ai entendu parler.
Président : apparemment, il a été assassiné le 21 février 1994. À la suite de cet assassinat, il y a un autre assassinat, celui de Martin BUCYANA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : que savez-vous de cet assassinat ? Où, par qui, comment ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce que je sais c’est qu’il est mort dans le cadre de ses activités de partisan. Il était aussi président du CDR[3]. (NDR. Tué près de Butare en représailles de l’assassinat de Félicien GATABAZI.)
Président : on peut décrire le parti CDR comme extrémiste Hutu ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui
Président : vous souvenez-vous s’il y a eu des troubles dans la préfecture de GIKONGORO à la suite de ces assassinats ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je n’en connais pas.
Président : est-ce qu’il y a eu, avant avril 1994, des conflits entre Hutu et Tutsi ? Donc d’ordre ethnique.
Innocent BAKUNDUKIZE : dans la localité où j’habitais, il n’y en a pas eu. Tout ce que je sais c’est que de Tutsi ont été arrêtés au début de l’attaque du FPR car ils étaient complices.
Président : donc ça c’était en 1990 ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : donc vous nous dites qu’en 1994, la situation est calme ?
Innocent BAKUNDUKIZE : la situation était calme, la cohabitation des gens était pacifique. Par contre les troubles commencent après la mort du Président HABYARIMANA.
Président : que pouvez-vous dire sur la façon dont les troubles vont se développer après la mort du Président HABYARIMANA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : après sa mort, on a passé un communiqué comme quoi tout le monde devait rester à la maison, Hutu comme Tutsi. Mais dans la commune voisine de RWAMIKO, on a commencé à incendier des maisons.
Président : quand ?
Innocent BAKUNDUKIZE : l’avion est tombé le 6 et vers le 8/9, dans la localité citée, on a entendu que les domiciles des Tutsi étaient incendiés.
Président :avez-vous vu à cette époque-là des Hutu prendre les armes et attaquer leurs voisins Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’était la guerre qui régnait et les informations venant de MURAMBA disaient que la CDR était en train d’incendier les maisons des Tutsi.
Président : des employés de l’usine à thé de MATA ont participé à ces premières attaques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non
Président : que faisaient les employés de l’usine à thé de MATA ?
Innocent BAKUNDUKIZE : eux aussi restaient chez eux pendant cette période.
Président : par exemple Thomas GAKUMBA, Callixte NDAYISABA, Ildephonse, Philippe KIMONYO, Julien, Vincent MUVINI, tous ces gens sont restés chez eux tranquillement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est le personnel qui travaille avec moi à l’usine. Ils habitaient des logements de fonction, sur place ; alors que moi je travaillais dans la plantation de thé mais je rentrais chez moi dans le secteur KIBEHO.
Président : donc vous ne savez pas ce qu’ils ont fait ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas ce qu’ils ont fait pendant cette période.
Président : est-ce vous êtes sorti de chez vous à un moment, est-ce que vous avez vu quelque chose ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il y a eu une réunion au secteur KIBEHO, organisée par le bourgmestre Charles NYIRIDANDI ainsi que le conseiller de secteur KIBEHO, Mathias GASHUMBA. Nous y avons participé ainsi que la population du secteur parce qu’il y avait également des Tutsi qui avaient trouvé refuge à la paroisse de KIBEHO. Certains de ces Tutsi ont participé à la réunion.
Président : qu’est-ce qu’il s’est dit à cette réunion ?
Innocent BAKUNDUKIZE: on nous a dit que nous devions assurer la sécurité, faire des rondes afin de repousser ces attaques venant des autres secteurs.
Président : attaques de qui ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’était pour repousser les attaques de MURAMBA pour que ces troubles n’arrivent pas chez nous.
Président : mais qui attaque qui ?
Innocent BAKUNDUKIZE : comme on avait commencé à incendier les maisons des Tutsi à MURAMBA, les Tutsi de chez nous avaient eu peur et se sont enfuis à la paroisse. C’est la raison pour laquelle nous les avions convoqués à la réunion, pour repousser les attaques.
Président : lors de cette réunion on convoque les Tutsi pour leur dire « On va faire des rondes ensemble pour éviter que vous soyez attaqués », c’est ça ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui c’est ça car les Tutsi de chez nous n’avaient pas encore été attaqués, les troubles étaient encore localisés à MURAMBA.
Président : je suppose que pendant cette réunion on a expliqué que les Tutsi n’étaient pas l’ennemi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : on n’en a pas parlé.
Président : pourquoi, alors que justement les gens s’enfuient ?
Innocent BAKUNDUKIZE : parce que ces troubles étaient encore localisés à MURAMBA, pas chez nous et on considérait qu’on pouvait régler ça ensemble.
Président : donc si on est ensemble on ne considère pas le Tutsi comme ennemi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : chez nous, nous pensions que nous étions pareil, tous les mêmes. On entendait que c’était les CDR qui brûlaient les maisons, il n’y en avait pas chez nous.
Président : il va y avoir des troubles à KIBEHO et pourquoi ?
Innocent BAKUNDUKIZE: les troubles sont arrivés à KIBEHO car les gendarmes étaient à ce lieu-là à MURAMBA et d’autres à MUNINI. Ces gendarmes sont venus nous dire que les Tutsi venus trouver refuge chez nous étaient là avec le plan de nous attaquer.
Président : c’est en effet ce qu’il a indiqué dans sa déclaration – D10365.
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : que se passe-t-il ensuite ?
Innocent BAKUNDUKIZE : on nous a dit de chasser ces Tutsi qui avaient trouvé refuge à KIBEHO
Président : « chasser », que cela veut dire ?
Innocent BAKUNDUKIZE : les déloger de là pour partir ailleurs
Président : pour les « déloger », il fallait s’équiper, s’armer ?
Innocent BAKUNDUKIZE : nous devions nous équiper d’armes traditionnelles
Président : c’était la façon de chasser ou tuer ?
Innocent BAKUNDUKIZE: ils nous avaient demandé de les chasser. C’était une confrontation car ils n’allaient pas se laisser chasser comme ça, c’était un combat entre nous et eux.
Président : c’est les Tutsi qui ont provoqué ce combat ? Qui est le responsable de cet affrontement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce sont des Hutu qui ont commencé ces combats car les Hutu ont attaqué.
Président : quand ils attaquent, leur but c’est quoi ? Chasser ou tuer ?
Innocent BAKUNDUKIZE: le but était de les chasser mais cela a changé car ils se défendaient donc cela s’est transformé en tuerie.
Président : j’imagine que si je vois des attaquants Hutu avec des armes traditionnelles, si je suis Tutsi c’est peut-être normal que je me défende ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui c’est ça. Cette fois-là ils nous ont repoussés, ils ont été plus forts que nous, nous avons fait demi-tour.
Président : quel a été le rôle des gendarmes, des autorités administratives, de l’usine à thé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : le rôle des gendarmes est que ce sont eux qui nous ont conduits dans cette attaque. Ils étaient armés de fusils. Le rôle des autorités, bourgmestres, gendarmes ou policiers communaux, ils étaient tous dans l’attaque.
Président : les gendarmes venaient d’où ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à cette époque-là, il y a des troubles dus aux partis politiques. L’État avait dépêché des gendarmes dans les centres afin d’assurer la sécurité. C’est ceux-là qui nous ont conduits dans ces attaques parce qu’ils avaient été déployés en grand nombre dans les centres.
Président : les gendarmes de MUNINI, de GIKONGORO, d’ailleurs ?
Innocent BAKUNDUKIZE : de GIKONGORO, ils étaient envoyés par l’État et déployés dans les différents centres.
Président : quelle était leur mission quand ils ont été déployés ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ils disaient qu’ils venaient assurer la sécurité de la population car il y avait des troubles liés aux partis politiques.
Président : c’est quoi la sécurité des personnes ? Assurer la sécurité de tout le monde ou tout le monde sauf les Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : cela voulait dire assurer la sécurité des biens et des personnes, y compris les Tutsi car ils sont venus au moment des troubles politiques, bien avant la mort d’HABYARAMANA.
Président : qu’est-ce qu’i va changer puisque, si je comprends ce que vous me dites, ils n’assurent plus la sécurité des Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : cela veut dire qu’après la mort du Président HABYARIMANA, ils ont éprouvé une telle colère ( les gendarmes, les miliaires, les autorités administratives supérieures) qu’ils ont propagé dans la population.
Président : j’aimerais savoir pourquoi Charles NYIRIDANDI organise une réunion disant qu’il fallait organiser des rondes avec les Tutsi?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’imagine qu’il devait avoir cette pensée au début mais ça a dû changer peut-être par rapport aux directives reçues, mais je l’ignore.
Président : selon vous, ils ont peut-être reçu des directives ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est une supposition, je ne le sais pas
Président : dans cette supposition, les directives viendraient de qui ?
Innocent BAKUNDUKIZE : des autorités supérieures
Président : c’est qui ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je suppose que c’est venu des autorités supérieures militaires
Président : le nom d’Aloys SIMBA[4] vous parle ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui, il était colonel.
Président : il était présent en avril 1994 ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il n’était pas dans notre district mais dans la préfecture car il était chargé de la défense civile.
Président : dès début avril ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas quand il a pris ses fonctions
Président : vous, personnellement, à combien d’attaques avez-vous participé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : trois attaques
Président : on a compris que la première attaque a été repoussée.
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : elle a lieu quel jour ?
Innocent BAKUNDUKIZE : le 11 avril
Président : la deuxième attaque s’est déroulée quel jour ?
Innocent BAKUNDUKIZE: j’ai oublié ; il me semble que c’est le 11 qu’a eu la réunion de secteur ; la première attaque a eu lieu le 12. Il ne s’est rien passé le 13 et le 14 il y a eu la deuxième attaque et la troisième le 15.
Président : il y avait beaucoup de monde ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il y avait beaucoup, beaucoup trop de monde car il y avait des personnes venant des communes avoisinantes.
Président : comment ces personnes se sont retrouvées pour participer à cette attaque, des instructions ont été données ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je ne peux pas savoir pour les instructions mais je sais que beaucoup de personnes provenaient d’autres communes et secteurs.
