Procès Laurent BUCYIBARUTA du mardi 24 mai 2022. J12


Mémorial de Murambi : près de 50 000 personnes ont été massacrées dans et autour de cette ancienne école technique
(doc. genocidearchiverwanda.org.rw).

 

Audition de monsieur Cyprien MUNYANZIZA, commerçant témoin de l’attaque[1]. En visioconférence.

Lé témoin déclare habiter tout près du site de MURAMBI. Commerçant, c’est chez lui que les réfugiés qui en auront les moyens viendront s’approvisionner avant le 21 avril. Les premières victimes, après la chute de l’avion sont des employés de la société EMGEKO, Beaucoup de Tutsi s’étant réfugiés à la paroisse de GIKONGORO, Laurent BUCYIBARUTA et SEBUHURA[2] décident des les faire venir jusqu’à MURAMBI. afin « d’assurer leur sécurité ».

Comme « la guerre » redouble d’intensité, le flot des réfugiés augmente. Des Tutsi s’installent sur le site de MURAMBI avec leur bétail. Quelques jours plus tard, une barrière est érigée sous la responsabilité d’un certain HAVUGA, de son vrai nom HAVUGIMANA, un ancien sous-préfet. Il est un autre membre actif en la personne de David KARANGWA, greffier au Tribunal de canton de NYAMAGABE. Les réfugiés qui passent sur cette barrière s’y font tuer.

Sur le site, l’eau sera coupée peu après. Les réfugiés s’étant révoltés, Laurent BUCYIBARUTA et SEBUHURA viennent pour participer à une réunion. Promesse est faite aux réfugiés que rien ne leur arrivera. « Comme on disait que son épouse était Tutsi, les réfugiés avaient confiance dans le préfet » précise le témoin. Mais l’eau ne sera jamais rétablie. La CARITAS finira par livrer quelques sacs de riz qui se révèleront insuffisants.

Les réfugiés, faisant confiance au préfet, décident de rester sur le site de MURAMBI. « S’ils étaient partis, précise le témoin, ils ne seraient pas tous morts. » Façon indirecte de rendre le préfet responsable des massacres?

Le témoin d’évoquer ensuite la nuit du 21 avril. Comme il habite tout près, il voit des véhicules déposer des tueur, entend le bruit des armes. Les assaillants qui se battent avec les réfugiés vont réclamer des renforts au préfet. Un véhicule transportant des militaires serait venu de BUTARE. Ces derniers vont vider leurs armes sur les réfugiés.

Ceux qui pourront s’échapper vont se rendre à CYANIKA. Mais les véhicules les poursuivent.

Ainsi se termine la « déposition spontanée » du témoin.

Comme à son habitude, monsieur le président va poser beaucoup de question au témoin pour l’amener à préciser un certain nombre de points abordés dans sa déposition. Les Interahamwe[3] ont bien bénéficié d’un entraînement militaire, soit au bureau communal de NYAMAGABE, soit dans les forêts environnantes. A leur tête, les responsables que le témoin a cités, les deux « frères », HAVUGIMANA Frodouald et David KARANGWA . Sans oublier SEBUHURA, le capitaine de gendarmerie qui a évincé son chef resté « invisible ». Le colonel SIMBA[4] aurait aussi été présent.

Quant à BUCYIBARUTA, « on avait beaucoup confiance en lui » redira le témoin, il avait une femme tutsi. » Il ne s’était jamais fait remarquer par des propos anti-Tutsi.

Sur question du président, monsieur MUNYANZIZA rapporte la façon dont les réfugiés se sont rendus de GIKONGORO à MURAMBI, encadrés par quatre gendarmes. BUCYIBARUTA et SEBUHURA sont bien venus sur le site de MURAMBI, le témoin déclarant avoir participé lui-même à deux réunions. Il confirme qu’une barrière avait bien été érigée à KABEZA, un peu avant l’entrée du site, en vue de tuer les Tutsi. Une fosse avait d’ailleurs été creusée tout près. « Je circulais, et quand je passais par là, je voyais les tueries » ajoutera le témoin. Il connaissait Madeleine RAFFIN. Quand elle était passée sur la barrière, on lui avait arraché les gens qu’elle convoyait.

Des viols sur les barrières? Le témoin signale celui d’un père qu’on a tué. La fille a été tuée à son tour.

