- Audition de monsieur Pascal RWAYITARE.
- Audition de monsieur Silas NSANZABAGANWA.
- Audition de monsieur Emmanuel UWAYEZU, directeur de l’Ecole Marie-Merci.
Audition de monsieur Pascal RWAYITARE. Cité par le Ministère public, né en 1959, demeurant au RWANDA, 63 ans.
PAS DE DÉCLARATION SPONTANÉE.
Président : en 1994, vous étiez dans un service qui s’occupait de toutes les questions scolaires sur toute la préfecture de GIKONGORO ?
Pascal RWAYITARE : c’est exact.
Président : et vous avez été entendu par les gendarmes/les enquêteurs français en 2014, vous vous en souvenez – D10597 ?
Pascal RWAYITARE: oui.
Président : vous expliquez que vous avez d’abord été enseignant et que vous avez commencé votre carrière à KIGEME ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : vous étiez l’adjoint de ce responsable qui avait le titre d’inspecteur scolaire ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : donc votre fonction c’était inspecteur scolaire adjoint ?
Pascal RWAYITARE : oui, c’est correct.
Président : que pouvez-vous nous dire des relations avec les autorités ? Cela faisait longtemps que vous occupiez ce poste ? Quelles étaient vos relations avec les services de la préfecture ?
Pascal RWAYITARE : j’occupais ce poste depuis septembre 1992. En ce qui concerne la collaboration, le préfet représentait le Ministère de l’Intérieur, quant à nous nous avions en charge l’éducation. Nous travaillions ensemble comme des fonctionnaires qui opéraient au sein d’une même préfecture, quand nous faisions un rapport au ministre nous gardions un rapport pour la préfecture.
Président : donc vous ne dépendiez pas de la préfecture mais vous aviez des liens assez étroits pour faire progresser des dossiers ?
Pascal RWAYITARE : c’est exact.
Président : s’agissant des établissements scolaires dans la préfecture de GIKONGORO, il y avait des établissements scolaires publics dépendants de l’État et des établissements scolaires gérés par des institutions privées, le plus souvent l’Église catholique mais à KIGEME, une école était par exemple gérée par l’Église anglicane ou pentecôtiste ?
Pascal RWAYITARE: en réalité, toutes les écoles relèvent du ressort du Ministère de l’Éducation conformément aux conventions conclues avec les responsables de ces écoles mêmes. Cela veut dire que certaines obligations incombaient aux responsables des écoles mais rien ne pouvait échapper à la supervision du Ministère de l’éducation.
Président : et quand il s’agit de problèmes de sécurité des élèves, c’est la compétence du Ministère de l’éducation ? Des d’autres services, notamment la préfecture ?
Pascal RWAYITARE : pour ce qui concerne le volet éducatif cela incombait au Ministère de l’éducation, mais pour ce qui concerne la sécurité cela concernait d’autres services mais comme c’était toujours dans le ressort de l’éducation les responsables devaient tenir informé l’échelon supérieur.
Président : donc s’il y a un problème de sécurité, d’autres services de l’État sont concernés, donc la préfecture et peut être aussi la gendarmerie car la seule force de sécurité que l’on retrouve partout dans la préfecture c’est la gendarmerie ?
Pascal RWAYITARE : c’est exact.
Président : avant de parler de l’école Marie-Merci, on va parler de votre situation personnelle: vous habitiez sur la colline de SUMBA ?
Pascal RWAYITARE : oui
Président : et si j’ai bien compris, vous n’habitiez pas très loin de la résidence du préfet ?
Pascal RWAYITARE: c’est vrai
Président : lorsque vous avez été entendu, vous avez expliqué que dans votre propre quartier, plusieurs Tutsi avaient été tués, vous vous en souvenez ?
Pascal RWAYITARE : la plupart ont été tués à MURAMBI, mais plus tard j’ai appris que deux ou trois Tutsi ont perdu la vie sur cette colline.
Président : et vous avez dit que sur cette colline il y avait une bande de tueurs qui avait été assez active, dont un certain Ananias USHINGABIGWI, ce nom vous dit quelque chose ?
Pascal RWAYITARE : je confirme que ce RUSHINDABIGWI a perdu la vie lors de sa propre attaque.
Président : vous avez indiqué qu’il avait été tué à MUSANGE ?
Pascal RWAYITARE : je l’ai entendu ainsi mais cela correspond à la réalité.
Président : il avait des fonctions particulières ? Est-ce qu’il était ce qu’on appelait un encadreur de la jeunesse ?
Pascal RWAYITARE : il travaillait dans ce service.
Président : quels étaient les liens entre les encadreurs de la jeunesse et les services d’éducation ?
Pascal RWAYITARE : il ne s’agissait pas d’une collaboration organiquement directe car les deux services relevaient de ministères distincts. Toujours est-il que les gens qui travaillent au même endroit et qui dépendent d’un même préfet ont certainement un lien de rencontre. Qui plus est, le Ministère de l’éducation avait en charge une jeunesse scolarisée et le Ministère de la jeunesse avait en charge une jeunesse non formelle, non scolarisée.
Président : les encadreurs de la jeunesse dépendaient de quel Ministère ?
Pascal RWAYITARE : Du Ministère de la jeunesse.
Président : votre service, comme ceux pour la jeunesse, étaient logés au sein de la préfecture ?
Pascal RWAYITARE: c’étaient des bâtiments distincts mais voisins du bureau communal.
Président : cet Ananias RUSHINDABIGWI était résident à SUMBA ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : il habitait près de la résidence du préfet ?
Pascal RWAYITARE : c’est sur la même colline.
Président : vous avez dit qu’il aurait été impliqué dans le meurtre de Tutsi réfugiés dans la famille d’un substitut du Procureur de la République ?
Pascal RWAYITARE : le meurtre des personnes qui s’étaient réfugiées chez le substitut du Procureur de la République ont eu lieu après la mort d’Ananias RUSHINDABIGWI.
Président : est-ce que ce nom GAKWAYA Bosco vous parle ?
Pascal RWAYITARE : oui
Président : que pouvez-vous dire sur ce meurtre et qu’est-il devenu lui ?
Pascal RWAYITARE : selon ce que j’ai entendu dire, il a été tué par balles, par un gendarme qui les avait attaqués chez lui et avait tué tout le monde, y compris les femmes et les enfants. Pour ce qui concerne les circonstances du meurtre de ces personnes, le gendarme en question a été vu par des gens entrer dans le domicile. Je ne l’ai pas vu personnellement, c’était le soir vers 20 heures, nous avons entendu les cliquettement des armes et le matin nous avons su que ce que nous avions entendu concernait la famille GAKWAYA.
Président : pouvez-vous dater cet évènement, juste pour que l’on puisse comprendre. Est-ce que c’est avant l’attaque à MURAMBI, après ?
Pascal RWAYITARE: c’est beaucoup plus tard dans le courant du mois de mai.
Président : est-ce que vous vous souvenez si à la fin du mois d’avril il y avait eu un message de « pacification » ?
Pascal RWAYITARE : difficile, à l’époque l’on ne se déplaçait pas, on se disait que si jamais l‘on sortait, que quelqu’un vous agresse il n’y aura personne pour vous secourir.
Président : avez-vous remarqué à l’époque s’il y avait des barrières sur les routes ?
Pascal RWAYITARE: les barrières sur les routes ont été érigées dès le 7.
Président : il avait des barrières, que faisait-on aux barrières ?
Pascal RWAYITARE: les barrières, on fouillait les gens, on demandait aux gens leurs documents d’identité mais à ce moment-là ce n’était pas encore très grave et c’est ce qui nous a permis de déplacer son mari et ma belle-sœur.
Président : quand est-ce que ça devient grave selon vous ?
Pascal RWAYITARE: c’est arrivé progressivement, on pouvait voir que sur une autre colline, on incendiait les maisons des gens mais ça ne s’est pas propagé tout d’un coup. Par exemple, quand j’étais avec lui à KIGEME, on nous disait qu’à KITABI, à MUDASOMWA on avait commencé à tuer les gens, alors que là où nous étions, à NYAMAGABE, ce n’était pas encore le cas.
Président : est-ce que vous aviez des nouvelles de ce qui se passait dans le Rwanda ? Vous écoutiez la radio ? Vous aviez un téléphone ?
Pascal RWAYITARE : nous suivions ce qui se passait à la radio.
Président : aviez-vous la possibilité de téléphoner de chez vous ou de la préfecture ?
Pascal RWAYITARE: personnellement je n’avais pas de ligne téléphonique à mon domicile, mais certains voisins avaient des téléphones et il y avait un téléphone à mon travail, à la préfecture.
Président : vous continuez à travailler ? Ou vous suspendez vos activités à cause des événements ?
Pascal RWAYITARE: à cause du couvre-feu, les activités professionnelles se sont arrêtées à partir du 7. Mais à un certain moment il a été dit que certains pouvaient se rendre à leur lieu de travail pour s’enquérir si leurs activités pouvaient reprendre. Durant cette période, il arrivait qu’on nous appelle afin de nous rendre au travail mais nous pouvions aussi nous y rendre de notre propre initiative pour voir ce qui se passait, mais durant cette période il y avait des enseignants qui venaient d’autres préfectures comme GITARAMA, ou BUTARE et on nous demandait de les enregistrer.
Président : quand avez-vous repris vos activités ? Êtes-vous allé à la préfecture juste pour vous renseigner ?
Pascal RWAYITARE : je dirais fin avril, à ce moment-là il a été nécessaire qu’on s’y rende afin de voir si le salaire allait être disponible, ça c’est un exemple. Pour ce qui concerne les activités, à proprement parler, elles étaient sporadiques.
Président : vous souvenez-vous d’un message du préfet invitant à reprendre le travail ?
Pascal RWAYITARE : je ne m’en souviens pas bien mais j’y ai rencontré beaucoup de personnes, de mes collègues au mois de mai il est probable qu’un message dans ce sens ait été donné.