Président : comment étaient transportées ces personnes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : une grande partie était à pied mais j’ai vu aussi des véhicules transporter des gens comme ceux de MUDASOMWA.
Président : des véhicules de l’usine à thé ont servi à transporter des gens ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, j’ai vu un de type Daihatsu.
Président : NDABARINZE était là avec son véhicule personnel ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui.
Président : les gendarmes sont venus à pied ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je n’ai vu aucun véhicule de la gendarmerie ce jour-là.
Président : vous aviez vu des fusils ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, beaucoup d’armes à feu. En plus des gendarmes, il y avait des militaires.
Président : d’où venaient ces militaires ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas mais je les ai vus.
Président : des gens qui avaient reçu une formation militaire étaient-ils présents avec des armes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ces personnes-là n’étaient pas des employés de l’usine mais des gens qui venaient de partout et venaient recevoir des entrainements militaires là.
Président : ils ont reçu des armes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : cette jeunesse entrainée, chargée de la défense civile dont SIMBA était le supérieur, était armée.
Président : comment pouvez-vous décrire ces attaques ? Vous, vous avez des gens ?
Innocent BAKUNDUKIZE : personnellement je n’ai tué personne mais j’ai fait partie de ces attaques. Il y a eu trois attaques, personne n’est mort lors de la première attaque. La seconde, les gens étaient armés, il y a eu des tirs et donc des morts. La deuxième et troisième attaques se sont déroulées de la même manière : d’abord des tirs à feu puis les armes traditionnelles. Il y a eu beaucoup de morts.
Président : c’est quoi « beaucoup de morts » ?
Innocent BAKUNDUKIZE : beaucoup de Tutsi sont morts
Président : combien ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne peux pas savoir
Président : des femmes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : toutes les personnes réfugiées là sont mortes : des hommes, femmes, enfants
Président : quel était le crime commis par ces enfants ?
Innocent BAKUNDUKIZE : aucun crime, ils étaient juste victimes à cause de leur ethnie
Président : tous étaient victimes
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : selon vous c’était des dizaines, centaines, milliers de morts ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne peux pas vous dire le nombre car je ne savais pas combien de personnes s’étaient réfugiées là.
Président : quand on écoute les Tutsi, ils ont dit qu’ils étaient allés se réfugier dans la maison de Dieu. Est-ce que vous êtes catholique, vous alliez de temps en temps à la paroisse de KIBEHO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui je suis catholique et j’allais à la paroisse, à la messe.
Président : avec les Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui avec eux
Président : qui a enterré les morts ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je n’ai pas saisi la question
Président : qui a enterré les corps, concrètement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce sont les autorités communales et de secteur qui ont participé aux enterrements. Ils ont utilisé la population.
Président : on a utilisé des engins particuliers, de chantier, comme des bulldozers ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, il y a des bulldozers de la société MGEKO, qui faisait des travaux à la préfecture.
Président : à la préfecture ou sous-préfecture ?
Innocent BAKUNDUKIZE: à la préfecture
Président : donc l’engin venait de GIKONGORO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il venait de la commune de MUDASOMWA où il y avait des travaux.
Président : c’était une société privée ou publique ?
Innocent BAKUNDUKIZE : aucune idée
Président : qui pouvait commander l’utilisation d’un bulldozer de cette société pour enterrer les morts ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’imagine que ça doit être le préfet à la préfecture qui devait donner l’autorisation en cas de besoin.
Président : il y a eu un incendie, est-ce que vous avez vu l’incendie ?
Innocent BAKUNDUKIZE: oui je l’ai vu. L’église a brûlé. On l’a incendiée à cause des personnes à l’intérieur, pour qu’elles brûlent à l’intérieur.
Président : on a utilisé de l’essence, on a mis des bûchers devant les portes, comment ça s’est passé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ils ont utilisé l’essence et des branchages d’eucalyptus secs. Ils ont brûlé en commençant par la porte.
Président : des gens ont réussi à s’enfuir ?
Innocent BAKUNDUKIZE: certains ont pu sortir. D’ailleurs, je les entends donner des témoignages mais il y en a très peu.
Président : est-ce qu’ils ont été poursuivis ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai entendu par des témoignages que certains sont allés à KARAMA et qu’ils ont été poursuivi jusque-là.
Président : certains ont dit avoir été poursuivis jusqu’à la frontière avec le BURUNDI.
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, je l’ai aussi entendu dans les témoignages.
Président : KARAMA c’est dans la préfecture de BUTARE ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : après le 15 avril, il y avait encore des Tutsi dans la commune, la sous-préfecture ?
Innocent BAKUNDUKIZE : vous parlez de maintenant ?
Président : après le 15 avril, la fin des attaques.
Innocent BAKUNDUKIZE : non, ils avaient tous fui, d’autant plus que certains avaient déjà fui au BURUNDI, sans passer par la paroisse.
Président : pour ceux qui n’avaient pas fui, s’était cachés, il y a eu des meurtres ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, après il y a eu des campagnes de recherche de Tutsi dans leurs maisons. Quand on en trouvait un, on le tuait.
Président : c’était en même temps que ce qu’on appelle « la campagne de pacification » ?
Innocent BAKUNDUKIZE: par la suite, il y a eu un temps d’accalmie, on a dit aux gens de retourner chez eux, à leurs occupations.
Président : à quel moment ont lieu les derniers assassinats de Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : vous me parlez de KIBEHO ou tout le district ?
Président : de ce que vous connaissez.
Innocent BAKUNDUKIZE : la région est vaste donc je ne peux pas vraiment savoir. Mais là où j’étais, il y a eu d’autres massacres au mois de juillet. À cette époque-là, j’étais devenu bourgmestre de MUBUGA, il y a eu des congrégations avec des prêtres et religieuses et ils ont été tués. La manière dont sont mortes ces personnes, elles étaient encore à BUTARE jusqu’à l’arrivée des Français avec la zone Turquoise. Les Français sont allés les chercher pour les amener dans la zone Turquoise. Il y a eu un premier convoi avec les Français et les autres qui suivaient derrière, arrivés à MUBUGA, ont été tués.
Président : parce qu’ils étaient Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Président : il y a eu des pillages à KIBEHO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, des vaches
Président : des femmes ont été violées ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non, pas lors des attaques
Président : les pillages ont continué après les attaques de KIBEHO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, car ils allaient dans les maisons de Tutsi pour piller.
Président : savez-vous si le préfet et l’évêque sont venus à la paroisse de KIBEHO après les attaques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il me semble qu’ils sont venus à la paroisse un dimanche et sont venus constater ce qui s’était passé.
Président : ils ont vu les morts ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, ils sont venus et ont constaté des morts car j’y étais également. Je me rappelle d’ailleurs qu’ont a sorti un ou deux enfants des cadavres. Ils les ont mis dans les voitures pour les amener à l’hôpital de KIGEME.
Président : c’était des cadavres ou des blessés ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ils étaient blessés mais en vie.
Président : le préfet et l’évêque ont demandé qui avait mené ces attaques, ce qui s’était passé, pourquoi cela s’était passé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : comme ils étaient avec le bourgmestre Charles NYIRIDANDI, ils ont sûrement dû lui demander et il a dû donner des explications.
Président : à votre avis, est-ce que le préfet pouvait ignorer le rôle des autorités locales lors des attaques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : on ne peut pas dire qu’il pouvait l’ignorer mais le préfet n’avait pas la possibilité de les arrêter.
Président : ce n’est pas ma question. Est-ce qu’il pouvait savoir, ils ont posé des questions ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne peux pas avoir ce qu’il a demandé au bourgmestre mais je sais qu’ils étaient ensemble et qu’ils échangeaient.
Président : que pouvez-vous nous dire de la mort de Charles NYIRIDANDI ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne pouvais pas savoir car lui était à MUNINI et moi à KIBEHO. J’ai entendu dire qu’il aurait pris des éclats de grenade quand il empêchait la population de piller le grenier de la sous-préfecture de MUNINI.
Président : je ne comprends pas bien, MUNINI ce n’est pas MUBUGA, que faisait-il là-bas ?
Innocent BAKUNDUKIZE : le chef-lieu de la sous-préfecture de MUNINI était MUBUGA.
Président : il meurt autour du 15 mai 1994 il semblerait, ça vous semble correct ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je n’ai pas retenu la date, j’ignore la date.
Président : vous connaissez un HATEGEKIMANA Jean ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, il était le conseiller au secteur et il faisait l’intérim en cas d’absence du bourgmestre.
Président : ce conseiller, apparemment du secteur de NYARUSHISHI, a participé aux attaques ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il était présent, il a eu un rôle
Président : vous allez être désigné pour devenir le nouveau bourgmestre de MUBUGA. Vous avez indiqué avoir rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA avant la prestation de serment, rencontre dans son bureau ?
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est exact, je l’ai rencontré dans son bureau
Président : à ce moment-là, le préfet vous a posé des questions pour savoir ce qui s’était passé à KIBEHO ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non il ne m’a posé aucune question
Président : vous vous souvenez de l’enterrement de Charles NYIRIDANDI ?
Innocent BAKUNDUKIZE: je ne me souviens pas de la date mais lors de l’attaque, quand il a été blessé, on l’a conduit à l’hôpital de BUTARE et il décède là. Il a été enterré chez lui.
Président : il y avait du monde à son enterrement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas car je n’étais pas présent, j’avais déjà commencé le travail
Président : quel travail ?
Innocent BAKUNDUKIZE : avant, je travaillais comme agronome à l’usine à thé.
Président : donc pas présent à l’enterrement ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non
Président : il me semble important à ce stade de donner lecture d’un document – D8294 : rapport de circonstances sur la mort de Charles NYIRIDANDI écrit par le préfet Laurent BUCYIBARUTA, adressé au Ministre de l’Intérieur, et en copie au Président et au Premier Ministre. Est-ce que Charles NYIRIDANDI était un homme de bravoure ou il a participé à des actes de nature inhumaine ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je sais qu’avant il était enseignant donc il était habitué à être prêt des hommes. Ensuite il a été nommé responsable de zone puis maire de la commune de MUBUGA. Je ne sais pas comment il fonctionnait dans son travail. Je sais qu’il a participé aux attaques car on était ensemble.
