Procès Laurent BUCYIBARUTA du lundi 13 juin 2022. J22


Audience de madame Verena MUKAREMERA.

Audition de Verena MUKAREMERA, témoin/ partie civile dont l’audition est demandée par l’association CRF, née le 1er janvier 1955 à KADUHA, demeurant au RWANDA, 67 ans, visioconférence depuis le RWANDA, rescapée.

 

  • Déclaration spontanée.

 

Je vous ai déjà décliné mon identité, j’habite dans le BUGESERA. Mais, avant le génocide, j’habitais à KADUHA, à GIKONGORO. A l’avènement du génocide, c’est là où je me trouvais, j’étais mariée, j’avais un époux et huit enfants. Après la chute de l’avion de HABYARIMANA, aucun Tutsi n’est sorti de son domicile. On disait que les Tutsi avaient joué un rôle dans la chute de cet avion. On nous a donc interdit de sortir et plus aucun Tutsi n’a quitté son domicile, que ce soit pour aller faire les courses ou effectuer une autre tâche. Comme tout le monde devait travailler pour subvenir à ses besoins, mon mari, qui était couturier au centre de négoce de KADUHA, est donc sorti pour vérifier si ce que l’on disait était vrai ou s’il pouvait exercer ses activités. Alors qu’il partait, il a rencontré des militaires démobilisés de HABYARIMANA. Ils l’ont frappé, lui reprochant d’être sorti alors qu’il avait été interdit au Tutsi de quitter leur domicile. Il est revenu aussitôt à la maison, et n’est plus retourné à l’extérieur.  Nous avons par la suite vu les Tutsi descendre des collines, fuyant en direction de la sous-préfecture de KADUHA. On disait que si quelqu’un fuyait à la sous-préfecture, on n’allait pas être tués. Donc, les premiers se sont rendus à cet endroit-là, ils avaient des armes, mais on les leur a enlevées. A ce moment-là, il leur a été dit d’aller à l’église, que c’était là qu’ils allaient être gardés et avoir la sécurité.

Alors que les autres Tutsi fuyaient, nous, nous étions restés à notre domicile selon ce que nous avait conseillé un certain GASANA qui était premier substitut. Il nous disait qu’il fallait voir d’abord comment la situation allait évoluer et nous enquérir des tenants et aboutissants de ce qui était en train de se faire. Ensuite, nous sommes restés à la maison. Mais, en même temps, nous pouvions voir fuir les Tutsi des autres collines et communes, car notre domicile était situé dans un endroit surélevé, ce qui nous permettait de voir ce qui se passait. Comme nous habitions tout près de la route, certains Hutu sont passés par chez nous et disaient qu’ils venaient de la sous-préfecture et qu’il y avait une réunion qui avait pour but le massacre des Tutsi. A ce moment-là, a été tué un certain Martin qui travaillait au tribunal à GIKONGORO, mais je ne sais pas en quoi exactement consistaient ses attributions au tribunal. Lui aussi était originaire de KADUHA. Il est décédé et il fut enterré. Son domicile était situé à KADUHA près de la résidence de Laurent BUCYIBARUTA, il avait une résidence de vacances où il venait se reposer et rencontrer ses proches. Lors de l’inhumation de Martin, il y avait un ex-militaire de HABYARIMANA, il se nommait NGEZAHAYO Straton. Cet ex militaire, après l’enterrement, a fait le tour des Hutu pour leur dire qu’il fallait commencer à tuer, et que c’était un ordre donné par le préfet Laurent BUCYIBARUTA, de GIKONGORO.

C’est alors que GASANA, dont je vous ai parlé, a envoyé un message à mon mari demandant à celui-ci et à ma famille de se réfugier à l’église car Straton avait changé d’avis. Ainsi, ma famille et moi avons immédiatement fui à la paroisse de KADUHA. Une fois sur place, nous avons trouvé que beaucoup de Tutsi s’étaient déjà réfugiés : l’église était remplie, les écoles étaient remplies, les salles de classes et les salles de catéchuménat étaient remplies, et même à l’extérieur et même à même le sol. Il y avait beaucoup de personnes mélangées avec des vaches et du bétail. Pendant un premier temps, nous n’avons pas trouvé d’endroit où nous installer, mais nous avons fini par trouver une petite maison à l’arrière de l’église. Nous y avons passé environ une semaine et à ce moment-là l’eau courante qui passait jusque-là fut coupée et nous n’avons plus eu d’eau.

Là-bas, à la paroisse de KADUHA, il y a fait un prêtre burundais, qui s’appelait NYANDWI. Celui-là travaillait de mèche également avec les tueurs. En effet, il se rendait au centre de KADUHA pour signaler le nombre de Tutsi qu’il y avait. En ce qui concerne les enseignants Tutsi, en réalité telle est la profession qu’ils pouvaient exercer, il les a pris et installés dans une maison à part. Il disait que c’est dans cette maison que les conditions de vie allaient être les meilleures et que ça allait leur éviter de se mélanger avec la population ordinaire. Lorsqu’ils ont constaté que le nombre de gens était devenu important et que les gens ne fuyaient plus, on les a dépouillés des armes avec lesquelles ils avaient fui. Donc, les armes furent prises. Ensuite, il y avait là du riz qui était dans les stock de la paroisse, du riz de la CARITAS, qui était destiné aux chrétiens de la paroisse qui se trouvaient dans le besoin. Ils ont demandé aux Tutsi qui avaient de l’argent sur eux d’acheter du riz, et ceux qui pouvaient ont acheté du riz à 25 francs le kilo.

Comme la quantité du riz ne s’épuisait pas, ils ont diminué les prix jusqu’à atteindre la somme de 5 francs le kilo. Le 20, le riz était épuisé. Le lendemain, donc le 21, les gendarmes ont commencé à tirer sur les gens très tôt le matin. Ils ont commencé par la maison où étaient les enseignants, c’est de ce côté là que les premiers sifflements des balles ont été entendus. Ainsi, ils ont fusillé les gens et en même temps la population ordinaire passait parmi les réfugiés et les coupait avec des objets tranchants: certains réfugiés essayaient de se défendre avec des pierres.  Ça a continué ainsi toute la journée, les Hutu tailladaient les Tutsi.

Vers 15 heures, les gendarmes ont dit que les munitions venaient de s’épuiser. Ils ont contacté GIKONGORO pour que d’autres munitions soient envoyées. A ce moment-là, à cette heure là ce fut mon tour et ils m’ont découpée au niveau de la tête. Quand je me suis réveillé, j’ai vu que toute ma famille avait été exterminée et que personne n’avait survécu.  J’ai constaté que mes enfants étaient devenus plus que des cadavres, ils les avaient découpés en morceaux. Quant à leur père, il avait été tué par balles. Je suis resté au milieu ces cadavres-là, je ne voyais pas quoi faire, j’ai réfléchi et à un certain moment je me suis demandé s’il fallait quitter la salle du catéchuménat où je me trouvais pour me rendre dans l’église. Je suis entrée dans l’église parmi les cadavres là-aussi. Je suis restée dans les cadavres et j’y ai passé toute la nuit. Le lendemain, des attaquants sont revenus achever ceux qui n’étaient pas encore morts. Quelques jours avant, on avait creusé de très grandes fosses qui étaient prévues aux déchets et on disait que c’est là où les gens devaient mettre les saletés. Les fosses étaient énormes.

C’est ainsi que le jour qui a suivi, ils ont trainé les corps des Tutsi qu’ils avaient tués la veille dans les fosses qu’ils avaient creusées en mentant: ils disaient que c’était des latrines. Ils m’ont ainsi traînée moi-même et une fois à la hauteur de la porte de l’église, ils ont constaté que je respirais encore. Ils ont crié en disant:  « Cette chose-là est encore en vie ». En réalité, il n’était plus question d’un être humain, mais d’une chose. Ils m’ont demandé de me lever, mais je n’ai pas répondu car je ne pouvais plus parler. Les gendarmes ont appelé la population pour qu’elle vienne me découper. Un de leurs collègue lui a répondu qu’il ne fallait pas me tuer mais me laisser survivre car, si j’allais survivre, j’allais raconter ce qui s’était passé. De toutes façons, j’allais mourir de ma belle mort et je n’allais pas rester plus de 10 heures en vie car j’avais passé déjà deux jours parmi les cadavres.

Ils ont continué ainsi les tâches d’enfouissement des Tutsi. Certains  étaient encore en vie. Ça a continué ainsi jusqu’à 15 heures et à ce moment-là les gendarmes ont demandé à la population de rentrer chez eux et de revenir le lendemain matin. Ils m’avaient placée contre un mur de l’église et de là je pouvais voir les tueurs découper les gens, découper ceux qui essayaient de se lever, et je pouvais reconnaitre certaines des victimes. Ainsi, vers 15 heures, ils sont partis me laissant là contre un mur de l’église, où ils m’avaient installée. Est arrivé ensuite un policier qui me connaissais. Je lui ai demandé de l’eau à boire car je me sentais très mal. Au lieu de me donner de l’eau à boire, il est allé mener une attaque. Les attaquants, en me regardant, m’ont reproché d’être encore en vie, disant que c’était mon beau-frère qui allait à des réunions des Inkotanyi[1] et que c’était mes congénères qui étaient à l’origine de la guerre. Je leur ai rétorqué qu’ils pouvaient faire de moi ce qu’ils voulaient car je ne connaissais pas les Inkotanyi, pas plus qu’eux ne les connaissaient.

Là où je vous montre sur la tête, là, un jeune qui faisait partie de l’attaque m’a donné des coups de marteau. Je suis de nouveau tombée en syncope et je ne suis revenue à moi-même que le matin du troisième jour. Comme je me réveillais, je me suis résolue à quitter l’église pour me rendre dans un bois proche appartenant à l’église et je me disais qu’il fallait mieux que je meure là-bas, plutôt que d’être découpée. Je me suis trainée à quatre pattes jusque-là et je n’arrivais pas à marcher correctement, surtout que j’avais reçu un coup d’épée au niveau de la hanche. Je me suis ainsi traînée vers le bois à quatre pattes, tel un bébé. En réalité, lorsqu’ils tuaient les gens, ils les dépouillaient de leurs vêtements. Ils avaient donc pris les miens aussi, mais j’ai réussi à récupérer une espèce de pagne pour m’en vêtir. Je me suis installée au niveau d’une souche d’eucalyptus avec des pousses, et je me disais que j’allais rester là, que j’allais mourir là. Au moins, on n’allait pas me couper de nouveau.

J’y ai passé la nuit et le lendemain une attaque m’a surprise de nouveau dans ce bois. J’ai donc quitté cette souche d’eucalyptus pour m’étendre à plat-ventre sur l’herbe en me disant qu’à leur arrivée ils allaient me couper immédiatement la nuque. En arrivant, ils ont dit qu’ils avaient trouvé une autre femme sur place, en parlant de moi. Ils ont creusé un grand trou en contrebas. Avec une corde, ils m’ont liée les jambes et ils m’ont déposée dans le trou. Ainsi, ils m’ont enterrée, ils ont mis la terre sur moi, et après quoi ils s’en sont allés. Alors qu’ils partaient, ils se vantaient de m’avoir enterrée vivante.  Les autres rétorquaient que si j’étais vivant je n’avais qu’à me sortir de là. A ce moment-là, j’ai pensé à mes enfants. Leur père avait reçu des balles, mais pour ce qui concerne ceux dont je n’avais pas vu les corps, je me suis dit que peut être ils avaient pu s’enfuir et se réfugier vers les collines.

Alors je me suis dit, comme leur papa avaient été fusillé et moi enterrée, que si l’un des enfants avait pu survivre en ayant fui, je me suis demandé qui allait prendre soin de lui. J’ai essayé de me battre contre la terre qui était au-dessus de moi. J’ai essayé et puis j’ai réussi à sortir un bras, même s’il est devenu handicapé. J’ai senti de l’air sur le bras et j’ai réalisé qu’il était à l’extérieur. J’ai essayé de dégager de la terre avec mon bras et par la grâce de Dieu, la tête a fini par sortir de la terre. J’y ai passé toute la journée, le bras gauche ainsi que la tête étaient à l’extérieur, mais le reste de mon corps était toujours sous la terre car j’étais étendue sur le ventre et j’étais ligotée. J’essayais de remettre de la terre pour mourir mais je ne réussissais pas à le faire, sachant que ma tête avait été dégagée. J’ai pensé à la mort atroce qui allait être la mienne, que j’allais être dévorée par les animaux voraces, étant donné qu’il y avait du sang sur ma tête.

En soirée, ce fut comme un miracle, je me suis retrouvée à l’extérieur du trou. J’ai essayé de délier la corde de mes jambes et je me suis mise debout. Quand je venais de me dégager, j’ai entendu quelqu’un qui criait et demandait qui m’avait aidé à sortir du trou. Je ne pouvais pas parler, je ne voyais pas bien, mais j’ai observé et j’ai reconnu la personne. L’intéressé m’a indiqué la colline d’en face me disant que c’était-là que je devais me rendre car lui-même n’allait pas découper quelqu’un que Jésus avait ressuscité: s’il le faisait, Dieu allait couper son propre bras en l’air. Il a continué son chemin. Quant à moi, je pouvais entendre les gens qui venaient de partout et disaient que certains étaient encore en vie et allaient être pourchassés. J’ai réfléchi et j’ai pensé à un Hutu prénommé Laurent, qui était parrain de l’un de nos enfants. J’ai pensé qu’il fallait que j’aille chez lui, soit il me tuait, soit il me cachait. Ainsi, je suis partie chez lui ne portant rien sur moi, hormis le pagne dont je vous ai parlé.

Le lendemain, je me suis rendue au domicile de Laurent. Quand il m’a vu, il m’a demandé où j’étais avant, si je n’étais pas encore morte. Il m’a laissée entrer dans la maison et j’y ai passé la nuit. Le matin il m’a conseillé d’aller chez MILGITHA, c’était une religieuse qui accueillait les Tutsi blessés et m’a dit d’aller me faire soigner[2]. Il m’a ouvert la porte et je suis partie le matin, mais on n’empruntait pas les chemins ordinaires, on prenait les chemins le long des collines, on passait par les brousses et les forêts. Je suis arrivée à destination, à l’établissement de la religieuse. Comme les portes étaient fermées, je me suis étendue près de la porte avec une autre femme que je venais de croiser, mais elle n’était pas morte. Quand le jour s’est levé, les veilleurs de MILGITHA ont ouvert la porte et ils nous ont chassées. La religieuse avait interdit de tuer les gens chez elle, et que si quelqu’un tuait, il allait être licencié.

Ainsi, ils nous ont laissé partir et nous sommes parties, mais personne ne pouvait parler. On nous a dit que nous n’avions qu’à nous rendre à l’hôpital principal, situé en contrebas, car nos interlocuteurs disaient que c’était là-bas qu’on accueillait les gens. Nous sommes ainsi partie, la femme qui était avec moi est allée à l’hôpital, mais moi je me suis dit que le personnel qui me connaissait allait me tuer, donc je me suis cachée dans les brousses sur la route. Là-aussi, j’ai trouvé sous la route des cadavres qui gisaient, et je me suis étendue parmi eux.

A un certain moment, sont arrivés des gens avec les chiens qui étaient en train de débusquer les blessés qui n’étaient pas encore morts. Par chance, là où j’étais, au milieu des cadavres, les chiens ne sont pas venus, ils sont allés de part et d’autre vers les buissons, mais pas à cet endroit précis. Je me suis décidée de quitter cet endroit pour retourner chez Laurent car je me disais que s’il me voyait pour la deuxième fois, il allait m’éliminer définitivement. Je suis arrivée chez lui le matin et il m’a dit que je ne devais pas entrer dans sa maison, mais que je devais me mettre dans les brousses, que lui partait à une réunion à la sous-préfecture pour savoir ce qui allait s’y dire et qu’il allait me révéler le contenu de cette réunion à son retour.

J’ai passé toute la journée dans ce bois, la chance qu’il y avait c’est qu’il pleuvait et donc on pouvait boire de l’eau de pluie. Au retour de la réunion, le soir, son épouse est venue me voir en cachette et m’a invitée dans la maison. De retour de la sous-préfecture, le mari  m’a dit que je devais me rendre à la sous-préfecture, qu’on avait demandé aux gens qui avaient caché des Tutsi de leur dire de se rendre la sous-préfecture et qu’on allait leur donner là-bas des attestations qui allaient permettre de ne pas être tués, que c’était le sous-préfet qui avait affirmé cela. Je suis donc sortie, mais au lieu de me rendre à la sous-préfecture, je suis retournée chez MILGITHA pour me faire soigner. De nouveau, je suis retournée dans les brousses en me cachant, car je ne pouvais pas prendre les chemins ordinaires. Je suis arrivée chez MILGITHA vers 9 heures du matin. De nouveau, ses employés ont tenté de me tuer et en même temps les gens qui transportaient les malades s’étonnaient qu’on dise que les Tutsi avaient été exterminés alors qu’il y en avait encore.

