Procès Laurent BUCYIBARUTA du jeudi 2 juin 2022. J17


Audition de monsieur Etienne URINZWENIMANA, ancien détenu en visioconférence du Rwanda.

Condamné à 30 ans de prison, le témoin est détenu à la prison de Nyamagabe. Il habitait à CYANIKA et travaillait comme secrétaire de la sous-préfecture de KARABA. Ce témoin est celui dont monsieur Kizito KAREKEZI a parlé hier lors de son audition.

Déclaration spontanée.

« Après la mort du président HABYARIMANA, le 6 avril 1994, nous avons commencé à incendier les maisons des Tutsi du côté de GASHIRA, près de là où Laurent BUCYIBARURA était dirigeant. Les Tutsi sont venus à la paroisse de CYANIKA avec leur bétail qu’ils ont installé dans la cour. Eux, ils sont rentrés à l’intérieur des bâtiments de la paroisse.

Le 16, le sous-préfet de KARABA, Joseph NTEGEYINTWALI est arrivé et a demandé aux personnes qui étaient là qui les avaient désignées pour garder les vaches des Tutsi. Les Hutu se sont précipités sur les vaches et les ont tuées.

Presbytère de la paroisse de CYANIKA.

Le 17, on a entendu des coups de sifflets pour demander à la population de se rendre dans la cour du presbytère. Nous y sommes allés, nous avons attaqué les réfugiés Tutsi et les avons tués. Un enfant de la famille du colonel SIMBA[1], Mbaga KAREKEZI, avait deux grenades à sa ceinture. Il a dû les remettre au sous-préfet qui a alors donné des instructions pour aller tuer les Tutsi. Il m’a remis une de ces grenades car il savait que j’avais été militaire. « Va devant, m’a-t-il dit, lance cette grenade sur les Tutsi. Que les autres s’occupent de ceux qui sortiront. »

J’ai lancé la grenade mais peu de Tutsi sont sortis. Au bruit de la détonation, la population a pris peur et s’est enfuie. Des coups de sifflet les ont incités à revenir. « Vous êtes des lâches, a lancé le sous-préfet, je vais aller demander des renforts. Vous, les lâches, partez, je vous verrai à un autre moment. »

Le 21 à trois heures du matin, nous avons entendu des bruits de balle en provenance de MURAMBI.  De nouveaux coups de sifflet ont retenti pour mobiliser les tueurs. « Quiconque sera absent ne sera pas avec nous » a-t-on entendu dire.

Vers 8 heures, nous sommes montés vers la cour de la paroisse. Tous les bourgmestres de la région étaient présents avec leur population qui les accompagnait : Charles, le bourgmestre de KINYAMAKARA, celui de NYAMAGABE, de MUDASOMWA, sans oublier SEBUHURA[2] et ses gendarmes. « Cette fois-ci, allons-y » s’est exclamé le sous-préfet.

SEBUHURA et ses gendarmes ont pris les devants avec des armes lourdes. Ils ont lancé des grenades lacrymogènes et des grenades de combat pour affaiblir les réfugiés. Ils ont ensuite utilisé leurs armes. Ceux qui échappaient aux balles étaient découpés par les machettes des tueurs.

Vers 17 heures, SEBUHURA est venu nous dire que nous étions en mesure d’achever les survivants. Il est reparti vers MUSANGE avec ses gendarmes et nous avons appliqué ses conseils. On ne sait pas ce qu’ils sont devenus. C’est ainsi que s’est terminé le massacre des Tutsi à CYANIKA. Tel est mon témoignage. »

Monsieur le président précise au témoin qu’il a été entendu plusieurs fois par des enquêteurs, dont des Français. Il ne s’en souvient pas. S’appuyant sur les déclarations qu’il a faites aux enquêteurs français en 2012 alors qu’il était encore en prison, monsieur le président va lui rafraîchir la mémoire. De 1988 à 1993, le témoin a bien été militaire dans le Bataillon commando BIGOGWE, un bataillon d’élite dirigé alors par un certain David TURIKUNKINKO. Le témoin quitte l’armée en 1993 avec le grade de caporal.

Pourquoi quitte-t-il l’armée ? « Mon cousin, le major SEBAKUNZI a perdu un combat contre les Inkotanyi[3] à la tête de ses troupes. On l’aurait alors considéré comme un complice et il aurait été emprisonné. Bien qu’il fût acquitté à son procès, on a continué à pourchasser ses propres parents dont je faisais partie. On m’a alors conseillé de prendre mes distances avec l’armée et j’ai déserté. Après avoir pris la direction de GISHWATI, je suis revenu chez moi à CYANIKA alors que je souhaitais quitter le pays. C’est là que le génocide m’a trouvé. »

Monsieur le président lui fait remarquer qu’il n’a pas donné tous ces détails aux enquêteurs français, qu’il a bien parlé de l’attaque du 21 mais pas, comme aujourd’hui, des événements des 16 et 17 avril. Le témoin ne sait que répondre. Puis, à la demande du président, il reconnaît qu’il est surnommé KAZUNGU.