Président : avant la reprise il y a un évènement particulier, des massacres commis à MURAMBI, que pouvez-vous nous dire ? Qu’avez-vous su ? Comment cela a-t-il été vécu ?
Pascal RWAYITARE : il est vrai, vers la date du 19, dans le courant de cette nuit-là, les gens qui avaient trouvé refuge à MURAMBI ont été tués.
Président : est-ce que vous avez vu des choses ? Est-ce que cela a suscité de l’émoi dans la population ? Vous êtes allé voir ce qui se passait ?
Pascal RWAYITARE : les gens ont eu peur, le fait d’aller voir ce qui s’était passé, je n’ai pas osé, je ne sais même pas si quelqu’un a osé aller voir.
Président : de là où vous étiez, vous avez entendu les armes ? Vous avez entendu un certain nombre de choses ?
Pascal RWAYITARE: durant toute cette nuit jusqu’au matin nous avons entendu de grandes explosions et de grands bruits de balle.
Président : est-ce que c’est un sujet que vous avez pu aborder avec le préfet Laurent BUCYIBARUTA ? Vous lui avez demandé s’il avait entendu des choses ? S’il avait pu faire quelque chose ?
Pascal RWAYITARE : personnellement, je ne lui ai pas posé la question dans ce sens, je ne me suis pas entretenu avec lui à ce sujet, mais sa résidence se situe à un endroit le plus rapproché du lieu des faits, il a entendu certainement les mêmes bruits.
Président : est-ce que vous aviez entendu dire qu’il y avait eu des massacres à CYANIKA, KADUHA et même avant à KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE : j’avais entendu dire qu’il y avait eu des massacres à MURAMBI et après à CYANIKA, plus tard il y en a eu aussi à KADUHA, mais nous n’avions pas entendu parler des massacres de KIBEHO.
Président : et quand vous entendez parler de ces massacres, comment qualifiez-vous ce qui se passe ? Avez-vous conscience que ce sont des Tutsi que l’on massacre ?
Pascal RWAYITARE : je le considérais ainsi, je me disais que c’était des Tutsi qui étaient en train d’être tués car c’étaient eux qui s’étaient réfugiés à MURAMBI et à CYANIKA.
Président : selon vous, ça s’appelle comment ce qui se passe ?
Pascal RWAYITARE : pour moi, dans cette époque de 1994, le mot génocide n’était pas encore apparu mais nous disions que c’était un massacre des Tutsi. Par après, on nous a expliqué que de tels massacres qui visaient un groupe déterminé, c’est un génocide.
Président : Donc ce que vous expliquez c’est que vous ne connaissiez pas la qualification juridique des crimes commis ?
Pascal RWAYITARE : personnellement, non.
Président : mais vous avez compris qu’il y avait des massacres qui visaient directement les Tutsi ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : et selon vous les massacres qui ciblaient directement les Tutsi ils étaient commis dans quel but ?
Pascal RWAYITARE: ceux qui étaient visés à ce moment-là, dans ce but, étaient connus de ceux qui commettaient les faits mais par après, il a été constaté que ce qu’ils visaient, eux, c’était leur extermination.
Président : vous savez combien de Tutsi ont été tués à MURAMBI ?
Pascal RWAYITARE: non, en ce qui concerne les statistiques, j’entends parler de 30 000 personnes mais je ne suis pas au courant des chiffres officiels. Ne me tenez pas rigueur si le chiffre que j’avance est inférieur, il ne s’agissait pas là de la minimisation, c’est parce que je n’ai pas suivi de près ces faits.
Président : je ne vous demande pas à un chiffre précis, mais il est question à MURAMBI, à CYANIKA, à KADUHA de milliers de personnes, vous aviez conscience de l’ampleur ?
Pascal RWAYITARE : oui.
Président : quand des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes sont tuées, est-ce que cela vous vient à l’idée que c’est pour les exterminer ?
Pascal RWAYITARE : oui, je le reconnais parfaitement.
Président : on va parler de KIBEHO, car quand vous revenez à votre travail, l’un des premiers sujets abordés avec votre supérieur c’est la situation à KIBEHO, que pouvez-vous en dire ?
Pascal RWAYITARE : je ne pourrais pas parler de sujet principal mais je parlerai du sujet le plus affligeant. Pour ce qui concerne les faits, on m’a fait venir en urgence auprès de mon supérieur, ce n’était pas un entretien de routine. On l’a fait venir du nord et j’ignore les raisons qui l’ont empêché d’y aller personnellement et il s’est adressé à moi pour que je m’y rende avec notre délégation. Il fallait aller à l’école Marie-Merci car il y avait des problèmes, il y avait des troubles entre les élèves et qu’ils étaient en train de se soulever les uns contre les autres.
Président : il ne vous a jamais parlé de la paroisse de KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE: non, jamais.
Président : vous n’avez jamais su que quelques semaines avant, des milliers de personnes ont été massacrées de la pire manière à la paroisse de KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE : je l’avais su dans le cadre des informations qui circulaient au sein de la population mais je ne l’avais pas appris de mon supérieur et aucun organe n’en parlait par ailleurs.
Président : donc officiellement, personne n’en parle ?
Pascal RWAYITARE: il n’y a pas eu de tel communiqué qui aurait fait état de massacres
Président : et donc vous apprenez par la population, la rumeur publique je suppose, que des milliers de gens sont morts là-bas ?
Pascal RWAYITARE : oui, je l’ai entendu dire mais malheureusement je ne dirais pas que c’est étonnant, je dirais que c’était prévisible. Puisque si les gens s’étaient réfugiés à CYANIKA et avaient été tués, à KADUHA et avaient été tués, on ne pourrait pas ne pas penser que d’autres s’étaient également réfugiés à KIBEHO pour être tués
Président : est-ce que vous serez surpris aussi d’entendre qu’un grand nombre de témoins ont dit que les gendarmes et la population locale étaient impliqués dans ces massacres ?
Pascal RWAYITARE : en ce qui concerne les gendarmes, c’était évident puisque là où il y avait les massacres, des fusils et des balles étaient utilisés. Pour ce qui concerne les autorités, il m’est impossible de dire si telle ou telle autorité, tel ou tel organe y a participé. J’aurais pu le dire si moi-même j’avais participé. Toutefois, je peux parler d’un organe composé de ceux qu’on appelait Interahamwe[1]. Lorsqu’on s’approchait de la route, on pouvait les voir passer à bord d’un véhicule pour se rendre quelque part et ensuite y tuer des gens. Mais je ne sais pas si d’autres autorités étaient avec eux.
Président : bien. Qu’est-ce que vous saviez de l’école Marie-Merci de KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE : je sais que Marie-Merci est une école catholique libre subsidiée par l’État. Durant cette période, le mois d’octobre ou de novembre, il y avait eu une grève portant sur ces ségrégations/divisions. Suite à ce qui s’était passé, il a été opportun de renvoyer les élèves chez eux. Ils sont revenus dans le courant du deuxième trimestre. N’ayant pas passé les examens du premier trimestre, il leur a été dit qu’il fallait d’abord terminer le premier trimestre et ensuite enchaîner avec le premier, c’est pour ça qu’à cette date du 7 avril, ils étaient à l’école au début du massacre.,
Président : pendant combien de temps ces élèves ont été renvoyés ?
Pascal RWAYITARE: il m’est impossible de faire une estimation, toujours est-il qu’ils étaient partis avant la période des examens, au milieu du trimestre concerné. Lorsqu’ils sont revenus, on était déjà dans le courant du second trimestre
Président : donc c’est une question de plusieurs semaines ?
Pascal RWAYITARE: oui, un mois je pense
Président : donc c’est sérieux une telle situation. On a renvoyé quelques élèves, tous les élèves, qui a-t-on renvoyé ?
Pascal RWAYITARE : tous les élèves ont été renvoyés
Président : bien. Donc vous revenez, votre supérieur vous dit qu’il y a une situation dangereuse, que c’est affligeant cette problématique à KIBEHO. Vous avez su, avant de vous rendre à KIBEHO, s’il y avait eu une réunion à ce sujet à la préfecture ?
Pascal RWAYITARE : c’est vrai, lorsque mon supérieur hiérarchique me l’a dit, il a dit qu’il revenait de la préfecture, qu’il y avait eu une petite réunion avec quelques personnes et qu’il a été décidé qu’on y aille.
Président : à votre connaissance, qu’est-ce qui a été discuté lors de cette réunion ?
Pascal RWAYITARE : ce qu’il m’a dit, c’est qu’il avait été décidé dans cette réunion que le lendemain de cette réunion, une délégation devait descendre sur les lieux, s’enquérir de la situation, prendre connaissance des problèmes qu’il y avait et essayer d’y apporter une solution
Président : avant qu’on arrive à cette visite, un autre point : est-ce que vous saviez si le préfet s’était inquiété dans les mois, voire les années qui ont précédé, du départ de certains élèves Tutsi et de professeurs ? Et savoir s’il y avait des départs qui ont été en fait des défections pour rejoindre le FPR[2] ?
Pascal RWAYITARE : l’une des raisons qui avait conduit à la suspension et au renvoi des élèves, je m’étais rendu à KIBEHO avant et j’avais entendu les élèves ainsi que les professeurs en parler.
Président : qu’est-ce qu’on disait ?
Pascal RWAYITARE : je me rappelle pas de toute la genèse de ça mais on disait que 2 ou 3 professeurs avaient rejoint les rangs du FPR. Mais je ne me rappelle pas si on avait pointé du doigt des élèves qui seraient aussi partis. Ce qui me revient en mémoire est la question de deux ou trois professeurs.
Président : il n’a pas été procédé à un changement à la tête de la direction à l’époque ?
Pascal RWAYITARE: non, à ma connaissance non. Je me souviens pas, le directeur est resté le même. Je ne me rappelle pas bien. Si je me rappelle qu’en avril, le directeur était UWAYEZU Emmanuel mais je sais pas très bien s’il était directeur avant
Président : le nom du Père Jean-Marie Vianney SEBERA vous dit quelque chose ?