Un chef parmi les employés a dit qu’il fallait me laisser rencontrer MILGITHA pour qu’elle me soigne avant d’aller avec les autres à la sous-préfecture. L’employé en question se prénommait Gratien. Ainsi, elle m’a ouvert et elle m’a dirigée vers une douche. Elle m’a donné une robe à me mettre ainsi qu’une jaquette pour me couvrir. J’ai reçu cela d’une fille sur place. Par la suite, on m’a conduit vers MILGITHA qui m’a demandé ce qui m’était arrivé. Elle a voulu savoir aussi  ce qu’il en était de ma famille et j’ai répondu que tout le monde avait été exterminé. Ainsi, on m’a soignée et on m’a même montré un lit, et elle a dit qu’il fallait prendre soin de moi car je ne pouvais pas arriver jusqu’à la sous-préfecture. Ainsi, j’ai trouvé dans cette pièce d’autres personnes qu’elle avait accueillies, des enfants comme des adultes qui étaient des victimes du génocide.

À un certain moment on a dit à MILGITHA qu’elle devait fuir elle aussi. Elle nous a dit qu’elle ne pouvait pas nous laisser ainsi dans son établissement et que nous devions aller à l’hôpital, que l’État nous avait en responsabilité et que c’est cet État qui allait prendre soin de nous. Ainsi, nous nous sommes rendus à l’hôpital où nous avons trouvé d’autres personnes. Nous y sommes restées un certain moment: une attaque est arrivée. Les attaquants nous ont dit  que l’autorité leur avait dit de venir nous tuer. À un certain moment nous avons su que les personnes qui étaient allés à la sous-préfecture sur ordre du sous-préfet, pour obtenir un certificat, avaient été conduites dans un silo où l’on stockait des vivres et qu’on les avait toutes tuées.

À un certain moment nous avons vu arriver le sous-préfet avec des agents de la MINUAR.  Ils ont dit que c’était pour nous conduire à NYARUSHISHI. Nous avons été transportés à bord des véhicules jusqu’à MURAMBI, à GIKONGORO. Nous avons vécu quelques jours dans le sang  des personnes tuées à MURAMBI. Je n’avais pas de quoi manger, mais d’autres véhicules sont arrivés et nous ont transportés à BUTARE, dans la zone sous contrôlée par les Inkotanyi.  Et c’est là que la vie a repris. De MURAMBI, des avions ont transporté des gens au Congo, y compris ceux qui ne voulaient pas. Ainsi les militaires du FPR m’ont soignée et m’ont donné de quoi manger.  Ils se sont occupés de moi. La vie a repris même si je ne me suis pas complètement rétablie car j’ai un handicap au niveau du dos. Il en est de même de ma tête, je ne peux plus rien porter. En un mot, je n’ai plus de vie. Je m’arrête là.

Sur questions de monsieur le Président, le témoin va donner quelques complément d’information.

Elle 68 ans aujourd’hui, car née en 1955. Au moment du génocide elle avait 40 ans et habitait KADUHA depuis 1972, depuis son mariage. Elle était originaire d’une localité voisine. Elle connaissait le préfet Laurent BUCYIBARUTA, comme voisin mais sans plus. Elle le saluait en passant devant chez lui. Le sous-préfet, elle le connaissait peu aussi pour l’avoir vu lors d’une réunion.

« Aloys SIMBA, je le connaissais comme un colonel de l’armée d’HABYARIMANA[3]. Je connaissais son frère et j’avais entendu dire que le colonel était venu pour apprendre aux jeunes le maniement des armes. Mais je ne l’ai jamais vu moi-même. »

Le président: le major MUGEMA, ça vous dit quelque chose?

Le témoin: Oui, je le connaissais également car il habitait dans le centre de KADUHA. Je l’ai croisé quand il est venu dans sa propriété à KADUHA, car il y possédait également une propriété.

Président : vous avez parlé du 1er substitut, appelé GASANA. Vous savez ce qu’il lui est arrivé ?

Le témoin : ce que j’ai entendu dire, c’est qu’on l’avait trouvé assis sur une terrasse chez MUTABAZI le jour où on est venu à KADUHA. GIKONGORO a envoyé deux militaires sur une même moto. Ils l’ont trouvé assis sur la terrasse de ce commerçant MUTABAZI, ils sont venus le prendre ce jour où on tuait les gens à la paroisse. Ils lui ont posé la question:  « Pourquoi tu n’es pas allé aider les autres  tuer à la paroisse? »  Il a répondu qu’il ne pouvait pas tuer car il n’avait rien contre les Tutsi. Il leur a demandé de le laisser regagner son domicile pour qu’ils le tuent chez lui et non à l’extérieur. Ils sont donc descendus avec lui et ils ont tiré sur lui, ils l’ont tué chez lui, dans son salon.

Président : est-ce que vous avez vu ou entendu dire que des gens ont été arrêtés au début du génocide car justement ils attaquaient les Tutsi. Vous avez entendu que des gens ont été mis en prison ?

Le témoin : non, ils n’ont jamais arrêté les Hutu mais ce sont les Tutsi qui ont été emprisonnés.

Président : vous nous dites que ce sont des Tutsi qui ont été emprisonnés où ?

Le témoin : ils ont été emprisonnés à la sous-préfecture pendant que les autres Tutsi fuyaient. À un moment, ils ont été relâchés et ils ont trouvé refuge à la paroisse.

Président : quand vous arrivez à la paroisse, vous avez remarqué s’il y avait des gendarmes ?

Le témoin :: oui, il y en avait.

Président : il y a eu des attaques à la paroisse avant la grande attaque ?

Le témoin : avant l’attaque, ce sont des gendarmes qui ont commencé à tirer, qui ont débuté les attaques. Ils ont d’abord tiré comme pour donner le signal, pour ameuter les autres et qu’ils viennent tuer.

Président : ça c’est au moment de la grande attaque le 20/21 avril. Mais avant ça, il y a eu d’autres attaques?

Le témoin :  je n’ai pas vraiment vu les attaques. Par contre, je vous ai parlé de ce prêtre NYANDWI. A la paroisse, il venait surveiller les arrivées et donner des nouvelles aux tueurs:  « Attendez, ils ne sont pas encore assez nombreux. Venez, c’est bon. »

Président : vous avez indiqué, si j’ai bien compris, que certains Tutsi, avant d’aller à la paroisse, étaient allés à la sous-préfecture et que là, on leur avait pris leurs armes. C’est quelque chose qu’on vous a dit au moment où vous arrivez à la paroisse ou qu’on vous a dit après ?

Le témoin : en arrivant à l’église, ce sont les personnes auxquelles on avait retiré ces armes qui me l’ont dit.

Président : et parmi les personnes à l’église, certaines avaient des armes ? Et dans l’affirmative, est-ce qu’à un moment on leur a retiré ces armes ?

Le témoin : on leur a retiré les armes pour qu’ils ne se défendent pas.

Président : et ça c’était quand ? Quand ils sont arrivés, un peu avant l’attaque ?

Le témoin : les personnes de la sous-préfecture, on leur a retiré les armes dès leur arrivée et tous les autres qui sont allés directement à la paroisse, dès qu’ils arrivaient on leur retirait les armes. Ce sont ces mêmes armes qu’on a données aux Hutu.

Le témoin de continuer de répondre aux questions de monsieur le président.

« Nous sommes tous allés, en famille, dans la salle du catéchuménat car nous ne voulions pas nous séparer. Nous étions avec des voisins et des personnes âgées. Nous étions un peu à l’étroit à l’intérieur. Mon fils aîné était marié et père d’un bébé de trois mois: on l’a tué avec son enfant. Le plus jeune avait deux ans.

L’abbé NYANDWI? Il se tenait à l’arrière et il a joué un rôle dans l’assassinat des gens de ma famille. Il est allé chercher Antoine HARERIMANA, le petit frère de mon père. NYANDWI s’est rendu dans le bâtiment où on avait rassemblé les enseignants. Il a fourni de l’essence pour incendier la maison. C’est le prêtre qui avait décidé de mettre à part les intellectuels. Il pouvait ensuite les dénoncer auprès des gendarmes. Antoine HARERIMANA était le directeur de l’école CERAI[4]. Par contre, je n’ai pas été témoin de viols. Laurent, chez qui je suis allé, était un agriculteur. Il a participé au génocide et est toujours en prison. »

Président : Vous allez finir par séjourner chez la sœur MILGITHA, puis à l’hôpital. Vous savez si la sœur MILGITHA a reçu des visites, que ce soit du sous-préfet ou de l’évêque Mgr MISAGO ?

Le témoin : Non, je ne sais rien de telles visites. Par contre, ce que MILGITHA  nous a dit, c’est qu’elle a demandé des vivres à l’évêque qui a refusé car personne ne lui avait demandé d’accueillir des réfugiés. C’est ce que nous a dit MILGITHA avant de fuir.

Monsieur le président évoque la personne d’un autre prêtre, Edouard MUTANGANA. Le témoin le connaît comme adjoint de monseigneur MISAGO et frère d’un certain Martin dont elle a déjà parlé.

Président : vous voyez quelque chose que vous souhaiteriez ajouter ?

Le témoin : ce que je veux ajouter, c’est que toute personne qui a eu un rôle dans la commission du génocide devrait reconnaitre son rôle et demander pardon aux Rwandais et à ses victimes. Pour qu’il puisse terminer sa vie en étant repenti et qu’il ne meure pas avec ses péchés car ce sont des grands péchés. Dieu pardonne à quiconque lui demande pardon.

QUESTIONS des PARTIES CIVILES.

Me GISAGARA : je voulais vous poser une question Madame. Vous avez expliqué que vous habitez actuellement dans le BUGESERA. Pour information de la Cour, le BUGESERA est dans le Sud-Est du RWANDA, c’est très loin de KADUHA où vous étiez pendant le génocide. Pourquoi vous n’êtes pas retournée vivre à KADUHA après le génocide ?

Le  témoin: à KADUHA j’étais seule. Pendant ces années, jusqu’en 2000, on était à la recherche des Tutsi ? On continuait de les tuer.

Me GISAGARA : Je résume : vous êtes survivante du génocide mais vous avez aussi failli vous faire tuer après 1994, et c’est vous qui fuyez et pas les tueurs. Et vous êtes allée vous réfugier au BUGESERA.  Nous avons entendu le récit terrible de ce que vous avez vécu pendant le génocide, vous avez échappé à une mort certaine plusieurs fois, vous avez été très éprouvée, et d’ailleurs, la dernière phrase que vous avez prononcée en finissant votre témoignage, c’est « Je n’ai plus de vie ». Ça fait 28 ans que vous vivez dans cette situation, comment faites-vous, où trouvez-vous la force pour faire comme ça ? Si vous avez une réponse…

Le témoin: moi, maintenant, ma vie est entre les mains de l’État, je vis par l’aide de l’État, c’est ça qui me fait tenir debout.

QUESTIONS du MINISTÈRE PUBLIC :

Ministère public: je voudrais revenir sur la réunion qui s’est tenue sous la présidence du sous-préfet Joachim HATEGEKIMANA, à laquelle a assisté votre voisin Laurent, après la grande attaque. Il vous a restitué ce qui a été dit au cours de cette réunion, et notamment le fait qu’il a été dit aux Hutu qui cachaient des Tutsi chez eux, de leur dire de se rendre à la sous-préfecture où on leur délivrerait des attestations pour ne pas être tués. Est-ce que Laurent vous a dit qui a assisté à cette réunion ?

Le témoin: il nous avait dit que c’était toute la population de KADUHA

Ministère public: vous avez dit que des Tutsi sont allé à la sous-préfecture, pourquoi vous faites le choix de ne pas y aller ?

Le témoin : je ne sais pas, j’ai fait le choix d’aller d’abord me faire soigner par la sœur MILGITHA et d’y aller après.

Ministère public: en fait, manifestement c’était un piège de dire aux Tutsi de se rendre à la sous-préfecture pour avoir des attestations. Mais vous n’en aviez aucune idée quand Laurent vous rapporte ces propos ?

Le témoin : effectivement, c’était un piège de dire à ces personnes d’aller là-bas, c’était pour les rassembler.

QUESTIONS de la DÉFENSE :

Me BIJU-DUVAL : M. GASANA dont vous nous avez parlé et qui vous donne des conseils à plusieurs reprises. Quelles sont vos relations avec lui, c’est un ami, simplement un voisin ?

Le témoin : il avait une femme Tutsi qui s’appelait Monique MUNYANA. Elle était de la même famille, c’était le frère de mon mari, c’était un beau-frère. Son épouse était la sœur de Mme GASANA.

Me BIJU-DUVAL : donc je comprends que c’était un ami, vous étiez même en parenté avec lui, j’ai bien compris ?

Le témoin : je vous ai bien dit que c’était une deuxième femme avec laquelle on avait trois enfants, deux filles et un garçon. Monique avait fui et était chez GASANA parce qu’ils avaient eu ensemble des enfants. On l’a tuée avec GASANA et leur enfant, le garçon. Quand il allait tuer les filles, il était écrit dans l’arbre « ne les tuez pas. Vous allez tuer les enfants de GASANA alors que c’est un Hutu » mais il a été tué avec son fils, le garçon, et sa maman.

Me BIJU-DUVAL : vous nous avez parlé d’une réunion en nous indiquant que certains Hutu vous disaient qu’ils venaient d’une réunion de la sous-préfecture qui avait pour but le massacre des Tutsi. Alors, est-ce que pendant cette période-là vous êtes toujours à votre domicile ?

Le témoin: quand ce message nous est parvenu, nous étions encore à la maison, chez nous. Mais nous ne sortions pas

Me BIJU-DUVAL : et ce sont des Hutu qui se présentent chez vous ?

Le témoin : c’était des Hutu qui venaient de la réunion qui nous ont dit cela. Un des participants se vantait en disant que les Tutsi avaient été relâchés pour qu’ils soient tués.

Me BIJU-DUVAL : donc c’était des Hutu qui  se réjouissaient de meurtres de Tutsi ?

Le témoin: oui, ils se vantaient.

Me BIJU-DUVAL : vous avez dit qu’au moment de l’inhumation de Martin, un ex-militaire démobilisé NGEZAHAYO Straton a fait le tour des Hutu pour dire qu’il fallait commencer à tuer les Tutsi sur ordres du Préfet. Sommes-nous d’accord pour dire qu’à ce moment-là vous êtes toujours confiné dans votre maison ?

***La connexion avec KIGALI se coupe.***

 Me BIJU-DUVAL : vous étiez arrivé parmi les derniers à la paroisse et vous étiez allés dans le catéchuménat car il ne restait de la place que là-bas?

Le témoin: oui, une salle qu’on appelle KIBEHO.

Me BIJU-DUVAL : on a compris que ce n’est pas GASANA lui-même mais une autre personne, HARERIMANA.

Président : je crois qu’on a bien compris qu’HARERIMANA était le beau-frère, directeur du CERAI.

Me BIJU-DUVAL : donc cela se passe pendant l’enterrement de Martin ?

Président : je pense que c’est concomitant, je ne crois pas que ce soit à l’enterrement de Martin que ce message soit diffusé.

Me BIJU-DUVAL : j’ai compris qu’à l’enterrement de Martin, un ex-militaire avait fait le tour des Hutu, je voulais m’assurer qu’elle n’était pas présente.

Président : ce n’est pas ce que j’ai compris.

Me TAPI : M. le Président, vous avez raison.

Président : je pense que c’est au témoin de le dire.

Me BIJU-DUVAL : c’est lors de l’enterrement de MARTIN qu’un ex militaire aurait dit aux Hutu qu’il fallait commencer à tuer sur ordre du Préfet ?

Président : nous vous remercions, Madame.

Le témoin. : merci à vous aussi.

 

Audition de monsieur Ignace MUSANGAMFURA, rescapé, partie civile.

Déclaration spontanée.