Que sait-il du bourgmestre de KARAMA, Désiré NGEZAHAYO ?

Depuis longtemps, il détestait les Tutsi. Il le disait ouvertement dans les cabarets. Il est même allé jusqu’à dire à un Tutsi : « Tu as un joli nez. Il aurait été bien qu’on se torche le cul avec ce nez-là. » Membre du MRND[4], il avait été débauché par le PSD[5] selon la pratique du kubohoza[6]. Il avait toujours la haine contre les Tutsi. Il a envoyé les policiers tirer sur les réfugiés.

Monsieur le président révèle alors que son débauchage à suscité des rapports, ce que semble ignorer le témoin. En D 10890/58, on trouve un courrier du préfet Laurent BUCYIBARUTA daté du 3 novembre 1993, courrier adressé au ministre de l’Intérieur qui fait suite à un rapport du sous-préfet de KARAMA. Ce document concerne « le comportement indigne du bourgmestre de KARAMA dans la nuit du 7 octobre 1993. » Il avait arraché le drapeau du MRND pour bien signifier qu’il quittait son parti. Le préfet avait fait savoir au bourgmestre qu’il devait éviter toute provocation.

Monsieur le président continue la lecture du courrier : « Le bourgmestre doit faire preuve de neutralité dans ses fonctions, sachant qu’il a le droit au parti de son choix. J’ai invité les militants du MRND à garder leur calme. »

Monsieur le président cherche à savoir où se situe l’habitation du témoin. Difficile pour lui de donner des précisions. (NDR. Chaque fois qu’on évoque des noms de lieux, il pourrait être utile de montrer une carte.)

Des véhicules sont bien passés pour demander aux Tutsi, à l’aide d’un mégaphone, de venir à la paroisse. On allait leur assurer la sécurité d’après les autorités. Quant aux réfugiés de CYANIKA, ils venaient de partout, de toutes les communes des alentours. Certains étaient arrivés de MURAMBI. La population était accompagnée de leur bourgmestre. Sans oublier SEBUHURA, omniprésent.

Le témoin, sur question du président, se défend d’avoir pu être un Interahamwe[7] puisqu’il était militaire. Le PSD avait sa propre milice, les Abakombozi qui chantaient les chants de leur parti et insultaient les membres du MRND. Parfois, ils criaient le slogan : « Tuez-les tous ! Tuez-les tous ! » Mais le témoin ne savait pas ce que cela voulait dire ! (NDR. Vraiment ? Qui peut le croire ? »

Des barrières avaient bien été installées dans les environs, dont une en face du bureau du sous-préfet. Mais le témoin n’y a jamais stationné. Il a entendu dire qu’on y avait tué des Tutsi. On y demandait bien les cartes d’identité : identifiés comme tels, les Tutsi étaient tués. Le témoin n’a vu qu’un cadavre à une barrière, celui d’un certain KABERA.

A la paroisse, les Tutsi n’avaient ni à manger, ni à boire après la coupure de l’eau. On avait mangé leurs vaches. C’est le sous-préfet qui a fait couper l’eau, à GASURA. Le témoin l’a vu. Mais c’est NZIRAGUMA qui a fait arrêter la pompe.

Le 16 avril, le témoin redit avoir vu le sous-préfet arriver de GIKONGORO dans sa voiture, une Samouraï blanche. C’est à ce moment qu’il a dit à RUBERA, en pointant le canon de son arme sur sa tempe : « Vous, les lâches, les chiens, qui vous a dit de garder les vaches des Tutsi ? »

Le 17, nouveau rassemblement à l’initiative du conseiller MUNYANKINDI qui avait distribué des sifflets à des « voyous », signal donné pour attaquer les Tutsi de CYANIKA. Le témoin avoue avoir lancé la grenade : ordre était donné de « découper » les Tutsi qui sortiraient des bâtiments. Les gens ont eu peur et se sont enfuis en courant. De préciser ensuite, mais était-ce nécessaire, qu’aucune arrestation n’a eu lieu, les autorités étant présentes sur les lieux.

En ce qui concerne les gendarmes, avant le 21, aux dires du témoin, seuls trois montaient la garde, non pas pour protéger les réfugiés mais pour empêcher de leur livrer de la nourriture.

Monsieur le président fait remarquer au témoin que, devant les enquêteurs français, il n’a jamais parlé de l’attaque à la grenade. « C’est bien moi qui l’ai lancée » dira-t-il, confirmant ce que Kizito KAREKEZI avait dit. Occasion est donnée au témoin de parler de la famille KAREKEZI : « Les enfants KAREKEZI ont fui au Congo avec leurs parents. Quand ils sont rentrés d’exil, Kizito a été arrêté, ainsi que son père qui n’était pas en bonne santé. Ce dernier sera libéré et mourra peu après. Quant à Kizito, il a été condamné, puis acquitté en appel. Il a fui et a été condamné par défaut. (NDR. Le témoin Kizito KAREKEZI a longuement parlé de sa saga judiciaire dans sa déposition de la veille.)