Il est clair que les gens n’avaient pas assez à manger à MURAMBI. D’autant que des haricots ont été détournés et remis aux gens qui travaillaient sur les barrières. Si Laurent BUCYIBARUTA a évoqué les massacres de KIBEHO, c’est pour en parler en termes de « rumeurs ».

L’ensevelissement des corps? « Un véhicule du ministère des Travaux publics est venu, un camion-benne pour transporter les corps et un engin pour creuser les fosses. Les camions ont fait une dizaine d’allers et retours. Le préfet aurait été présent. Le deuxième jour, on a fait appel aux prisonniers car les corps commençaient à sentir mauvais ».

Maître FOREMAN demande au témoin si avant le 7 avril il y avait des problèmes entre Hutu et Tutsi. Le témoin répond par la négative alors que dans une audition précédente il avait évoqué « des tensions à GIKONGORO. On pensait qu’il allait y avoir des tueries. » Le témoin n’est pas à une contradiction près.

Le ministère public et la défense poseront des questions à leur tour pour tenter d’expliquer les déclarations parfois contradictoires du témoin. Également pour faire remarquer qu’il aborde aujourd’hui des points dont il n’avait jamais parlé avant.

Pour clôturer l’audition, monsieur le président fera préciser au témoin le nombre de barrières à MURAMBI. « Une à KABEZA, une autre à KARAMA. La barrière de GAHUNZIRE sera érigée après les massacres. »

 

Audition de madame Annonciata MUHAYIMANA, rescapée.

Annonciata MUHAYIMANA : Les autres criaient en disant: « Fuyez, fuyez, on va vous tuer ». C’est ainsi que nous avons pris la fuite, chacun dans une direction. En ce qui me concerne, j’ai réussi à fuir avec mes enfants et mes belles-sœurs, et mon mari a fui d’un autre côté avec d’autres membres de la famille. Nous avons escaladé une colline et sommes arrivés sur la route asphaltée de KIGEME. J’étais restée derrière, mais ils m’ont laissée partir en disant qu’ils allaient tuer le prochain : mais le prochain ils l’ont uniquement blessé. J’ai retrouvé ma famille à la route asphaltée, au moment où nous attendions qu’ils nous tuent, car ils avaient les armes pour. Un homme du nom de GASANA a dit qu’il fallait laisser les gens continuer leur route. Nous avons continué vers MURAMBI.

Arrivés à l’école de KIGEME, nous avons vu des gendarmes ou des militaires, je ne peux pas faire la différence, ils remplissaient un véhicule et demandaient aux Interahamwe[5] pourquoi ils ne commençaient pas à tuer. Je suis allée chercher des vêtements car je n’avais rien à me mettre. J’ai continué avec ma famille et nous sommes arrivés à un endroit que l’on appelle SOS Village Enfants. Nous y avons passé la nuit, mais à GACYAZO, il y avait une barrière que les Interahamwe avaient déjà érigée et ce n’est que grâce à Dieu que nous avons pu y échapper. Nous étions une population de partout, nous étions avec les enfants, et d’autres gens. Des gens se sont approchés de nous en se plaignant d’avoir faim: nous n’avions pas de quoi leur venir en aide.

Ceux qui fuyaient et qui avaient de l’argent nous en ont donné pour que l’on puisse aller acheter de quoi manger. Nous étions gardés par des militaires ou des gendarmes. Les enfants se lamentaient que nous les faisions dormir sur des pierres, mais nous n’avions rien d’autre. Les gens nous ont demandé ce que nous fuyions et nous avons répondu que nous fuyions ceux qui incendiaient nos maisons. Nos interlocuteurs nous ont demandé sur quoi nous nous basions pour savoir pourquoi eux n’allaient pas nous tuer ? Et nous avons  répondu que avions cherché refuge auprès des autorités et que s’ils voulaient nous tuer ils pouvaient le faire. Le lendemain, nous étions beaucoup plus nombreux, et ils nous ont demandé de nous enregistrer, secteur par secteur. Mais il n’était pas question de nous aider, c’était plutôt pour savoir combien nous étions.