Pascal RWAYITARE : c’est ce que je dis, je ne sais pas exactement quand UWAYEZU aurait remplacé SEBERA, sachant que ce dernier a aussi travaillé à cette école
Président : venons-en à cette visite, quels souvenirs vous en avez ?
Pascal RWAYITARE : je me souviens que nous sommes partis avec le préfet BUCYIBARUTA, Monseigneur MISAGO, FABIEN qui était responsable des services de renseignement au niveau de la préfecture. On avait dit que le commandant de la gendarmerie devait aussi faire partie de la délégation, il nous y a rejoint, de même qu’un certain SEBUHURA[3]. On disait aussi que celui qui était à l’époque sous-préfet de la sous-préfecture de MUNINI devait nous y rejoindre mais il n’est jamais venu.
Président : concrètement, qui est venu ? Dans votre souvenir…
Pascal RWAYITARE: ce sont ceux-là que j’ai cités : le préfet, Monseigneur MISAGO, FABIEN, SEBUHURA représentant la gendarmerie, moi-même délégué du Ministère de l’éducation.
Président : vous savez si SEBUHURA était commandant de gendarmerie ?
Pascal RWAYITARE: ça je le savais.
Président : donc pour vous quand vous parlez de SEBUHURA, il commandait la gendarmerie ?
Pascal RWAYITARE : oui
Président : et vous connaissez un certain BIZIMUNGU Christophe ?
Pascal RWAYITARE : non je ne le connais pas.
Président : parlez-nous de ce FABIEN.
Pascal RWAYITARE : professionnellement, je savais que FABIEN était en charge du service de renseignement. Pour ce qui concerne ses activités précises, je n’en sais rien, ni sa manière de travailler. En réalité, nous n’étions même pas des voisins. Après 1994, alors qu’il travaillait à CYANGUGU, j’ai appris qu’il aurait perdu la vie dans un camp là-bas.
Président : donc après le génocide ?
Pascal RWAYITARE: oui
Président : il s’appelait UWIMANA ?
Pascal RWAYITARE : c’est possible mais nous connaissions surtout ce prénom FABIEN.
Président : selon vous, il avait un lien avec la famille du Président HABYARIMANA ?
Pascal RWAYITARE : je ne saurais pas établir un lien de parenté, il disait qu’il était originaire de KIGALI-RURAL, du côté de RUKURO, non loin d lac MUHAZI, aujourd’hui ça s’appelle GASABO mais je ne connais pas la réalité exacte.
Président : selon vous, il était en relation fréquente avec le préfet ?
Pascal RWAYITARE: pour moi, il s’agit là d’une présomption, le responsable du service de renseignement collabore de près avec le Ministère de l’intérieur.
Président : en tout état de cause, est-ce que vous savez la raison pour laquelle il fait partie de la délégation ?
Pascal RWAYITARE : à l’époque, je ne me suis pas posé la question mais je me disais que pour ce genre de choses, il fallait qu’un rapport soit remis aux services de renseignements. Même si nous n’étions pas partis ensemble, je me dis qu’il aurait été nécessaire que lui aussi dispose de telles informations.
Président : à un moment quelconque, il est question de joindre à cette délégation le Procureur ?
Pascal RWAYITARE : je crois avoir entendu dire, avant, dans ce qui avait été dit dans cette réunion, que le Procureur aurait aussi dû faire partie de cette délégation mais il n’est pas venu, je ne sais pas pourquoi
Président : comment se passe le voyage ?
Pascal RWAYITARE : à la préfecture, nous avons pris la voiture du préfet, un pick-up double cabine, c’était le préfet, FABIEN et moi et une fois à l’évêché, nous avons embarqué Monseigneur MISAGO et avons poursuivi la route.
Président : il faut quand même un certain temps pour aller de GIKONGORO à l’école Marie-Merci de KIBEHO, vous vous souvenez de ce qui a pu être discuté pendant ce voyage ?
Pascal RWAYITARE: c’était des discussions vagues mais l’essentiel de la conversation tournait autour de ce qui était en train de se passer dans le pays, surtout que nous pouvions constater des ruines de part et d’autre de la route.
Président : vous avez vu beaucoup de barrières sur la route ?
Pascal RWAYITARE : oui, il y avait des barrières mais comme il s’agissait du préfet, nous n’avions pas de problème pour les passer
Président : quand vous avez été entendu, vous avez dit que vous avez pu entendre certaines bribes de conversation entre le préfet et l’évêque MISAGO – D10597.
Pascal RWAYITARE : ils ont effectivement dit que ces élèves devaient être protégés et si possible, que ces massacres devaient s’arrêter pour que la population retrouve la sécurité.
Président : ont-ils évoqué des solutions pour éviter que les massacres continuent ?
Pascal RWAYITARE : comme il s’agissait là de conversations vagues, je ne sais pas si telle ou telle mesure devait être prises, mais pour l’école oui, raison pour laquelle le responsable de gendarmerie devait être là.
Président : vous avez entendu parler de bus qui devaient être amenés à KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE : je pense que cette idée de bus a été évoquée mais comme les bus ne circulaient plus, il était difficile d’en trouver. Raison pour laquelle ceux qui devaient voyager ainsi, ont demandé de les renvoyer à pied, faute de bus ?
Président : on a parlé de protection assurée par des gendarmes ?
Pascal RWAYITARE : ça a été dit, le responsable de la gendarmerie avait d’ailleurs dit qu’une équipe de gendarmes allait venir sur place protéger ces élèves
Président : je vais relire vos déclarations, peu plus tard, un peu différentes de ce que vous dites aujourd’hui. J’aimerais que vous me disiez maintenant ce qui se passe quand la délégation arrive ?
Pascal RWAYITARE: veuillez m’excuser d’avoir été rapide, une fois sur place, nous avons trouvé des élèves, des professeurs et des responsables de l’école, nous avons tenu une réunion dans la grande salle. Il y a eu des discussions, l’évêque a pris la parole pour présenter les délégués et lui-même s’est entretenu avec eux, le préfet leur a parlé aussi. C’est lors de ces entretiens avec les élèves que nous avons su que les élèves étaient séparés. Nous avons su que ceux avec qui nous nous entretenions s’identifiaient comme étant Hutu. Nous avons su que les élèves Tutsi avaient fui, qu’ils s’étaient rendus dans une autre école nommée alors l’Ecole des Lettres gérée par des religieuses. Avant que l’on ne sache que les élèves s’étaient séparés, ceux-là qui avaient pris la parole aussi bien Laurent BUCYIBARUTA que MISAGO disaient tous que les élèves devaient continuer à vivre ensemble en harmonie qu’il ne devait pas y avoir de division entre eux. Toujours est-il que ceux, parmi les élèves, qui prenaient la parole, on pouvait voir qu’ils étaient virulents et qu’ils campaient sur leur position divisionniste. Ils disaient que selon ce qu’ils avaient appris à des radios c’est qu’il y avait un ennemi qui devait être écarté et que cet ennemi était le Tutsi. Ainsi pour eux, il n’était plus question de se remettre ensemble et de vivre ensemble. Comme le dialogue n’aboutissait pas, il a été décidé que nous allions rencontrer aussi cet autre groupe des élèves qui s’était rendu à l’École des Lettres mais il a été décidé que pour ce groupe de Hutu, comme il était devenu impossible d’assurer la sécurité et que ce dernier groupe ne risquait rien, que ce groupe devait rentrer chez lui. Quant au groupe des élèves réfugiés à l’École des Lettres, ce qui nous amenait là-bas c’est que pour les tranquilliser et les rassurer et leur dire que comme les autorités l’avaient su, qu’ils allaient être protégés et que leur sécurité allait être assurée par les gendarmes. C’est pour cette raison que ce groupe, à qui SEBUHURA avait accepté de mettre des gendarmes à disposition, devait se rendre à cet endroit et pas à l’École Marie-Merci. Nous sommes donc allés là-bas et nos autorités se sont entretenues avec eux, des remerciements ont été dits à l’égard des religieuses ayant accueilli des élèves et il leur a été demandé de garder ces élèves qui ne devaient plus retourner à l’École Marie-Merci. Ils leur ont exposé cette décision prise comme quoi les gendarmes allaient venir assurer la sécurité, cela a été communiqué aux religieuses.
Président : quelques questions bien sûr. Tout d’abord, la délégation arrive à l’école Marie-Merci de KIBEHO et rencontre des élèves.
Pascal RWAYITARE : exact
Président : et donc vous vous rendez compte que ces élèves ne sont que des élèves Hutu, vous n’avez pas été prévenu avant ?
Pascal RWAYITARE : nous ne l’avons pas constaté tout de suite, nous l’avons compris avec les discussions d’après.
Président : donc vous ne le saviez pas avant ?
Pascal RWAYITARE: nous l’avons su lors de ces entretiens. Personnellement, c’était mon cas, et les autres aussi ont été surpris par ça.
Président : et donc ceux avec qui il y a une discussion en premier lieu ce sont avec les élèves Hutu et dont certains sont virulents vous dites ?
Pascal RWAYITARE: il ressortait de leurs interventions que le groupe de Tutsi était parti et qu’il n’était plus question qu’ils revivent ensemble.
Président : vous avez dit qu’ils avaient appris grâce à la radio qu’ils savaient qu’il y a un ennemi et que cet ennemi était le Tutsi ?
Pascal RWAYITARE : ils disaient qu’il n’était plus question de vivre avec l’ennemi.
Président : est-ce que cela vous vient à l’esprit que certains des élèves et des professeurs avaient pu participer à l’attaque de la paroisse de KIBEHO quelques semaines avant ?
Pascal RWAYITARE: non, nous ne disposions pas de ces informations, je n’en ai même pas eu de ce genre par après.
Président : est-ce que le préfet, pendant le voyage lui-même, s’était rendu à KIBEHO quelques jours après le massacre avec Monseigneur MISAGO ?
Pascal RWAYITARE : non, je ne dispose pas de telles informations.