Etienne URINZWENIMANA s’étonne que les enfants de chez KAREKEZI aient pu posséder des grenades : ils les avaient probablement obtenues du colonel SIMBA. Il redit, sur question du président : « La grenade, je l’ai lancée par-dessus le mur et nous avons couru. Le sous-préfet est parti pour aller chercher des renforts car les gens de CYANIKA avaient eu peur et avaient fui. Personnellement, je portais moi aussi des feuilles de caféier pour qu’on ne s’entretue pas lors de l’attaque. C’est la consigne que nous avions reçue. »

Ce jour-là, de très nombreux Tutsi ont été tués. Le témoin avance le chiffre de 50 000. Des réfugiés, il y en avait partout. Le Centre de santé a été pillé et détruit. Quant au père NIYOMUGABO, il était caché dans la pharmacie et il est mort après l’ensevelissement des corps. Le préfet aurait envoyé un engin du MINITRAPE[8]. Le témoin se souvient de l’existence de quatre fosses. C’est un camion-benne qui amenait les corps et les déversait dans ces fosses. Des policiers communaux étaient là, ainsi que des prisonniers accompagnés de leurs surveillants.

Les massacres ne sont pas arrêtés le 21. « On tuait ceux qui sortaient de leurs cachettes. Comme on avait annoncé une accalmie, les Tutsi sont sortis et ont été tués. Tout cela sur les ordres du sous-préfet » ajoute le témoin.

L’assesseur 1 s’étonne que le témoin n’ait eu que 14 ans lorsqu’il est entré à l’armée. Peut-être s’est -il trompé sur sa date de naissance?

Maître GISAGARA reviendra assez longuement sur ce point lorsqu’il posera des questions à son tour. Il veut savoir aussi si le témoin se sent libre de témoigner aujourd’hui.

Etienne URINZWENIMANA : J’ai été jugé selon la loi rwandaise. On a comparu d’abord pour les tueries, puis pour le vol des vaches. Quant aux massacres, ils ont continué jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi[9]. On a continué à tuer jusqu’au bout sur ordre des autorités. Le préfet ne pouvait que savoir, il était le supérieur des sous-préfets. Personnellement, j’ai manqué de sagesse en participant aux massacres.

Sur questions de maître KARONGOZI, le témoin précise que les membres de la famille KAREKEZI ont bien participé au génocide. C’est un des fils qui portait des grenades à la ceinture. Quant au sous-préfet, il a écopé d’une « peine spéciale » pour avoir préparé le génocide.

Le ministère public : L’accalmie annoncée, c’était un piège ?

Le témoin : On disait que c’était la « pacification ».

Le ministère public : Les gendarmes français vous ont demandé pourquoi on avait tué les femmes, les enfants. Vous avez répondu que c’était parce qu’ils étaient simplement des Tutsi, qu’ils étaient tous considérés comme des Inkotanyi, que vous vous êtes senti obligé de tuer et qu’on vous avait éduqué à détester les Tutsi. Vous confirmez? Mais qui est ce « on » ?

Le témoin : Je confirme ce que j’ai dit. Même à l’école on séparait les Hutu et les Tutsi. Dans la vie courante, Hutu et Tutsi ne s’entendaient pas. Il manquait une étincelle. Personnellement, je n’ai pas entendu le discours du président SINDIKUBWABO[10]. Les attaques à la grenade avaient pour objectif de voir si la population de KARAMA avait la faculté de tuer les Tutsi sans besoin d’aide. Je confirme que, vers midi, les gendarmes ont quitté CYANIKA pour KADUHA. Quant au bourgmestre NGEZAHAYO, je l’ai vu le soir des tueries, dans un bar.

Le ministère public : Vous avez dit aux enquêteurs que le soir du 21 vous avez rendu votre fusil. C’est que vous en aviez un ?

Le témoin : Je confirme que j’ai rendu au bourgmestre le fusil que je portais .

Maître BIJU-DUVAL va clôturer la série des questions. Le témoin va tenter de répondre.

Le témoin : Concernant ma date de naissance, après le génocide, on donnait la date qui convenait à notre situation. J’ai plaidé coupable pour avoir lancé la grenade et pour avoir participé au génocide. Si je n’ai pas parlé de la grenade aux enquêteurs français, c’est tout simplement parce qu’on ne m’a pas posé la question. J’avais une arme, je le reconnais, mais elle n’était plus en état de fonctionnement. J’aurais dit que j’ai tiré sur les fuyards, sur la foule jusqu’à midi ? Il est possible qu’on m’ait prêté des propos que n’ai pas tenus.

Maître BIJU-DUVAL s’exclame : Mais comment voulez-vous qu’on vous croie ?

Le témoin : Est-ce que les enquêteurs parlaient le Kinyarwanda ? L’interprète ? Je n’avais pas confiance en lui.

Maître BIJU-DUVAL : l’interprète a pourtant relu votre déposition ?

Le témoin : Je ne m’en souviens pas.