Président : quand il participait, c’était un homme de bravoure ou il participait aux actes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il était comme d’autres tueurs.
Président : vous avez entendu lors de réunions publiques ou privées, le préfet Laurent BUCYIBARUTA condamner les actes de violence/massacres commis contre les victimes Tutsi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ce que vous évoquez pour les entretiens privés, il n’y en a jamais eu et je n’ai jamais participé à des réunions qu’il a fait tenir. Mais en se référant à son discours lors de ma prestation de serment, le préfet Laurent BUCYIBARUTA m’ a recommandé de me préoccuper de la sécurité de la population. Ceux qui étaient morts ou avaient fui, c’était le passé, il devait plutôt s’atteler à la sécurité maintenant.
Président : est-ce vous avez conscience que pour un certain nombre de personnes, sa nomination a pu être perçue comme une récompense pour ses « bons services » ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne pense pas que cette nomination pouvait être analysée comme une récompense mais je pense qu’on a surtout tenu compte d’une urgence de remplacement de la personne décédée. Comme il avait déjà été antérieurement bourgmestre, je pense qu’on a tenu compte de cela, surtout qu’il était originaire de la commune.
Juge assesseure 1: en 2012, vous êtes entendu par des gendarmes français au tribunal de NYAMAGABE ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui
Juge assesseure 1 : on vous a posé la question suivante – D10365/2. Pourquoi avez-vous changé d’avis depuis ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui j’ai dit ça car à ce moment, j’ai laissé parler la peur car à cette époque-là, il fallait aller témoigner selon ce que le gouvernement vous disait de dire. Et si tu n’acceptais pas, les suites étaient catastrophiques.
Juge assesseure 1 : donc vous dites qu’à l’époque vous auriez eu peur de venir devant une juridiction française ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, exactement, car je n’étais pas sûr de ma sécurité
Juge assesseur 1 : en prison ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je craignais pour ma sécurité en prison si je témoignais de façon contraire à ce que les autorités souhaitaient.
Juge assesseure 1 : qu’est-ce qui a changé maintenant et qui fait que vous n’avez plus peur aujourd’hui de témoigner ?
Innocent BAKUNDUKIZE : les choses ont changé.
QUESTIONS des parties civiles :
Président : vue l’heure, je vous demande de faire court.
Me FOREMAN : vous avez parlé tout à l’heure de la jeunesse entrainée qui n’était pas des employés de l’usine mais qui venaient dans la région de MATA recevoir un entrainement miliaire. C’était connu à l’époque, cette jeunesse qui venait s’entrainer ?
Innocent BAKUNDUKIZE : cet entrainement se faisait de plein jour, on les entrainait pour qu’ils soient aptes à aller dans l’armée. Ils allaient livrer bataille contre les Inkotanyi[5].
Me FOREMAN : ils ont « livré bataille » à KIBEHO donc ? J’ai cru comprendre que oui tout à l’heure.
Innocent BAKUNDUKIZE : effectivement, ceux qui ont eu des entrainements pour lutter contre les Inkotanyi faisaient partie des groupes à KIBEHO avant de partir au front.
Me FOREMAN : cela se faisait de plein jour, donc à votre avis le préfet devait être informé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne suis pas certain que tout ce qui se faisait en plein jour était connu par le préfet ou les canaux habituels.
Me FOREMAN : mais vous avez dit tout à l’heure que ces jeunes avaient comme supérieur Aloys SIMBA, qui travaille aux côtés du préfet!
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai bien dit que SIMBA était chargé de la défense civile, je ne sais pas comment il travaillait avec le préfet.
Me FOREMAN : je comprends votre grande prudence. Est-ce la même prudence qui vous a poussé à répondre que Charles NYIRIDANDI recevait des instructions des autorités supérieures puis vous avez précisé militaires. Mais l’armée ne donnait pas d’instruction aux bourgmestres, n’est-ce pas ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne comprends pas
Président : est-ce qu’on peut juste lui demander si à son avis, Charles NYIRIDANDI a reçu des instructions des autorités militaires ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non, je ne le sais pas
Me FOREMAN : est-ce que la police communale a participé aux attaques également ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui, j’ai bien dit qu’ils faisaient partie de ceux qui ont attaqué
Le Président sourit et se penche vers le deuxième juge assesseur pour lui chuchoter que les questions vont être longues.
Me GISAGARA : M. le Président, je sais que je formule souvent de longues questions donc je vais tâcher de faire court. Vous faites partie des attaquants de la paroisse de KIBEHO. Il y a l’école Marie-Merci juste à côté. Elle ne fait pas l’objet d’attaques, on est d’accord ?
Innocent BAKUNDUKIZE : non, on n’a attaqué que l’église de KIBEHO
Me GISAGARA : vous savez pourquoi ? Parce qu’il y avait aussi des étudiants Tutsi j’imagine
Innocent BAKUNDUKIZE : c’est parce ce que nous avions seulement peur des Tutsi de la paroisse
Me GISAGARA : mais finalement ces étudiants seront tués. Vous pouvez me dire pourquoi ?
Innocent BAKUNDUKIZE : ces étudiants ont continué à étudier, c’était des Tutsi mélangés à des Hutu. Quand il y a eu un semblant de paix, nous sommes retournés à nos occupations habituelles, je n’ai pas de détails sur leurs morts.
Me KARONGOZI : à l’usine à thé de MATA, les rémunérations étaient plus importantes que cellesde la fonction publique ?
Innocent BAKUNDUKIZE : exactement
Me KARONGOZI : à votre avis, pourquoi on nomme comme directeur un membre de l’ Akazu, du Nord ?
Innocent BAKUNDUKIZE: la raison simple est que le système était conçu comme ça. Ce qu’on faisait à cette époque-là, ces personnes de l’Akazu avaient des postes juteux.
Me KARONGOZI : pensez-vous que la création de la CDR[6], qui va commencer à brûler des maisons à MATA, ces actes ont été encouragés par le directeur ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je pense que vous avez mal compris. Je n’ai pas dit que ces personnes entrainées et qui travaillaient à l’usine sont allées attaquer.
Président : je pense qu’il faut garder du temps pour la Défense.
Me KARONGOZI : la commune que vous avez dirigée compte, je pense que vous le savez, beaucoup de Tutsi. Vous avez précisé que tout le monde s’entendait jusqu’à la chute de l’avion. Vous recevez des instructions qui résultent en un nombre impressionnant de victimes et il y a une mobilisation générale des populations, y compris des communes avoisinantes. Vous pouvez nous citer des personnes venues de ces communes ?
Innocent BAKUNDUKIZE : il est difficile de connaitre les noms de ces personnes
Me KARONGOZI : le nom des communes
Innocent BAKUNDUKIZE : MUDASOMWA, KIVU, RUNYINYA.
Me KARONGOZI : à votre connaissance, vous avez parlé de gendarmes venant de MURAMBA, MUNINI et qui auraient diffusé des informations. À votre avis, toute cette mobilisation aurait pu échapper au préfet Laurent BUCYIBARUTA ?
QUESTIONS du ministère public :
Ministère public : sur les attaques de la paroisse, vous avez évoqué une action coordonnée entre les gendarmes, la population civile. Sur les autorités civiles, vous avez mentionné les bourgmestres. Vous avez dit qu’étaient présent Charles NYIRIDANDI et Jean HATEGEKIMANA. Dans votre déposition, vous aviez mentionné d’autres personnes. Vous pouvez nous citer l’ensemble des autorités civiles présentes ce jour-là ?
Innocent BAKUNDUKIZE: ceux dont je me souviens le nom : le bourgmestre de RWAMIKO, Silas MUGERANGABO. Je n’ai pas d’autre noms.
Ministère public : est-ce que le sous-préfet était présent et son nom ?
Innocent BAKUNDUKIZE : BINIGA Damien
Ministère public : cette présence des autorités locales donnait un sentiment de blanc-seing à la population ?
Président : on pourrait formuler en disant « Est-ce que les attaquants se sont sentis encouragés par la présence des autorités locales ? »
Innocent BAKUNDUKIZE : certainement que la présence de toutes ces autorités encourageaient la population dans ces actions.
Ministère public : et au-delà, est-ce que ça donnait à la population un sentiment d’impunité, de bon droit ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne sais pas pour les autres
Ministère public : vous-même, est-ce que vous avez craint des poursuites ou pas du tout au contraire car les gendarmes participaient par exemple.
Innocent BAKUNDUKIZE : personnellement, je sais que j’ai mal agi, j’ai regretté et demandé pardon à Dieu et aux autorités.
Ministère public : d’accord pour maintenant, mais à l’époque, est-ce que vous vous en êtes caché ? Est-ce que c’était « normal » ?
Innocent BAKUNDUKIZE : à ce moment-là, ces actes étaient contraires à la loi.
Ministère public : on peut dire que votre participation était de notoriété publique, tout le monde savait que vous aviez participé ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je comprends que ma participation n’ait pas eu le même poids qu’un simple citoyen.
Ministère public 2 : vous avez indiqué lors de votre exposé mais aussi de votre audition par les gendarmes que les institutions ne fonctionnaient plus après votre nomination comme bourgmestre le 3 juin – D10365/3.
Ensuite vous dites organiser des réunions pour assurer la continuité des fonctions – D10365/7
Malgré cette situation que vous décrivez, vous décrivez aussi un retour au calme, tous les Tutsi sont morts sur la colline de KIBEHO. Malgré tout, vous continuez d’exercer vos fonctions selon les directives du préfet Laurent BUCYIBARUTA qui garde toujours son autorité. C’est une réalité ? Vous avez pris vos fonctions et agi en fonction des directives du préfet ?
Innocent BAKUNDUKIZE : j’ai fait faire des réunions dans les secteurs. C’est vrai, le préfet m’avait donné des recommandations pour rétablir la paix parmi les citoyens, c’est ce qui m’a poussé à me rendre dans les secteurs.