Je vous ai décliné mon identité, je suis originaire de l’ancienne préfecture de GIKONGORO, commune de MUSANGE. Mon domicile était situé près de KADUHA, et c’est à cette même localité qu’était le bureau de la sous-préfecture et la paroisse. Au moment où a été commis le génocide contre les Tutsi, je poursuivais ma scolarité au même endroit à l’Ecole des sciences infirmières, j’étais en deuxième année. Lorsque le génocide a commencé, j’étais encore à l’école. La raison qui a fait que nous étions encore à l’école c’est que l’école était nouvelle et avait ouvert après les autres, les autres élèves étaient alors en vacances de Pâques, hormis ceux qui avaient une situation particulière. Ceux qui étaient en vacances devaient recommencer le 7. Lorsque l’avion du président HABYARIMANA est tombé la veille, donc le 6, le lendemain nous devions partir pour les vacances. Nous étions en pensionnat. Vous pouvez vous imaginer un élève en pensionnat qui, le lendemain, devait partir en vacances. Hormis le fait que mon école était proche, sinon nous ne nous voyions pas avec la famille. Si je retourne en arrière, j’avais grandi dans une famille dans laquelle il y avait encore mes parents et mes grands-parents toujours en vie. Vous pouvez imaginer que cette famille vous manque.

Le 7, nous nous apprêtions à partir pour les vacances. La veille, nous avions regardé un film à l’école, et le lendemain nous nous sommes levés. À 5 heures du matin, les premiers élèves étaient déjà levés pour prendre les douches, le nombre de douches étant insuffisant, nous devions nous relayer. Quand je me suis levé, j’ai remarqué que le directeur avait réuni dans la cour les élèves qui s’étaient levés plus tôt. Chacun était curieux car c’était inhabituel. Quand nous nous sommes approchés, il était en train de dire que l’avion transportant le Président et d’autres personnes avait été abattu, et donc que nous ne pouvions plus rentrer. La veille, étaient arrivés dans l’école des bus devant transporter les élèves venus de loin. Nos collègues nous ont accusés d’être responsables de l’attentat contre l’avion. La journée s’est déroulée dans ce climat divisé. Ce fut de même pour le lendemain et les jours qui ont suivi, nous étions tous à l’école. Durant cette période, certains professeurs venaient rapporter aux élèves ce qui se passait à l’extérieur, et notamment qu’il y avait un plan d’extermination des Tutsi, d’où l’agressivité de certains élèves dû à la sensibilisation des professeurs. C’est cela qui nous permettait d’ailleurs de recueillir des informations. Nous avons constaté que les Tutsi fuyaient et que parmi ces gens, il y avait des personnes et  des élèves qui n’étaient pas originaires des contrées éloignées, ceux-là passaient par l’école et informaient les élèves de la situation qui prévalait.

Concernant plus particulièrement ma famille, elle avait fui le 14. De l’école, je pouvais voir mon domicile. Ils avaient fui les derniers car dans notre voisinage, il y avait beaucoup de Tutsi et dans un premier temps, ils s’étaient ligués contre les attaques pour se défendre. Le jour de leur fuite, c’était un jeudi très tôt le matin. Tout le ciel de KADUHA était noir de fumée car les maisons avaient été incendiées et il m’était devenu impossible d’avoir une vision sur notre foyer. Je me suis approchée de la grille de l’école pour regarder la multitude de personnes fuir. C’est dans ce cadre-là que j’ai vu ma grand-mère ainsi que beaucoup d’autres personnes, du bétail, des vaches, des gens avec des bagages et des enfants. Je me souviens beaucoup de ma grand-mère, comme elle était âgée elle se déplaçait lentement avec une canne, les autres l’avaient devancée. Vers 9 heures, j’ai vu aussi mon père qui s’approchait de-là, je pense qu’il était parti pour revenir plus tard, pour venir me parler. Il s’est approché de la clôture, qui était faite de fils de fer barbelés, permettant d’avoir une vue sur la route. Je me suis approché de cet endroit et de mon père qui avait un ensemble retroussé de couleur brune, et c’est à ce moment-là que le préfet des études, prénommé Célestin, m’a couru après et je suis retourné à l’intérieur, en évitant qu’il me fasse du mal. Quant à mon père, il était monté sur un talus et a donc rebroussé chemin pour rejoindre les autres à l’église. C’est la dernière fois que j’ai vu mon père. Nous avons continué à vivre cette vie jusqu’au 20. Mais, entre temps, des jeunes gens avaient commencé à passer par la route: ils avaient été entrainés principalement le matin et en fin de journée. Ces gens passaient avec des coups de sifflet, ce qui nous a laissé présumer qu’ils s’entraînaient à faire quelque chose. Je pouvais reconnaître certains visages, il y avait beaucoup de personnes, mais comme je n’étais pas loin, je pouvais les voir. On pouvait voir que c’était planifié.

Finalement, arrive la date du 21 et nous, tous les élèves, nous étions à l’école. C’est ainsi qu’à l’aube, nous avons entendu des balles du côté de l’église. En réalité, l’école et l’église ne sont pas éloignés, à part qu’entre les deux il y avait 1 km ou 2 avec un hôpital entre. Toujours est-il que lorsqu’on est à l’école, on n’a pas de vue sur l’église. Mais, comme il y avait des étages, on pouvait voir du balcon ce qui se passait, comme si on regardait un match sur les collines. La population était mobilisée. La localité de KADUHA est entourée de collines et donc nous pouvions regarder ce qui se passait sur la route. Nous pouvions voir sur la colline d’en face et sur la route beaucoup de personnes. Je parle de très tôt le matin. Quand nous avons entendu les bruits de balles, nous nous sommes levés. Ce qui s’est passé ce jour là, ce sont des choses qu’aucun être humain ne devrait voir. Le jour s’est levé, les gens couraient, adultes et enfants, il y avait du sang partout sur la route et des cris. Ceux qui partaient en groupe se heurtaient à des attaquants qui les ramenaient.

C’était apocalyptique. Ce sont des choses que l’on ne peut pas expliquer par des mots. La journée s’est déroulée ainsi dans ce vacarme. Nous observions toutes ces scènes macabres. Le lendemain, c’était la même chose mais le nombre de gens avait diminué: on pouvait toutefois entendre du bruit. C’était toujours la même chose. Les tueurs s’étaient organisés en groupes, on pouvait les entendre courir derrière quelqu’un qu’ils retrouvaient. Mais il n’y avait plus personne sur la route, les tueurs étaient plutôt dans les brousses. Les journées du 22 et 23 se ressemblaient, on voyait des gens accomplir leur « travail » comme on le disait. Au fur et à mesure que les jours avançaient, moi et mes compagnons d’infortune continuions à subir les menaces au sein même de l’école.

Finalement le 25, certains d’entre eux ont dit, à nous les plus influents, de fuir l’école. La raison était que notre directeur GASANA Ignace nous conduirait comme s’il s’était agi de ses enfants. Durant les dates qui précédaient, il quittait l’hôpital où il travaillait pour s’enquérir de notre situation. Il nous trouvait dans nos groupes respectifs, il nous tranquillisait et nous rassurait. On nous a menti que le directeur nous avait livrés, c’était pour que les autres sortent et quittent l’école car ils savaient que quiconque se retrouvant à l’extérieur allait être tué. Nous nous sommes regroupés à huit garçons, nous avons planifié notre fuite de l’école. Nous avons quitté l’école le 26, à 23 heures 30. On se disait que si nous fuyions, ils n’allaient rien faire aux autres Tutsi, que le problème c’était nous. Il ne restait que des jeunes filles et des enfants qui ne posaient aucun problème. Ce jour-là, nous nous sommes mis en route et dans notre idée nous nous rendions au Burundi. Nous nous disions que ce qui s’était passé à KADUHA s’était arrêté à cet endroit car nous n’avions pas d’informations supplémentaires sur ce qui se passait à l’extérieur. Nous nous disions que ailleurs, il y avait des problèmes certes, mais qu’il y avait moyen de marcher la nuit et se cacher dans les brousses la journée. Nous pensions mettre trois jours pour aller au Burundi. Nous étions en pension, nous avons pris dans nos sacs quelques objets, des draps de lits, nous avons superposé nos vêtements que nous portions.

Pour ce qui concerne le trajet que nous avions emprunté, étant natif de cette région, je connaissais le chemin qui pouvait nous emmener à la rivière RUKAHARA. Je connaissais cette localité car dans le temps j’avais eu à fréquenter une école autre que celle de notre village. Alors nous nous disions que nous n’allions pas être remarqués si nous empruntions le petit sentier, sans emprunter la route principale. La route fut longue. Nous sommes arrivés à la rivière. La chance que nous avons eue c’est que dès que nous avions quitté l’école, il avait commencé à pleuvoir. Nous sommes arrivés à CYANIKA, il y avait là un prêtre Tutsi du nom de NIYOMUGABO. Nous pensions qu’une fois à la paroisse de CYANIKA, nous allions nous y cacher et la nuit nous allions poursuivre notre route. Parmi les huit garçons qui étaient avec moi, un était originaire de CYANIKA et c’est lui qui nous a donné les informations. Mais, une fois à CYANIKA, nous avons vu que la même chose s’était produite et nous nous sommes retrouvés face aux cadavres dans le presbytère. Nous avons commencé à discuter entre nous: pour les uns nous devions aller dans les brousses, et pour les autres aller à l’école secondaire locale. Alors que nous nous le disions, l’un de nos collègues, originaire de la région de NYAMUGABE, a refusé d’aller vers l’école et a sauté dans les brousses. Nous, nous avons continué vers l’école et nous nous sommes retrouvés presque tout de suite face à face avec des gens allant travailler, travailler voulait dire tuer. Nous étions fatigués et ils nous ont fait asseoir et nous ont demandé ce que nous faisions. Nous avons menti et nous avons dit que nous rentrions chez nous car il n’y avait pas à manger. Par malheur, l’un des élèves, Jean de Dieu, qui était avec nous, originaire de cette région, était connu étant donné que son père était directeur d’école. Là encore ce fut long mais lorsqu’ils nous ont dépouillé de tous nos effets, ils nous ont montré tous les chemins  pour la commune de KINYAMAKARA. Nous avons fait quelques mètres avant de tomber sur une autre attaque qui nous repoussait et nous sommes allés dans l’école. Nous sommes tombés alors sur trois gendarmes et quand nous sommes arrivés au portail, l’attaque n’était pas encore là. Nous sommes entrés, et la population est arrivée après pour attaquer mais n’a pas pu à cause des gendarmes. Nous avons expliqué aux gendarmes que nous venions de l’école et que nous manquions de nourriture. Les gendarmes ont expliqué à la population qu’ils allaient analyser la situation et que la population devait continuer son travail et que s’il fallait que l’on nous tue, les gendarmes préviendraient la population.

Les gendarmes nous ont posé des questions et ont remarqué que nous étions en train de mentir. Ils ont demandé des cartes d’identité et nous avons dit que nous n’en avions pas. Nous avons montré nos cartes d’élèves. Parmi nous deux étaient en âge d’avoir une carte d’identité, moi je n’en avais pas encore. Nous campions sur notre positon comme quoi l’école nous avait demandé de partir. Ils sont allés voir le directeur de l’école. Mais, comme nous étions fatigués, lors de son arrivée, certains d’entre nous dormaient déjà à cause la fatigue à cause de ce travail nocturne. Ils savaient bien que nous étions toujours à l’école et ils ont tenté de contacter l’inspecteur d’arrondissement. L’inspecteur lui a dit que, en ce qui concerne les élèves de KADUHA, il y avait encore de la nourriture et que les élèves étaient encore à l’école. Comme l’inspecteur s’était d’abord renseigné, il a dit à ce directeur qu’un autre directeur avait dit que des élèves s’étaient échappés, et donc que nous devions rester là le temps que notre situation soit examinée. Nous entendions des bruits à l’extérieur. Les gendarmes se sont bien comportés avec nous et les gendarmes qui étaient là nous surveillaient, nous apportaient des provisions.

Le quatrième jour, donc le 30 avril, vers 18 heures, est arrivé un véhicule, soit du sous-préfet, soit de l’EAV, KADUHA je ne me rappelle pas exactement. Ce véhicule-là est arrivé, en fait c’était des véhicules qui se ressemblaient, c’était des pickups. À bord de ce véhicule, il y avait le directeur de l’EAV, un gendarme et un chauffeur. À l’arrière, il y avait des conseillers de secteur qui venaient d’une réunion de GIKONGORO, je ne me rappelle pas de leur nombre mais ils étaient entre huit et dix. On nous a dit qu’il fallait que nous montions à bord de ce véhicule pour que nous puissions aller à KADUHA. La nuit venait de tomber et je n’avais pas pu expliquer aux conseillers qui nous étions. Le véhicule a roulé et après environ 3 km, nous sommes arrivés à une barrière. Dans la cabine, il y avait le directeur, le chauffeur et GAHAMANYI Gaspard, ainsi qu’un gendarme. Les conseillers ont expliqué qu’ils venaient d’une réunion à GIKONGORO. Par là, nous avons compris ce que nous devions donner une explication.  En ce qui nous concerne, nous étions un groupe restreint, lorsque nous arrivions à un contrôle nous disions que nous venions d’une réunion pour empêcher que les conseillers disent qu’ils n’étaient pas avec nous; donc nous prenions les devants. On nous arrêtait en cours de route, et à un certain moment on a voulu nous faire descendre et on s’est arrêté à KADUHA vers 20 heures. Le directeur était à l’hôpital. Nous avions peur que le directeur nous tue. Nous avons trouvé à l’école le préfet des études. Il nous a enfermé dans une petite pièce où l’on stockait les matelas. Le directeur nous a retrouvés là-bas le matin quand il rentrait de son travail de nuit. À son arrivée, nous avons constaté qu’il était attristé de la situation dans laquelle il nous trouvait. Il n’y avait pas assez d’oxygène dans le local et certains commençaient à vomir.

Le directeur nous a reproché de ne pas avoir suivi son conseil alors qu’il nous considérait comme ses propres enfants. Comme il était mon homonyme il se prénommait Ignace, il a dit qu’il n’allait plus jamais m’appeler par ce prénom, ce qu’il n’a plus jamais fait. Il nous a rassurés en disant que si nous devions mourir, il mourrait avec nous. Il nous a ramenés avec les autres élèves et nous a installés dans un dortoir à nous qui depuis lors fut appelé l’État Major de la gendarmerie. C’était pour dire par là que c’était le local des Inyenzi[5] car l’état major de la gendarmerie avait été donné au FPR[6] dans les accords d’ARUSHA . Nous ne savions pas ce qui s’était passé, mais à midi, à l’heure du déjeuner, nous allions manger. Des militaires sont arrivés et ont fait sortir tout le monde et ont demandé aux Tutsi de se mettre à part. Le directeur a dû venir, il les a suppliés et ils sont repartis.  Quant à nous, revenant de CYANIKA, nous étions enfermés dans le dortoir. Les militaires sont partis. Le directeur est revenu avec le major MUGEMANA. Le major était en charge des militaires qui étaient malades, donc c’est le directeur qui prenait en charge ces militaires blessés.

Après ce moment-là, le directeur a lancé un communiqué demandant aux parents qui avaient un élève dans l’école devaient venir le prendre. Le communiqué était radiodiffusé. Les parents sont venus chercher leurs enfants et ne sont restés là que les élèves Tutsi qui n’avaient plus personne. Nous étions 37 au total, 32 Tutsi et 5 autres venant de zones de guerres, des déplacés de guerre comme on les appelait. Nous sommes donc restés ainsi à l’école et nous sommes restés dans la cour intérieure pendant les mois qui ont suivi. Nous ne sommes pas sortis et nous n’avons pas été attaqués. Lorsque nous sommes arrivés au mois de juin, certains avaient perdu l’usage de leurs yeux. Cette situation a perduré jusqu’au 7  juillet et les militaires français sont arrivés[7] et nous ont déplacés là-bas à MURAMBI. Selon les militaires français, c’est le directeur qui les avait contactés. Avant de nous prendre ils nous avaient fait faire un choix: soit rester là, soit aller  à MURAMBI. Nous avons passé deux semaines à l’ETO[8] de MURAMBI, il y avait du sang sur les murs. Aujourd’hui est érigé le mémorial. Il y avait aussi des Interahamwe[9] et des gens qui fuyaient. Les plus âgés d’entre ont demandé aux Français qu’ils nous conduisent dans la zone du FPR; on nous a demandé de dresser une liste. Nous avons fait comme une pétition. Pour ceux qui l’avaient souhaité, des camions nous ont conduits jusqu’à BUTARE. C’était après la mise en place du nouveau gouvernement, je ne me rappelle pas quand précisément, environ 2 semaines plus tard  que nous avons senti que nous avions la vie sauve. Je ne vais pas m’attarder sur cela. Je vais vous parler de la vie d’après.