Le ministère public porte à la connaissance des parties qu’il a fait verser au dossier une déposition de madame Alison DESFORGES datée de 2005.

 

Audition de monsieur Azarias NZUNGIZE, détenu, en visioconférence du Rwanda.

Déclaration spontanée :

Azarias NZUNGIZE : Ce que j’aurai à dire à la Cour, c’est que je parlerai des choses en rapport avec l’endroit où j’habitais à CYANIKA. Quand le génocide a commencé à CYANIKA, la population Tutsi avait fui à la paroisse. Ils ont commencé à y aller petit à petit, et à un certain moment les Tutsi qui avait trouvé refuge à la paroisse de CYANIKA ont été tués. L’attaque exterminatrice a eu lieu le 21 avril. Les attaquants était venus de MUDASOMWA, GIKONGORO, et il y avait des gendarmes et des Interahamwe[11] venus de partout. Les Tutsi qui ont été tués à cette paroisse était nombreux, ils ont donc été tués le 21 et le 22 avril, nous avons essayé de les enterrer. Pour le faire, nous avons été aidés par des prisonniers de la prison de GIKONGORO. Je pense que c’est cela que j’avais à dire.

Fosse commune creusée à Cyanika à l’aide d’un Caterpillar.

 

Président : Revenons sur votre situation, sur vos fonctions en avril 1994. Quelles étaient exactement vos fonctions ?

Azarias NZUNGIZE : Je venais de commencer mes activités professionnelles en 1993. J’ai commencé comme secrétaire du sous-préfet. J’étais chargé de l’enregistrement du courrier. J’avais commencé à travailler à KIGALI, au Ministère de la Fonction Publique, puis j’ai été muté à KARABA. Je ne sais pas pourquoi on a fait cette mutation. J’avais commencé à travailler en juin 1992 et en décembre de la même année, j’ai été envoyé à KARABA.

Président : Je me trompe où vous êtes né à KINYAMAKARA ?

Azarias NZUNGIZE : Non, c’est le cas.

Président : Donc, quand vous êtes venu exercer les fonctions de secrétaire auprès du sous-préfet, vous êtes revenu dans votre région de naissance ou pas ?

Azarias NZUNGIZE : KINYAMAKARA était une des communes qui composait la sous-préfecture de KARABA, cela veut dire que je revenais dans ma région natale. Mais, entre les deux endroits, il y a une distance de plusieurs kilomètres. Je ne pouvais donc pas rentrer tous les jours.

Président : Mais vous connaissez bien cette région, vous y avez fait vos études ?

Azarias NZUNGIZE : j’ai fréquenté l’école primaire de KINYAMAKARA, le secondaire à KIGALI, puis j’ai terminé mes études au collège St Wenceslas à GISENYI, à NYUNDO.

Président : Donc, peut-on dire que vous connaissiez bien votre région, la région de la sous-préfecture de KARABA ?

Azarias NZUNGIZE : Je n’y ai pas vécu beaucoup.

Président : Avez-vous, à un moment de votre carrière, travaillé auprès du préfet Laurent BUCYIBARUTA ?

Azarias NZUNGIZE : Non, on n’a jamais travaillé ensemble, lui, il travaillait à la préfecture, il ne me connaissait pas bien.

Président : Vous, vous aviez l’occasion de le rencontrer ?

Azarias NZUNGIZE : Nous ne nous sommes jamais rencontrés, sauf quand j’allais à la préfecture et que je le voyais en tant que préfet ou quand je lui répondais au téléphone quand il voulait parler au sous-préfet.

Président : Quelle était la réputation, le comportement de Laurent BUCYIBARUTA avant le génocide ?

Azarias NZUNGIZE : Je n’ai pas eu vent d’un mauvais comportement de sa part.

Président : Au sein de la sous-préfecture, vous nous avez dit que vous étiez le secrétaire. Vous étiez le seul ou il y en avait plusieurs ?

Azarias NZUNGIZE : Il y avait d’autres secrétaires et des dactylographes.

Président : Combien de secrétaires ?

Azarias NZUNGIZE : Il y avait deux dactylographes, et moi j’étais secrétaire en chef.

Président : Donc, à la sous-préfecture, vous étiez secrétaire en chef et en-dessous il y avait  deux dactylographes ?

Azarias NZUNGIZE : Oui.

Président : Pouvez-vous nous expliquer? Vous avez dit que vous vous occupiez de recevoir et d’enregistrer le courrier qui arrivait et repartait de la sous-préfecture ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, c’est cela.

Président : Quand il y avait un rapport adressé par le sous-préfet au préfet, est-ce que vous l’enregistriez ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, sauf les rapports estampillés confidentiels.

Président : Il y avait souvent des rapports confidentiels ?

Azarias NZUNGIZE : Non, très peu.

Président : Que pouvez-vous nous dire du sous-préfet, était-il en fonction à KARABA depuis longtemps ?

Azarias NZUNGIZE : Je pense qu’il n’y était pas depuis longtemps, il venait en remplacement de GAYISABA Pascal.

Président : Qu’est-il devenu ?