Président : il vous a dit s’il était intéressé pour savoir qui, concrètement, avait participé aux massacres de la paroisse de KIBEHO ?
Pascal RWAYITARE: non, il ne me l’a pas dit. Ce n’était même pas nécessaire qu’il le dise à ses subalternes comme nous. Personnellement, je n’aurais pas pu lui poser des questions dans ce sens si lui-même n’avait pas pris l’initiative de parler de cela.
Président : c’était compliqué de parler de ces choses-là ?
Pascal RWAYITARE : c’était possible mais ça ne s’est pas fait.
Président : il a été décidé que pour les élèves Hutu ils rentrent chez eux et que les élèves à l’Ecole des Lettres, il faut les rassurer, les tranquilliser ?
Pascal RWAYITARE : oui. Il fallait leur promettre la sécurité et le fait qu’ils allaient rester sur place.
Président : la sécurité va venir de la protection assurée par les gendarmes ?
Pascal RWAYITARE : oui
Président : ce n’est pas légèrement embarrassant une telle proposition ? Vous nous avez dit quand je vous ai interrogé, Monsieur, qu’il était évident que les gendarmes ont participé aux massacres des Tutsi.
Pascal RWAYITARE : c’est vrai, je l’ai dit. J’ai même eu une telle réflexion mais je me suis dit que comme leur chef avait accepté d’affecter des gendarmes, il allait mettre ceux en qui il avait confiance et je me disais que la sécurité ne pouvait pas être assurée par quelqu’un d’autre
Président : et donc, pour vous, le préfet avait confiance dans le capitaine SEBUHURA ?
Pascal RWAYITARE : pas lui seul, nous tous le croyions ainsi. Nous nous disions que comme ça sortait de la bouche du capitaine SEBUHURA, ça allait être appliqué.
Président : je vais maintenant lire vos déclarations de l’époque – D10597/6:
(NDR: Il lit un extrait de sa déposition)
Jusque-là, est-ce que vous êtes d’accord ?
Pascal RWAYITARE : la seule précision que je ferai c’est là où il dit que le prêtre a rassemblé les élèves, c’était juste ceux de l’école.
Président : d’accord, je continue la lecture – D10597/6 :
(NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
Des commentaires ou ça correspond à vos souvenirs ?
Pascal RWAYITARE : c’est correct
Président : je continue la lecture alors – D10597/6 :
(NDR: Il lit un extrait de sa déposition)
Est-ce que quand vous avez arrivez, il y a déjà des gendarmes assurant la protection des élèves Tutsi et est-ce que pendant la réunion, il a été question d’assurer la sécurité des élèves avec des gendarmes ?
Pascal RWAYITARE: je ne me souviens pas si à notre arrivée il y avait des gendarmes, que ce soit à l’Ecole des Lettres ou à l’école Marie-Merci. Mais pour ce qui concerne l’arrivée du capitaine SEBUHURA, la raison de sa présence était justement celle-là. Il a promis de mettre des gendarmes pour assurer la protection de l’école dans laquelle des élèves Tutsi s’étaient réfugiés ?
Président : comment vous expliquez que les gendarmes français, quand ils prennent vos déclarations, mentionnent quelque chose de différent ? La mémoire vous est revenue entre-temps ?
Pascal RWAYITARE : ça s’entend que je me suis rappelé certaines choses, tout comme j’en ai oublié.
Président : ensuite on vous pose la question de savoir si vous avez appris par la suite ce qui s’est passé et si vous avez été témoin du massacre des élèves ?
Pascal RWAYITARE: je n’ai pas été témoin mais de manière informelle j’ai recueilli des informations. À une date de juin ou de juillet que j’ai oubliée, j’ai rencontré dans la ville de GIKONGORO, l’abbé UWAYEZU qui venait prendre du carburant et j’ai demandé des nouvelles des élèves, c’est alors qu’il m’a répondu qu’ils avaient été tués. Nous n’avons pas parlé longtemps et nous nous sommes séparés. Je n’ai pas posé la question sur qui les avait tués, ce qui s’était passé, ça me dépasse.
Président : ça ne vous intéressait pas vraiment de savoir qui avait tué ces élèves, en quoi la protection assurée par les gendarmes n’avait pas fonctionné, de savoir si certains élèves Hutu avaient pu massacrer certains élèves Tutsi ?
Pascal RWAYITARE : vous voyez, au mois de juin, c’était la débandade de partout dans le pays mais même le lien hiérarchique, lui en tant que directeur hiérarchique et moi en tant qu’inspecteur, ça me dépassait, ça me faisait tourner la tête.
Président : comment vous considérez que cette situation a été gérée par les autorités et en particulier par le préfet BUCYIBARUTA ?
Pascal RWAYITARE: personnellement tel que je le voyais, y compris en ce qui concerne la période d’avant, MURAMBI et tout le reste, je considérais que même s’il avait le titre de préfet, ça le dépassait. Même lorsque nous étions ailleurs, on voyait que les gens qui étaient supposés être des autorités, il leur était impossible de faire revenir dans le droit chemin les gens des barrières, ils faisaient ce que bon leur semblait. Mais comme ce gendarme avait promis avec ces hommes qu’il allait assurer la sécurité, on se disait que ça serait possible, que les Interahamwe n’allaient pas oser affronter les policiers mais qu’aucun gendarme n’allait entraver la sécurité des élèves.
Président : vous souhaitez ajouter quelque chose, Monsieur ?
Pascal RWAYITARE : géographiquement, KIBEHO est éloigné de notre lieu de travail de NYAMAGABE, c’est pour cette raison- là que je n’ai pas eu vent de ce qui s‘était passé, du départ des gendarmes et de l’attaque. Voilà.
QUESTIONS DE LA COUR :
Juge assesseure 1 : j’ai une question sur la composition de la délégation qui est allée à l’école. Quand vous aviez été entendu par les gendarmes français vous aviez dit que dans la délégation il y avait MISAGO, représentant de l’église – D10597/5, Fabien UWIMANA représentant du service de renseignements intérieurs, un chauffeur, vous-même, le préfet et que vous êtes partis ensemble dans la même camionnette et les gendarmes vous disent que le préfet était accompagné du major BIZIMUNGU, MISAGO, le bourgmestre et le représentant du service de renseignement préfectoral. Vous, vous dites: « Je ne me rappelle plus la présence du Major BIZIMUNGU dans la camionnette, on y était à 5. » Moi, si je compte dans la camionnette du préfet il y a le chauffeur, le préfet, Monseigneur MISAGO, vous et Fabien UWIMANA. Et après dans cette audition vous parlez très précisément de ce qui s’est passé dans les réunions avec les élèves et jamais vous ne faites allusion à la présence du capitaine SEBUHURA. Je vous pose la question, est-ce que le capitaine SEBUHURA faisait partie de la délégation, vous étiez avec lui ?
Pascal RWAYITARE: il est vrai que nous étions 5 à bord de ce véhicule et je ne compte pas vraiment le chauffeur puisque son rôle consiste à conduire le véhicule.
Juge assesseur 1 : donc vous étiez 6 ?
Pascal RWAYITARE : Il n’était pas avec nous à la réunion. Quant à SEBUHURA, il est venu après, une fois que nous étions déjà à KIBEHO, il est venu dans son propre véhicule. Il est venu vers la fin de la réunion qui a eu lieu à l’école Marie-Merci mais je me rappelle qu’il était bien présent à l’Ecole des Lettres.
Juge Assesseur 1 : donc il est arrivé à la fin de la réunion avec les élèves Hutu mais il était bien présent à la réunion avec les élèves Tutsi ?
Pascal RWAYITARE: oui
Juge Assesseur 1 : est-ce que la directrice de l’Ecole des Lettres était présente à la réunion avec les élèves Tutsi ?
Pascal RWAYITARE: ce dont je me rappelle, c’est que la directrice n’était pas là mais il y avait son adjoint qui l’a représentée.
Juge Assesseur : quand le Président vous a lu il y a quelque minutes le récit que vous avez fait de cette réunion, je rappelle que vous aviez dit qu’il y avait eu la garantie verbale que les élèves Hutu ne s’en prendraient pas aux élèves Tutsi, que la directrice de l’École des Lettres, les hébergerait et les garderait. Qu’est-ce que ça veut dire ? Vous avez fait une confusion entre la directrice et son adjointe ou vous dites quelque chose de différend aujourd’hui ?
Pascal RWAYITARE : de mémoire, je mélange peut-être un peu mais celle-là dont je parle, que j’ai appelé « directrice », c’est celle-là à qui nous nous sommes adressés, et avec qui on a échangé.
Juge Assesseur 1 : je reviens sur votre déclaration quant à la réunion avec les élèves Hutu – D10597/6 : (NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
Et à l’audience, j’ai plutôt compris qu’il avait été décidé que c’est plutôt tous les élèves Hutu qui rentraient chez eux. Est-ce que les élèves Hutu avaient la possibilité de rester à l’école ?
Pascal RWAYITARE: vous m’excuserez mais je n’étais pas encore arrivé à ce détail de personnes qui possédaient des Cartes d’identité. Mais les élèves Hutu, je pense, qui possédaient une carte étudiante ainsi qu’une carte d’identité Hutu, pouvaient rentrer. Je pense qu’on a demandé aux élèves de rentrer.
Juge Assesseur 1 : vous avez fait le trajet du retour avec le préfet et Monseigneur MISAGO ?
Pascal RWAYITARE : oui c’est vrai, tel que nous étions allés, nous sommes rentrés de la même manière
Juge Assesseur 1 : et les conversations dans la voiture, vous les avez entendus parler ? Quelles étaient les conversations ? On a parlé des conversations à l’aller, quelles étaient les conversations au retour ?
Pascal RWAYITARE: nous avons parlé parce que c’était important de ce cas des élèves à l’Ecole des Lettres. Nous nous disions qu’au moins ils auraient la sécurité assurée, c’est ce qui était important
Juge Assesseur 1 : vous aviez confiance en SEBUHURA?