C’était une vie d’orphelin, nous venions de survivre et j’étais tout seul. Dans ma famille j’étais l’ainé, j’ignore l’endroit où quelqu’un de ma famille aurait été tué, je n’ai retrouvé aucun corps que je pourrais enterrer dignement. Ce fut une vie de débrouillardise, pas de parents à qui s’adresser. Comme nous sommes restés avec un groupe d’élèves, une fois dans la zone sous contrôle du FPR, à KIZI, il y avait un camp de réfugiés. Nous avons essayé de nous débrouiller comme on pouvait. Nous allions vendre du pain, et certains rentraient du Zaïre dans la zone Turquoise[10] et nous leur vendions du pain pour subvenir tant bien que mal à nos besoins. Des bienfaiteurs étaient venus pour scolariser des enfants et ces bienfaiteurs nous ont mis dans un orphelinat. Plus tard les écoles ont rouvert et nous sommes allés étudier.

Nous tenions à en témoigner pour que vous sachiez la vie que nous avons vécue. Je vous ai dit que, pour commencer, j’étais à l’Ecole des sciences infirmières. J’ai dû par la suite faire des études pédagogiques car les gens devaient nous trouver les écoles et j’ai du abandonner la carrière que j’aimais. J’ai terminé les études et je n’aimais pas le genre d’études que j’avais faites. Par la suite, j’ai fait des études de finances, domaine dans lequel je travaille aujourd’hui. Pour conclure, je suis le seul rescapé de ma famille. Dans une famille de 59 membres, si je parle de ma famille maternelle, paternelle, mes grands-parents et leurs descendants. Nous ne restons plus qu’à deux, une cousine et moi. Je suis devenu père de famille et j’ai trois enfants. Ils me posent des questions et je ne peux pas leur répondre. Ça m’embête car si je leur dis la vérité cela peut susciter en eux de la haine mais nous leur donnons une bonne éducation pour qu’ils ne deviennent pas comme ceux nous qui nous ont fait du mal. Nous voulons élever des humains. Ne me tenez pas rigueur si j’ai été long. Je vous remercie.

QUESTIONS :

Président : c’est nous qui vous remercions Monsieur. Quelques questions pour essayer de mieux comprendre. Vous avez dit que vous étiez l’aîné

Le témoin : nous étions 4 enfants, 3 filles et moi; j’étais le seul garçon

Président : on parlé avec vous et d’autres personnes qui sont venues ici déposer, des écoles qu’il a pu avoir à KADUHA. J’ai compris que vous vous étiez à l’école des sciences infirmières, en 2e année ?

QUESTIONS :

Président : c’est nous qui vous remercions Monsieur. Quelques questions pour essayer de mieux comprendre. Vous avez dit que vous étiez l’aîné

QUESTIONS :

Président : c’est nous qui vous remercions Monsieur. Quelques questions pour essayer de mieux comprendre. Vous avez dit que vous étiez l’aîné

Le témoin : nous étions 4 enfants, 3 filles et moi j’étais le seul garçon

Président : on parlé avec vous et d’autres personnes qui sont venues ici déposer, des écoles qu’il a pu avoir à KADUHA. J’ai compris que vous vous étiez à l’école des sciences infirmières, en 2e année ?

Le témoin : oui

Président : combien de temps durait la formation ?

Le témoin : c’était un cycle de 6 années et nous entrions dans la 2e année. C’était une école toute neuve, nous étions la 1e promotion de cette école. C’est une école qui a été achevée tardivement et de ce fait nous avons commencé après les autres.

Le témoin : nous venions de terminer le premier trimestre alors que les autres avaient achevé 2 trimestres. Cela veut dire que nous devions faire le 3e trimestre pendant l’été pour rattraper le retard à la rentrée d’après avec tout le monde

Président : combien d’élèves au total dans cette école ?

Le témoin : entre 175 et 180, 4 classes (A, B, C, D) et nous étions une seule promotion. Il n’y avait pas de 1e année, le ministère n’a pas voulu envoyer d’élèves car nous étions décalés.

Président : c’est 175 par classe ou au total ?

Le témoin : au total

Président : 175 c’est pour toute l’école ou juste votre promotion ?

Le témoin : juste la 2e année, une promotion

Président : on a parlé du directeur Ignace, comme vous. Ce directeur, dans l’ensemble, il a plutôt été protecteur de ses élèves ?

Le témoin : Oui. Nos camarades nous ont menti. La raison pour laquelle il a été déçu c’est car il pensait que nous avions confiance en lui, qu’il était notre père. Cela ne veut pas dire qu’il nous a détestés mais il a dit qu’il ne fallait plus faire confiance aux gens car ils avaient changé. Il a utilisé une expression en disant qu’il allait tirer sur l’élastique et quand il allait se rompre, nous serions ensemble. Le fait de retirer le prénom ce n’est pas parce qu’il ne nous aimait pas mais il était un peu déçu, il nous considérait comme ses enfants. Il était médecin, il a utilisé cette qualification-là pour nous protéger car l’hôpital était protégé au début du génocide. Il a fui quand on a tué les premières personnes à MUSHUBI. Il était le seul médecin à KADUHA, donc on le ménageait. D’ailleurs il  disait que quand il y avait des militaires d’HABYARIMNANA blessés, c’est lui qui les soignait et il leur avait dit que si jamais ils nous touchaient, il ne les soignerait plus.

Président : il l’a dit aux FAR, et notamment à MUGEMANA ?

Le témoin : c’est la raison pour laquelle il l’a amené devant nous pour qu’il s’excuse, il a dit qu’il avait mal agi et qu’ils allaient se charger des militaires

Président : que pensez-vous de MUGEMANA ?

Le témoin : je ne sais rien de lui, je sais juste que j’ai entendu qu’il était en charge des militaires blessés au front. Autre chose, je ne vous ai pas dit sur le directeur qu’il venait nous parler pour nous rassurer car il voyait que la vie n’allait pas fort. Il nous répétait que si jamais il trouvait un endroit sûr hors du RWANDA, il ne reviendrait plus jamais.

Président : vous savez où il est ?

Le témoin : non, juste qu’il a quitté le pays. Sa famille est là, nous sommes allés la remercier. Dans notre tradition, on offre une vache pour remercier. Donc, en petit groupe, nous sommes allés offrir une vache à ses parents. Ils nous considèrent comme des amis. Les personnes qui ont commis le génocide propagent l’information que si tu reviens, ils te tuent. Cela me fait de la peine car il n’a jamais essayé de nous contacter, même quand ses parents ont dû lui envoyer une photo de la vache.  C’est une personne de principe, quand il a dit qu’il ne m’appellerait plus jamais IGNACE, il l’a fait.

Président : c’est Ignace GAHAMANYI ?

Le témoin : Ignace GASANA. Il y avait aussi GAHAMANYI Gaspard, directeur de l’école vétérinaire.

Président : ah d’accord. Ignace GASANA a permis de sauver combien de personnes ?

Le témoin : les Tutsi étaient au nombre de 32 dans son école. Mais même les personnes qui ont survécu à l’hôpital et chez sœur MILGITHA. Au mois de mai, elle est partie quand les étrangers sont partis, elle était allemande. Donc les gens qu’elle avait cachés étaient entre les mains de GASANA, mais à l’hôpital puisque c’était là qu’il était. Cela se comprend que les personnes cachées par MILGITHA étaient protégées par GASANA. Mais avant MILGITHA avait déjà envoyé des enfants au BURUNDI dans un orphelinat mais je ne me souviens pas du nom. Les autres personnes ont été évacuées par GASANA.

Président : combien d’enfants sauvés ?

Le témoin : 32 chez nous

Président : il a aussi permis de sauver les gens protégés par MILGITHA

Le témoin : oui

Président : la situation à l’école agrovétérinaire était la même ?

Le témoin : très peu d’élèves Tutsi sont rescapés mais c’était des élèves auparavant déjà dans cette école. Comme il y avait beaucoup d’élèves déplacés de guerre qui vivaient à l’école en internat, quand les élèves fuyaient vers l’église de KADUHA, le directeur laissait les élèves rentrer dans cette école. Le directeur y vivait avec les élèves et les gendarmes.

Président : je rappelle que nous avons entendu un ancien élève de cette école vétérinaire. Il y avait une école primaire à KADUHA ?

Le témoin : oui, nous l’avions fréquentée en étant jeune. Il y en a une à côté de la paroisse, celle-là même où on a tué les gens pendant le génocide. Il y avait aussi le CERAI mais il n’y avait personne dedans.

Président : car c’était des vacances ?

Le témoin : oui

Président : et il y a des gens qui ont été tués à l’école  de KADUHA ?

Le témoin : oui

Président : et au CERAI personne ?

Le témoin : non mais le directeur Antoine HARERIMANA et sa famille ont été tués.

Président : qui était le beau-frère de la Partie civile de ce matin. Que faisaient vos parents ?

Le témoin : agriculteurs-éleveurs

Président : vous avez dit que vous étiez originaire de la commune de MUSANGE, votre famille connaissait le préfet Laurent BUCYIBARUTA ?

Le témoin : chez nous à MUSANGE, c’était le secteur voisin de KADUHA, il y avait le sous-préfet mais c’était la commune KARAMBO. Je ne connaissais pas vraiment les gens de la commune de MUSANGE. D’ailleurs je ne suis allé à la commune qu’une seule fois pour demander une attestation d’identité complète quand j’ai fini ma première          année. Nous faisions tout à KADUHA : le marché, l’église, l’école.

Président : vous connaissiez le bourgmestre de KARAMBO ?

Le témoin : je le connaissais, MUNYENTWALI, qui a été remplacé. Comme j’étais à l’internat, je n’ai pas su qu’on l’avait changé. D’ailleurs la commune KARAMBO était loin

Président : vous avez vu le sous-préfet HATEGEKIMANA pendant le génocide ?

Le témoin : j’étais à l’école avec son enfant, sa fille JOSETTE ou ROSETTE. Quand nous étions encore tous les élèves présents avant qu’on vienne en chercher certains. Lui, personnellement, je ne l’ai pas vu car personne ne rentrait dans notre établissement. Comme nous étions confinés dans la cour à partir du 1 mai, nous percevions les informations par le domestique du directeur et le veilleur de l’établissement scolaire.  Ce sont eux qui donnaient des nouvelles de l’extérieur sinon nous ne voyions personne d’autre.

Président : ODETTE ou la fille du sous-préfet est restée longtemps avec vous ou elle est partie vite ?

Le témoin : aucun élève n’est sorti avant qu’on ne revienne de CYANIKA, elle est revenue après que les élèves sont rentrés

Président : vous avez eu l’occasion de discuter avec elle, savoir ce qu’elle pensait ou son père pensait ?

Le témoin : je ne l’ai plus jamais revue, tous les élèves venaient d’horizons de loin. J’ai d’ailleurs su par la suite que son père avait été emprisonné. Il doit sûrement vivre au RWANDA mais je ne sais pas où.

Président : quand vous arrivez à CYANIKA, vous dites que vous découvrez la même chose que ce qui s’est passé à KADUHA

Le témoin : oui

Président : comment c’était concrètement ? On avait commencé à enterrer les gens, il y avait des cadavres de partout ?

Le témoin : à CYANIKA, les gens étaient entassés comme on fait une stère de bois, que ce soit sur la route, dans les buissons. C’est la première fois à CYANIKA que j’ai vu de très près une personne qui était morte. Parce qu’à KADUHA on voyait mais de loin, ici c’était de très près à CYANIKA. Les corps avaient commencé a ressembler à une couleur grisâtre. Il y avait une forte odeur, les enfants, les femmes, c’était horribles. Quand nous étions à CYANIKA, sont arrivés les CATERPILLAR qui sont venus mettre de la terre sur eux. Le deuxième jour, est venu un gendarme qui s’est adressé à la personne qui pilotait le CATERPILLAR, qui avait du coton dans les narines et dans les oreilles, sûrement à cause de l’odeur. Comme il savait que nous étions là, puisque le gendarme nous donnait à manger, il a dit que ces fosses manquaient de personnes. Pour lui, il disait ça comme des choses normales, nous étions 7.

Président : d’accord car je comprends qu’à CYANIKA vous avez eu la chance de trouver des gendarmes qui vous ont nourri ?

Le témoin : oui, nous échangions quand ils nous apportaient de la nourriture. Ils nous racontaient ce qu’ils faisaient, ce qu’ils avaient fait à l’église, nous jouions aux cartes

Président : mais ils vous racontaient quoi, qu’ils tuaient ?

Le témoin : oui, oui!

Président : il y a des moments, c’est tellement… décalé

Le témoin : nous aussi nous avions du mal à comprendre. Eux aussi ils nous disaient « Qu’est-ce que vous voulez ? C’est à cause de KAGAME ». Parfois ils blaguaient. Nous discutions comme ça naturellement.

Président : vous voyez autre chose à rajouter ?

Le témoin : le fait d’être ici, je vous remercie car au moins la justice est là. Ce que les gens nous ont fait, il n’y a pas de mots pour le raconter. Mais vous au moins vous pouvez entendre notre tristesse. C’est tout, je vous remercie.

Juge Assesseur 1 : une question sur votre fuite le 26 avril, vous partez avec 8 élèves, vous êtes très déterminés, vous savez qu’en 3 nuits de marche vous allez arriver au BURUNDI, vous connaissiez le chemin. Pourquoi?

Le témoin : je voyais que le temps était court donc je n’ai pas raconté toute notre stratégie en place. Nous avons tenu une réunion en cachette, nous avons essayé de penser toutes les voies possibles de KADUHA, c’est un lieu central, entouré par la rivière. AU sud, c’est entouré par la forêt de NYUNGWE mais nous ne savions pas exactement si quelqu’un connaissait le chemin pour passer. Un ami JEAN DE DIEU était de CYANIKA, son père était directeur des écoles. Celui qui s’appelle Emmanuel UWAYEZU était de MATA, car il était Hutu mais nous ne le savions pas. Il a su que nous allions emprunter ces voies mais il a dit qu’il partait. On sentait que ce prêtre à CYANIKA, s’il apprenait à nous cacher, on allait partir pendant la nuit car quelqu’un nous disait qu’il savait par quelle brousse passer et la troisième nuit pour aller au BURUNDI.

Juge Assesseur 1: c’était comme une pause pour aller au BURUNDI

Le témoin : on savait que personne ne pouvait tuer un prêtre. On savait que la journée il pouvait trouver une cachette pour nous cacher la journée et la nuit nous continuerons notre chemin. Mais nous avions réfléchi comme des enfants car nous n’avions pas réalisé que tout ce qu’il s’était passé était arrivé partout dans le pays et à l’internant nous n’avions pas beaucoup d’information.

Président : vous avez su que le prêtre NIYOMUGABO a été tué, sûrement quand vous êtes arrivés, par des prisonniers venus enterrer.

Le témoin : non, avant. En arrivant à CYANIKA nous n’avons pas pu entrer car il y avait des corps de partout, nous avons constaté qu’il n’était plus en vie. C’est là que nous avons commencé à réfléchir de savoir qui pouvait aller se cacher où. Il commençait à faire jour, deux personnes sont arrivées et nous ont dépouillés.

QUESTIONS des PARTIES CIVILES : par manque de temps, nous n’avons pu rendre compte des questions des avocats des parties civiles. Nous avons pris du retard dans les comptes-rendus. Nous allons essayer de nous mettre à jour au plus vite.


Concernant les deux témoignages suivants, pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus, nous vous les livrons sans avoir pu les relire pour les corriger. Nous essaierons d’y revenir le week-end prochain. Veuillez nous en excuser. Pour ceux qui s’impatientent, vous aurez au moins l’essentiel des propos. Merci à Mathilde LAMBERT de nous avoir livré ses notes d’audience.

 

Audition de monsieur Alphonse GAHUNZIRE, rescapé, partie civile.

Déclaration spontanée de Monsieur Alphonse GAHUNZIRE.

Je m’appelle Alphonse GAHUNZIRE, je suis né dans l’ancienne préfecture de GIKONGORO, à MUKO, avant le génocide j’habitais chez mes parents j’étais célibataire j’avais une fratrie de 7 personnes. Nous vivions une vie ordinaire de rwandais. Après la chute de l’avion de HABYARIMANA, le 6 avril 1994, le matin du 7, nos parents nous ont dit que HABYARIMANA était mort, pour de vrai nous les enfants ça ne nous disait rien mais, tel que nous pouvions le constater, on voyait que les parents avaient peur ils disaient que c’était probable qu’une guerre éclate. On pouvait constater une certaine méfiance dans les voisins, les Hutu regardaient d’un mauvais œil les Tutsi, ils prétendaient que l’avion avait été abattu par les inyenzi.