Azarias NZUNGIZE : Je crois qu’il est allé travailler au ministère, c’est là qu’il a été muté.

Président : Le sous-préfet faisait-il partie d’un parti politique ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, il était membre du MRND[12].

Président : Est-ce qu’il y avait un responsable local du MRND ?

Azarias NZUNGIZE : Dans la commune de KARAMA, je crois qu’il y en avait un qui s’appelait Gaspard.

Président : Et vous, vous faisiez partie d’un parti politique ?

Azarias NZUNGIZE : Non.

Président : Que pouvez-vous nous dire des relations entre le sous-préfet et le préfet, ils se voyaient souvent ou pas ?

Azarias NZUNGIZE : Le préfet ne venait pas le voir à KARABA, c’est quand le sous-préfet allait à GIKONGORO qu’ils se voyaient.

Président : À quelle fréquence le sous-préfet allait-il à GIKONGORO ?

Azarias NZUNGIZE : Il y allait souvent, car c’est là c’est là qu’ils s’approvisionnait en carburant pour la voiture.

Président : Souvent, ça veut dire quoi ?

Azarias NZUNGIZE : Je dirai environ trois fois par semaine.

Président : En dehors des visites personnelles et des rapports adressés par courrier, est-ce qu’il y avait d’autres moyens de communication entre le préfet et le sous-préfet ?

Azarias NZUNGIZE : Sauf alors s’ils s’entretenaient par téléphone, à ce moment-là il y avait le téléphone. Ça pouvait être le téléphone à la résidence ou au bureau.

Président : De ce que vous savez, est-ce qu’il y avait des coups de téléphone tous les jours ?

Azarias NZUNGIZE : Je ne peux pas le savoir.

Président : Est-ce que le téléphone a fonctionné pendant la période du génocide ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, il fonctionnait mais à un certain moment il s’est arrêté, ça n’a plus fonctionné.

Président : A quel moment ?

Azarias NZUNGIZE : En avril, le téléphone fonctionnait, mais au début du mois de mai on les avait enlevés. Après, on les a remis.

Président :  Mis à part une période au mois de mai, le téléphone a toujours fonctionné ?

Azarias NZUNGIZE : Quand il n’était pas en panne il fonctionnait.

Président : il était en panne souvent ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, quand la pluie tombait, ça tombait en panne.

Président : Vous avez parlé d’une attaque qui a eu lieu le 21 avril, est-ce que vous vous souvenez si avant ou après le téléphone fonctionnait ?

Azarias NZUNGIZE : Il fonctionnait même le jour du 21 oui, je m’en souviens très bien.

Président : Vous savez si le sous-préfet a téléphoné au préfet à ce moment-là ?

Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas s’il a téléphoné.

Président : Est-ce que vous avez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA à la sous-préfecture de KARABA ?

Azarias NZUNGIZE : Depuis mon arrivée en 1993, il n’est jamais venu, je ne l’ai pas vu.

Président : Que pouvez vous nous dire des relations entre le sous préfet et le bourgmestre ?

Azarias NZUNGIZE : Il entretenait de bonnes relations avec ses bourgmestres, hormis celui de KARAMA.

Président : Combien de communes dépendait de la sous-préfecture ?

Azarias NZUNGIZE : La sous-préfecture de KARABA comptait trois communes : KINYAMAKARA, KARAMA et RUKONDO.

Président : Pourquoi le sous-préfet avait de mauvaises relations avec le bourgmestre de KARAMA ?

Azarias NZUNGIZE : Quand je suis arrivé, ils ne s’entendaient déjà pas, je me suis informé et j’ai cru comprendre que c’était à cause des divergences de parti politique. L’un membre du PSD et l’autre du MRND, les idéologies divergeaient.

Président : Les autres bourgmestres étaient des bourgmestres du MRND ?

Azarias NZUNGIZE : Je ne me rappelle pas du parti de celui de RUKONDO, je pense que celui de KINYAMAKARA était membre du MDR[13].

Président : De quelle tendance ?  Avez-vous entendu parler du MDR-POWER[14] ?

Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas, oui j’en ai entendu parler surtout du côté de KIGALI.

Président : Avant le 6 avril 1994, est-ce qu’il y avait des problèmes particuliers enter Tutsi et Hutu ?

Azarias NZUNGIZE : Il n’y en avait pas.

Président : Vous même vous êtes Hutu ou Tutsi ?

Azarias NZUNGIZE : Je suis Hutu.

Président : Est-ce qu’il y avait des bourgmestres Tutsi ?

Azarias NZUNGIZE : Je n’ai pas de connaissance à ce sujet, en tout cas, à KARABA, il n’y en avait pas.

Président : Est-ce que parmi le personnel de la préfecture, certains étaient Tutsi ?

Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas bien, mais il avait une des secrétaires qui avait épousé un Tutsi.

Président : Cette secrétaire, est-ce qu’elle s’appelait BERNADETTE ?

Azarias NZUNGIZE : C’est elle, je constate que vous la connaissez.