Ministère public 2 : à partir du moment où il n’y a plus de Tutsi, ce sont vos mots, quel est le sens de ce message de pacification ?
Innocent BAKUNDUKIZE : certes il ne restait que les Hutu mais il pouvait y avoir des conflits internes.
QUESTIONS DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : est-il exact que les troupes du FPR ont pris le contrôle de la préfecture de GIKONGORO après le départ des troupes françaises de Turquoise ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je voudrais que vous reformuliez s’il vous plait…
Me BIJU-DUVAL répète.
Innocent BAKUNDUKIZE : je ne me rappelle pas. Vous pouvez me rappeler les dates ? Quand part Turquoise ?
Me BIJU-DUVAL : nous avons un document Dc5/15 qui indique que les dernières troupes françaises partent le 24 août 1998.
Innocent BAKUNDUKIZE : dans ma commune, nous avons collaboré avec les militaires du FPR. Nous avons collaboré avec d’autres conseillers de secteur car d’autres avaient fui, nous avons organisé des élections.
Me BIJU-DUVAL : vous avez indiqué lorsque vous êtes entendu par les enquêteurs français, que vous avez continué à exercer vos fonctions de bourgmestre jusqu’à décembre 1994 – D10365/2. À ce moment-là, les nouvelles autorités du FPR n’ont pas d’informations qui auraient pu les pousser à vous exclure du poste de bourgmestre, on peut conclure cela ?
Innocent BAKUNDUKIZE : oui car je ne leur ai jamais révélé ce que j’avais fait auparavant.
Me BIJU-DUVAL : tout à l’heure vous avez décrit le moment où le préfet Laurent BUCYIBARUTA se rend à l’église de KIBEHO après les massacres et vous avez indiqué l’avoir vu converser avec le bourgmestre Charles NYIRIDANDI et à ce moment, en parlant des massacres, vous avez dit « le préfet ne pouvait rien arrêter ». Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ?
Innocent BAKUNDUKIZE : je dis cela car à ce moment-là, dans la situation de l’époque, et tenant compte de la colère des militaires après avoir eu l’information que le chef d’État était mort et en même temps ils subissaient des défaites dans les combats alors qu’ils avaient des armes modernes donc ils étaient censés être plus forts que toute autre autorité politique ou administrative.
Audition de madame Théodette MUKAMURARA, rescapée de l’école Marie-Merci. Partie civile.
« Ce que je voudrais vous dire et ce qui me tient à cœur, d’abord c’est de vous m’exprimer mes remerciements pour me prêter une oreille attentive, entendre nos blessures et notre chagrin, ce qui nous a poussés à nous constituer partie civile. Cette situation douloureuse que nous vivions depuis le génocide ne nous quitte pas.
Tout ce qui me concerne rentre dans la période du génocide, où j’étais élève au lycée scolaire de KIBEHO, et je venais d’y passer trois ans. Les autres élèves, pendant cette période, étaient en vacances, mais j’étais à l’école suite à une grève qui avait eu lieu avant les évènements du génocide. Le Ministre de l’Éducation avait pris la décision de fermer momentanément notre établissement scolaire. Donc, pendant le génocide, nous étions restés à l’école pour rattraper le temps que nous avions perdu pendant que l’école était fermée.
Peu avant le génocide, à cette école, j’ai vu la persécution comme un exercice menant vers le massacre des Tutsi. Nos collègues les Hutu ont décidé de tuer les Tutsi. Un soir, nous avons vu tous les élèves entrer faire une manifestation. Un enfant de GIRA a divulgué ce secret comme quoi les élèves Hutu avaient ourdi un complot de tuer les élèves Tutsi. Elle l’a révélé au directeur qui a rassemblé tous les élèves dans l’église, a donné ces informations et a transmis ces mêmes informations aux autorités. Comme les élèves concernés venaient de constater qu’ils avaient été démasqués, ils ont pris des cartons et des troncs de bananiers, et ils se sont rendus au cimetière tout proche de l’école . Ils étaient en train de chanter. Lorsque nous avons vu cette scène, nous nous sommes enfuis.
Après environ trois jours, nous sommes revenus à l’école, on nous avait dit que la situation s’était calmée et on nous avait aussi dit qu’on avait envoyé sur place des militaires. Les comploteurs auraient dû mettre leur projet en œuvre avant qu’ils ne soient démasqués. Ce qui nous a montré qu’ils étaient tous de mèche, c’est que le Ministre e l’Éducation nous a ramenés à l’école, et il n’a pas été question de savoir qui était le meneur afin qu’il soit sanctionné. Par contre, on a licencié le directeur qui était Tutsi, on a aussi changé d’animatrice, nommé un autre directeur. Les élèves nous ont dit qu’ils étaient contents car on avait nommé leur congénère Hutu. Vous comprenez que tout en poursuivant nos études, on se sentait menacé car ils nous disaient qu’ils allaient s’en prendre à nous.
Le moment fatidique a sonné lorsqu’il y a eu l’attentat de l’avion d’ HABYARIMANA. Vers cinq heures du matin, des élèves ont poussé des cris: ils avaient entendu la nouvelle à travers un communiqué qui avait été diffusé, entendu par un veilleur de nuit de notre école. Ils ont tous crié ensemble « Notre père vient de mourir, notre père vient de mourir. Il n’a pas été tué par des personnes autres que des Tutsi. » Nous avons vu que les choses avaient changé. Nous avons tenté d’aller en classe, les autres élèves n’étaient pas là, les professeurs non plus. Le 8 avril, les réfugiés ont commencé à affluer à l’église qui était très voisine de l’école. Certains des élèves logeaient à l’arrière de l’église, d’autres dans les bâtiments situés dans la cour du presbytère. Les autorités ont fait descendre les élèves à l’école, c’est là qu’ils dormaient désormais; tous les élèves ont été rassemblés dans l’école. A ces dates-là, du 8/9/10 avril, le nombre de réfugiés a augmenté dans l’église.
Comme ils commençaient à avoir faim, ils sont descendus à l’école demander de la nourriture et de l’eau; il y avait mes parents, frères et sœurs. Un véhicule administratif est arrivé, je ne me souviens pas s’il appartenait à la préfecture ou à la commune, il transportait des gendarmes. Les autorités sont descendues de ce véhicule pour nous dire qu’elles amenaient des gendarmes pour assurer notre sécurité. Un commandant de gendarmerie est resté sur place. Là où nous étions, nous avions une vue sur la route d’en face, aux dates des 12/13/14 avril, nous pouvions voir ce qui se passait à cet endroit -là. Beaucoup de gens donnaient des coups de sifflet et chantaient « Exterminons-les, exterminons-les ». Ils sont venus et ont encerclé l’église, l’école, et ils se sont mis à tuer les réfugiés. Les gendarmes disaient « taisez-vous », ils écoutaient tout simplement le bruit des balles. Ils les ont tués, nous les avons entendus hurler, gémir. Finalement, il est arrivé un moment où nous n’entendions que cette musique de balles, pas une voix humaine.
Après le 14, les gens qui venaient tuer étaient en petit nombre. Entre-temps, quiconque fuyait, les Interahamwe[7] les tuaient. Après environ cinq jours plus tard, les corps de ces personnes qui gisaient partout dans l’église et dans la cour ont commencé à sentir mauvais. Le directeur nous a dit qu’il allait réclamer que ces personnes soient enterrées. Nous autres étions fort chagrinés, car c’était nos parents, nos frères et sœurs et nos voisins. La manière dont ils les ont enfouis était fort affligeante. Ceux qui travaillaient là-bas pour les enterrements, percevaient une rémunération de 400 francs rwandais, valeur de l’époque. Ils agissaient deux par deux, ils prenaient les corps, les entassaient les uns sur les autres pour faire beaucoup de tas. Puis arrivait le bulldozer de couleur jaune qui prenait de la terre pour la déverser sur chaque tas. A ce moment-là, sans distinction, quiconque qui respirait encore ou qui avait perdu un bras, se retrouvait sous cette terre. Tout le monde se retrouvait sous cette terre. On nous a dit que ces camions étaient venus de GIKONGORO pour nous aider à enterrer les corps. Ils étaient contents lorsqu’ils les ont enfouis. Entre-temps, restait la question de savoir ce que nous allions advenir et où nous allions aller. D’abord, nous souffrions de savoir que nos proches avaient été tués et que nous allions subir le même sort, le même traitement, nous subissions la torture morale et quotidienne de la part de nos collègues élèves.
J’ai vu deux choses là-bas que je garderai toujours en moi. Notre veilleur est allé à l’arrière de l’école, a ramené un bébé en train de téter le sein de sa maman qui avait été tuée. Il nous a confié ce bébé. Comme cet enfant ne voyait plus sa maman, il pleurait tout le temps. Ce qui m’a attristé c’est que cet homme nous a dit: « Est-ce que vous ne voyez pas qu’il serait opportun que je tue cet enfant qui pleure tout le temps ? ». Ce qui est stupéfiant c’est que les élèves lui ont dit oui qu’il fallait tuer cet enfant car il était de sexe masculin. Ce qui n’arrive pas à me quitter, c’est que c’était moi qui tenais cet enfant et qu’il me l’a pris. J’ai serré fort cet enfant, mais l’autre a été plus fort et me l’a arraché. Il l’a emmené devant le dortoir, il l’a frappé contre le mur et lui a donné un coup de gourdin. Ensuite, les enfants qui sont venus à l’école dont ceux de chez nous, nous les avons cachés dans une ancienne salle qui jadis servait de réfectoire. Nous leur apportions de quoi manger et un jour nous avons vu que les élèves leur avaient cassé le dos, ils se traînaient par terre n’arrivant plus à s’asseoir. Nous ne sommes plus retournés là-bas car nous savions que nous allions être tués, ils sont morts de faim. Le plus affligeant c’est que le directeur Emmanuel était au courant de tout cela, il ne faisait rien du tout. Nous demandions à Emmanuel ce qui allait se passer, car à chaque fois les élèves nous menaçaient en nous disant que ça allait être notre tour. Nous leur avons donc demandé ce qui allait advenir de nous. Il a dit qu’il attendait les instructions de l’autorité, qu’il allait à GIKONGORO, et qu’à son retour il aurait une réponse.