Nous sommes restés là-bas deux jours et puis le 8, selon ce que j’ai entendu, le bourgmestre de MUKO est parti tuer GACENDERI qui était comptable. Durant cette période du 7 au 8, dans les secteurs de la commune on avait commencé à incendier les maisons et tuer les gens. Les rescapés qui se sont réfugiés vers KADUHA ; comme nous les voyions fuir car nous habitions dans le voisinage de KADUHA, nous nous sommes aussi réfugiés à KADUHA. Nous avons quitté notre domicile le samedi dans l’après-midi vers 15 heures ou 16 heures. Nous sommes partis au bureau sous-préfectoral et au fur et à mesure que les gens venaient le nombre augmentait. Vers 19 heures le sous-préfet d’alors Joachim HATEGEKIMANA en compagnie des policiers qui gardaient le bureau de la sous-préfecture nous ont demandé ce que nous fuyions nous avons répondu que en face de chez nous on brûlait les maisons et qu’on tuait aussi les Tutsi et que nous cherchions refuge auprès des autorités. Nous avions sur nous des armes traditionnelles et il nous a ordonné de déposer des armes traditionnelles devant le bureau de la sous-préfecture. Et après quoi il nous a dit que le bureau administratif n’était pas un lieu de refuge que nous devions nous rendre à la paroisse et que depuis toujours c’est là que les Tutsi se réfugiaient. Je fus de ceux qui ont réussi à y arriver dans les premiers. Aux alentours de l’église il y avait des salles de classes et des salles de KATEKUMINA. Pour ce qui concerne moi et ma famille élargie nous nous sommes installés dans une salle de KATEKUMINA, par là je veux dire avec les grands-parents et oncles paternels.

Nous y avons vécu du 9 au 21, nous y avons vécu un vie dure qui avait des facettes diverses. En nous enfuyant nous n’avions pas pris de quoi manger et comme ceux qui n’habitaient non loin de là, nous sommes retournés chez nous pour trouver de quoi manger mais il arrivait que dans ce trajet, quand on rencontrait des Hutu qui faisaient des rondes, ils tuaient certains d’entre nous. Le sous-préfet HATEGEKIMANA venait souvent avec son secrétaire prénommé Jean, ils disaient qu’à l’extérieur c’était la paix et qu’avait été arrêtées 15 personnes. Les plus âgés d’entre nous lui ont répondu que même s’il disait que c’était la paix, nos maisons étaient en train d’être incendiées. HATEGEKIMANA avec son secrétaire disaient que personne n’était venu nous tuer et que les Tutsi fuyaient à cause de la famine, comme c’était souvent le cas en avril. Nous sommes restés sur place et le nombre de gens accroissait progressivement. À un certain moment, le sous-préfet HATEGEKIMANA a ordonné que nous dressions des listes de nous-mêmes secteur par secteur et disait que les instructions venaient de la préfecture.

Entre temps dans cette manière là on allait chercher de quoi manger et certains Tutsi qui avaient des amis Hutu recevaient de ces derniers des provisions. Un jour nous avons rencontré les Hutu qui nous attaquaient à KADUHA. Entre le 8 et le 21, des petites attaques étaient menées, des attaques d’essai, pour voir si nous avions encore de la force et qui voyaient que nous étions affamés. Les gendarmes qui nous gardaient sont venus, ils ont ordonné que nous ne devions plus continuer à nous battre, ils ont pris les Hutu et les ont transportés en véhicule jusqu’à la sous-préfecture. Ce qui m’a étonné c’est que le 21, les 15 personnes qu’on avait enfermées sont revenues avec les Interahamwe.  La situation a continué ainsi mais le problème était que les gens étaient affamés et ceux qui allaient chercher à manger ne pouvaient plus y aller.

Les Tutsi instruits parmi nous donc les instituteurs et les agents de la sous-préfecture se sont approchés des prêtres pour leur exposer cette question de la faim tout en demandant de fournir de la nourriture de la CARITAS, qu’elle avait déposée là-bas. Les prêtes ont répondu que la nourriture disponible provenait de la CARITAS et n’était pas destinée aux Tutsi. Nous avons continué de vivre cette vie difficile. Nous repoussions à l’aide des pierres les attaques car les armes traditionnelles nous avaient été enlevées. Ce fut une vie longue mais trois jours avant, on nous avait ordonné de creuser des latrines disant que coute que coute la dysenterie apparaitrait là où les gens étaient regroupés. Étant jeune à l’époque j’ai fit partie de ceux qui ont creusé mais les tous n’étaient pas profonds mais horizontalement longs et nous avons fait ces tranchées tout autour de l’église et de l’école.

Quand ils nous ont tué le 21, personne n’avait usé de ces fosses donc ça veut que ça avait été un complot. Pour ces salles de KATEKUMINA, on avait regroupé dans l’une d’elles toutes les personnes instruites, quant aux gendarmes ils stationnaient dans les locaux du groupe scolaire qui est tout près juste derrière la salle où était regroupées les personnes instruites. Au fur et à mesure que l’on s’approchait de la date du 21, on voyait que le nombre de gendarmes augmentait progressivement. À un certain moment ils ont planté un long morceau de bois, avec un appareil là dessus et ils disaient que c’était un appareil de communication et que c’était pour pouvoir appeler les renforts de la sous-préfecture si on était attaqué. Cette vie difficile continua, tellement difficile que des vieillards, des vieilles femmes et des enfants mouraient avant même que l’on puisse nous tuer. À un certain moment, la soeur MILGITHA est allée acheter du sorgho pour nourrir les enfants en bas âge qu’elle voyait mourir de jour en jour. Ce fut long, à un certain moment l’abbé NYANDWI, nous a dit qu’il allait nous dire la dernière messe car notre heure avait sonné. L’intéressé vivait avec un vieux prêtre Léodomir, ce dernier passait parmi les vieilles personnes et leur donnait sa bénédiction et on voyait que lui n’était pas impliqué et qu’il avait été dépassé par les évènements.

La veille du 21, l’abbé NYANDWI, et le sous-préfet nous ont tenu une réunion, ils nous ont dit que nous devions nous comporter d’une bonne manière et ils nous reproché d’apporter de la saleté autour de l’église, ils sont descendus un moment et nous avons vu arriver une petite attaque. Nous nous sommes défendus avec des pierres. Nous avons vu NYANDWI faire son geste et tout ce monde là est reparti en même temps, nous sommes revenus mais nous n’avons pas dormi. Nous avons tous passé une nuit blanche, les hommes et les jeunes gens étaient dehors. Nous avions constaté que la situation avait évolué de mal en pis et, de même, les Hutu qui approvisionnaient les Tutsi n’arrivaient plus à l’église. Nous sommes restés ainsi et vers 4 heures du matin nous avons entendu les gendarmes tirer, ils étaient du coté du groupe scolaire. Nous avons pensé que c’était tel un signal qu’ils donnaient car immédiatement nous avons entendu des bruits de toutes parts à KADUHA. Nous nous sommes levés et nous avons à peine eu le temps de saisir les pierres qu’ils étaient en nous : les militaires et gendarmes tiraient en nous, les Hutu qui étaient là armés d’armes traditionnelles se mettaient eux aussi à découper ou à frapper qui bougeait et essayait de partir. Ils ont commencé à taillader et manger les vaches avec lesquelles les Tutsi avaient fui.

Nous avons continuer à nous battre, ils nous tiraient dessus et les autres découpaient. Je suis entré dans l’église, nos parents nous avaient dit que l’on ne pouvait pas tuer quelqu’un dans l’église que ce n’était pas possible. Mais une fois dedans nous avons vu entrer les Interahamwe et les militaires qui tiraient et lançaient des grenades. Grace à Dieu j’ai réussi à sortir de là, je suis passé par le coin où les personnes instruites se trouvaient, j’ai vu qu’on les avaient tuées et en réalité c’est par là que les tueurs avaient commencé. Ainsi aussi je laissa là-bas ma famille, je n’ai plus jamais vu ne serait-ce que leurs corps, je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Cette situation me revient en mémoire de manière perpétuelle. Comme à l’époque c’était sauve qui peut j’ai continué à m’enfuir, chacun se disait que les tueurs sévissaient uniquement là où il était, donc nous avons fui en direction de NYANZI, dans l’actuelle province du sud, nous avons fui dispersés mais en fuyant certains ont été tués aux barrières et certains pouvaient les traverser sains et saufs. Pour ce qui me concerne j’ai fait un long trajet jusque la commune RUKONDO, je parle du 21 jour des massacres de KADUHA.

Nous jeunes sur le chemin, nous nous sommes retrouvés face à face avec des véhicules militaires et ils nous ont demandé ce que nous fuyions et nous avons dit qu’on était en train de nous tuer à KADUHA et ils nous ont dit de nous assoir par terre et d’attendre ceux qui nous poursuivaient pour qu’ils voient ce qu’ils voulaient faire. Nous avions peur certaines personnes n’aient pas perçu cela de la même manière, nous nous sommes assis et on a commencé à lancer des grenades, c’était près de la rivière. Nous nous sommes déplacés, j’ai continué à fuir mais ce qui concerne notre situation à GIKONGORO, elle se déroula comme je viens de le relater. Pour le reste, je me suis caché ci et là dans la région de GITARAMA puis je me suis réfugié dans la paroisse de RUHABO où le prêtre nous a accueilli et je n’y étais pas seul, j’y ai retrouvé des personnes que je ne connaissais pas. Pour quitter cet endroit ce sont les Inkotanyi qui nous ont pris après avoir pris la ville de NYUNDO.

Je voudrais vous rappeler que toute ma famille est restée à KADUHA et que jusqu’à maintenant j’ignore les circonstances de leur mort et que je n’ai pas réussi à les enterrer dignement. Tels sont les propos que je voulais vous adresser je vous remercie.

Fin de la déclaration spontanée de Monsieur Alphonse GAHUNZIRE.

Président : vous aviez 7 frères et soeurs ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui, j’étais l’ainé j’avais 29 ans.

Président : vous avez expliqué que c’est d’abord à la sous-préfecture que vous allez pas à la paroisse ?

Alphonse GAHUNZIRE : nous sommes d’abord allés à la sous-préfecture.

Président : car vous pensiez y être en sécurité ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui parce que nous y voyions des policiers armés nous pensions qu’ils allaient nous protéger.

Président : est-ce que vous avez su si des personnes ont été arrêtées car elles attaquaient les autres ?

Alphonse GAHUNZIRE : chez nous ??

Président : Oui ?

Alphonse GAHUNZIRE : j’ai entendu parler de cela et j’ai vu certaines de ces personnes.

Président : donc cela explique les 15 personnes dont vous avez parlé avant ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui mais certains je ne connais pas leurs noms mais certains je connais leurs noms.

Président : ces 15 personnes avaient été arrêtes par le sous-préfet car elles allaient attaquer des gens ?

Alphonse GAHUNZIRE : ils avaient été arrêtes par les militaires qui les avaient trouvés là et ils les ont emmenés à la sous-préfecture.

Président : pourquoi avaient-ils été arrêtés ?

Alphonse GAHUNZIRE : nous nous avions trouvé refuge à l’église et nous sommes sortis pour aller chercher à manger et nous avons rencontré cette attaque qui venait tuer les Tutsi et je vous ai dit que quand nous étions là-bas ils envoyaient toujours des petites attaques.

Président : donc les 15, sont des gens qui sont venus faire une petite attaque à la paroisse et qui ont été arrêtés par des gendarmes, des militaires et ont été conduits à la sous-préfecture ?

Alphonse GAHUNZIRE : nous ne savions par qu’ils étaient envoyés, nous ne les voyions que arriver et ils ont été arrêtés par les militaires.

Président : et vous nous avez dit que le 21 vous les avez revus ?

Alphonse GAHUNZIRE : je les ai revus mais je n’ai pas pu les compter mais parmi les personnes qui avaient été emmenées j’en ai revus certains.

Président : vous nous avez parlé des Tutsi instruits qui avaient été mis dans une pièce à part ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui.

Président : vous les connaissiez ces Tutsi instruits de qui s’agissait-il ?

Alphonse GAHUNZIRE : certains je les connaissais car c’était nos voisins mais d’autres devaient venir d’autres communes.

Président : ceux que vous connaissiez quelles étaient leurs activités ?

Alphonse GAHUNZIRE : beaucoup étaient des enseignants.

Président : s’agissant des conditions de vie dans la paroisse vous nous avez dit que l’un des problèmes majeurs était la faim, que tout le monde avait faim ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui avant qu’on nous tue.

Président : et que certains des réfugiés avaient voulu rentrer chez eux pour aller chercher à manger ?

Alphonse GAHUNZIRE : c’est vrai, ils ont essayé de rentrer mais certain rencontraient des Hutu et étaient tués, d’autres revenaient.

Président : il y a eu des distributions de riz ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui en date du 19 et 20, mais le riz était vendu.

Président : s’agissant de l’eau, quand vous arrivez, il y avait de l’eau dans l’église, la paroisse, les classes ?

Alphonse GAHUNZIRE : il n’y avait pas d’eau. Nous allions puiser l’eau dans les vallées.

Président : vous avez expliqué qu’à un moment on a fait un recensement par secteur des personnes réfugiées ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui.

Président : et si j’ai bien compris, c’est le sous-préfet qui a demandé qu’on fasse ce recensement, j’ai bien compris ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui, c’est lui qui l’a dit quand il nous a trouvés à l’église.

Président : il a expliqué pourquoi il fallait faire ce recensement ?

Alphonse GAHUNZIRE : non.

Président : est-ce que vous avez, à un moment quelconque, vu le préfet de GIKONGORO ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui

Président : qu’est-ce que vous avez entendu alors ?

Alphonse GAHUNZIRE : j’ai entendu dire qu’avant qu’on nous tue, il avait tenu une réunion à la préfecture.

Président : avant le 21 ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui.

Président : c’est quelque chose que vous avez entendu après l’attaque ?

Alphonse GAHUNZIRE : non c’est ce que nous avions su quand nous étions à KADUHA.

Président : qui disait ç?

Alphonse GAHUNZIRE : quand nous étions à KADUHA, dans la commune de KARAMBO il y avait également des réfugiés. Ils ont quitté cette commune en fuyant car on avait commencé à tuer, ils sont venus à KADUHA. Quand on leur a demandait pourquoi ils fuyaient et ils ont dit que leur bourgmestre revenait d’une réunion de la préfecture et qu’il avait dit que les Tutsi devaient être tués et la population a alors commencé à les tuer ainsi que certains policiers communaux donc ils ont commencé à fuir. Des personnes sont mortes avant le 21. C’est comme ça que j’ai su.

Président : Donc vous avez appris des personnes qui s’étaient réfugiées dans la commune de KARAMBO ?

Alphonse GAHUNZIRE : quand nous avons trouvé refuge à KADUHA, nous avons su également que des gens de KARAMBO avaient trouvé refuge au bureau communal car des gens avaient des gens proches de cette commune. Cela s’est passé vers le 15 environ, ces personnes ont quitté la commune vers KADUHA.

 Président : ces personnes qui vous ont fait ces confidences ont assisté ou non à cette réunion ?

Alphonse GAHUNZIRE : ils nous ont dit qu’ils ont commencé à les tuer quand le bourgmestre venait de la réunion, il avait une voiture.

Président : mais eux ne venaient pas de la réunion, c’est juste le bourgmestre ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui

Président : comment ont-ils pu savoir ce qui s’était dit ?

Alphonse GAHUNZIRE : il y a un policier, je me rappelle pas de son nom mais toujours en vie, il s’est séparé des autres car il ne voulait pas faire comme les autres car quand le bourgmestre est rentré, il leur a tenu une réunion. C’est ce policier qui leur a dit qu’il revenait de la réunion de la préfecture et il avait également une femme Tutsi. C’est lui qui a prévenu les réfugiés.

Président : le bourgmestre serait revenu de la réunion à GIKONGORO, au cours de laquelle il aurait rencontré le préfet qui lui aurait dit de tuer les Tutsi. Ensuite il retransmettrait cette information en revenant à KARAMBO et au final c’est le policier communal qui se désolidarise des autres qui fait passer cette information ?

Alphonse GAHUNZIRE : c’est ainsi que ça s’est passé

Président : il y a eu d’autres occasion où vous avez entendu parler du préfet ?

Alphonse GAHUNZIRE : j’ai entendu également lors des Gacaca, des gens qui disaient qu’il leur avait tenu une réunion avant le génocide mais moi je n’étais pas là.

Président : vous voulez ajouter autre chose ?

Alphonse GAHUNZIRE : je voudrais ajouter que je vous remercie. Je remercie la justice parce que les personnes qui ont commis ces faits et qui demandent pardon dont que ces choses ne se reproduiront plus. Pour que les gens continuent à vivre en paix, ensemble, comme Dieu l’a créé. Je vous remercie.