Président (sourit) : Non, je n’ai pas cet honneur. Qui était BERNADETTE ?

Azarias NZUNGIZE : Au travail, elle était secrétaire dactylographe. Elle était l’épouse du chauffeur du préfet.

Président : Qui s’appelait ?

Azarias NZUNGIZE : Il s’appelait GATABARWA Aloys.

Président : Qu’est-il devenu ?

Azarias NZUNGIZE : Il a survécu au génocide et après il est mort de maladie.

Président : Lui, il était Tutsi ?

Azarias NZUNGIZE : C’est ce qu’on disait.

Président : Et son épouse, la dactylo, elle était Tutsi ou Hutu ?

Azarias NZUNGIZE : On disait qu’elle était Hutu.

Président : En dehors d’elle, qui était Tutsi parmi les fonctionnaires de la sous-préfecture ?

Azarias NZUNGIZE : Je n’en connais pas, je pense qu’il n’y en avait pas d’autres.

Président : Oui, mais Bernadette, elle état Hutu pas Tutsi ?

Azarias NZUNGIZE : Elle avait épousé un Tutsi.

Président : Est-ce qu’il y avait des fonctionnaires Tutsi ?

Azarias NZUNGIZE : Il y en avait dans des services variés.

Président : Le 6 avril, vous êtes au travail, comment apprenez-vous la mort de Juvénal HABYARIMANA ?

Azarias NZUNGIZE : Nous avons entendu cela à la radio, on a dit que les gens devaient rester chez eux, on avait dit que personne ne devait sortir. Après deux jours, voyant que personne ne sortait, j’ai décidé de rentrer chez moi à KINYAMAKARA. Le 6, j’étais à KARABA. Je suis rentré chez moi après quelques jours et je suis finalement revenu le 10.

Président : Quand vous dites que vous êtes à KARABA, vous êtes à KARABA même ou à CYANIKA ?

Azarias NZUNGIZE : Entre la sous-préfecture de KARABA et la paroisse, il y a quelque chose comme 500 mètres, en tout cas, moins d’un kilomètre.

Président : Donc 500 mètres entre la sous-préfecture et la paroisse ?

Azarias NZUNGIZE : Entre 500 mètres et un kilomètre.

Président : Quand vous étiez à KARABA, vous logiez dans la préfecture ? Dans la sous-préfecture ?

Azarias NZUNGIZE : Je logeais dans la maison de ce GATABARWA dont nous parlions. Le 17 avril, cette maison a été détruite et on m’a dit que je devais quitter la maison des Tutsi. J’ai quitté cette maison pour occuper une pièce de la sous-préfecture. J’ai pris une pièce des bureaux qui n’était pas utilisée et c’est dans cette pièce que j’ai logé.

Président : Donc, vous étiez dans la maison du chauffeur du préfet Laurent BUCYIBARUTA ?

Azarias NZUNGIZE : Oui.

Président : Et cette maison a été brûlée ?

Azarias NZUNGIZE : C’était une maison dont le toit était fait en tôle, on a enlevé les tôles, on a enlevé son toit.

Président : On l’a brûlée ou on l’a détruite ?

Azarias NZUNGIZE : On l’a détruite.

Président : Vous êtes donc parti à KINYAMAKARA au bout de deux jours, c’est cela ?

Azarias NZUNGIZE : Oui.

Président : Quelle était la situation à ce moment-là ?

Azarias NZUNGIZE : il y avait un mauvais climat. Moi-même, tout au long de la route, on me demandait ma carte d’identité[15]. J’ai continué à me déplacer et, au retour, ce fut la même chose. J’ai décidé de rester sur place pour éviter de rencontrer d’autres problèmes parce que je n’étais pas connu dans cette région.

Président : donc, sur la route entre la sous-préfecture et KINYAMAKARA, vous avez vu des barrières ?

Azarias NZUNGIZE : non, c’étaient seulement les gens qui étaient là et qui demandaient des documents d’identité à toute personne qui leur était inconnue.

Président : ils arrêtaient tout le monde sur la route ?

Azarias NZUNGIZE : ils ciblaient ceux qu’ils ne connaissaient pas et qu’ils soupçonnaient.

Président : c’étaient des groupes de personnes, des civils, des gens qui dépendaient de la commune ? Qui étaient ces gens ?

Azarias NZUNGIZE: rien de spécial, c’étaient des jeunes gens.

Président : qui leur avait demandé d’être là ?

Azarias NZUNGIZE : personne ne leur avait donné cette tâche, ils le faisaient d’eux-mêmes.

Président : selon vous, il n’y a jamais eu d’instructions officielles pour demander aux gens de procéder à ces contrôles ?

Azarias NZUNGIZE : ça, c’est arrivé plus tard, vers le mois de juin, lorsque les Inkotanyi[16] approchaient et qu’ils étaient arrivés au niveau de NYANZA.  Là, on a dit qu’il fallait regarder les documents d’identité pour éviter les infiltrations.

Président : est-ce qu’il y avait des rondes organisées ?

Azarias NZUNGIZE : il y en a eu.