A son retour, il ne nous a rien dit. Il a été silencieux et nous a conduits à l’École des Lettres. Durant tout notre trajet, il y avait devant nous des gendarmes et des enfants dont on avait tailladé les corps mais qui étaient toujours en vie. Il nous a dit qu’on avait la messe pour nous, il y avait aussi des Interahamwe qui sont venus, ils avaient déposé leur machette à l’entrée de l’église. Ce qui est étonnant, c’est qu’on nous a dit qu’on ne nous donnerait pas l’Eucharistie car il n’y avait pas suffisamment d’hosties : les « cafards » les avaient toutes consommées (allusion au Tutsi). On nous disait que ceux qui allaient en bénéficier étaient ceux qui étaient au « travail » (les tueurs, les Hutu).
Quand nous sommes retournés à l’école, on a vu quelque chose de terrible. Notre Doyen avait caché un Tutsi dans une grande marmite. Les élèves Hutu ont dit que la nourriture était empoisonnée et qu’il fallait que les élèves Tutsi la mangent sous leurs yeux. On l’a fait car on savait qu’elle n’était pas empoisonnée. Les gendarmes sont arrivés dans une voiture de la préfecture, et à son bord, il y avait d’autres autorités diverses. Parmi eux, il y avait Damien BINIGA (sous-préfet), Laurent BUCYIBARUTA (préfet de GIKONGORO), le bourgmestre de MUBUGA et un assistant de santé locale, ainsi que l’évêque MISAGO. C’était un grand groupe, ceux que je viens de citer sont ceux dont je me souviens. Ils ont dit qu’en ce qui nous concerne la situation était réglée, qu’on allait être protégés par les gendarmes. En réalité, on savait de quelle sécurité il s’agissait, nous savions que par « sécurité », ils voulaient dire que tous les Tutsi allaient être tués et que seuls les Hutu seraient en sécurité. Ils ont tenu une réunion, nous n’arrivions pas à savoir ce qu’ils disaient. Ils se sont fait rejoindre par les chefs (jeunes gens qui étudiaient à l’école) avec le directeur Emmanuel.
Après la réunion, les autorités sont reparties en laissant sur place les gendarmes. Certains élèves qui avaient tenté de fuir vont se mettre en danger, effectivement personne n’a pu fuir, car les gendarmes nous surveillaient. En réalité, nous savions ce qui nous attendait. Nous tentions de rester forts. Ils nous disaient que, d’un moment à l’autre, notre heure allait arriver, ils attendaient un coup de sifflet.
Pour dire vrai, du 7 au 30 avril, nous avons connu beaucoup de problèmes, nous n’avons eu rien de bon, et nous avons essayé de faire tout ce qui était en notre pouvoir pour fuir. Ce n’était pas possible de nous concerter pour nous mettre d’accord sur la route que nous allions emprunter. Mais, à un certain moment, nous avons pu nous mettre ensemble à 10. Nous nous sommes mis d’accord, qu’il fallait s’évader de là dans la nuit du 1er, au moment où les autres seraient entrés au réfectoire pour manger. C’est à ce moment que les gendarmes en ont profité pour aller manger aussi. Nous avons amorcé une descente à travers une forêt située en contrebas de l’école. C’était donc moi, une jeune fille, et neuf garçons, tous les noms ne me reviennent pas, nous étions 10. Nous sommes descendus à travers la forêt, et nous nous sommes retrouvés nez à nez avec une barrière. Nous avons rebroussé chemin jusqu’au collège Marie-Merci et nous avons encore rencontré une barrière. Je connaissais bien la localité, nous avons pu traverser la route pour aboutir à une vallée. J’ai marché devant eux afin de les aider à fuir vers le Burundi, mais ce trajet n’était pas du tout facile.
Nous marchions la nuit, et nous nous cachions dans les forêts, dans les brousses. Quand la pluie tombait, les tueurs ne venaient pas beaucoup à notre chasse. De notre cachette, nous voyions les gens se faire tuer. Même si c’est moi qui les ai guidés du haut de mes 14 ans ce n’était pas facile, je ne connaissais pas très bien les lieux. Nous fuyions depuis plusieurs jours, pour nous rendre compte que nous étions revenus à la case départ. Nous avons discuté, nous étions morts de faim et nous sommes allés chercher de la nourriture, arracher du manioc en vue de le croquer. Je me suis endormie sur place à cause de la faiblesse, de la faim et de la fatigue. Ils m’ont laissée, mais une fois en haut de la colline, ils se sont rendus compte qu’ils m’avaient abandonnée. Ils sont revenus me chercher.
Nous avons continué notre périple. Il y a eu, ce que je pourrais qualifier de la « chance ». Les gens nous ont entendus et ont poussé des cris. Nous avons couru jusqu’au moment où nous sommes arrivés dans la vallée. Nous avons couru jusqu’au moment où nous sommes arrivés jusqu’à la hauteur des gens qui cultivaient la terre de l’autre côté. Nous avons commencé à nous adresser à eux en leur mentant, en leur disant que nous étions des Hutu. Ils nous ont dit de ne pas mentir : « Ne nous mentez pas, vous êtes en train de fuir, mais vous êtes au Burundi ».
C’est ainsi que nous sommes arrivés au Burundi. Ce qui est le plus affligeant c’est que c’est comme si nous avions précipité la mort de nos collègues. Nous avions laissé nos collègues Tutsi à l’école, ils ont été tués. Nous avions appris qu’ils les avaient tués d’une mort atroce. Quiconque voulait violer venait et prenait qui il avait envie de prendre, en mentant et en disant qu’il allait la sauver et faire d’elle une épouse. Certaines d’entre elles ont pu survivre dans cette situation. Ce sont elles qui nous l’ont raconté. Par exemple, son « veilleur » avait, à lui seul, quatre filles chez lui à la maison. il les prenait à sa guise et à tour de rôle selon ses envies. Les camarades Tutsi restés sur place sont morts d’une mort atroce. Ils avaient été encerclés par les Hutu qui étaient dans leur collège. Aucune autorité n’a plaidé leur cause, toutes ces personnes ont canalisé sur eux la fureur qu’ils ressentaient parce que nous leur avions échappé. Ils ont beaucoup souffert.
Audition de monsieur Second TWAKIRAMUKIZA, rescapé de l’église de Kibeho. Partie civile.
Déclaration spontanée :
Permettez-moi de dire comment les autorités d’avant le génocide ont fait pour que les Hutu haïssent les Tutsis. J’ai débuté l’école primaire en 1966. En 1967 j’étais en deuxième année. J’étais camarade de classe de Claver, son père était notre enseignant. Il nous a demandé de nous scinder en deux (Tutsi/Hutu). J’ai suivi Claver car c’était mon ami. Le maitre m’a dit non, toi tu es Tutsi. Le maitre s’est levé et m’a frappé à la tête avec une barre. Ma tête était en sang. Je l’ai dit à mon père à mon retour. Il m’a dit d’écouter le professeur. Des élèves et des étudiants de BUTARE sont venus à l’école où nous étions à KIBEHO, ils sont venus dans un véhicule officiel, ils étaient armés. Quand ils sont arrivés sur la place, un enseignant a dit que ç’en était fini pour les maitres et les élèves Tutsis.
Les enseignants ont fui. Nous aussi. J’ai appris que j’étais Tutsi aussi, j’ai fui. En 1990, le 1 octobre, quand les Inkotanyi ont attaqué le RWANDA, le lendemain matin, les autorités communales, les policiers sont venus, ils ont arrêté les Tutsis enseignants. À cette époque j’étais responsable de cellule. Ils sont restés en prison une semaine, ils ont été molestés. Quand on les a relâchés, ils ont été conduits à l’hôpital. Le 14 juin 1993, je ne peux pas l’oublier, il y avait le multipartisme. Ce jour-là il y a eu un meeting du parti MDR. On disait que le MDR était pour les Hutu qui n’avaient pas épousé les Tutsi et qui ne soient pas parents des Tutsi. Celui qui dirigeait le meeting, il y avait le sous-préfet Damien BINIGA et notre bourgmestre. J’étais là car on nous avait dit que les responsables devaient être au courant et assurer la sécurité des personnes présentes. Je devais faire un rapport. La personne au micro a parlé fort « qui est notre ennemi ? » : « les Tutsi ». Ils ont tous acclamé le bourgmestre et le sous-préfet. Quand j’ai vu ça, j’ai fait comme si j’allais aux toilettes et je suis parti.
En date du 7 avril matin, j’ai entendu à la radio que le Président HABYARIMANA était mort. Personne n’est allé au travail. Je suis allé dans ma cellule pour voir comment ça se passait, j’ai croisé l’autre conseiller Mathias GASHUMBA. Il m’a demandé quelle était la situation. Je lui ai dit que personne ne travaillait, que tout le monde était arrêté. Il m’a dit que des cafards avaient attaqué, que ces cafards avaient des grosses oreilles pendantes, ainsi que des grandes queues comme des moutons. Il m’a dit de veiller à la sécurité et de cesser cela, j’ai acquiescé. J’ai dit à la population d’arrêter ces cafards. Nous avons veillé toute la nuit pour arrêter ces gens. Dans les cellules il n’y avait pas de Hutu. Le lendemain je n’ai trouvé que les Tutsi. Je leur ai demandé pourquoi. Ils m’ont dit que c’était moi le responsable. Je suis allé m’informer et je suis allé voir mon collègue. Arrivé minuit, le conseiller est venu. Je lui ai dit que les Hutu ne voulaient pas venir veiller avec nous. Il m’a dit « Ces gens sont impossibles, je vais te montrer demain ». Il a dit qu’il allait demander au bourgmestre d’arrêter les Hutu qui ne voulaient pas veiller.