Juge assesseure 1 : vous avez dit que vous avez entendu parler de réunions, vous avez entendu parler de ce que, avant le jour de la grande attaque, le Président de la République se serait déplacé pour une réunion avant la grande attaque dans la préfecture de GIKONGORO ? Est-ce qu’il a entendu dire à un moment que le Président de la République avait fait un déplacement dans la préfecture de GIKONGORO ?

Alphonse GAHUNZIRE : non

Questions des parties civiles.

Me GISAGARA : merci pour votre témoignage. Vous nous avez rappelé que votre épouse Alphonsine KAHIRWA avait déposé également. Lors de son audition, elle a dit qu’elle était sans emploi mais qu’elle travaillait aussi au mémorial, ce qui a suscité quelques interrogations. J’aurais souhaité que vous donniez des précisions, vous savez ce que gagne votre épouse en travaillant au mémorial ?

Alphonse GAHUNZIRE : certes mon épouse travaille à ce mémorial, elle a même été blessée. Parfois je vais même l’aider à ce travail qu’elle fait. C’est un petit soutien, elle est payée 18 000 francs rwandais.

Me GISAGARA : vous pouvez nous dire exactement ce qu’on peut acheter avec 18 francs rwandais, pour qu’on se rende compte ?

Alphonse GAHUNZIRE : par exemple on peut acheter un savon

Me GISAGARA : prenons un exemple, si vous allez à KIGALI en bus, ça coute combien ?

Alphonse GAHUNZIRE : le déplacement coute 3000 francs.

Me GISAGARA : donc votre épouse peut juste payer billets 6 billets de bus ?

Alphonse GAHUNZIRE : oui Me GISAGARA

Me GISAGARA : merci Monsieur.  Je souhaiterais montrer quelques photos que la partie civile m’a communiqué en début d’audience, qu’il a apportées avec lui.

Président : elles ont été communiquées aux parties ?

Me GISAGARA : pas encore

Président : là ça ne va pas être possible de regarder ces photos maintenant. Je vous propose de les verser aux débats pour qu’elles puissent rester au dossier.

Me GISAGARA : je vais les verser au dossier.

[les photos pourront ainsi être visionnées à une date ultérieure une fois versées aux débats afin que toutes les parties puissent en avoir connaissance].

Questions du Ministère Public.

Ministère Public :  : vous avez évoqué tout à l’heure le recensement des victimes dans la paroisse à la demande de Joachim HATEGEKIMANA, je voulais juste savoir si vous avez vu le résultat de ce recensement, savoir combien vous étiez ?

Alphonse GAHUNZIRE : on nous a rien précisé, on ne connaissait même pas l’objectif de ce recensement.

Ministère Public : vous ne saviez pas non plus combien vous étiez ?

Alphonse GAHUNZIRE : j’ai eu juste le chiffre concernant mon secteur mais c’est tout.

Ministère Public : vous voulez dire que dans la paroisse vous étiez localisés par secteur et que vous saviez juste combien vous étiez par secteur ?

Alphonse GAHUNZIRE : les gens vivaient en fonction des connaissances d’avant. Explication peu claire

Ministère Public : vous saviez combien vous étiez de votre secteur ?

Alphonse GAHUNZIRE : en date du 21, la population continuait d’affluer en venant toujours, on ne peut pas savoir exactement quel nombre il y avait, je n’ai pas ce nombre là.

Ministère Public : une autre question sur la confiscation des armes, tant en arrivant à la sous-préfecture puis à la paroisse. Vous pouvez nous dire qui vous les avez confisquées et pour quoi ?

Alphonse GAHUNZIRE : celui qui nous a confisqué les armes traditionnelles, c’était le sous-préfet.

Ministère Public : et à la paroisse ?

Alphonse GAHUNZIRE : ceux qui sont venus par après c’était les gendarmes.

Ministère Public : ils vous donc donné une explication ?

Alphonse GAHUNZIRE : ils ont expliqué que comme nous avions fui, ils allaient assurer notre sécurité, il n’y avait pas besoin d’armes traditionnelles.

Pas de question de la Défense.

Président : nous vous remercions Monsieur, nous vous souhaitons un bon retour au RWANDA.

Alphonse GAHUNZIRE : moi aussi je vous remercie, continuez avec cette bonne justice.

*** Fin de l’audition ***

 

 

Audition de madame Azena IBYIMANA KABIRIGI. Rescapée de l’école Marie-Merci.

Déclaration spontanée de Azena IBYIMANA KABIRIGI.

Lorsque le génocide a commencé, nous voyions les gens lorsqu’ils étaient en train de tuer la population.

Ce que j’aurai à dire c’est qu’au moment du génocide contre les Tutsi j’étais élève à KIBEHO, je suis une rescapée de là. Des choses tant affligeantes que indescriptibles se sont produites, tellement horribles qu’il était difficile de les relater devant vous. Pour ce qui intéresse cette cour au sujet du préfet Laurent BUCYIBARUTA, je ne peux pas dire que je le connaissais beaucoup, bien sûr il était préfet, son nom m’était connu. Pendant le génocide il est venu à l’école, notre école comptait beaucoup d’élèves environ 560, quand le génocide a commencé, nous voyions les gens lorsqu’ils étaient en train de tuer la population au sein même de mon école, nous avons été témoins oculaires de tout cela. À ce moment-là, nous-mêmes n’étions pas destinés à mourir car nous étions gardés par les militaires.

Lorsque fut finie l’étape du massacre de la population, il a été dit que jusque-là les Tutsi encore en vie étaient ceux de l’école de Marie-Merci. Il était difficile de dire qui était Tutsi qui était Hutu pour faire la différence car la plupart d’entre nous n’avions pas encore de carte d’identité. Il a été nécessaire de faire une sensibilisation au sein des élèves, pour que nous puissions nous diviser entre les Hutu et les Tutsi à part. Jusque-là, le préfet Laurent BUCYIBARUTA n’était pas impliqué car cela se déroulait entre nous, entre élèves. Toujours est-il qu’à un certain moment cela s’est réalisé nous nous sommes divisés. C’est après cette division que le préfet est venu à l’école après justement de cette problématique de division. Il n’est pas venu seul mais venait en délégation. Il était avec toutes les autorités. Je reviens en arrière et je précise que notre école était une école catholique et donc il était venu avec l’évêque de l’église catholique, le préfet en représentant du gouvernement et ainsi que d’autres autorités subalternes du préfet. Dans un premier temps, les autorités ont tenu une réunion avec les Hutu, après quoi ils ont tenu une réunion avec nous et c’est alors que j’ai connu le préfet.

Fin de la déclaration spontanée de Madame Azena IBYMANA.

Président : quelle était votre situation en avril 1994, vous avez dit que vous étiez élève ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : quel âge aviez-vous ?

Azena IBYIMANA : je suis née en 1976 et j’avais presque 18 ans.

Président : vous étiez en quelle classe ?

Azena IBYIMANA : en troisième

Président : vous avez dit que c’était une grande école avec 500 élèves, les classes commençaient à quel niveau et s’arrêtaient à quel niveau ?

Azena IBYIMANA : première année jusque-là sixième année du secondaire.

Président : donc si on compare avec la France ?

Azena IBYIMANA : c’est plutôt le système belge.

 Président : est-ce que vous savez qu’avant avril 1994, avant l’attentat contre l’avion du Président HABYARIMANA, est-ce qu’il y avait eu des tensions entre élèves Hutu et Tutsi ? Ou même avec des professeurs ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : ça a commencé quand ces tensions ?

Azena IBYIMANA : en deuxième année

Président : certains élèves ou professeurs ont-ils quitté l’école sans que l’on sache où ils aillent ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : et vous avez su où ils étaient allés ? C’étaient des élèves, des professeurs ?

Azena IBYIMANA : les deux, mais j’ignore où ils étaient allés.

Président : nous avons dans le dossier un certain nombre de coudent s adressé par le sous-préfet de MUNINI ou le préfet lui-même concernant des départs de personnes. Par exemple le document, c’est un télégramme envoyé par préfet Laurent BUCYIBARUTA au ministère de l’Intérieur – D8208 : « Vous informe que deux professeurs du Groupe scolaire Marie Merci » de Kibeho en commune HUBUGA sont partis

clandestinement le 5/11/1992 at n’ont plus été revus à l’Ecole. Des informations dignes de foi signalent qu’ils auraient pris le chemin du Burundi pour le FPR.

Il s’agit de:

  1. MURERAMANZI Jérôme, originaire de BUTARE
  2. BIZIMANA Justin originaire de GIATARAMA

Après le départ de ces professeurs de même que celui de l’élève KAYITARE Dieudonné originaire de NG0MA/Butare tous d’ethnie Tutsi, une tension règne entre les professeurs hutu st tutsi de sorte que le courent se propage de plus en plus parmi les élèves. Mais comme L’Évêque de Gikongoro et la Direction de l’école ainsi que les responsables de la sécurité sont au courant de cette situation, les mesures appropriées seront prises si la tension persiste. 

Le préfet de GIKONGORO Laurent BUCYIBARUTA »

Est-ce que ces professeurs cela vous dit quelque chose, Jérôme MURERAMANZI et Justin BIZIMANA ?

Azena IBYIMANA : le génocide contre les Tutsi n’avait pas commencé en 1994, ces professeurs je les connais mais ils n’avaient plus d’autres choix suite aux persécutions qu’ils subissaient. Donc ils ont préféré partir.

Président : donc selon vous ils sont partis car ils étaient persécutés ?

Azena IBYIMANA : oui ils n’étaient pas les seuls, nous aussi.

Président : d’autres partaient ?

Azena IBYIMANA : je ne m’en souviens pas mais c’est possible.

Président : il est indiqué qu’ils sont partis pour rejoindre le FPR, vous avez des informations ?

Azena IBYIMANA : nous ne savions pas leur destination

Président : est-ce que vous aviez le sentiment que l’on considérait les Tutsi comme étant des complices ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : ce dont je parle c’est novembre 1992, est-ce que vous avez connu une dame nommée Madeleine RAFFIN ?

Azena IBYIMANA : oui

 Président : pourquoi ?

Azena IBYIMANA : elle était notre préfète des études.

Président : elle savait les difficultés entre Hutu et Tutsi ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : et comment elle réagissait ?

Azena IBYIMANA : j’étais élève, je ne pouvais pas savoir sa position.

Président : on va faire un rappel de chronologie. Donc l’attentat contre le président HABYARIMANA c’est le 6 avril, vous vous souvenez quand intervient, non pas l’attaque contre les élèves de Marie-Merci mais contre les personnes réfugiées ? Ou même les premières attaques contre les réfugiés dans la région de KIBEHO ?

Azena IBYIMANA : je me rappelle l’attaque qui avait l’objectif de tuer tout le monde et c’était le 14 avril. Avant il y avait d’autres attaques mais qui ne réussissaient pas à tuer tout le monde.

Président : c’est peut-être aussi le 15 avril, est-ce que l’attaque dure une journée ou deux jours ?

Azena IBYIMANA : les Tutsi qui étaient à KIBEHO étaient très nombreux, ils remplissaient toute la colline de KIBEHO il s’agit là d’une grande colline et ils la remplissaient entièrement. Si je fais une estimation de ce que je voyais ils sont plus de 10 000. On ne peut pas tuer 10 000 personnes en une journée. Donc ils ont commencé le 14, ils ont tué toute la nuit et le matin ils ont commencé par tuer les enfants, ils sont revenus jour après jour pour tuer ceux qui n’avaient pas été tués précédemment.

Président : vous-même, votre famille elle était originaire de KIBEHO ?

Azena IBYIMANA : je ne suis pas originaire de KIBEHO.

Président : d’où étiez-vous originaire ?

Azena IBYIMANA : de BUTARE, la préfecture à côté.

Président : qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur les enseignant sur le directeur de l’école Marie-Merci de KIBEHO ?

Azena IBYIMANA : Emmanuel UWAYEZU, prêtre. Il n’était pas directeur depuis longtemps, il était venu suite à une grève survenue à l’école, une grève avec des couleurs ethniques. On venait de muter notre directeur il était Tutsi. On y a nommé Emmanuel.

Président : il y avait à l’origine un directeur Tutsi ? Quel était son nom ?

Azena IBYIMANA : SEBERA Jean-Marie Vianney.

Président : il était prêtre ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : qu’est-il devenu ?

Azena IBYIMANA : il a été tué

Président : vous savez où ?

Azena IBYIMANA : je ne connais pas l’endroit mais j’ai été informée lorsqu’il a été tué. C’était pendant le génocide.

Président : quand a eu lieu cette grève et pourquoi aviez-vous changé de directeur ?

Azena IBYIMANA : je ne souviens plus de quand la grève avait commencé et pour la mutation c’était pour répondre à la volonté de la majorité des élèves.

Président : car les élèves Hutu ne voulaient pas d’un directeur Tutsi ?

Azena IBYIMANA : oui c’est ça

Président : comment le directeur s’est-il comporté pendant le génocide ?

Azena IBYIMANA : c’est difficile à expliquer, le visage qu’il montrait à nous autres c’est que c’était quelqu’un de bon mais un élément nous a montré que ce qu’il faisait c’était une manière de nous conduire vers la mort.

Président : que voulez-vous dire par là ?

Azena IBYIMANA : il n’a posé aucun geste suscitant notre méfiance à son égard, mais lorsque la situation devint critique, il suscitait en nous l’illusion qu’il allait nous protéger sans problème, jusqu’au moment où certains élèves se sont échappés et sont partis, pour ce qui le concerne, il a dit qu’il était chagriné que les élèves étaient partis pour ensuite être tués à l’extérieur alors qu’il aurait pu nous protéger tous et assurer notre survie. En réalité, les élèves partis n’étaient pas morts, ils sont arrivés au BURUNDI, c’est par après que nous avons déduit que le directeur voulait qu’on nous tue tous ensemble et que personne n’échappe.

Président : pourtant, on l’entendra demain, il me semble qu’il ait demandé des renforts pour protéger les élèves, avez-vous été au courant des démarches qu’il aurait pu faire en ce sens ?

Azena IBYIMANA : je n’ai pas d’information à ce sujet. Mais, la garde n’a commencé qu’après le massacre de la population. Donc ce ne fut pas à la demande du directeur.

Président : donc des gendarmes sont venus après le 15 avril, après le massacre des Tutsi à la paroisse de KIBEHO ?

Azena IBYIMANA : non, ils sont venus le jour-même et avant le massacre.

Président : donc les gendarmes sont venus avant la grande attaque pour assurer la sécurité des élèves ?

Azena IBYIMANA : oui, je me souviens avant qu’on ne tue la population, nous tous élèves avions été enfermés au réfectoire, le directeur y compris.

Président : donc pendant la grande attaque, tout le monde est enfermé ?

Azena IBYIMANA : les gendarmes ont fermé la porte de l’extérieur avec leur propre cadenas.

Président : pour revenir et expliquer, on sait que cela se passe au moment des vacances scolaires, or des élèves étaient restés, ils sont restés car il y avait eu la grève ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : les élèves étaient restés plus longtemps pour rattraper le temps perdu à cause de la grève ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : une fois l’attentat contre le président tout le monde a dû rester sur place ?

Azena IBYIMANA : oui.

Président : aussi bien Hutu que Tutsi ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : j’aimerais que vous me disiez sur ce que vous savez que ce qu’on put faire certains élèves Hutu durant les attaques de Tutsi ? Ils ont participé ?

Azena IBYIMANA : les élèves y ont joué un rôle, parmi eux, il y avait des externes, ceux-là allaient tuer et après quoi ils venaient au sien de l’école et sensibilisante ceux qui étaient à l’école et ainsi de suite.

Président : est-ce que la participation des élèves aux attaques était quelque chose de connu ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : le directeur le savait ?

Azena IBYIMANA : il le voyait même

Président : il a pris des sanctions ?

Azena IBYIMANA : non

Président : est-ce que vous savez si ces élèves avaient des armes ?

Azena IBYIMANA : que genre d’armes ?

Président : des couteaux, des gourdins, des machettes ?

Azena IBYIMANA : la guerre étant la guerre tout était permis.

Président : j’entends bien mais est-ce que vous vous avez su ou vu des élèves avec des armes ?

Azena IBYIMANA : je n’ai pas vu des grenades mais leurs habits étaient enduits de sang, ils parlaient de ce qu’ils avaient commis et ils citaient même le nom des personnes qu’ils avaient tuées.

Président : vous, vous avez pu voir ce qu’il s’est dit de cette attaque ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : comment avez-vous pu voir si vous étiez dans le réfectoire ?