Président : qui les organisait et pourquoi ?

Azarias NZUNGIZE : ce sont les conseillers qui les planifiaient

Président : les conseillers de secteur ?

Azarias NZUNGIZE : oui

Président : est-ce qu’ils avaient eux-mêmes reçu des instructions en ce sens ?

Azarias NZUNGIZE : ils avaient reçu des instructions pour mettre en place cela, ils n’auraient pas pu le faire de leur propre initiative.

Président : qui avait donné les instructions ?

Azarias NZUNGIZE : ils les recevaient des bourgmestres qui eux aussi les avaient eues de quelque part

Président : d’où ?

Azarias NZUNGIZE: silence.

Président : est-ce que les instructions venaient de la sous-préfecture ?

Azarias NZUNGIZE : quand ils allaient à des réunions

Président : qu’est-ce qui se passait pendant les réunions ?

Azarias NZUNGIZE: à ce moment-là, il n’y en avait pas eu beaucoup, mais par exemple pendant les réunions de sécurité, c’est de là que venaient les instructions

Président : pouvez-vous nous dire quand il y a-t-il eu une réunion de sécurité ?

Azarias NZUNGIZE : elle a eu lieu en mai ou alors à la fin du mois d’avril. Après celle-là, on m’a demandé de mettre sur pied les rondes.

Président : quel était l’objectif des rondes ?

Azarias NZUNGIZE : c’était pour voir s’il n’y avait pas des infiltrations.

Président : comment savait-on si quelqu’un était infiltré ou pas ?

Azarias NZUNGIZE : il y avait beaucoup de rumeurs qui circulaient, on disait que les Inkotanyi étaient entrés.

Président : est-ce qu’on vérifiait si les personnes étaient Tutsi ? Et si c’était le cas, étaient-elles considérées comme un infiltré, un ennemi ?

Azarias NZUNGIZE : de temps en temps, on qualifiait les Tutsi de complices.

Président : est-ce que lors de ces contrôles d’identité, des Tutsi étaient battus ou tués justement parce qu’ils étaient Tutsi ?

Azarias NZUNGIZE: certains on les frappait, je n’ai pas vu quelqu’un qui en était mort.

Président : mais vous avez vu des gens qui ont été frappés ?

Azarias NZUNGIZE : comme beaucoup de Tutsi avaient fui et que d’autres étaient morts, les barrières ont été installées par après.

Président : quand a-t-on installé les barrières ?

Azarias NZUNGIZE : dans le courant du mois de mai.

Président : il n’y en a pas eu en avril ?

Azarias NZUNGIZE: non pas en avril.

Président : avez-vous entendu des véhicules équipés de mégaphones qui servaient à diffuser des messages à la population ?

Azarias NZUNGIZE : non, il n’y en avait pas.

Président : est-ce qu’avant la grande attaque du 21 avril il y a eu d’autres attaques ? Vous parliez de la maison du chauffeur qui a été détruite.

Azarias NZUNGIZE :  cette maison, c’était le 17. A cette date, il y a eu une attaque, les gens sont allés lancer une grenade chez les réfugiés, à l’intérieur de la cour, chez le prêtre.

Président : savez-vous qui a jeté la grenade et pourquoi ?

Azarias NZUNGIZE : j’ai entendu dire que c’est KAZUNGU[17] et il l’a reconnu lors de son procès.

Président : savez-vous comment il l’a obtenue ?

Azarias NZUNGIZE: je ne sais pas.

Président : savez-vous si KAZUNGU avait été militaire ?

Azarias NZUNGIZE : j’ai entendu dire qu’il était soit militaire, soit policier.

Président : à la suite de cette attaque, des gens sont-ils arrêtés ?

Azarias NZUNGIZE: rien n’a été fait.

Président : pourquoi ?

Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas, il y avait un mauvais climat, des gens faisaient des choses qui n’étaient pas sanctionnées. Je pense que c’est cela qui a fait que le génocide a eu lieu.

Président : est-ce que dans la sous-préfecture il y avait un juge ? Un procureur ? Une juridiction quelconque ?

Azarias NZUNGIZE : dans les sous-préfectures, il y avait des IPJ (instructeurs de police judiciaire).

Président : combien ?

Azarias NZUNGIZE : j’en connaissais un de KARAMA.

Président : il travaillait à ce moment-là ?

Azarias NZUNGIZE : je pense qu’il était originaire de BUTARE, qu’il était parti en congé mais par après il est revenu.

Président : en congé au moment du génocide ?

Azarias NZUNGIZE : il est parti pour les vacances de Pâques et est revenu après.

Président : vous-mêmes, vous êtes parti, puis revenu. Avez-vous travaillé à la sous-préfecture pendant tout le génocide ?

Azarias NZUNGIZE : il n’y avait pas beaucoup de travail. J’habitais là, j’y habitais mais il n’y avait pas de travail.

Président : en ce qui concerne les réfugiés, y a-t-il eu des rapports faits à la préfecture ? Au ministère ?