Le lendemain vers 16h je suis allé vers l’église. J’y ai trouvé des réfugiés Tutsi. Ils m’ont dit qu’il y avait des gens qui venaient de NYAMAGABE qui étaient venu détruire leur maison et piller leurs vaches. Ils ont passé la nuit sur place. Le 9, je ne suis pas retourné veiller. J’ai passé ma journée là. Le 10 je suis allé à la messe. Après je suis rentré. Il était autour de 11h, il y avait un bar qui était tenu par un Tutsi. J’ai trouvé tous les Hutu rassemblés là, ils avaient cassé la porte et bu l’alcool. Celui qui était employé (Jean), petit frère du propriétaire, a dénoncé ces gens. Je suis venu sur place. J’ai vu qu’ils avaient des machettes dans la ceinture de leur pantalon. Je lui ai fait un signe pour qu’il sorte. Je lui ai montré qu’ils avaient des machettes. Je suis parti. Vers 19h j’ai entendu des balles pas loin de ce bar. J’ai entendu des bruits avec des voix qui disaient « Power! Power! ». Je me suis dit que là c’était le feu. J’étais en face. Ils ont commencé à brûler. J’ai couru chez moi pour prévenir ma famille. Ils ont pu fuir. Mon père est parti avec sa vache, la mienne et celle de mon grand-père. Mon père a donné les vaches à mon petit frère. Nous sommes ,avec mon père, restés dans les champs pour regarder s’ils allaient venir chez nous. Mon père avait un rôle à l’église catholique, il était très respecté. Mais les Hutu ont brulé ses biens. Ils ont mis le feu avec des branches d’eucalyptus. Ils ont abattu les chèvres. Mon père m’a dit qu’on allait fuir à KIBEHO. Nous nous sommes séparés en chemin. Arrivé sur place, j’ai trouvé un jeune homme qui avait des troubles mentaux, avant on disait qu’il était fou, il était Tutsi. Ils l’avaient découpé. Je suis allé à l’église.
Le lendemain matin je suis allé chercher l’herbe pour le bétail. Avant que je ne parte, le prêtre NGOGA nous a apporté des vivres. Quand je suis allé chercher l’herbe je suis resté sur place. Mes camarades Tutsi m’ont dit que les autorités étaient venues et que le bourgmestre m’avait demandé. Il est ensuite revenu, il m’a dit qu’il m’avait cherché avant, alors que les autres autorités pensaient qu’il était compétent. À la station d’essence on a trouvé des partisans du CDR, chapeau et béret rouge. On nous a dit que les gens qui nous avaient attaqués étaient des voyous, qu’il fallait que l’on rentre, qu’on allait nous donner des logements et assurer notre sécurité. Innocent BAKUNDUKIZE, m’a dit « Notre père est mort (président) et vous vous parlez, vous devez mourir aussi ». Nous avons pris la fuite, nous sommes retournés à l’église.
Quand nous sommes arrivés à la paroisse, c’était un mardi, des gendarmes sont montés au nombre de trois avec des fusils. Je ne distinguais pas ça avant, mais aujourd’hui j’arrive à savoir, ils sont allés à l’arrière du presbytère. Au bout de 30 minutes nous les avons vu revenir avec Emmanuel UWAYEZU. Il avait une valise. Quand ils sont descendus, le prêtre Pierre NGOGA nous a dit: « Ce que j’ai entendu dire, c’est grave, faites attention ». Nous lui avons demandé de qu’il avait entendu. Il a répondu « laisse ». Dès que nous étions à la paroisse, il y avait des écoles primaires en contre-bas qui étaient pleines, les écoles du haut aussi étaient pleines. Le prêtre Pierre a vu qu’il y avait des parents, des jeunes mamans, des vieillards. Il a laissé ces bâtiments à ces gens-là. Quand il a dit ça, une femme a accouché devant lui. Elle a été présentée à l’hôpital. Le directeur du centre de santé l’a refusée. Ils l’ont ramenée et elle a rejoint les autres dans ces bâtiments-là.
Vers 13h30, nous avons entendu les personnes qui contrôlaient la paroisse dire: « Nous sommes attaqués, nous sommes attaqués ». Une foule est montée jusqu’à la hauteur du Centre de santé. Nous avons décidé de demander aux jeunes femmes et aux filles de ramasser des cailloux pour nous défendre. Les tueurs sont venus, ils ont tiré et ont lancé des grenades. Un enfant est mort, l’autre a eu la jambe coupée (mais pas complètement détachée de son corps). Ils ont pris le jeune, ils ont mis une épée sur sa tête et l’ont enfoncée à l’aide d’un marteau. Nous avons compté les corps, ils étaient au nombre de sept.
Le témoin quitte subitement la salle en pleurant.
*** Suspension d’audience – 16h56 ***
*** Reprise d’audience – 17h12 ***
Je parlais de la personne dont on a enfoncé une épée dans la tête, c’était mon cousin. Quand on a eu le dessus sur eux et qu’ils sont partis, nous avons compté les corps. Nous sommes ensuite retournés à l’église. C’était en date du 14, nous y avons passé la journée. Ce jour-là nous étions avec des Hutu qui avaient fui avec nous. Leurs proches sont venus les chercher. Ces Hutu étaient des amis. Nous avons passé là toute la journée jusqu’au milieu de la nuit. Ils nous ont lancé une attaque de grande envergure. Ils sont venus en quatre groupes. nous entourant de tous côtés.
Nous nous trouvions ainsi en tenaille entre ces groupes. Les gendarmes qui gardaient les élèves de Marie-Merci sont passés derrière pour que personne ne leur échappe. Ils ont fait un acte tellement mauvais que Dieu les punira pour ça : ils ont tiré le bras de la statut de la Vierge (qui était pointé vers le ciel). Ils ont crié « leur vierge vient de les abandonner ». Ils se sont mis à tirer, après avoir fait 50 mètres, les uns sont allés au Centre de santé pour y tuer les patients (femmes qui ont accouché). Après les avoir tuées, ils sont revenus tuer les autres avec des gourdins. Ils sont partis aux établissements scolaires et ont tué toutes les personnes qui s’y trouvaient. Les Interahamwe ont achevé les gens. Ceux qui étaient passé derrière l’église ont tué les femmes ayant accouché et les vieux qui s’y trouvaient après avoir encerclé l’église de partout. À ce moment, je suis à l’intérieur de l’église. Nous avons pris les bancs de l’église avec lesquels nous avons condamné les portes. Ils n’avaient nulle part où aller. À ce moment, les attaquants ont commencé à faire des tours dans l’église pour tirer. Notre église, on l’avait construite avec de la terre. Mais aux alentours nous avions mis du ciment ce qui rendait facile la destruction. Ils se servaient de petites houx usées. Ils ont fait des trous tout autour des murs de l’église. Ils faisaient passer par là des grenades. Ils lançaient dedans avec leur fusil des bombes lacrymogènes. On avait mal aux yeux.
À ce moment c’était la nuit, ils n’ont pas pu passer. Ils ont reculé. Après, le prêtre est arrivé (Pierre). Il a dit: « Quiconque se sent avec encore de la force doit s’approcher pour prier pour eux ». Il s’est approché de l’hôtel, s’est assis dans le fauteuil principal du curé et a chanté un chant d’enterrement. Après, il a tendu son bras, il a fait un signe de bénédiction en disant : « Vous partez sans pécher ». Il s’est assis dans le fauteuil immédiatement. À ce moment-là, les gendarmes ont donné l’ordre que personnes ne s’échappe. Ils nous disaient que nous allions avoir la vie sauve une fois arrivés à BUTARE dont le préfet est Tutsi. Des personnes ont tenté de fuir, moi aussi. Mais une fois dans la forêt on nous a tiré dessus.
Je suis alors retourné à l’église. J’avais participé à la construction d’un WC. C’était fait de manière qu’en cas de besoin on pouvait se cacher. Je m’y suis caché. Les gendarmes ont continué la ronde pour empêcher les gens de partir, cela s’est déroulé jusqu’au matin (tirs). De nouveau, ils ont encerclé l’église le matin. Je les connaissais par leurs noms. Innocent BAKUNDUKIZE, agronome à l’usine de Mata, a dit de prendre les branchages des enclos des Tutsi et ceux du prêtre. Ils ont d’abord discuté entre eux. Ils ont dit: « On ne peut pas trouver des branchages qui suffiraient pour brûler l’église et tous les faire brûler dedans ». C’est alors qu’il a enfourché une motocyclette en disant: « Je vais vous chercher de l’essence ». Il l’a fait. Ils ont mis des branches sèches partout, dont le toit de l’église qui était fait de tuiles, de charpente en bois. Ils y ont mis le feu. L’église a brûlé. Ce fut des bruits et des hurlements dans l’église. Ils ont passé des heures. Quand ils ont vu que tout le monde était mort ils ont chanté: « Nous venons d’éliminer l’ennemi ». Il a même dit à haute voix: « Allons nous récompenser avec des bières que nous avons pillées chez Jean ». Après leur descente, il n’y avait plus personne là-bas.
En ce qui me concerne, je mourrais déjà de faim. Je me suis dit qu’il fallait que je me rende à la paroisse pour manger des bananes crues. Partout où je passais, le sol était jonché de cadavres. C’était plutôt les mamans qui m’affligeaient. En réalité, les mamans et un papa ce n’est pas la même chose. Il s’agit chaque fois de la mort, mais c’est quand même différent. J’ai eu un peu de bananes, la nuit est tombée. J’ai pris la direction de la vallée. J’ai longé celle-ci dans le but de me rendre à Butare. Je suis arrivé à NYUMBA. Lorsque j’y suis arrivé, on nous a de nouveau attaqués. Les gens que j’ai trouvés sur place nous on dit: « Partons avant qu’ils nous tuent, si Dieu le veut nous arriverons au BURUNDI ». Dieu était de mon côté, je suis arrivé au BURUNDI, mais seul d’une famille nombreuse.
Président : quel âge aviez-vous?
Le témoin : 34 ans, j’étais marié avec 4 enfants.
Président : que sont-ils devenus ?