Ils nous ont emmenés à MURAMBI, les agents de gendarmerie se déplaçant devant. Quand nous descendions de la colline des gens à gauche, à droite nous disaient que quand nous arriverons là bas, nous n’allions pas revenir. Là-bas, c’était des écoles en construction, pas terminées mais il y avait de l’eau et de l’électricité. Mais quand nous sommes arrivés, eau et électricité ont été coupées. Nous avons continué à vivre cette très mauvaise vie. La faim a commencé à tuer des gens et nous autres nous avons voulu aller chercher de l’eau accompagnés des personnes fortes, et lorsque nous puisions de l’eau, les Interahamwe nous jetaient des pierres. Mais nous puisions quand même et nous retournions à l’école. À un certain moment, il a été question que nous nous enregistrions de nouveau. Mais rien n’a été fait. Nous avons continué notre vie très difficile, et les Interahamwe ont continué à nous attaquer mais ils n’ont pas pénétré dans le camp.

À un certain moment, ils sont venus pour attaquer. Ils sont venus avec des grenades, des lances et des machettes, donc des armes traditionnelles et des gourdins dans lesquels ils avaient enfoncé des clous. Ce jour-là, ils sont venus nous tuer. Les Interahamwe nous ont encerclés de partout, ils nous ont lancé des grenades, pour ceux qui étaient dans des salles de classe, ils ont titré des balles sur les gens. À un certain moment, le terrain était couvert de cadavres, certains avaient leurs jambes coupées par des grenades. Certains avaient des yeux arrachés par des balles, nous étions environ 50 000 personnes.

Quand nous avons constaté que c’en était fini pour nous, nous autres avons commencé à fuir en courant. Personnellement, j’avais fui avec mes trois enfants, ils en ont tué deux. Le troisième, en bas âge, j’ai continué à le porter au dos. Pour les autres membres de la famille, ils ont péri à MURAMBI. Ce fut la même chose pour beaucoup de personnes venues de partout qui étaient venues se réfugier ici. Nous avons couru nous cacher, les Interahamwe portaient des feuilles de bananier et ils tiraient sur les gens de MURAMBI qui fuyaient en courant. J’ai couru pour retourner à MURAMBI pour qu’ils me tuent là bas. Ce n’est pas arrivé et je me suis dirigée vers un champ. Nous étions nombreux dans ce champ mais quand je suis revenue là, il n’y avait plus que des cadavres. Nous étions trois ainsi que l’enfant que je portais. Les Interahamwe nous ont demandé de dévoiler les noms des personnes que nous connaissions.  Nous leur avons répondu que nous connaissions un homme du nom de MUNYANZIZA, un homme auprès de qui nous allions acheter des vivres. Il avait un moulin et de la farine.

« Ne tuez pas vos propres congénères, ceux-ci font partie des vôtres » disait-il aux tueurs. Ces derniers prétendaient que nous mentions, que notre nez était un nez de Tutsi et pas de Hutu. Après avoir tenu ces propos, ils ont pris les matelas mouillés de sang, les habits dépouillés des personnes qu’ils avaient tuées. Ils nous ont laissés tranquilles et nous ont abandonnés dans la plantation.

Nous avons passé la journée dans la plantation jusqu’à la tombée de la nuit, et vers 20 heures, lui et ses employés sont venus nous sortir de là. Ils nous ont fait passer par l’endroit où il y avait les cadavres à MURAMBI. Il a dit de continuer la route et qu’ils se reverraient s’ils survivaient, que lui ne pouvait rien faire de plus.

 

Président : Est-ce que vous avez été blessée au moment  de ces attaques ?

Annonciata MUHAYIMANA : Lors de ces attaques, on m’a lancé une brique dans la tête, il y avait du sang qui coulait. Plusieurs années après, mon mari est allé témoigner à ARUSHA. Après cela, ils ont continué à me poursuivre, ils m’ont blessée, ils m’ont tailladé sur la tête. Ils ont coupé mon mari au niveau de son visage, et ils avaient jeté des briques sur lui.

Président : Est-ce que votre mari a survécu ?

Annonciata MUHAYIMANA : Oui.

Président : Est-il toujours vivant ?

Annonciata MUHAYIMANA : Oui.

Président : Vous aviez des enfants ?

Annonciata MUHAYIMANA : Oui, j’avais 3 enfants.

 Président : Et ces enfants ont été tués à MURAMBI ?

Annonciata MUHAYIMANA : Ils ont été tués. Je suis restée avec mon bébé sur le dos, en me disant que s’ils tuaient mon enfant, ils me tueraient moi aussi.