Pascal RWAYITARE : je n’avais aucune raison de me méfier de lui, je le trouvais sincère.
Président : une précision sur les élèves de Marie-Merci de KIBEHO, il y avait des pensionnaires et des externes qui ne venaient que la journée ? Je me trompe ?
Pascal RWAYITARE: à cette époque-là, quand une école avait un internat, tous les élèves étaient internes.
Juge assesseur 3 : une question simplement, est-ce que pour vous, au cours de ces réunions avec les élèves Tutsi, le sort des parents tutsi de ces élèves a-t-il été évoqué?
Pascal RWAYITARE : il me semble, puisque nous étions allés dans le but de les réconforter ou de les rassurer, je ne pense pas que cela a été évoqué, si ce n’est de manière allégorique. Vue la situation qui prévalait dans le pays, je ne pense pas que leur sort ait été évoqué
Juge Assesseur 3 : est-ce qu’implicitement, les élèves pensaient que leurs parents étaient tous morts ?
Pascal RWAYITARE: oui, il faut faire la différence parce que je pense que certains devaient savoir que les parents étaient morts, ils ont vu ce qui se passait mais d’autres devaient deviner. Nous n’avons demandé à personne.
QUESTIONS des PARTIES CIVILES :
Me GISAGARA : hier nous avons entendu un témoin rescapé de GIKONGORO contraint d’aller vivre dans le BUGESERA car il avait été menacé plusieurs fois à GIKONGORO. Je voulais vous demander si vous vous sentez en sécurité là-bas, est-ce que vous vous sentez libre de témoigner ? Vous ne craignez pas des conséquences sur ce que vous allez dire à cette audience ?
Pascal RWAYITARE: le fait de ressentir la peur, c’est une chose qu’on ressent individuellement et cela dépend aussi de la manière dont on s’occupe de sa vie, de ses propres affaires. Autre chose, Parler d’un témoignage comme celui-là, vous savez, j’ai déjà donné un tel témoignage dans le procès de MISAGO. Alors quant à parler des conséquences, tout dépend aussi de la manière dont on les gère. Le procès MISAGO c’était bien avant les juridictions Gacaca, ensuite devant les Gacaca, et c’était bien plus risqué.
Me GISAGARA : ça c’était les témoignages à décharge et là c’est à charge. Est-ce que vous vous sentez libre de témoigner à charge puisque les témoins, certains, se sentent menacés. En tout cas c’est ce que nous a dit hier une témoin de GIKONGORO.
Pascal RWAYITARE: en ce qui concerne ce témoin, je pense qu’elle a dû témoigner selon ce qu’elle a vu ou vécu. De plus, j’ai travaillé à BYUMBA, ensuite à KIGALI et ensuite je suis retourné à NYAMAGABE (la traductrice résume ses propos). Ce qui veut dire que je n’y allais que pour passer des week-end et partir. S’il y a donc des problèmes de sécurité pour les survivants là-bas, personne ne m’en a parlé, nous vivons avec des rescapés.
Me GISAGARA : je reviens à l’époque du génocide, vous aviez une licence, niveau universitaire le plus élevé à l’époque, vous étiez inspecteur adjoint au niveau de la préfecture et donc j’imagine que vous êtes d’accord avec moi pour dire que vous faisiez partie des intellectuels de la préfecture ?
Pascal RWAYITARE: tout dépend de la manière dont l’autre me voit mais oui je l’affirme.
Me GISAGARA : à ce titre, comment expliquez-vous, comme un intellectuel, qu’il se déroule, dans cette région, des événements de la même façon à KADUKA, KIBEHO, CYANIKA, MURAMBI pour ne citer que ça, en l’espace de quatre jours ?
Pascal RWAYITARE: c’est qu’il y avait des personnes impliquées qui avaient des équipes qu’elles dirigeaient. L’autre chose, c’est qu’il y avait aussi ces gendarmes qui disaient qu’ils étaient à la guerre même s’ils ne se battaient pas avec des personnes armées, c’était une lâcheté.
Me GISAGARA : pour vous, tout ça vous semble le fruit d’un hasard ou c’était quelque chose d’organisé ?
Pascal RWAYITARE : oui, si on analyse et qu’on essaie de remettre les choses ensemble, on voit bien que c’était organisé, en plus c’était des choses qui passaient par la radio. Normalement, les radios ont un système de censure pour cadrer ce genre de choses; donc oui c’était organisé.
Me GISAGARA : donc vous êtes d’accord avec moi pour dire que tout ça dépendait d’un plan établi à l’avance ?
Pascal RWAYITARE : alors parler du plan, je ne saurais dire si réellement il y plan car il faudrait dire quand. Mais quand on regarde de plus près, il fallait se coordonner, ils avaient une manière de communiquer car s’il se passe quelque chose à tel endroit et la même chose à un autre endroit le lendemain, ils devaient communiquer, il y a dû avoir des rapports ou quelque chose. J’ai des craintes oui qu’il y ait eu un plan mais l’homme aussi est compliqué à gérer, peut-être qu’il y a eu une spontanéité. Mais comme la radio le disait et que personne n’a jamais coupé ces ondes, oui, j’ai des craintes.
Me GISAGARA : je retiens donc que pour vous il y a eu une organisation, une communication entre tous ceux qui ont perpétré ces faits, et une certaine coordination pour que tous ces massacres puissent se dérouler d’une même façon. Nous sommes d’accord si je résume comme ça ?
Pascal RWAYITARE : oui je le reconnais et d’ailleurs cette crainte de dire qu’il y a eu un plan, je le reconnais.
Me GISAGARA : il vous semble normal que le préfet ait pu ignorer ce plan, avec tous ces services à sa disposition, ces moyens, notamment le service de renseignement préfectoral ?
Pascal RWAYITARE : sûrement qu’il avait les informations, ça je le reconnais, c’est comme ça que je le pense, il était au courant. Parce que vous ne pouvez pas être préfet et avoir tous ces services qui vous donnent des rapports et ne pas avoir ces informations. Autre chose aussi que j’ai dit, alors moi quand on regarde, en tant que préfet, ce qu’il a laissé faire, est-ce qu’il était dépassé, je ne peux pas savoir mais laisser des jeunes faire régner la terreur sur les barrières, incendier des maisons, j’avais l’impression qu’il était dépassé peut-être. Mais ça c’est mon analyse, il n’y a que lui qui peut le dire en dernier lieu.
Me GISAGARA : sur l’attaque de l’École Marie-Merci, quand on vous envoie à l’École Marie-Merci, quelle est votre mission donnée par votre responsable ? Qui vous envoie ?
Pascal RWAYITARE: comme c’était des choses qui s’étaient déroulées dans une école, ce sont des choses qui relèvent du Ministère de l’éducation. Ça ne relevait pas vraiment réellement du Ministère de l’éducation car c’était une question de sécurité mais nous devions avoir toutes les nouvelles pour que celui qui était le ministre, si jamais il appelait, on devait pouvoir lui donner des nouvelles.
Me GISAGARA : alors là, j’avoue que je ne comprends pas, vous êtes allé aux renseignements ou pour trouver une solution au problème de sécurité des élèves de l’école, avec tous les autres, vous faisiez partie d’une délégation, mais la mission c’était bien de trouver une solution pour les élèves Tutsi menacés, c’était bien cela ?
Pascal RWAYITARE: oui, oui, oui, je le reconnais, cela faisait partie aussi de l’objectif. Vous ne pouvez pas faire partie d’une délégation sans avoir une idée peut-être à soumettre ou trouver une solution pour ces élèves menacés.
Me GISAGARA : donc à votre retour, vous avez fait un retour à votre responsable, vous avez dit quoi alors ?
PR : oui, j’ai soumis le rapport.
Me GISAGARA : que la solution était trouvée ?
Pascal RWAYITARE : que oui, il y avait cette solution provisoire, que les gendarmes allaient assurer la sécurité, cette solution avait été entendue. Mais quant à la sécurité générale de tout le pays, ça ce n’était qu’une solution locale. C’était interconnecté avec le reste.
Me GISAGARA : vous avez des enfants ?
Pascal RWAYITARE : quant à l’évènement de ces choses, je m’étais marié en 1992.
Me GISAGARA : vos enfants ont quel âge aujourd’hui ?
Pascal RWAYITARE : l’ainé a 30 ans, les autres sont plus jeunes Malheureusement, parmi ces élèves, il y avait l’enfant d’un voisin, MUSONERA et je n’ai même pas pu faire quoi que ce soit. Quelque fois il arrive que l’on dise que nous sommes des hommes, mais pourquoi ?
Me GISAGARA : imaginez que votre enfant était à l’École Marie-Merci, considérez-vous que votre délégation a fait le nécessaire ? Que le préfet a fait le nécessaire ?
Pascal RWAYITARE: alors j’en ai parlé tout à l’heure, cette solution était provisoire mais la suite dépendait aussi de ce qui se passait dans le pays, de la situation qui prévalait dans le pays. Quant aux élèves, ils étaient à l’intérieur de l’établissement et d’ailleurs les parents les avaient envoyés à l’école, ils pensaient qu’ils étaient en sécurité, nous aussi, ils étaient gardés pas des gendarmes, nous ne savions pas qu’il y allait avoir un changement avec les gendarmes.
Voyez-vous, la situation était chaotique et à l’école Marie-Merci, il y avait déjà eu ces problèmes ethniques, ces divisions. Alors au mois de novembre/décembre, il y avait déjà eu ces soulèvements interethniques même si ce n’était pas encore grave. Je reconnais qu’il y a une part de l’éducation des enseignants ou de ce monde scolaire mais aussi l’environnement jouait et influençait le comportement de ces élèves, c’est la raison pour laquelle ils ont dit que les radios les incitaient à de mauvaises choses et qu’ils les ont suivies. C’est la raison pour laquelle on a essayé d’arrêter cela et qu’on leur a dit: » Si vous ne pouvez pas vivre avec vos camardes, rentez chez vous » pour éviter qu’ils dépassent les bornes et commettent peut-être certaines choses. Ça c’était aussi des choses qui venaient de l’environnement, il y a un proverbe en kinyarwanda qui dit littéralement: « On ne peut pas mettre ses chèvres à côté d’une mauvaise chèvre« , cela veut dire qu’une mauvaise compagnie corrompt les autres.