Le témoin: 2 sont morts, ma femme a été grièvement blessée. Après le retour d’exil elle est décédée. Le cadet avait 8 mois. Donc deux ont survécu. Mon grand frère avait 8 enfants, c’était l’ainé de mon père. Tous ont été tués. Ma sœur et son mari ont tous été exterminés. Mon père aussi et mon petit frère. Mon père n’est pas mort à l’église, il est retourné à son domicile, c’est là qu’il est mort. Je ne sais pas où est son cadavre.
Président : vous nous avez parlé d’Innocent BAKUNDUKIZE qui a encouragé les massacres.
Le témoin : oui.
Président : Charles NYLIDANDI a fait lui aussi partie des attaquants ?
Le témoin : oui
Président : aujourd’hui, comment vivez-vous ? Vous y pensez souvent ?
Le témoin : cela me pèse lourd, voyez j’ai 62 ans mais à cet âge je dois encore m’occuper d’un bébé. Au moment où mes voisins ont des petits enfants.
Juge assesseure 1 : vous évoquez un meeting du pari MDR ? Il n’était pas accessible aux Tutsi ?
Le témoin: ce parti avait instauré cela.
Président : cela était-il fréquent de faire cette différence ?
Le témoin : non
Président : pouvez-vous donner d’autres exemples, ou c’était spécifique à ce parti ?
Le témoin : je peux vous en donner, tout ce qui concerne ce parti je dois vous dire que tout Tutsi n’avait pas le droit de s’y tenir. Avant, les Tutsi comme les Hutu faisait partie du MDR. Le MDR rénové a été mis en place pour qu’aucun des Tutsi ne participe.
Pas de question des PC, du MP ni de la Défense
Laurent BUCYIBARUTA : M. le Président, nous avons écouté le récit du témoin ici présent, je n’ai pas de commentaires pour les évènements auxquels je n’ai pas assisté. Je précise que le 17 avril quand j’ai appris qu’il y avait eu des massacres à KIBEHO, nous sommes allés ensemble avec l’évêque. J’ai constaté tant de cadavres entassés. J’ai compris que les Tutsi à KIBEHO avaient été tués dans des conditions atroces. J’étais tellement touché que je ne pouvais plus voir les cadavres des gens. C’était atroce.
Audition de madame Agnès KAMAGAJU, rescapée de Kibeho. Partie civile.
Déclaration spontanée :
Ce que je voudrais dire, c’est que j’ai été baptisée dans la paroisse de KIBEHO. J’ai étudié l’enseignement primaire. J’y ai grandi. Je voudrais accélérer M. le président. Pour que je puisse arriver à cette année 1994. La mort du Président HABYARIMANA. On a dit qu’il est tombé le 7 avril. En date du 4, on avait eu une petite fête pour mon frère ainé. Il avait fait baptiser son fils ainé. Toute la famille était réunie. Mon frère travaillait à BUTARE dans la préfecture. En date du 7, on nous a dit qu’il fallait que l’on reste chez nous. À cette date spéciale j’étais en train de préparer la fête. En date du 7 et du 8 j’étais en famille. On a commencé à voir à RWAMIKO des maisons qui brûlaient. J’avais encore tous mes parents. Ils nous ont dit: « La situation est difficile, levez-vous, fuyez pour vous réfugier ». En date du 9 avril, tous ces enfants, je les ai conduits. Arrivés en chemin je sentais que nous devions aller nous réfugier à la paroisse avec tous ces enfants et les autres enfants de la famille élargie qui étaient aussi à la fête. Ils nous ont posé la question à la commune de MUBUGA « Agnès, pourquoi tu fuis ? ». J’ai dit que les gens avaient commencé à incendier nos maisons. Les prêtres ont dit: « N’exagère pas, ce sont peut-être des voleurs ». J’ai reconduis tous ces enfants à la maison, j’ai fais demi-tour.
J’ai traversé une commune. C’est un chemin qui pouvait prendre du temps. J’ai croisé des Hutu qui avaient commencé à tuer les vaches en les coupant en morceau. Des personnes étaient également mortes près de la rivière. Arrivés en chemin, j’ai croisé des personnes qui courraient me disant qu’il y a un enseignant qui venait d’être tué.
Nous avons continué, nous sommes retournés encore à la paroisse. J’avais les clés de là où je travaillais à la paroisse. Dans cette maison-là, je vendais du matériel scolaire. J’étais en charge de tous les livres scolaires pour les enseignants. Même les inspecteurs venaient chez moi car je vendais des cahiers d’appel. Le local dans lequel je travaillais, il y avait un fût d’essence, de pétrole, de mazout. À ce moment, je suis allée demander la permission de cacher ma famille ici (au directeur de l’école Marie-Merci et au prêtre qui était son chef hiérarchique et représentant légal). J’ai eu cette permission mais je ne devais toucher à rien.
Pendant que nous étions là, des réfugiés Tutsi sont venus de toutes parts, le 1er, 2ème et 3ème jour. Tout était plein (cour d’école, paroisse…). Pendant que les réfugiés étaient tous ensemble, les autorités sont venues nous rendre visite. Le premier que j’ai vu, était le sous-préfet Damien BINIGA, les bourgmestres des communes MUBUGA, de RWAMIKO (et d’autres communes). Ils nous ont tranquillisés. Mais je comprends qu’ils nous trompaient en nous offrant de quoi manger. Cette nourriture était insuffisante au regard du nombre de personnes.
La date que je peux me rappeler est la date des 12, 13, 14 et 15 avril. Ces dates, c’est là où j’ai vu des choses horribles auxquelles je ne m’attendais pas.
En date du 12, ils sont venus nous tuer. Il y avait beaucoup de jeunes, qui ont attaqué aux bruits de sifflet, de tambour. Ils étaient vêtus de feuille de bananiers, d’autres couverts d’herbe (croisés dans tous les sens, mélangé avec des branches de cyprès). Ils sont venus, ils ont coupé des personnes avec des machettes, lances, gourdins cloutés, haches… Des jeunes gens et des hommes qui avaient une force jeune, des Tutsi, des jeunes filles fortes nous ont demandé de prendre des pierres et de les cacher dans nos vêtements. On nous a dit de nous défendre. Ce jour-là, ça s’est passé comme ça, ils ne nous ont pas vaincus mais ils avaient tué quelques personnes.
En date du 13, nous avons passé la nuit de partout. Ce jour-là, tous les Hutu étaient calmes. J’ai posé la question au prêtre: « Que se passe-t-il ? ». Il a répondu que les responsables administratifs étaient allés dans une réunion à GIKONGORO.
En date du 14, vers 9h du matin, ils nous ont amené du riz, du porridge, mais ce qui m’a fait mal c’est que personne n’était capable de manger. Vers 13h ils étaient éparpillés un peu partout : femmes, hommes, jeunes enfants. Ils avaient des sifflets, des tambourins, des cris. Nous avons couru nous réfugier dans l’église, les classes, chez les prêtres… Tout d’un coup j’ai commencé à entendre pour la première fois des coups de feu. On nous a dit que c’était des fusils et qu’il fallait se cacher. Ceux qui étaient dans l’église comme moi, on a reçu des bombes lacrymogènes. On avait mal aux yeux. Ceux qui ont eu un peu de force ont commencé à fuir. Ils ont commencé à tuer les personnes. Je suis allé me réfugier à la sacristie. Ils avaient toutes les armes possibles : machettes (divers format), haches, coupe-coupe, gourdins cloutés. J’étais là, nous avions ouvert la fenêtre, on a reçu des lances.
Ils ont dit qu’il y avait des vivres, que chaque personne pouvait s’en saisir et s’enfuir avec ; certains l’ont fait. On était encore là, à travers la fenêtre on voyait l’école, ils ont tué une enfant, Valentine, la fille d’un médecin, dans le secondaire, ils l’ont coupée avec une machette. Son papa (Barnabé) regardait aussi à travers la fenêtre, il a beaucoup pleuré (on lui a coupé le bras car il voulait partir, son bras est tombé sur moi) ; on était dans la chapelle des prêtres. Un prêtre est venu en courant, il a dit: « Que celui qui peut prier le fasse ». Il nous a donné l’hostie et a prié pour nous : « Demandez pardon pour vos péchés, même les non baptisés ».
Je suis tombée par terre, ventre contre terre ; toutes les victimes sont tombées sur moi. Toutes ces personnes qui venaient chercher les vivres, je les connaissais, elles m’appelaient par mon nom et disaient: « Agnès prie pour nous pour que nous allions au ciel ». Ceux à qui j’ai pu serrer la main pour les encourager, je l’ai fait.
Les Hutu avaient un secret (signe secret) entre eux, quand ils avaient fini leur travail, ils revenaient le lendemain. Le prêtre est venu, il m’a dit: « Vous qui respirez encore, venez avec moi, fuyez ». J’ai répondu que j’avais beaucoup de cadavres sur moi. Il m’a passé sa main dans le dos, il m’a dit « Tiens fort et essaye de remonter, de te lever ». Il a été un héros. J’ai essayé de tenir sa main et de remonter car j’ai vu certaines personnes mutilées (tête et bras coupés) crier. Je suis tombée dans leur sang. Le prêtre m’a retendu la main. Je me suis levée. On m’a demandé de l’eau à boire mais où est-ce que je pouvais en trouver ? Tout avait été coupé.
J’ai continué en marchand, j’ai croisé ma mère. Elle avait un petit enfant entre ses bras, le fils une grande sœur. Elle m’a dit: « Mon enfant, ma fille, je pensais qu’on t’avait coupée en morceaux, je te bénis ma fille ». J’ai dit à maman « partons ». Maman a répondu: « Je n’ai pas la force ». À travers ces cadavres, j’ai entendu un coup, avec celui-là j’ai perdu la mémoire. C’était le toit de l’église qui était tombé. Je suis entrée dans l’église, j’ai pu voir que certaines personnes respiraient encore, d’autres étaient coupées avec la machette, c’est là où j’ai perdu la force de bouger.