Président : Vous parlez d’un commerçant, c’était Cyprien MUNYANZIZA?

Annonciata MUHAYIMANA : Oui.

Président : Vous avez parlé de troubles dans votre village d’origine ?

Annonciata MUHAYIMANA : Oui, il y avait beaucoup d’Interahamwe.

Président : Connaissez-vous le nom de certaines de ces personnes, de ces Interahamwe ?

Annonciata MUHAYIMANA : À MURAMBI, il y avait beaucoup de gens, mais comme ils nous avaient encerclés, celui que j’ai vu c’était le bourgmestre de MUDASOMWA. Il avait une voiture, avec beaucoup d’autres véhicules.

Président : En quittant votre maison, vous êtes donc passée par la barrière de GACYAZO ?

Annonciata MUHAYIMANA : Oui.

Président : Et à GACYAZO, il y a des gens qui vous ont laissé passer ?

Annonciata MUHAYIMANA : C’est exact, ils m’ont laissé passer.

Président : Savez-vous si des gens avaient été tués à cette barrière ?

Annonciata MUHAYIMANA : Il n’y avait pas de cadavres sur les routes, mais on les jetait dans les trous.

Président : Les avez-vous ou l’avez vous entendu dire ?

Annonciata MUHAYIMANA : Je n’ai jamais vu les cadavres sur la route, car j’étais en train de fuir mais c’est des gens qui m’ont raconté ça.

Président : vous allez alors arriver au village SOS ?

Annonciata MUHAYIMANA : Après être passée par GACYAZO, je suis partie au centre SOS.

Président : Et c’est là qu’on a dit aux réfugiés qu’il fallait se rendre au site de MURAMBI ?

Annonciata MUHAYIMANA : Oui.

Président : Savez-vous qui a dit aux réfugiés qu’il fallait aller à MURAMBI ?

Annonciata MUHAYIMANA : C’est les gendarmes qui ont dit ça, les gendarmes qui nous ont escortés ont sûrement dû recevoir  des ordres de leurs supérieurs.

Président : Que vous dit-on concernant MURAMBI ?

Annonciata MUHAYIMANA : On nous disait qu’il y avait trop de monde et qu’à MURAMBI il y avait assez d’espace et que la sécurité serait assurée.

Président : Est-ce que les gendarmes vous ont escortés jusqu’à MURAMBI ?

Annonciata MUHAYIMANA : Les gendarmes nous ont escortés et ils n’assuraient pas notre sécurité car on avait faim et qu’on avait coupé l’eau. Ils voulaient nous mettre ensemble pour nous tuer.

Président : Est-ce que vous avez eu le sentiment d’être protégée par les gendarmes ? Aviez-vous peur lors du transfert ? Saviez-vous que vous étiez en danger de mort à ce moment-là ?

Annonciata MUHAYIMANA : Nous avions très peur, et moi je voulais faire marche arrière pour retourner à GACYAZO et mourir là-bas, mais les autres m’ont qu’il fallait rester ensemble.

Président : Vous souvenez-vous si à MURAMBI il y a avait des barrières ?

Annonciata MUHAYIMANA : A MURAMBI, il n’y avait pas de barrière.

Président : Une barrière a-t-elle été construite après ?

Annonciata MUHAYIMANA : Quand je suis arrivée, tous les réfugiés pouvaient venir.

Président : Quand vous êtes arrivée, des réfugiés sont-ils encore arrivés après ?

Annonciata MUHAYIMANA : Oui, tous les jours, de plus en plus nombreux. Ils venaient de plusieurs endroits différents, il y a ceux qui venaient de KIBEHO, ceux de KADUHUA.

Président : Ceux qui venaient de KIBEHO, saviez-vous ce qu’ils avaient vécu ? Avaient-ils déjà été attaqués ?

Annonciata MUHAYIMANA : Ils pensaient comme nous, que notre sécurité allait être assurée. Je ne savais s’ils venaient d’un centre ou de leur domicile car chacun s’occupait de sa propre sécurité.

Président : Des gens sont-ils morts de faim ?

Annonciata MUHAYIMANA : C’est vrai, il y avait 3 personnes déjà mortes suite à la faim. Nous étions presque tous comme ces personnes-là, je faisais 65 kilos chez moi et en arrivant là-bas j’en faisais 25.