QUESTIONS du Ministère public :
Ministère public : j’ai deux questions. Hier nous avons entendu une élève Tutsi qui nous a indiqué que la délégation leur propose aussi de rentrer chez eux ?
Pascal RWAYITARE : non, parce qu’on savait que les barrières traquaient les Tutsi et que si on leur dit de rentrer, ils ne pourrony y pas aller loin car ils ne pouvaient pas passer la barrière.
Ministère public : donc elle aura mal compris ce qu’on lui a dit ce jour-là ?
Pascal RWAYITARE : je ne saurais pas expliquer mais si cette personne était à cette Ecole des Lettres et qu’on a dit qu’on allait assurer leur sécurité et que cette personne a compris qu’elle devait rentrer. À moins qu’elle soit restée dans ce groupe de Hutu à qui on a demandé de rentrer et que cette personne n’était pas au courant que ces congénères étaient partis à l’École des Lettres…
Ministère public : elle était déjà à l’École des Lettres.
Pascal RWAYITARE: non, ça ne s’est jamais dit qu’on devait rentrer.
Ministère public : : sur l’École Marie-Merci, il y avait combien d’élèves en tout et combien d’élèves Tutsi ?
Pascal RWAYITARE : je ne peux pas répondre à cette question. Peut-être que celui qui était le directeur pourrait s’en souvenir, ça a eu des troubles sur lui.
Ministère public : : il y avait entre 500 et 600 élèves dont environ 90 Tutsi. On a compris que c’était une école dans laquelle le directeur Tutsi avait été remplacé à la suite de tensions ethniques, et que certains professeurs avaient été identifiés comme ayant quitté le RWANDA, pour rejoindre le FPR, est-ce qu’au niveau du Ministère de l’éducation c’était une école particulièrement à risque d’être vue comme complice des Inkotanyi[4], du FPR ?
Pascal RWAYITARE : non, on a pas eu une telle situation. S’il y a des élèves qui le faisaient, ils devaient le faire individuellement, les professeurs aussi ; mais pas au niveau de l’école. Mais s’il y a des problèmes comme ça, on se pose des questions sur l’encadrement, on se dit qu’il n’a pas bien fonctionné et que c’est sûrement pour ça qu’on a remplacé le directeur. Cela soutient le rôle de l’environnement dont je vous ai parlé : il vient gâter les choses.
Ministère public : est-ce que tous ces problèmes, si je peux m’exprimer ainsi, c’est cela qui a justifié la présence de Fabien dans cette délégation car on se demande bien quand même ce qu’il faisait ici, du renseignement ?
Pascal RWAYITARE : je ne peux pas savoir réellement le rôle de celui-là chargé de la sécurité mais moi je pense que ce soit au niveau national ou autre, en temps de paix ou de troubles, celui-là devrait être présent ou envoyé quelqu’un d’autre à sa place. Mais sûrement qu’il devait être au courant.
QUESTIONS de la DÉFENSE :
Me BIJU-DUVAL : je voudrais revenir avec vous sur la composition de la délégation qui se rend à l’École Marie-Merci, vous nous avez indiqué que vous aviez témoigné dans le procès contre Monseigneur MISAGO, qui a mené à son acquittement, je vais vous lire un extrait du jugement MISAGO – D8834 : (NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
Vous comprenez que les juges reprennent ici une des accusations du Président contre Monseigneur MISAGO ? Cette accusation sera écartée par le tribunal dans son jugement mais ce qui m’intéresse est que le Président dans ce procès MISAGO au RWANDA mentionne comme participant à la délégation à l’école Marie-Merci de KIBEHO est le major BIZIMANA comme commandant de gendarmerie.
Pascal RWAYITARE : oui, j’ai compris la différence entre le major BIZIMANA et le capitaine SEUBUHURA
Me BIJU-DUVAL : je n’ai pas encore posé ma question. Vous nous avez parlé du commandant de gendarmerie, on nous donnant un nom SEBUHURA. Mais de votre compréhension, au moment de la visite, la personne présente pour la gendarmerie c’est le commandant de gendarmerie ou un subalterne, de grade inférieur, qui est là pour le représentant ?
Pascal RWAYITARE : vous m’excuserez, quant au commandement de la gendarmerie, moi je pensais que celui qui était le commandant de cette gendarmerie était SEBUHURA. À GIKONGORO, on se souvient tous que celui qui dirigeait ce groupement était SEBUHURA mais peut-être que ce groupement avait un aitre commandant qui était à BUTARE, BIZIMANA. Mais je pense que c’est ce capitaine SEBUHURA que j’ai vu à KIBEHO car ça s’est passé en pleine journée, on ne peut pas oublier cela.
Me BIJU-DUVAL : le major BIZIMUNGU, ça ne vous dit rien ?
Pascal RWAYITARE: il y a pu avoir des changements pendant ce temps de troubles et que pendant ce temps de troubles, celui qui est le commandant de gendarmerie soit ce BIZIMANA mais nous étions habitués à SEBUHURA à GIKONGORO, tout le monde le connaissait. Ce BIZIMANA, je ne le connaissais pas. S’il était présent, il était sûrement nouveau au sein de la direction de ce groupement de GIKONGORO.
Me BIJU-DUVAL : je voudrais vous rappeler vos déclarations – D10597/5 : (NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
C’est ainsi que le préfet a été averti des troubles ?
Pascal RWAYITARE : je ne pense pas comme ça. Je pense que le prêtre directeur est venu voir l’inspecteur, lui a fait part de ces troubles, il a dû se sentir dépassé par les évènements et ensemble ils se sont dit qu’ils iraient voir des autorités supérieures concernées pour régler ce problème mais je ne pense pas que les autres services n’avaient pas mis au courant le préfet concernant les troubles à l’école Marie-Merci. Autre chose que j’ignore : je ne sais pas combien de temps ont duré ces troubles.
Me BIJU-DUVAL : en ce qui concerne toujours vos déclarations faites aux enquêteurs – D10597/6 : (NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
Que voulez-vous dire par cette dernière phrase ?
Pascal RWAYITARE : malheureusement c’est un constat. Quand vous voyez des personnes sur les routes faire ce qu’elles veulent et que les autorités ne font rien. Moi je pense que les autorités étaient dépassées car ce n’était pas une situation normale. On appelle ça une démission ? Je n’en sais rien
Me BIJU-DUVAL : à la cote D10597/7, en parlant : (NDR: Il lit un extrait de sa déposition).
Vous partagez toujours cette opinion ?
Pascal RWAYITARE : je pense toujours que s’il a pu emmener cette personne de la gendarmerie jusqu’à ce qu’il accepte d’assurer la sécurité de ces élèves, je pense que ce sont les moyens dont il avait. Pour moi, il a fait ce qu’il a pu.
Audition de monsieur Silas NSANZABAGANWA.
Audition de Silas NSANZABAGANWA, cité par le Ministère public, né en 1951 demeurant au RWANDA, 71 ans. Réunions concernant aussi l’école Marie-Merci et la nomination du bourgmestre BAKUNDUKIZE Innocent.
Déclaration spontanée.
Je commencerai par l’avion du Président, laissant de côté les histoires de partis. Ce jour-là, dans le courant de la nuit, l’avion du président HABYARIMANA a été abattu. Dans le matin qui a suivi, la radio Rwanda a déclaré que tout le monde devait rester à la maison. Nous autres, les citoyens ordinaires, nous sommes restés à la maison, mais le bourgmestre, les policiers ainsi que les Interahamwe[5] circulaient de nuit. Ce jour-là du 7, ça avait commencé dans la commune voisine à la notre, donc à RWAMIKO. Là-bas, c’était un bastion de la CDR[6], ainsi que les gens du MDR-POWER[7], je parle de leur jeunesse. Ils s’en sont pris alors à la population et ils se sont mis à tuer et à incendier les maisons.
Le 8, il y avait des réfugiés qui provenaient de la région du BUFUNDU. C’étaient des réfugiés tutsi qui fuyaient des incendies, et ils se sont réfugiés au centre de santé de BURAMBA*. A cette date-là du 8, les gens de la CDR, ainsi que les JDR (Jeunesse du MDR), se sont rués sur les réfugiés de BURAMBA et ils les ont tués. Après cela, ils ont continué à sévir dans toutes les cellules de la commune de RWAMIKO. A partir de là, des réfugiés de la commune de RWAMIKO ont commencé à apparaitre à KIBEHO, à cette date-là du 8. Toujours à cette date-là du 8, un mauvais climat commençait à poindre là-bas à KIBEHO et le sous-préfet de la sous-préfecture de MUNINI, Damien BINIGA, est arrivé chez moi à KIBEHO. Il s’est adressé à moi de la cour l’extérieure. Il m’a demandé de lui remettre la carte du PSD[8]. Il a ajouté que le président national du PSD, ils l’avaient tué. Il disait que moi aussi, à mon tour, je devais lui remettre la carte du PSD et que à son tour, il allait me fournir la carte du MRND[9] sans quoi, ils allaient me tuer à l’instar de mon patron, mais j’ai refusé.
A cet instant même, est apparu BAKUNDUKIZE, qui était chef des plantations dans l’usine à thé de MATA. Tous les deux, avec d’autres, se sont dirigés au bar-café de KIBEHO. BAKUNDUKIZE était membre du MRND, mais en se rendant au bar-café de KIBEHO, en faisant une petite réunion, ils étaient avec d’autres membres du MDR-POWER. Ils n’ont pas communiqué directement à la population le résultat de cette petite réunion. Toujours est-il que le lendemain, BAKUNDUKIZE s’est rendu à l’usine MATA, c’est à cet endroit qu’ils examinaient comment ils allaient commettre le génocide. Ils apprenaient ça de la part du directeur Juvénal BAKUNDUKIZE. Ce dernier provenait des usines de NYABIHU* et de RUBAYA*. Dans ce meeting là de 1992, le président du PSD nous a dit que Juvénal BAKUNDUKIZE, qui venait du nord, avait tué des gens là-bas, des gens du sud et un agronome, et qu’il fallait nous méfier et nous protéger de lui.