Azena IBYIMANA : c’était dans la journée, beaucoup de gens ont fui vers notre école et les gens ont été tués par les gendarmes et pas par la population, les gendarmes leur triant dessus, des balles ainsi que des armes lourdes, nous voyions tout cela à travers les fenêtres de là où nous étions enfermés. Durant toute la nuit, c’était des bruits des balles et des bruits intenses.

Président : vous dites qu’il y avait des tirs avec des balles et d’armes lourdes,  vous voulez dire quoi par armes lourdes ?

Azena IBYIMANA : oui ils portaient des armes je ne connais pas le type mais le matin on pouvait constater que les personnes avaient été déchiquetées donc ce n’était pas des balles ordinaires.

Président : des grenades ?

Azena IBYIMANA : aussi oui.

Président : vous dites que pendant que vous étiez enfermés, des gens sont rentrés dans l’école pour fuir et ont été tués dans l’école par des gendarmes ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : est-ce que vous avez ensuite vu comment on a enterré les corps des Tutsi tués ?

Azena IBYIMANA : les corps ont passé plusieurs jours sur les collines, je ne sais pas combien de temps s’est écoulé mais on a emmené un bulldozer qui les a ramassés.

Président : est-ce que vous avez su si l’évêque MISAGO et le préfet Laurent BUCYIBARUTA étaient venus ensuite pour voir ce qu’il s’était passé ?

Azena IBYIMANA : Monseigneur MISAGO je l’ai vu mais pas le préfet Laurent BUCYIBARUTA.

Président : c’était combien de temps après l’attaque ?

Azena IBYIMANA : je pense que ça doit être le lendemain ou le surlendemain. Je dois faire une précision, les dortoirs de nous autres les filles étaient dans l’enceinte même de la cure, nous sommes retournées prendre nos effets et il y avait beaucoup de cadavres et c’est alors que j’ai vu MISAGO.

Président : il y avait combien de gendarmes pour assurer votre protection ?

Azena IBYIMANA : ils se relayaient je ne peux pas connaitre leur nombre.

Président : est-ce que les choses vont se calmer ou est-ce qu’il va y avoir de nouveau des problèmes ?

Azena IBYIMANA : ça s’est plutôt empiré.

Président : pourquoi ?

Azena IBYIMANA : notre sécurité s’est dégradée alors que soi-disant nous étions gardés.

Président : vous avez des exemples ?

Azena IBYIMANA : par exemple certains jours on ne mangeait pas, on disait à ce moment-là que les Tutsi avaient des velléités d’empoisonner la nourriture donc personne n’en mangeait. Dans le chef des Hutu c’était dans le but de faire monter la tension entre les Hutu et les Tutsi.

Président : comment a réagi le directeur face à cette montée de la tension ?

Azena IBYIMANA : rien de palpable, il venait de notre côté.

Président : il se voulait rassurant ?

Azena IBYIMANA : oui mais sans montrer une réponse concrète

Président : il n’était pas agressif ?

Azena IBYIMANA : non

Président : est-ce qu’ensuite il va y avoir une visite du préfet Laurent BUCYIBARUTA, de Monseigneur MISAGO et d’autres personnes ? À quel moment cela se situe avant la nouvelle attaque ?

Azena IBYIMANA : je n’ai pas bien compris la question.

Président : vous avez dit que vous aviez vu le préfet avec une délégation qu’ils avaient commencé à parler aux Hutu ? Pouvez-vous nous dire combien de temps c’était après la grande attaque avant l’attaque concernant directement les élèves de Marie-Merci ?

Azena IBYIMANA : la délégation s’est entendue avec nous dans le courant du mois de mai.

Président : vous parlez du jour de l’attaque ?

Azena IBYIMANA : un ou deux jours avant.

Président : vous étiez toujours dans les locaux mêmes de Marie-Merci ou l’on avait déjà séparé les Tutsi des Hutu ? Ou étiez-vous ?

Azena IBYIMANA : c’était après la séparation, nous étions à l’école des lettres.

Président : est-ce que l’école des lettres c’était une école pour les garçons et les filles ?

Azena IBYIMANA : c’est une école de filles.

Président : c’est une école secondaire ou primaire ?

Azena IBYIMANA : secondaire

Président : l’école Marie-Merci c’était garçons et filles ? Et l’école des lettres c’est une école secondaire ?

Azena IBYIMANA : c’était les mêmes niveaux.

Président : qui s’occupait de cette école, c’est l’école des lettres, des belles lettres ?

Joseph [interprète à la Cour d’Assises] : l’école des lettres

Azena IBYIMANA : je me souviens pas du nom

Président : le nom de Thérèse NGIDAHIZU vous dit quelque chose ?

Azena IBYIMANA : ça me parle pas

Président : vous êtes restés combien de temps environ ?

Azena IBYIMANA : une semaine

Président : après qu’il y ait une séparation des élèves Hutu et Tutsi, les tensions se calmes ? Qu’est-ce qui se  passe, ce sont les élèves Hutu qui viennent vous embêter ?

Azena IBYIMANA : euh… ça ne s’est pas calmé, au contraire, lorsque nous sommes allés au collège, nous savions que c’était pareil puisque nous y sommes allés, nous n’avions plus rien avec nous. On nous a refusé tous nos effets personnels et donc nous étions partis sans rien.

Président : une précision, je crois qu’à cette époque, la différence entre l’école Marie-Merci de KIBEHO et de l’école des lettres et qu’eux étaient en vacances donc les locaux étaient vides. J’aimerais comprendre, vous dites que la tension restait forte ; les élèves Hutu venaient dans l’école des lettres ? À partir du moment où vous êtes séparés, ça devrait se calmer ?

Azena IBYIMANA : ça ne s’est pas calmé, quand nous sommes allés là-bas, notre directeur le savait mais nous n’avons rien reçu ni pour manger ni pour nous vêtir.

Président : les élèves Hutu venaient vous menacer ?

Azena IBYIMANA : euh, verbalement oui

Président : vous pouvez nous expliquer ce qu’il se passe au moment de l’attaque ? Sous contrôle des parties, l’attaque se situe autour du 7 mai

Azena IBYIMANA : ça a eu lieu à cette date précisément. Après la réunion avec le préfet et toute la délégation, les gendarmes qui nous gardaient nous ont laissé entendre que cette délégation avait décidé qu’il n’y avait pas de temps à perdre en nous gardant

Président : alors, je vais peut-être lire vos déclarations. Je ne sais pas si vous vous souvenez mais vous avez été entendu par les enquêteurs du TPIR, il y a très longtemps en 2003 : « Le 3 mai, les élèves tutsis ont été priés de quitter l’école et nous avons été envoyés dans un autre collège voisin. Nous étions au nombre de cent seize (116). Le 4 mai, dans l’après-midi, l’évêque MISAGO, le préfet BUCYIBARUTA, le chef de la gendarmerie de Gikongoro et le bourgmestre de Mubuga nous ont rendus visite. Je ne me rappelle pas les noms des deux derniers. » Ce nom SEBUHURA vous dit quelque chose ou pas du tout ?

Azena IBYIMANA : oui, son nom me rappelle quelque chose

Président : mais eu moment de la visite, vous connaissiez son nom ?

Azena IBYIMANA : je crois que c’est le verbalisant qui m’a rappelé ce nom

Président : et le nom du bourgmestre de MUBUGA vous vous en souveniez ou pas du tout ?

Azena IBYIMANA : je m’en souvenais pas

Président reprend la lecture : « Ils ont tout d’abord parlé avec les élèves hutus et sont ensuite venus nous voir. Ils se sont présentés à nous. BUCYIBARUTA 2 dit que les élèves hutus leur ont dit que nous étions des complices des Inkotanyi et que nous avions des fusils. Nous avons été aussi accusés de chanter des chansons des Inkotanyi et que nous étions en possession de walkies talkies avec lesquels nous étions en contact avec les Inkotanyi. Après qu’ils se sont adressés à nous, nous avons été autorisés à parler. Nous leur avons dit que nous n’avions pas de nourriture et que nos effets personnels avaient été laissés à l’autre école. BUCYIBARUTA nous a dit que si nous le voulions, il pourrait… » Vous vous souvenez de la réponse du préfet ?

Azena IBYIMANA : il dit qu’il était porteur d’un message du gouvernement, nous lui avons exposé notre problème et lui avons dit que nous n’avions pas d’endroit où dormir, nous dormions à même les bancs, nous n’avions pas de quoi manger, pas d’habit pour nous changer. Il nous a dit qu’il n’avait pas de solution à ça puisqu’il avait été démontré que nous collaborions avec les Inyenzi. Ce qu’il avait comme solution est que le lendemain, le bus allait nous conduire chez nous. Nous lui avons dit que nous n’avions plus de famille où allait, nos parents étaient morts, il a dit que ce problème ne le concernait pas, que ce qu’il allait faire étaient de réquisitionner des bus pour nous conduire chez nous.

Président : voilà ce que les enquêteurs du TPIR ont noté : « Nous leur avons dit que nous n’avions pas de nourriture et que nos effets personnels avaient été laissés à l’autre école. BUCYIBARUTA nous a dit que si nous le voulions, il pourrait nous renvoyer chez nous. Nous lui avons dit que nos maisons avaient été détruites. Alors, ils nous a dit qu’il ne pouvait rien faire pour nous. SEBUHURA nous a dit que puisque nous »

Azena IBYIMANA : ah oui, acquiesce à tout ce que lit le Président.

Président : vous confirmez tout ç?

Azena IBYIMANA : oui

Président continue la lecture : « nous a dit qu’il ne pouvait rien faire pour nous. SEBUHURA nous a dit que puise que nous étions complices des Inkotanyi nous devions donc être aussi tués. » Qui vous a dit ç?

Azena IBYIMANA : en réalité, il est difficile de mettre en ordre ce qu’il s’est passé à ce moment-là. Nous n’avions même pas le temps d’entendre ce qu’il nous disait, nous étions traumatisés par ce que nous avions vus. C’était difficile de dire que tel personne avait tenu de tel propos puisque personne n’était de notre côté. Tout le monde qui était venu a pris la parole. Chacun exprimait ce qu’il pensait comme solution mais toutes ces solutions menaient vers notre mort, aucune n’allait dans le sens de notre protection

Président : vous vous souvenez si quelqu’un a dit que de toute façon, vous alliez être tués ?

Azena IBYIMANA : oui, quelqu’un l’a dit

Président continue la lecture « L’évêque MISAGO a dit qu’en raison des problèmes de sécurité prévalant dans le pays, il ne pouvait pas nous aider. Ils nous ont dit qu’ils se réuniraient afin de prendre une décision concernant le sort qui nous serait réservé. » Deux jours après il se passe quelque chose, vous savez quoi ?

Azena IBYIMANA : Deux jours après, le soir, un camion est arrivé et il a emporté les militaires qui nous gardaient.

Président continue la lecture : « Le 6 mai, dans la soirée, un camion militaire de couleur verte est venu ramasser les gendarmes qui nous protégeaient. C’était une vingtaine de gendarmes qui nous protégeaient et après leur départ, il ne restait plus que quatre d’entre eux. L’un de ces gendarmes priait avec nous et il nous a dit que les autorités qui nous avaient rendus visite (BUCYIBARUTA, MISAGO, SEBUHURA, etc) avaient tenu une réunion à la préfecture et avaient décidé que nous serions tués et que nous devons nous enfuir pour nous cacher. Il a aussi ajouté que les autorités avaient ordonné que les gendarmes qui assuraient notre protection soient retirés. Ce gendarme était dénommé NEPO était originaire du secteur de Mukarange, commune de KIBARI, préfecture de Byumba. Un barrage routier avait été installé au portail de l’enceinte… » Ça revient dans plusieurs de vos dépositions, vous pouvez nous dire ce qu’il est devenu ?

Azena IBYIMANA : non

Président : vous dites que les autorités ont tenu une réunion à la préfecture, il vous a dit comment il savait ?

Azena IBYIMANA : bien sûr que les gendarmes avaient eu un rapport expliquant leur départ de là

Président continue lecture : le portail de l’entrée  était gardé par des Interahamwe, donc nous ne pouvions pas nous échapper. »

Azena IBYIMANA : oui, nous avions trouvé ce barrage-là.

Président : vous saviez qui gardait cette barrière ?

Azena IBYIMANA : cette barrière n’était pas là pour nous protéger, les gendarmes et les Interahamwe la tenaient et se parlaient entre eux tout le temps.

Président : il se passe quoi ensuite après le départ des gendarmes ?

Azena IBYIMANA : ce qui a suivi c’est le lendemain matin, nous avons constaté que tout l’établissement était encerclé, et les Interahamwe et les gendarmes tout ce monde était là.

Président : vous les connaissiez les Interahamwe ? C’était qui ?

Azena IBYIMANA : il y avait des gens de toutes les catégories des gens que je connaissais et des gens que je ne connaissais pas.

Président : des élèves de Marie-Merci ?

Azena IBYIMANA : oui même les professeurs.

Président :  vous vous souvenez du nom de certains professeurs Hutu ?

Azena IBYIMANA : oui, un FATIKARAMU, un certain Jean-Pierre MUSADYMANA, il y avait également des professeurs du collège dont je ne connais pas les noms, le collège étant l’école des lettres.

Président : qu’est-ce qu’il se passe ?

Azena IBYIMANA : je me rappelle que nous nous sommes levés et regroupés tous les élèves avec qui j’étais, nous savions que c’était notre dernier jour de vie, il n’y avait plus rien à faire car les gendarmes présents nous avaient dit qu’il n’était plus question de nous protéger. Qui a pu le faire s’est caché, qui pouvait prier l’a fait, chacun a fait ce qu’il pouvait. Je me souviens que vers 10 heures l’attaque est entrée dans l’établissement, ils ont tué. Voilà.

Président : je vais relire ce que vous avez dit aux enquêteurs : « Le 7 mai, le lendemain matin, nous avons constaté que notre école était encerclée par des Interahamwe, et même par quelques élèves extrémistes hutus qui étaient des camarades de classe. Parmi eux, j’ai reconnu Gaudence UWAMAHORO, Aimable MURINDANGABO RWANDA, Angélique MUSAFARI, Christophe BUTARE et Juvénal UWIMANA. Ils étaient armés de machettes, de lances et de gourdins cloutés. Certains Interahamwe avaient également des grenades et des fusils. Ils sont venus nous attaquer et les gendarmes qui sont restés ont dit aux assaillants de nous tuer avec les gourdins cloutés afin que l’école ne soit pas couverte de sang. Ils ont aussi dit qu’on leur avait intimé l’ordre de nous tuer, mais qu’ils ne devaient pas se servir de grenades ou de fusils pour éviter de causer des dégâts dans l’école. » Vous savez pour quelle raison ?

Azena IBYIMANA s’assoit pour faire une pause et se reprendre.

Président : À l’époque, vous aviez dit qu’on avait donné cet ordre aux gendarmes pour ne pas causer de dégâts dans l’école  « Par la suite, quelqu’un a lancé une grenade dans l’enceinte de l’école, celle-ci a explosé et les assaillants ont suivi. Nous étions rassemblés dans une salle de classe pour prier.

Azena IBYIMANA acquiesce

Président : vous vous souvenez où vous étiez cachée ?

Azena IBYIMANA : dans les toilettes

Président continue la lecture  : « les Interahamwe sont entrés, j’ai couru dehors pour me cacher dans les toilettes. Je pouvais entendre les pleurs et les cris lorsque les Interahamwe tuaient mes camarades. Avant le début de l’attaque, l’un des élèves avait été caché par NEPO. Cet élève est dénommé » Vous vous souvenez de son prénom ?

Azena IBYIMANA : oui, THÉOPHILE

Président continue la lecture  : « de l’attaque, l’un des élèves avait été caché par NEPO. Cet élève est dénommé Théophile ZIGIRUMUGABE. Parmi ceux qui avaient été tués ce jour-là, il y avait Yvonne MUKAKALISA, Eric SIBOMANA, Claudine KAYITESI, Pascasie DUSABE, Georgette MUTEZINKINDI, Beata et Pacifique SHIRIMUNGU. Lors de cette attaque, j’ignore si d’autres élèves ont survécu. Ce n’est qu’après la guerre que j’ai découvert que d’autres avaient survécu. »

Azena IBYIMANA : ceux que vous citez sont morts

Président continue la lecture « Quand les tueries ont pris fin, l’un de nos professeurs du nom de Jean Pierre MUSABYIMANA, qui avait dirigé l’attaque, est allé vérifier les corps. Il a dit par la suite que quelques-uns s’étaient échappés et il a ordonné aux Interahamwe de rechercher les élèves qui n’avaient pas été tués. Alors, j’ai été découverte par un Interahamwe. J’avais fermé la » Vous l’avez vu ça, de vos propres yeux ?