Président : Parmi les réfugiés qui arrivaient, parmi les gens qui avaient séjourné à MURAMBI, est-ce que certains étaient déjà blessés et avaient besoin de soins ?

Annonciata MUHAYIMANA : Il y a des personnes qui n’étaient pas complètement mortes.

Président : Parce qu’elles étaient mortes à ce moment là ?

Annonciata MUHAYIMANA : Certaines personnes, ont leur avait coupé les pieds et les jambes, crevé un œil. Il y avait des personnes qui respiraient encore mais ne pouvaient plus bouger.

Président : Ces personnes-là sont arrivées ainsi ou ont été blessées dans les attaques de MURAMBI ?

Annonciata MUHAYIMANA : Je n’ai pas vu de personnes venant d’autre part blessées.

Président : Quant aux conditions d’hygiène, était-ce organisé ? Y avait-il un endroit pour faire ses besoins ?

Annonciata MUHAYIMANA : À l’école, il y avait des WC, mais à cause du nombre important de personnes, il y a des gens qui allaient dans la brousse.

Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Annonciata MUHAYIMANA : Les Interahamwe nous ont pris beaucoup de famille, ils ont fait disparaître des jeunes enfants. On ne sait ce que ces personnes seraient devenues maintenant, nous avons vécu dans des familles tous et maintenant nous sommes seuls, nous n’avons plus rien. Je voudrais que les Interahamwe qui ont décimé tout le monde se rappellent qu’ils ont laissé des survivants qui ont pu raconter à tout le monde.  Nos familles, nos enfants disparus, on les a confiés à Dieu, mais aussi à vous, la justice.

Président : Avez-vous vu Laurent BUCYIBARUTA, à un moment ou un autre ?

Annonciata MUHAYIMANA : Je ne suis pas allée à cette réunion.

Président : L’avez vous vu au moment de l’attaque ?

Annonciata MUHAYIMANA : Au moment des attaques, je ne l’ai pas vu mais j’entendais parler de lui.

Pas de question de la Cour.

Pas de question des parties civiles.

Questions du Ministère public.

Ministère public. : Quel est le nom de votre époux ?

Annonciata MUHAYIMANA : Simon MUTANGANA.

Ministère public.: Il a été entendu, il y a quelques jours, devant cette cour. Pourriez-vous me préciser l’âge de vos enfants ?

Annonciata MUHAYIMANA : 7 ans et 3 ans.

Ministère public.: Lorsque vous étiez à MURAMBI, est-ce que vous avez souvenir d’une fouille avant la grande attaque pour rechercher les armes ?

Annonciata MUHAYIMANA : Avant l’attaque, les personnes qui entraient dans le camp étaient fouillées car on disait qu’ils pouvaient avoir des armes.

Ministère public.: Vous avez évoqué la présence du bourgmestre du MUDASOMWA, vous rappelez-vous le rôle qu’il a pu avoir lors de cette attaque ?

Annonciata MUHAYIMANA : Son rôle était de distribuer les armes qui étaient stockées.

Ministère public.: Vous rappelez-vous des armes ?

Annonciata MUHAYIMANA : Il y avait des grenades et des armes à feu, elles étaient entreposées.

Ministère public.: Était-il habillé d’une façon particulière ?

Annonciata MUHAYIMANA : Il était habillé en civil.

Questions de la Défense :

Me Lévy : Vous avez indiqué que les personnes qui arrivaient au camp de MURAMBI avaient été fouillées. Avez-vous été fouillée ?

Annonciata MUHAYIMANA : Nous sommes entrés au début donc je n’ai pas été fouillée.


Me Lévy : Vous aviez indiqué devant les gendarmes français (D-10366): « Il me semble que ces personnes qui fouillaient c’était des civils qui passaient parmi nous et nous demandaient si nous avions des armes. », était-ce juste avant l’attaque ?

Annonciata MUHAYIMANA : C’était avant l’attaque.

 

 

Audition de monsieur Juvénal GAKUMBA, rescapé. En visioconférence du Rwanda.

Une audition marathon attend jury, parties au procès et public. Nous nous contenterons de retranscrire la déclaration spontanée du témoin, les nombreuses questions n’ayant pas permis de faire émerger une vérité, le témoin s’étant contredit à plusieurs reprises et ayant parlé d’événements dont il n’avait jamais été question jusque-là. D’où une remise en cause de sa crédibilité.