Revenons à ce BAKUNDUKIZE, le 9, lorsqu’ils venaient de MATA, il est venu en soirée et a fait une réunion avec les voyous mais aussi avec des gens du MDR-POWER. Il a dit que nous devons tuer les tutsi d’ailleurs, eux aussi ils ont tué notre HABYARIMANA en collaboration avec les Inkotanyi[10]. Le lendemain, le 10, je suis allée à l’église rencontrer le curé Pierre NGOGA, ainsi que son vicaire RWABASHI Lucien. Je leur ai demandé s’ils avaient été informés du climat qui peignait depuis la veille. Je réprimais que BAKUNDUKIZE était venu de RWAMIKO et avait dit aux gens qu’il fallait tuer les Tutsi. L’abbé NGOGA m’a dit qu’il connaissait pire que ça, que le vendredi 8, le sous-préfet BINGA, lui avait interdit de donner aux Tutsi la nourriture de la CARITAS. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas suivre cette injonction, que moi-même j’étais en charge des affaires sociales au sein de la succursale de KIBEHO, du CCDFP (centre communal de développement de formation permanente). Je lui disais par-là qu’il fallait fournir de la nourriture à ces réfugiés.
Ce qu’il a par ailleurs fait, lorsque ces attaques étaient menées, chaque fois ces attaques trouvaient que les réfugiés étaient en train de cuisiner. Donc, je lui ai dit aussi, ce jour-là le dimanche matin, quand j’étais allé le voir qu’il devait voir comment il devait rapporter cela à l’évêque. Il m’a dit qu’il n’y avait pas moyen de passer à travers RWAMIKO et qu’ils ne pouvait pas aller à BUTARE laissant seuls ces réfugiés. Je lui ai dit aussi que s’il y avait moyen, il pouvait contacter la radio *** pour qu’elle mette en garde le sous-préfet BINIGA, ainsi que le bourgmestre NYLIDANDI et BAKUNDUKIZE. Le soir, ce jour-là, BAKUNDUKIZE, les professeurs de l’École Marie-Merci ainsi que les JDR des environs ont attaqué le bar de KANYANDEKWE*, qu’on appelle Café de KIBEHO. Ils ont bu de la bière et quand ils s’en sont enivrés, ils ont commencé à détruire les maisons des Tutsi et à les incendier. Ils ont commencé par le village qui s’appelait alors ***, aujourd’hui SINAHI*, ainsi que le village d’à côté GWARUHAHI*. Le lendemain matin, les Tutsi, dont les maisons avaient été incendiées se sont réfugiés dans les maisons de KIBEHO, d’autres se sont rendus à RUNYNYA*, où il y avait encore de l’accalmie et où les incendies ne s’étaient pas encore produits. Ils se sont rendus à l’école de GACYAZO*.
Nous sommes dans la matinée du 11, mais, entretemps, il y en avait dont les maisons n’avaient pas encore été incendiées et il y avait des Hutu restés sur place et le bourgmestre a dit à BAKUNDUKIZE qu’il y avait une réunion, qu’à 11h il allait y avoir une réunion du bourgmestre NYLIDANDI de MUBUGA. Il a envoyé un message aux réfugiés qui étaient arrivés à la paroisse, comme quoi eux aussi devaient venir à cette réunion. Ces réfugiés ont eu peur qu’on allait leur faire du mal, ils ont délégués parmi eux les plus importants dont GASIRE, qui était enseignant, et BUTERA Valence, tout comme l’enseignant NKEZABERA Emmanuel, tout comme le professeur MUNYAMIINI, qui enseignait à l’école Marie-Merci. Ils sont donc arrivés et NIYLIDANDI a dit que la veille étaient venus des bandits en provenance de la commune de RWAMIKO et qu’ils avaient incendié la maison des Tutsi. Les victimes des incendies ont rectifié qu’il ne s’agissait pas des bandits en provenance de RWAMIKO mais que c’était plutôt leurs voisins notamment NYAMUNINA et de HURAHUAYE*, qui avaient fait cela. NIYLIDANDI, a dit qu’il ne pouvait pas sanctionner ces gens car s’il les sanctionnait, la situation allait s’empirer.
Moi et d’autre personne qui étions là, avons dit à NYLIDANDI de se mettre quelque part à l’écart pour que toute personne qui avait été victime de l’incendie s’approche discrètement de lui, et lui indique le nom de l’auteur de l’incendie étant donné que ça n’allait servir à rien s’il n’y avait pas de punition. NYLIDANDI a refusé également cette proposition. BAKUNDUKIZE s’est levé et a pris la parole, il a dit que les réfugiés avaient tué le Président et qu’il fallait se venger. Son grand frère, qui était conseillé de KIBEHO, a rétorqué en disant que leurs enfants dans le nord étaient en train d’être tués par les Inkotanyi et que nous aussi nous devions tuer leurs enfants. NYLIDANDI a dit qu’il ne pouvait pas agir autrement qu’il allait laisser sur place le chargé de sécurité et qu’il allait s’occuper de ces questions. Il a nommé ainsi ce BAKUNDUKIZE alors que c’était lui le meneur. Oui, c’était le bourgmestre qui avant son départ l’a nommé et il a aussi nommé Valens BUTERA.
Président : Il les a nommés pour quoi faire ?
Silas NSANZABAGANWA : Pour qu’ils assurent la sécurité, et qu’ils mettent en place des rondes.
Président : Ensemble ?
Silas NSANZABAGANWA : Oui, tous ensemble mais là BUTERA a été brave car il a immédiatement refusé. Dans un laps de temps est arrivé de MUNINI un gendarme du nom de ***. Ce gendarme était venu en moto, il a dit au bourgmestre de laisser cela, qu’il devait plutôt se rendre dare-dare à MUNINI, que là-bas la guerre sévissait, qu’ils étaient en train d’incendier les maisons. BAKUNDUKIZE est resté sur place. En fin de journée, il a de nouveau réuni les gens au même endroit dit CYAPA*. Sans tarder, il n’avait pas encore dit quoi que ce soit, qu’est arrivé un véhicule de la gendarmerie en provenance de MUNINI, c’est-à-dire de la sous-préfecture. La gendarmerie a dit à BAKUNDUKIZE que le lendemain, dès le matin, il fallait tuer ces réfugiés de la paroisse, qu’il fallait tuer aussi tout le monde, y compris les femmes et les enfants, que eux-mêmes, les gendarmes, allaient répondre de cela.
La gendarmerie a fait quelque chose comme 800 mètre ou 1 km comme pour aller à BUTARE, et elle s’est arrêtée à un endroit dit GISHWI, où jadis était une école, elle s’est arrêtée là-bas et elle a tiré en l’air. Ça n’a pas duré longtemps, la gendarmerie a fait demi-tour, a remonté pour retourner là d’où elle était venue, à MUNINI. BAKUNDUKIZE est resté au même endroit avec ces gens en train d’examiner, comme le lendemain ses instructions allaient être mise en pratique. En ce qui me concerne, je suis allée m’entretenir avec son grand frère, le juge MUSHUMBA***. C’est à 400 mètres de là, c’est pas loin. Je lui ai dit que son petit frère avait dit qu’ils allaient tuer sans distinction les Tutsi, y compris les femmes et les enfants alors que ceux-là étaient protégés par le droit international. Jusque-là, nous n’utilisions pas le vocable génocide. Je lui demandais ainsi d’aller l’en empêcher. MUSHUMBA est allé voir l’épouse de BAKUNDUKIZE, il lui a confié comme mission d’empêcher son mari de faire cela et l’épouse a promis de le dire. Nous autres, nous avons continué notre route pour retourner là où BAKUNDUKIZE se trouvait avec la population.
MUSHUMBA lui a dit que ces ignominies qu’il allait commettre, il fallait se garder de les faire car c’était sanctionné par le droit international. Donc BAKUNDUKIZE n’a pas voulu l’écouter disant que lui, MUSHUMBA, et moi, SILAS, nous ignorions la direction qu’était en train de prendre le pays. Comme il refusait de nous écouter, MUSHUMBA est allé chez lui et moi je suis retourné chez moi, mais les autres sont restés là et on continuait à incendier les maisons, et ils ont incendié les maisons qui n’avaient pas été incendiées à MANYUMINA* ainsi que dans d’autres cellules KIBEHO, à savoir AGATEKO, à l’arrière de l’église, WISASU, AKAGONGE, ainsi que GASHARU*. Les autres ont traversé les ruisseaux pour aller dans la cellule de NYARUSHISHI. Ils ont incendié des maisons dans la cellule de KIGUNA, celle de NYANGE. Ils ont continué à NYARUSHISHI. Cela a continué à affecter d’autres cellules de la commune de MUBUGA, dans les jours qui ont suivi.
Durant cette nuit du 11, est arrivé un objet très lumineux dans le ciel, je ne sais pas s’il s’agissait d’un satellite, cet objet était tellement lumineux qu’on aurait pu voir une aiguille par terre. Ça a continué à éclairer près de la frontière avec le BURUNDI. Ça a continué à descendre par là. C’était un des seuls blancs qui venaient voir ce qu’il se passait au Rwanda. La population s’est fait une réflexion et a conclu que les blancs ne pouvaient pas manquer de ne pas savoir ce qu’il s’était passé au Rwanda car leur objet volant était passé par là et avait tout filmé.