Azena IBYIMANA : oui

Président continue la lecture : « qui n’avaient pas été tués. Alors, j’ai été découverte par un Interahamwe. J’avais fermé la porte de la toilette et ils frappaient à la porte, me demandant de l’ouvrir. J’ai refusé et ils se mirent à enlever le toit. Quand ils ont fait cela, j’ai ouvert la porte et couru vers les » Vous vous souvenez pourquoi ?

Azena IBYIMANA : oui, pour qu’ils me tuent avec une balle

Président continue la lecture : « mirent à enlever le toit. Quand ils ont fait cela, j’ai ouvert la porte et couru vers les gendarmes pour leur demander de m’’abattre. Alors, NEPO a négocié avec les Interahamwe pour leur demander de me protéger. En fin de compte, les Interahamwe ont accepté et NEPO m’a emmenée et m’a cachée avec Théophile dans un dortoir vide. Nous y sommes restés pendant quelques heures, mais alors l’enceinte a été encerclée par des Interahamwe. Ils ont dit à NEPO qu’ils savaient que celui-ci cachait des élèves tutsis et qu’ils ne partiraient pas avant de les retrouver. Ainsi, il leur a remis Théophile qui avait été tabassé et jeté dans une fosse. NEPO leur a dit que j’étais une parente et après leur départ, il m’a emmenée chez les religieuses. J’y suis restée pendant deux jours et les Interahamwe sont revenus. Ils ont dit que si je ne leur étais pas remise, toutes les religieuses seraient tuées. Alors, les religieuses ont envoyé un message à NEPO qui avait été muté à Gikongoro. Il est venu me prendre pour ensuite me cacher chez des amis à Gikongoro. Ce sont Chantal MUKASANGA et Diogène NTAMBARA. Je suis restée chez eux jusqu’à la fin de la guerre. »Vous vous souvenez ?

Azena IBYIMANA : oui. Le mari était directeur d’un projet dont je me rappelle pas le nom, la femme je me rappelle pas

Président continue la lecture sur les confidences que des élèves lui ont faites. « Je connais d’autres élèves qui ont survécu au massacre et elles m’ont dit qu’elles avaient été violées. Je connais trois autres filles qui ont survécu au massacre au collège du Kibeho. Je les ai rencontrées après la guerre et chaque fois que nous nous rencontrons, nous discutons de ce qui s’est passé quand les élèves tutsis ont été massacrés. Toutes ces trois filles m’ont dit qu’elles avaient été violées au collège pendant les attaques lancées contre les élèves tutsis. Ces trois filles avaient été séquestrées par les Interahamwe qui les avaient constamment violées tout au long des semaines suivantes. Elles servaient d’objets sexuels à un Interahamwe puis passaient à un autre et, ce jusqu’à ce que des militaires français viennent leur porter secours. » C’est quelque chose que les rescapées elles-mêmes vous ont dit ou d’autres personnes vous l’ont dit ?

Azena IBYIMANA : elles-mêmes

Président : vous êtes allée dans quelle région alors ?

Azena IBYIMANA : nous sommes allés nous installer à KIBUNGO

Président : aujourd’hui vous vivez au Pays-Bas, depuis combien de temps ?

Azena IBYIMANA : 17 ans

Président : ça a été compliqué pour vous de venir parler de ça aujourd’hui ?

Azena IBYIMANA : non, je ne voulais pas

Président : pourquoi ? Parce que c’est trop douloureux ou vous avez peur aussi ?

Azena IBYIMANA : oui un peu

Président : vous voulez ajouter quelque chose ?

Azena IBYIMANA :

Président : vous avez des enfants aujourd’hui ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : ils vous posent des questions sur ce qui s’est passé au RWANDA ?

Azena IBYIMANA : oui

Président : ils savent que vous êtes ici aujourd’hui ?

Azena IBYIMANA : oui

Questions des parties civiles/

Me GISAGARA se lève et le Président intervient : « Me GISAGARA, si vous posez des questions elles doivent être très courtes et sans commentaires ».

Me GISAGARA : merci pour votre témoignage. On vous a demandé sur la période avant 1994, on vous a interrogé sur les professeurs qui sont partis et vous avez dits qu’ils n’avaient pas le choix, pourquoi vous comprenez qu’ils soient partis ?

Azena IBYIMANA : ils avaient raison car s’ils n’étaient pas partis ils seraient morts.

Me GISAGARA : vous avez dits qu’ils étaient persécutés, comment ?

Azena IBYIMANA : je donne un exemple, depuis que je suis première année je ne pouvais pas réussir un seul cours d’un Hutu. Cela montrait que le but de l’éducation n’avait pas de sens, les professeurs étaient censés donner et transmettre des connaissances mais cela n’avait pas de valeur.

Me GISAGARA : on vous a demandé d’expliquer les difficultés entre les Hutu et les Tutsi ? Est-ce que vous qui avez vécu cette période c’est approprié ?

Azena IBYIMANA : non, nous nous soumettions aux Hutu pour survivre

Me GISAGARA : donc c’était les Hutu qui vous persécutent ?

Azena IBYIMANA : oui

Me GISAGARA : on vous demandé ce qui s’est dit le jour où vous avez vu le préfet et vous avez dit qu’il vous est difficile de vus rappeler du déroulement et vous avez expliqué pourquoi, je comprends car vous n’êtes pas la première personne disant cela devant la justice, est-ce que cette scène dont vous ne pouvez pas vous rappeler avec détails est-ce la seule ou cela arrive souvent ?

Azena IBYIMANA : je me souviens de tout mais ce sont des choses qui se sont déroulées sur un long moment.

Me GISAGARA : vous avez dit que le préfet n’avait pas des mots apaisants vous êtes sûre ? Et les bus vous n’avez aucun doute c’est qui a tenu ces propos ?

Azena IBYIMANA : les autres ont dit cela et lui aussi et donc c’était la conclusion de la réunion.

Me TAPI : Bonjour Madame, vous avez dit tout à l’heure que lorsque le gendarme vous a conduit chez les religieuses, sous la menace des Interahamwe, elles ont téléphoné à NEPO pour qu’il vienne vous chercher ?

Azena IBYIMANA : oui

Me TAPI : il y avait donc un téléphone chez les religieuses à KIBEHO ?

Azena IBYIMANA : oui, je pense mais je ne sais pas comment ils ont communiqué.

 

Questions du Ministère Public.

Ministère Public : est-ce vous connaissez Théodette MUKAMERARA ? C’est une élève plus jeune que vous, que nous avons entendu. Elle a fui le 1er mai avec des élèves, vous savez pourquoi ?

Azena IBYIMANA : euh…

Ministère Public : elle nous a dit qu’elle savait que les élèves n’étaient pas en sécurité et donc elle avait décidé de partir

Azena IBYIMANA : en fait ils nous l’ont dit avant de partir. Nous avons eu peur car ils sont partis pendant la nuit et nous désirions aussi partir si rien ne s’était passé. Nous avons arrêté ça car le directeur nous ont dit qu’ils étaient morts.

Ministère Public : le directeur vous décourageait à l’idée de partir mais plutôt à rester ?

Azena IBYIMANA : oui

Ministère Public : sur la délégation qui est venue vous voir, vous avez dit que le préfet et venu avec l’église, et ils étaient accompagnés de leur subalternes. Les deux chefs étaient le préfet d’une part et l’évêque ?

Azena IBYIMANA : oui

Questions de La Défense.

Me LÉVY : nous aimerions revenir sur cette délégation à l’école. J’aimerais vous lire une déclaration de Madeleine RAFFIN, dont vous avez indiqué que vous connaissiez  :

« À cette même époque, aux environs du 3 mai, Monseigneur MISAGO décida de se rendre à Kibeho pour rencontrer les élèves de l’école Marie Merci, dont les nouvelles nous inquiétaient. Le Préfet et le Commandant de place décidèrent de l’accompagner, ainsi qu’un représentant de l’Inspecteur des Ecoles. L’évêque sinquiétait surtout, et à juste titre, du sort des élèves tutsis de l’école Marie Merci. Car le climat s’était dégradé sous l’influence du voisinage de l’école, où ces tutsis étaient seuls rescapés du massacre du 14 avril. Dans ce climat, l’abbé UWAYEZU et ses accompagnateurs durent faire preuve d’une ténacité et d’un courage incroyables pour tenir le plus longtemps possible. La tension était extrême: les élèves hutus, poussés par l’extérieur, prétendirent un jour que les tutsis avaient mis du poison dans l’eau du thé que les élèves buvaient chaque matin. Les élèves tutsis supplièrent le directeur de les laisser se réfugier dans l’école des Lettres, dont les élèves étaient en vacances. La religieuse qui était directrice de l’école accepta de les accueillir. Dans ce climat, la délégation accompagnant l’évêque tenta de calmer les esprits, puis le préfet demanda au Chef de la gendarmerie de mettre en place une garde en qui il avait confiance, en attendant qu’on trouve une solution concertée pour déplacer les élèves en danger. C’est ce que fit le Commandant de place. Il y installa des gardes dont il était sûr, mais derrière lui passa son adjoint qui changea la garde. Les 90 jeunes furent massacrés quelques jours plus tard, le 7 mai… 90 jeunes que j’avais tous connus et accueillis dans l’école ! »

Donc, est-ce que ce qu’a écrit Mme RAFFIN correspond à votre souvenir de ce qui s’est passé ?

Azena IBYIMANA : oui, ce qu’elle a dit est vrai mais ce n’est pas toute la vérité. Parce que l’évêque ne s’est jamais inquiété de notre sort. Même ce prêtre qui était sous sa responsabilité a vu els corps, les cadavres et n’a rien fait.

Me LÉVY : mais sur ce qu’il s’est passé pendant la visite, vous êtes d’accord ?

Azena IBYIMANA : à moitié? oui;

Me LÉVY : moi aussi, j’aimerais revenir sur les propos tenus ors de cette visite

Président : juste une précision, je ne pense pas que Madeleine RAFFIN ait été présente lors de cette visite ?

Me LÉVY : non absolument.

Azena IBYIMANA : j’ai dit qu’il s’est dit beaucoup de choses, c’est une réunion qui a eu lieu. Nous avons échangé, parlé, ils nous ont répondu. Si je me rappelle pas de tous les propos qui se sont tenus, c’est parce qu’il s’est dit beaucoup de choses. Selon, il y a eu une seule décision qui a été prise : que nous quittions cet endroit.

Me LÉVY : nous sommes d’accord pour dire qu’au début de cette réunion, les membres de la délégation ont répété ce que les élèves Hutu leur avaient dit juste avant, sur les reproches qu’ils vous faisaient ?

Azena IBYIMANA : oui

Me LÉVY : et donc vous dites que la conclusion de cette visite est que vous deviez quitter cette école avec des bus ?

Azena IBYIMANA : oui

Me LÉVY : je vous pose cette question parce qu’il y a eu un procès contre Monseigneur MISAGO, nous n’avons pas votre témoignage mais nous avons le jugement. Nous pouvons ont tiré que tous les autres témoins disent autre chose concernant la conclusion de cette réunion, il n’a pas été décidé que les élèves devaient partir

Azena IBYIMANA : je ne sais pas ce qu’ont dit les autres, tout ce que je sais c’est que nous devions quitter notre établissement pour partir chez nous

Me LÉVY : je vais vous dire ce qu’il a été dit dans le jugement MISAGO  : « CONSTATE que Jeanne KABERA, Azena IBYIMANA KABILIGI et Théophile ZIGIRUMUGABE rapportent mêmement les propos leur tenus par MISAGO à l’issue de ses entretiens avec les élèves Hutu, affirmant que ces propos n’étaient pas son émanation mais qu’il ne faisait que répéter ceux que venaient de lui dire les élèves hutu les accusant de les provoquer en reprenant des danses et des chansons pro-Inkotanyi et en manifestant leur joie à chaque bataille remportée par eux alors que ces derniers exterminaient des Hutu » Vous êtes d’accord avec cette partie ?

Azena IBYIMANA : la question c’est parce qu’il a répété, ce n’est pas ce qu’il a dit.

Me LÉVY : non il est dit que les élèves disent tous à peu près la même chose, Mgr MISAGO dit qu’il répète ce que les élèves Hutu lui ont dit

Azena IBYIMANA : ce que je peux dire, que ce soit MISAGO ou le préfet BUCYIBARUTA, leur langage n’était pas seulement de répéter ce que les autres avaient dit mais aussi d’eux-mêmes nous accuser

Me LÉVY : ce n’est toujours pas ce que dit le témoin mais je vais vous lire le 2e paragraphe :

« que ces derniers exterminaient des Hutu; que ces témoins ne s’accordent pourtant pas quant aux recommandations et mesures issues de ladite réunion, Azena KABILIGI prétendant que MISAGO leur promit des bus de l’ONATRACOM devant les conduire chez eux sous prétexte de manque de vivres alors qu’il savait manifestement que leurs familles avaient été décimées, Jeanne KABERA et Théophile ZIGIRUMUGABE affirmant que la décision prise fut celle de les laisser dans l’établissement tout en renforçant la sécurité et en subvenant à leurs besoins alimentaires »

Azena IBYIMANA : ça vient de qui ce rapport ?

Me LÉVY : c’est le jugement dans l’affaire MISAGO

Azena IBYIMANA : je ne suis pas d’accord avec ces propos

Président : sachant que nous n’avons pas ce témoignage. De toute façon, nous allons entendre d’autres témoignages, ce sera la meilleure solution.

Réaction de Monsieur Laurent BUCYIBARUTA.

Laurent BUCYIBARUTA : les propos que m’attribue Madame le témoin lors de la visite que nous avons faite à l’école Marie-Merci, et à l’école des lettres, ces propos sont dénués de tout fondement et ce sont des propos qu’elle invente et qu’elle m’attribue. Je n’ai accusé aucun élève de collaborer avec le FPR et je n’ai accusé personne de quoi que ce soit.

Deuxièmement, elle a dit que toutes les informations concernant une réunion qui se serait tenue à GIKONGORO pour planifier le massacre des élèves qui se trouvaient à l’école des lettres sont rapportés par un gendarme mais il ne pouvait pas assister à une réunion dans le bureau du préfet. Ce gendarme à l’époque n’a jamais été identifié et je trouve pas comment le nom de ce gendarme se trouve de partout comme l’informateur privilégié de Mme le témoin

Troisièmement, si le témoin avance ces arguments, je les respecte car ce sont ses propres arguments mais je ne les partage pas.

Président : avez-vous compris ? Vous souhaitez réagir ?

Azena IBYIMANA : c’était un jeune gendarme sous-gradé, c’était un caporal il n’a pas participé à ces réunions mais NEPO rapportait des choses qui provenaient de la réunion, lui n’a pas participé aux réunions.

Président : un dernier mot Monsieur Laurent BUCYIBARUTA ?

Laurent BUCYIBARUTA : là aussi, puisque le témoin dit que le gendarme NEPO fournissait des rapports de ce qu’il se passait des réunions, de qui les recevaient-il ? S’il était caporal, je ne pense pas qu’un commandant fournissait des rapports à un caporal. C’est un subalterne qui donne des rapports à son supérieur, pas l’inverse. Le commandant de gendarmerie participait à toutes les réunions de son chef-lieu. Je ne pense pas qu’il fournissait des rapports à son

Président : M. Laurent BUCYIBARUTA, je ne pense pas qu’un rapport en trois exemplaires ait été fourni. Mais si on change ce mot « rapport » pour « information », est-ce que ça fait sens ?

Laurent BUCYIBARUTA : oui mais justement il faut préciser, qui a donné ces informations

Président : bon je pense qu’on va en rester là pour ce soir. Merci Madame pour votre déposition.

 

 

 

  1. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[]
  2. Sœur MILGITHA KÖSSER a documenté le massacre des Tutsi réfugiés dans la paroisse de Kaduha dans un album photo déjà évoqué lors de l’audition d’Hélène Dumas. Voir également  « Afin de mettre une marque en ce temps » – Kaduha, avril 1994 : un album de l’attestation, Hélène Dumas dans la revue Sensibilités 2021/2 (N° 10) []
  3. Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide et extermination, crimes contre l’humanité »[]
  4. CERAI : Centre d’Apprentissage Rural et Artisanal Intégré[]
  5. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. Glossaire.[]
  6. FPR : Front patriotique Rwandais[]
  7. Opération Turquoise organisée par la France en juin 1994.[]
  8. ETO : Ecole Technique Officielle.[]
  9. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  10. Ibid.[]

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