« Lorsque l’avion est tombé je me trouvais à l’hôpital de KIGEME où je veillais mon frère qui était malade. C’est par la radio que nous avons appris la nouvelle. Un employé de EMGEKO et un commerçant venaient d’être tués. Un véhicule transportant des cadavres est arrivé de MUDASOMWA: il fallait que nous les voyions pour nous impressionner.

C’est alors que Boniface NZAMURAMBAHO m’a conseillé de fuir pour qu’on ne me tue pas. Les gendarmes croisés sur la route se plaignaient qu’on n’ait pas encore commencé à tuer les Tutsi.

Je suis allé à mon domicile. Les assaillants ont commencé à brûler les maisons et à tuer les gens. Ma sœur, (sa cousine germaine), Agnès MUKAMUSONI, est tuée tandis que son ami s’est réfugié chez nous en disant qu’on venait de tuer son épouse et son enfant.

Le lendemain, des maisons brûlaient non loin de chez nous. Les attaquants ont été repoussés grâce à l’intervention d’un conseiller. Puis a succédé une attaque plus forte. Hutu et Tutsi sont allés barrer la route aux assaillants. Parmi les attaquants, il y avait des Hutu de la famille de ceux qui combattaient à nos côtés. Mais peu à peu, ces derniers nous ont quittés.

On m’a alors conseillé de partir. Ma femme, qui est Hutu, est partie dans sa famille avec nos enfants. Vous devez savoir qu’un de mes cousins travaillait chez le préfet. Il était gardien et sera tué.

Je suis parti avec mon grand frère Tatien TWAGIRIMANA. Sa femme était la soeur de ma propre femme. Nous sommes allés à la paroisse de la cathédrale car en 1963, on n’était pas tué dans les églises. Avant d’arriver, nous avons rencontré des gens qui voulaient nous faire du mal. Une des barrières était contrôlée par un certain MAPENGU. D’autres assaillants nous poursuivaient pour nous tuer. J’ai rencontré NDAYISABA, alias BISUBI: ils l’ont tué sur place.

Quand je suis arrivé dans la cour de l’école, il y avait des réfugiés venus de partout. Le capitaine SEBUHURA[6] et SEMAKWAVU[7], ainsi qu’un sergent surnommé CDR, sont arrivés. Était présent aussi le sous-préfet. Ce sont ceux que j’ai reconnus. Puis nous avons été conduits à MURAMBI. On nous a installés dans des classes et le lendemain l’eau a été coupée.

Alors que nous voulions quitter MURAMBI, Laurent BUCYIBARUTA est arrivé accompagné d’autres personnalités, dont SEBUHURA. On nous a demandé de rester sur place car le problème de l’eau serait résolu.

Nous avons repoussé une première attaque en lançant des pierres: les attaquants sont repartis. Nous avons alors reçu un peu de riz. De l’extérieur, nous apprenions que les Hutu allaient nous tuer. S’est tenue une réunion à laquelle je n’ai pas participé: Laurent BUCYIBARUTA et le président SINDIKUBWABO[8] étaient là. Nous pensions que nous serions sauvés. C’est mes beaux-frères hutu qui tentaient de nous faire des informations.

Le 20, je suis sorti du site vers 21 heures, la veille des massacres. Mais je suis tombé sur une ronde. Les Hutu qui étaient avec nous ont été déplacés dans les locaux de la préfecture. Cette nuit-là, j’ai été arrêté, ainsi que Ladislas, un cousin germain. Ceux qui étaient avec nous ont été tués. Je suis retourné au camp. Nous nous sommes battus, certains d’entre nous sont morts, d’autres ont perdu leurs jambes. Au lever du jour, les attaquants sont allés chercher d’autres munitions.

Nous souhaitions nous rendre à CYANIKA car on nous disait que là-bas les gens ne mouraient pas. En fait, je me suis rendu à NYANZA où il y avait un préfet qui s’opposait aux massacres. Plusieurs d’entre nous ont été tués encours de route. Arrivé à la rivière MWOGO, je n’ai pas pu traverser et j’ai pris la décision d’aller à KIGOMA où je suis resté quelques jours. Je me suis caché jusqu’à l’arrivée des Français[9].

Comme dit dans le chapeau, les innombrables questions posées au témoin n’ont pas réussi à faire la lumière sur les nombreuses contradictions contenues dans son récit. A tel point que la défense a même douté de la présence de Juvénal GAKUMBA sur le site de MURAMBI.