J’ai pu circuler au milieu de ces cadavres. C’était plein de sang. Certains m’appelaient pour me demander de l’eau. Je ne pouvais pas trouver de l’eau. Je me suis assise dans une niche, il y avait beaucoup de cadavres. Certains professeurs, une dame Marie- Michel (enseignante)… ses amis (sœur de l’épouse de l’enseignant), une autre enseignante… je me suis assise là-bas. Tout d’un coup j’ai entendu le bruit des oiseaux, j’ai essayé de marcher mais je n’ai pas pu. Heureusement, j’ai réussi à sortir de là. Je n’avais plus envie de vivre car j’avais trouvé beaucoup d’enfants, de bébés qui tétaient leurs mamans déjà mortes. J’ai continué à descendre.
Arrivée près de l’école, pas loin de l’hôpital, j’ai trouvé un militaire. La différence entre militaire et gendarme, c’est la tenue. Il avait un fusil avec beaucoup de grenades sur lui. Il m’a arrêtée: « Où vas-tu ? Continue et on va te tuer ». J’ai continué mon chemin. Je suis allée dans le lieu où il y avait les religieuses. Je me suis assise dans les cyprès. Il est apparu un serpent. J’ai couru. Arrivée à l’extérieur j’ai vu une foule qui venait attaquer (enseignants de Marie-Merci ou école de fille, des dirigeants, des jeunes). Je cherchais de l’eau. Tout d’un coup j’ai vu que ces personnes portaient du bois, ils portaient beaucoup de choses sur eux. Ils se sont dirigés vers l’église.
De là où j’étais (chez les sœurs) et l’église il n’y avait pas une grande distance. J’ai entendu des explosions. Les attaquants sifflaient et criaient très fort. Ils disaient: « Les serpents se réveillent et se multiplient ». Je suis arrivée aux portes des sœurs. J’en ai rencontré une, je lui ai demandé refuge. Elle m’a dit de venir vite en courant. La sœur a enlevé son voile et m’a dit: « Même si c’est un péché, je le fais ». Elle a mis son voile sur ma tête. Elle m’a enlevé mes vêtements et m’a donné un pull et d’autres vêtements avec des sandales. Elle m’a dit: « Tiens-toi debout ».
Pendant ce temps, le directeur de l’école est entré avec ceux qui avaient des armes, fusils, grenades sur leurs ceintures. Il m’a demandé: « Depuis quand es-tu devenue une religieuse ? ». À ce moment, le policier m’a enlevé le voile que j’avais sur ma tête. Il a posé la question: « C’est elle que l’on doit tuer? ». On lui a répondu non. La sœur religieuse est venue en courant et m’a embrassée et a dit: « C’est une sœur de chez nous ». Il y avait une autre sœur, je ne connais pas son nom. Cette dernière a dit: « Suivez-moi ». Ils ont dit « nous cherchons le Père NGOGA car il a tiré sur un gendarme ». Ils sont entrés dans les locaux. Il y avait des mamans qui s’était consacrées à Dieu. Quand ils sont entrés, ils les ont tuées sur place. Ils ont aligné les cadavres. On les a tous sortis de cette cour des religieuses.
Quand on m’a sortie, la sœur religieuse a pris un enfant dont la mère avait déjà été tuée. Elle me l’a donné pour que l’on puisse l’apporter à la croix rouge située à BUTARE. Les Interahamwe avaient tout encerclé, l’église brûlait. Ceux qui n’étaient pas encore morts étaient achevés avec les gourdins. On m’a enlevé cet enfant qu’on m’avait donné. On pensait que c’était peut-être un enfant de mon frère. Les gendarmes sont venus, ou les militaires, je n’en sais rien, ils ont dit: « Non, ne le tuez pas ici ». Ils m’ont accompagnée jusqu’à la statue de la Sainte Vierge dans la cour. Là était garé un véhicule de la marque Toyota, j’y ai trouvé un homme sans pitié qui tue tout ce qu’il voit. C’était un veilleur à l’école Marie-Merci. Il m’a soulevée avec ses bras, il m’a jetée dans ce véhicule. On devait épargner les passagers en les cachant à la préfecture. Les militaires et policiers m’ont laissée, je suis restée dans ce véhicule. Un militaire a dit: « Si on la tue, je tuerai l’un de vous ».
Tout à coup j’ai vu que le directeur, c’était celui de Marie-Merci, il allait cacher des gens (professeurs). Il voulait les conduire à BUTARE. Comme j’étais dans la voiture, on ne m’a jamais bougée de là. J’ai fermé les yeux. Les Interahamwe l’ont encerclée. Ils voulaient me percer d’ une lance ; j’ai fermé les yeux. Le directeur a démarré immédiatement. Nous avons rencontré une barrière. Il y avait le bourgmestre, Ildephonse (bourgmestre de RWAMIKO), un policier (Ruco), responsable directeur d’une école de garçon, Innocent BAKUNDUKIZE, des enseignants de Marie-Merci, des jeunes qui avaient des armes. Ils ont dit à une professeure: « Tu devrais réciter ta dernière prière avant que l’on te tue ». Elle avait dans son dos son enfant. Le véhicule a été arrêté. Le directeur est sorti de la voiture. Il a dit qu’il avait dans sa voiture des Zaïrois. Les Interahamwe m’ont demandé si Dieu se souvenais encore de moi. Je me suis tue, je ne pouvais rien dire en voyant du sang partout. On nous a fait descendre là. Ils ont sifflé (signe disant « tu peux partir »). Nous sommes arrivés à une deuxième barrière.
Il y avait beaucoup d’Interahamwe. Ils ont demandé au directeur de nous faire descendre. Il a dit que c’était des Zaïrois. Nous avons pu repartir. Nous sommes arrivés à une troisième barrière. C’était une route qui allait vers la paroisse en descendant de BUTARE. Ils ont sifflé beaucoup en disant qu’ils ne pouvaient pas passer cette barrière car il y avait des Tutsi dans la voiture. Le prêtre Emmanuel a dit: « Depuis que vous avez tué, vous n’êtes pas satisfaits ». Il a dit: « Cette femme, je la prends pour moi, si vous la tuez, on va vous tirer dessus ». Ils nous ont laissés passer.
On arrive à une nouvelle barrière. Il y a des femmes et des enfants Hutu qui criaient aussi beaucoup. J’ai fermé les yeux. Je n’ai pas vu le véhicule repartir. On est arrivé à la rivière. À ce niveau nous avons croisé un véhicule de la gendarmerie. Ils ont dit qu’ils allaient aider les Tutsi à KIBEHO alors qu’ils avaient été décimés. Le prêtre a tiré sur un gendarme et ils nous ont laissé partir.
On est arrivé à BUTARE avec les quatre gendarmes. Ils m’ont dit de descendre de la voiture, la sœur lui a dit: «Jje voulais t’accompagner ici jusqu’à l’évêché, rends-moi mon voile ». Ils ne m’ont pas accueillie. Pendant qu’ils ne voulaient pas m’accueillir, j’ai vu le prêtre Jean-Marie, il m’a salué car nous avions un lien parental. Il a dit: « Où est ce que vous la prenez ? ». Les militaires ont dit: « Celle-ci est devenue la nôtre. Où devons-nous la conduire ? » Il y a une petite maison pas loin, ils m’ont mis dedans. Dans cette maison il y a un grand fusil, ils m’ont dit: « Reste ici, tu ne mourras pas ». Tu vas accompagner le père (Président HABYARIMANA). Je suis restée dans cette maisonnette. Ils me faisaient sortir deux jours après puis on rentrait. Ainsi de suite jusqu’au mois de juillet.
Au mois de juillet, les militaires français sont venus, on nous a dit qu’ils venaient aider les personnes. Ils m’ont dit de me sauver. Je suis entrée dans un véhicule des sœurs. Ils m’ont emmenée dans la zone Turquoise à MURAMBI. Entrer là-bas, c’était difficile. Je ne pouvais pas entrer là-bas si on n’était pas Hutu. Il y a eu des négociations. Ils m’ont demandé: « Tu es Tutsi ou Hutu ? ». Je leur ai dit: « Je suis Tutsi ». Ils m’ont dit: « Ta place n’est pas ici ».
Les négociations ont continué, ils m’ont demandé avec qui j’étais et j’ai répondu que j’étais dans la team de monseigneur GAHAMANYI ( NDR. L’évêque tutsi de Butare). Nous sommes arrivés à entrer. L’hélicoptère les a conduits au ZAÏRE. Mais je suis restée là, il y avait du sang, des cadavres, des ossements. Il y avait également des réfugiés, j’y suis restée jusqu’au mois d’août. Un véhicule est venu pour ceux qui voulaient retourner à BUTARE.
Laurent BUCYIBARUTA : je n’ai pas de réaction particulière car le récit qui vient d’être fait ne se rapporte pas à moi. Je comprends que le témoin a eu des difficultés comme tous les réfugiés qui étaient dans différents endroits. (NDR. Noter que l’accusé manifeste peu de compassion avec le témoin!)
Président : le directeur vous a sauvée ?
Agnès KAMAGAJU : le directeur ne m’a pas sauvée, car ce n’était pas moi qu’il souhaitait protéger mais les religieuses. Il me connaissait car je travaillais à la libraire scolaire.
Président : selon vous, ce directeur a tué ou sauvé les gens ?
Agnès KAMAGAJU : il se déplaçait parmi les Interahamwe, ils allaient partout, son véhicule était couvert d’herbes.
Président : vous l’avez vu tuer ?
Agnès KAMAGAJU : non
Président : selon vous, s’il se déplaçait au milieu des Interahamwe c’était pourquoi ?
Agnès KAMAGAJU: je ne pouvais pas savoir ce qui se disait entre eux, ils parlaient ensemble et allaient là où ils voulaient.
Précisions. Nous avons choisi de restituer les propos des témoins sans les condenser. Ceci pour conserver leur valeur de témoignage. Pardon pour la longueur de ce compte-rendu.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Mathilde LAMBERT et Fade FRISCHIT
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.
- FPR : Front patriotique Rwandais[↑]
- MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[↑]
- CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
- Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide et extermination, crimes contre l’humanité »[↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[↑]
- Ibid.[↑]
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]