Pour ce qui concerne le 12, vers 1 heure une attaque allait être menée à la paroisse, mais elle a avorté car j’avais adressé une lettre à NGOGA. Je lui avait fait parvenir ce petit mot par l’entremise d’un Tutsi de NYANGE, ce Tutsi se nommait MONGOZI Etienne. Il était responsable d’un conseil paroissiale catholique. Dans cette lettre, je disais d’abord que BAKUNDUKIZE avait accepté de mener une attaque qui allait tuer les Tutsi. Deuxièmement, que les Tutsi devaient se préparer, ramasser des pierres, et faire rentrer des femmes et des enfants dans la cour intérieure et qu’il fallait faire rentrer les vaches. Il fallait aussi dresser un barrage routier sur la route du côté de la banque pour les empêcher de monter vers l’église et que les filles qui avaient encore de la force devaient rassembler les pierres. Ainsi, l’attaque a été menée en provenance de SINAI, le village de ??, l’attaque a progressé la montée de toute la route vers la paroisse. Elle s’est rendue à l’hôpital où elle a tué un enfant de KANYANDEPE*. Celui-là même où le café avait été pillé. L’attaque de BAKUNDUKIZE a continué vers l’église, mais dans l’entre-temps, il y avait une autre attaque du gendarme qui était parti de l’école Marie-Merci. Elle aussi montait en direction de l’école primaire et de l’église. À ce moment-là, une autre attaque est venue de RWAMIKO dans une voiture, cette attaque était constituée des travailleurs de l’usine de RWAMIKO, les attaquants venaient à bord d’un camion conduit par le chauffeur.
Président : Je n’avais pas prévu que votre témoignage durerait encore longtemps, malheureusement nous devons entendre un témoin d’Italie donc je vais devoir interrompre votre déposition.
Il va falloir fixer un nouveau rendez-vous pour entendre la suite de la déposition du témoin.
Audition de monsieur Emmanuel UWAYEZU, directeur de l’Ecole Marie-Merci à KIBEHO. Prêtre en visioconférence de Florence (Italie).
« J’ai vu Laurent BUCYIBARUTA pendant la guerre en 1994 lorsqu’il est venu avec l’évêque à Marie-Merci. C’était un homme intègre qui n’a jamais manifesté de haine anti-Tutsi. Il cherchait à unir les élèves. Je suis confiant que la Cour vase baser sur des preuves au lieu de se baser sur les « on-dit ». Merci pour la confiance que vous manifestez à mon égard.
J’ai été nommé directeur de Marie-Merci en octobre 1992. C’était la première fois que je venais à KIBEHO. Monseigneur GAHAMANYI et Monseigneur MISAGO m’ont demandé de succéder au Père SEBERA qui avait démissionné pour des problèmes ethniques au sein de son école où des grèves avaient été organisées. J’ai d’abord refusé. Ils m’ont laissé trois jours pour prendre ma décision. On m’a promis que ce ne serait pas pour longtemps car je devais reprendre des études. Jean Marie Vianney SEBERA, un Tutsi, est venu me remplacer à la paroisse de SIMBI. Personnellement, je suis Hutu.
Avant mon arrivée, le ministre BANDURA avait arrêté les activités de l’école. Des professeurs entretenaient des amitiés particulières avec des élèves et il y avait aussi des problèmes ethniques. Il existait un antagonisme entre le groupe des Hutu et celui des Tutsi.
Il se disait que des professeurs et des élèves étaient partis rejoindre le FPR[11]. Récemment, sur YouTube, j’ai vu qu’un professeur l’a confirmé.
J’ai vu aussi, dans des rapports, qu’il y avait des extrémistes chez les Hutu, des professeurs avaient été suspendus à cause de cela, mais c’était avant que je n’arrive. »
Monsieur le président va poser des questions au témoin qui connaît un certain J.P. MUSABYIMANA. Possible que ce fut un extrémiste puisque pendant la guerre puisque pendant la guerre il ne savait pas s’il allait en ressortir vivant!
La guerre ou le génocide, questionne le président?
Le témoin: j’ai appris qu’on l’a qualifiée ainsi. (NDR. Jusque là, le témoin a toujours utilisé le terme de guerre. Il semble que le mot « génocide » lui arracherait la langue). Je sais ce qu’est un génocide, c’est une extermination.
Le président; pour vous, il y a eu un génocide en 1994?
Le témoin: si c’est comme cela qu’on le dit, je reconnais un génocide. Quant aux Inyenzi[12], ce n’étaient pas seulement les Tutsi mais tous ceux qui collaboraient avec le FPR. Il y avait des Hutu chez les Inyenzi.
Le président: vous étiez là lors des massacres à la paroisse? Vous savez ce qui s’est passé?
Emmanuel UWAYEZU: j’étais en sport avec les élèves. C’est le lendemain que j’ai vu ceux qui étaient dans l’église. Je n’ai rien vu à l’extérieur. Ceux qui étaient dehors avaient fui. La majorité des victimes était des Tutsi, mais il y a eu aussi des Twa et des Hutu. Si ma mémoire est bonne, l’évêque est venu avec le préfet pour voir ce qui s’était passé. Le major BIZIMANA ou BIZIMUNGU était là aussi. Ils sont venus voir s’il y avait des survivants.
Le président: on vous a accusé d’avoir tenu des barrières.
Emmanuel UWAYEZU: j’ai appris cela quand je suis arrivé en dehors de l’église. Cela m’afflige beaucoup de me voir accusé. Des professeurs ont bien participé aux massacres, mais pas des élèves. L’école comptait environ 460 élèves. Il y avait presque autant de Tutsi que de Hutu! Ce que je n’ai pas pu vérifier car j’avais d’autres préoccupations. Je les considérais tous comme mes enfants. Ce sont les élèves qui ont décidé de se séparer en deux groupes. A l’école il n’y avait pas de clôture.
Le président: comment affirmer alors qu’aucun élève n’a participé aux massacres de l’église?
Emmanuel UWAYEZU: avec quoi seraient-ils allés se battre? Ils n’avaient pas d’armes!
Le président: des témoins disent que des élèves reviennent avec des habits maculés de sang!
Emmanuel UWAYEZU: c’est la première fois que j’entends dire cela. Concernant la séparation en deux groupes, comme il n’y avait plus de cuisiniers à l’école, ce sont les élèves qui étaient chargés de préparer la bouillie. les Tutsi ont été accusés d’avoir empoisonné la nourriture. Les Tutsi ne pouvaient en boire, ils sont partis.
J’ai dit aux gendarmes de barrer la route aux Interahamwe[13] pour les empêcher de venir tuer. Je suis aussi allé à GIKONGORO pour en parler à l’évêque. C’était le 1 ou le 2 mai, le jour où les élèves se sont séparés en deux groupes. Le 3 mai, l’évêque et le préfet sont venus à KIBEHO, avec le commandant et l’inspecteur adjoint. Ils avaient envoyé une invitation au bourgmestre et au sous-préfet de MUNINI. Je n’ai pas vu ce dernier.
Le président: quand vous rentrez de GIKONGORO, quelle est la situation?
Emmanuel UWAYEZU: j’ai constaté que les Hutu étaient revenus à l’école. Les Tutsi avaient été conduits à l’École des Lettres en collaboration avec des professeurs. Je leur ai apporté de quoi cuisiner.
Le président: la directrice de l’École des Lettres dit ne vous avoir jamais vu!
Emmanuel UWAYEZU: j’ai déposé des haricots et du riz. J’ai parlé aux élèves. Ils m’ont dit qu’on les calomniait, qu’ils n’avaient jamais empoisonné la nourriture. Il y avait aussi des Hutu avec eux. Mais il y a eu un tri le jour des massacres. Les Hutu sont revenus à l’école.
Le président: le jour de l’attaque, vous étiez où?
Emmanuel UWAYEZU: j’étais à GIKONGORO avec l’évêque. Je m’étais déplacé à bord d’un pick-up, accompagné de deux gendarmes. Seul, j’aurais été tué. Il restait trois gendarmes à l’école. Lors de la visite des autorités, des engagements ont été pris. Il a été demandé aux gendarmes d’augmenter la sécurité. On voulait remettre les élèves ensemble mais ils ont refusé.
Le président: quand apprenez-vous le massacre des enfants?
Emmanuel UWAYEZU: le lendemain. J’avais passé la nuit à l’évêché. C’est là que la directrice, qui était à SAVE, m’a trouvé. Elle nous a annoncé l’attaque. Elle m’a dit que j’étais aussi recherché.
Sur question de l’assesseur, le témoin dit qu’il est Hutu, « officiellement« . Un mot qui interroge. « Tout le monde sait que je suis Hutu, c’est cela que ça veut dire. J’avais un visage qui ressemblait à un Tutsi » finira-t-il par dire. C’est la raison pour laquelle il avait peur.
Maître TAPI: vous êtes toujours prêtre actuellement?
Le témoin confirme.
Maître TAPI: vous êtes un homme de Dieu!
Emmanuel UWAYEZU: oui. Je pense que je n’ai pas menti!
Alors que les parties civiles pose des questions, monsieur le président se demande si on va pouvoir continuer l’audience, vu les engagements pris concernant la santé de l’accusé.
Maître Simon FOREMAN proteste. Une nouvelle fois les parties ne pourront pas poser les questions qu’elles souhaitent poser. Ca ne peut pas continuer comme cela.
Sur question de monsieur le président pose à l’accusé, à savoir s’il souhaite continue l’audience, ce dernier dit qu’il ne peut pas.
« Bien sûr que non« , s’exclame l’avocat du CPCR, ce qui met la défense en colère.
L’audience est donc suspendue. Encore un témoin qu’il faudra convoquer une nouvelle fois. Cela devient inquiétant pour la suite des débats. A noter que les propos d’Emmanuel UWAYEZU ont choqué un certain nombre de parties civiles rescapées de l’école Marie-Merci.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Mathilde LAMBERT pour la transmission des notes d’audience.
Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.
- Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[↑]
- FPR : Front patriotique Rwandais[↑]
- Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.[↑]
- Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[↑]
- Ibid.[↑]
- CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[↑]
- Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.[↑]
- PSD : Parti Social Démocrate[↑]
- MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[↑]
- Ibid. [↑]
- Ibid. [↑]
- Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. Glossaire.[↑]
- Ibid. [↑]