 

Audition de madame Immaculée MUKAMANA, partie civile.

Monsieur le président a averti que, quoi qu’il arrive, on ne pourra prolonger la journée au-delà de 18h30 et que le témoin n’aura que 45 minutes pour s’exprimer, ce qui provoque l’incompréhension légitime de son avocat, maître GISAGARA. Devant l’intensité et la force du témoignage, un compromis sera trouvé. Madame MUKAMUMANA pourra de nouveau être entendue, mais en visioconférence de Kigali avant la fin du procès[10].

L’histoire de madame MUKAMANA ne commence pas en 1994. En effet, en 1964, une partie de sa famille va être décimée. Trois de ses frères et sœurs sont exécutés sous les yeux de sa maman qui tentera alors de se suicider en se jetant dans la rivière.

Père « Stanny » ou Stanislas de JAMBLINNE, Père Blanc belge en poste alors à CYANIKA, bien connu au Rwanda pour ses actes de bravoure en faveur des Tutsi. Il est décédé le 12 novembre 2021 à l’âge de 99 ans après avoir passé une très grande partie de sa vie au Rwanda.

C’est le Père Stanny de JAMBLINNE qui la sauvera. Le prêtre la conduira à l’hôpital de BUTARE où elle accouchera d’une fille. Arrêté auparavant, son papa sera libéré.

« En 1994, mes parents avaient 14 enfants. Ils ont tous été tués par les Hutus. Nous sommes deux rescapés, plus un neveu, l’enfant de mon frère qui avait un an. Depuis 1964, notre vie se déroule dans une peur permanente. Mes parents vivaient dans l’angoisse, ils n’ont cessé d’être persécutés.

En 1973, les Tutsi vont être chassés des écoles. Mon frère survivant n’échappera pas à cette décision.

En 1990, c’est l’attaque des Inkotanyi[11]. Papa va décéder par manque de soins. Lors de son décès, les militaires sont venus fouiller son corps et papa sera inhumé dans l’intimité, presque personne ne pouvant participer aux funérailles.

Très tôt, une barrière avait été érigée devant la maison. Nous subissions des contrôles chaque fois que nous sortions. En février, c’est l’assassinat de BUCYANA, le président de la CDR[12]. Cette mort va entraîner l’établissement d’une liste de Tutsi à éliminer. Mon frère était le numéro 1 de cette liste.

Aucun Tutsi ne pouvait passer la nuit chez lui. J’ai dû moi-même me cacher. Je passais un jour à la maison, un jour dans une cachette. Mon frère, commerçant, était pourchassé.

En 1994, le 7 avril, la peur d’être tués s’est de nouveau emparée de nous. J’ai fui et arrivée à MACYAZO, des attaquants m’ont arrêtée et m’ont ramenée à la maison. J’ai retrouvé ma mère apeurée au souvenir de la mort de ses enfants, peur qu’on ne tue de nouveau les siens sous ses yeux. On nous a alors conseillé de nous enfuir.

Nous avons vu des gens qui fuyaient leurs maisons en feu. On venait de tuer le frère de l’épouse d’un oncle paternel. Seuls les véhicules militaires circulaient, ainsi que ceux du bourgmestre SEMAKWAVU et d’un commerçant. Nous sommes tous montés à bord d’un véhicule. Après avoir croisé un véhicule militaire, un jeune homme a dit à ma mère qu’on allait à MURAMBI se faire tuer. Ma mère a demandé au chauffeur de la ramener à la maison, ce qu’il a fait. Je suis descendue avec elle. Les autres, qui ont été conduits à MURAMBI ont tous été éliminés.

Je suis restée à la maison. Mon grand frère a donné de l’argent à quelqu’un pour qu’une moto vienne me chercher. Il craignait que les filles soient violées. Je suis donc partie en abandonnant ma mère.. Nous avons pu passer une barrière en donnant de l’argent. Le motard m’a fait arriver en ville et m’a remise à mon frère. Il avait peur lui aussi et préparait ses affaires pour fuir avec son épouse.

Nous nous sommes tous cachés dans des endroits différents. Pour survivre, nous avons traversé beaucoup d’épreuves. J’ai été contrainte de creuser ma propre tombe pour me cacher. Mon frère, son épouse et leurs trois enfants ont été tués. Leur bébé, qui avait moins d’un an a survécu, caché par la domestique qui s’occupait de lui. Je l’ai récupéré à leur retour du CONGO.

Tous mes frères et sœurs ont été tués, dont cinq à MURAMBI. Ma famille paternelle a été décimée. Quant à ma mère (NDR. Le témoin garde un long silence), comme elle était âgée, elle a fui en se cachant dans quatre familles différentes: chaque fois on la chassait. Elle a été cachée par un jeune qui avait creusé un trou sous son lit. Des attaquants sont venus fouiller la maison. Ils ont découvert maman et une tante maternelle cachée avec elle, les ont fait sortir et les ont déshabillées. Toutes nues, ont les a conduites sur la colline. Maman était âgée et de grande corpulence. On la frappait parce qu’elle ne marchait pas assez vite. On les a découpées en morceaux arrivées au sommet. ils ont jeté les morceaux dans un ravin et les ont recouverts d’un peu de terre. Moi seule ai survécu.

Notre vie pendant le génocide a été très difficile, nous éprouvions un chagrin immense. Tous les survivants de ma famille ont été exterminés pour avoir été Tutsi: c’était leur seul crime. Ceux qui auraient dû nous protéger n’ont rien fait quand nous étions en train de mourir. C’est comme si les Hutu avaient eu l’autorisation de nous tuer.

Je suis venue ici devant vous en ma qualité de partie civile. Je ne réclame rien de matériel. Étant donné que les nôtres sont morts d’une mort atroce, injustement, sans le secours de personne, je demande une vraie justice. Les conséquences de ce génocide sont innombrables. Nous n’avons pas cessé d’être persécutés. J’avais le projet de retourner vivre dans ma région d’origine, mais j’ai dû abandonner le projet. Je suis retournée à KIGALI comme quelqu’un qui fuit encore.

L’enfant que j’ai gardé me pose des questions. Il veut savoir où sont ses parents. Je dois lui dire qu’ils sont morts, assassinés. Et il se demande ce qu’ils ont fait pour être tués. Tués par des voisins!

Les autorités avaient donné des ordres. Quand je pense à la vie de ma mère! Nous sommes vivants mais avec des blessures béantes dans nos cœurs.

Je demande la justice. Je vous remercie pour la justice que nous espérons voir être rendue. »

Monsieur le président, visiblement ému: « Nous vous remercions aussi. Il ne sera pas possible de vous entendre davantage ce soir. Nous pouvons envisager une visioconférence depuis KIGALI. Si cela est possible pour vous. »

Le témoin donne son accord. Elle veut bien revenir témoigner.

« Nous vous contacterons, poursuit le président LAVERGNE, et nous vous entendrons depuis KIGALI. Vous souhaitez rajouter quelque chose? »

Le témoin: « La persécution contre les Tutsi n’a pas commencé en 1994. J’ai subi cette persécution tout au cours de ma vie. Quand mon père est mort, ils sont venus profaner sa dépouille. J’en suis affectée jusqu’à aujourd’hui. Avec 1994, ce fut le sommet, ma famille a été décimée. Nous ne sommes restés qu’à deux. J’ai dû retourner à l’école alors que j’étais mariée, en m’occupant de mes enfants, de mon foyer, des orphelins. Jusqu’à aujourd’hui, c’est dans cette situation que nous vivons ».

Lire la suite de l’audition de madame Immaculée MUKAMANA qui s’est tenue le 28 juin.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

Mathilde LAMBERT et Fade FRISCHIT

Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.

  1. Attaque de l’école technique de Murambi – Lire également les témoignages des jours précédents :

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  2. Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.[]
  3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  4. Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide et extermination, crimes contre l’humanité »[]
  5. Ibid.[]
  6. Ibid. []
  7. Félicien SEMAKWAVU : bourgmestre de la commune de Nyamagabe où se trouve Murambi.[]
  8. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide[]
  9. Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.[]
  10. Lire la suite de l’audition de madame Immaculée MUKAMANA qui s’est tenue le 28 juin[]
  11. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[]
  12. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire.[]

Lire aussi

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VERDICT  : Philippe HATEGEKIMANA, MANIER depuis sa naturalisation est condamné à la peine de réclusion criminelle à perpétuité pour génocide et crime contre l'humanité.