Azarias NZUNGIZE : je pense qu’à leur arrivée nous avons recensé les réfugiés. Le curé, en collaboration avec le bourgmestre de KARAMA essayaient de leur trouver des aides. Je pense qu’on les a recensés dans le but de leur chercher des aides et de la nourriture

Président : la préfecture a-t-elle adressé des rapports pour demander de l’aide ? Des gendarmes ? De quoi vous souvenez-vous ?

Azarias NZUNGIZE: le sous-préfet n’a rien fait par rapport à ces statistiques, c’est le bourgmestre qui l’a fait en collaboration avec le prêtre: il a dressé ce rapport. Après, il y a eu d’autres instructions quand les réfugiés ont voulu rejoindre la population car ils avaient des problèmes de vivres et donc ils voulaient rentrer chez eux. Tout le monde voyait qu’il allait y avoir des conflits avec les gens restés là-bas. On les a empêchés de retourner au sein de la population. On y a envoyé les gendarmes pour assurer leur sécurité. Je ne sais pas qui avait demandé ces gendarmes, mais je les ai vus venir.

Président : selon vous, le rôle de ces gendarmes c’était que les réfugiés ne quittent pas la paroisse ou c’était autre chose ?

Azarias NZUNGIZE : on disait que c’était pour assurer leur sécurité.

Président : les réfugiés pouvaient quitter la paroisse ou pas ?

Azarias NZUNGIZE: avant ils partaient. On pouvait même en voir qui partaient chez eux avec des gendarmes et ramenaient leurs effets sans problème. Après, on les a empêchés de partir pour des raisons de sécurité disaient-ils. Ils sont restés là et le 21 les choses ont changé. Sont arrivés plusieurs gendarmes. Je pense que les anciens sont partis et beaucoup d’autres gendarmes et des Interahamwe sont arrivés.

Président : ces gendarmes venaient d’où selon vous ?

Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas d’où ils venaient, c’était après l’attaque de MURAMBI. Ils sont venus nombreux avec les Interahamwe, il y avait beaucoup beaucoup de monde. Mais ceux qui étaient venus avant assurer la sécurité des Tutsi étaient venus du camp de gendarmerie.

Président : les premiers gendarmes étaient de GIKONGORO ?

Azarias NZUNGIZE : oui

Président : savez-vous si le sous-préfet avait des liens avec les responsables de la gendarmerie de GIKONGORO et si oui, avec qui ?

Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas car je vous ai dit que je ne savais pas qui du bourgmestre ou du sous-préfet avait fait venir les gendarmes.

Président : ce n’est pas ma question. Avez-vous vu des commandants de gendarmerie venir à CYANIKA ? Si oui, lesquels et étaient-ils en contact avec le sous-préfet ?

Azarias NZUNGIZE : je ne connaissais pas le commandant de la gendarmerie, à cause du peu de temps que je venais de passer là-bas. J’entendais parler de lui

Président : savez-vous s’il est venu à KARAMA ou à CYANIKA ?

Azarias NZUNGIZE : au mois de juin, on a commencé à parler de la défense civile et c’est là qu’on a beaucoup commencé à parler du Colonel SIMBA.

Président : il y a eu des personnes qui ont utilisé des armes traditionnelles, et des personnes qui ont utilisé des armes, fusils, grenades. Avez-vous été au courant de la présence d’armes apportées ou fournies aux personnes ayant attaqué les tutsi ?

Azarias NZUNGIZE: au RWANDA, chaque ménage avait une machette. En ce qui concerne les fusils, on a utilisé les fusils de policiers de la commune, les autres ont été distribués lors de la défense civile après que les civils eurent été tués.

Président : selon vous, avant le 21 avril, on n’a pas distribué d’armes aux personnes qui allaient procéder aux attaques ?

Azarias NZUNGIZE : sauf celles utilisées par les policiers communaux, je parle de la localité tout près de CYANIKA, je ne sais rien pour ailleurs.

Président : KAZUNGU, il était policier communal ?

Azarias NZUNGIZE : on s’était servi de lui pour qu’il aide à garder le grenier de la paroisse et c’est là qu’il a rencontré le policier communal. C’est ainsi qu’il est devenu finalement policier communal.

Président : il est devenu policier ?

Azarias NZUNGIZE: il est devenu policier car on lui avait donné l’arme d’un policier.

Président : on lui a donné une arme pour garder le silo ou tuer des Tutsi ?

Azarias NZUNGIZE : on lui avait donné l’arme pour garder le silo mais je ne sais pas s’il l’a utilisée pour tuer des Tutsi

Président : le sous-préfet avait une arme ?

Azarias NZUNGIZE : je pense qu’il avait un pistolet.

Président : il avait tout le temps un pistolet ?

Azarias NZUNGIZE: non, il arrivait qu’il ne l’ait pas sur lui.

Président : mais le plus souvent il l’avait ou non ?

Azarias NZUNGIZE : pas souvent.

Président : après le 17 avril, il y a eu l’attaque du 21 avril. Il y a eu d’autres attaques entre le 17 et le 21 ou pas du tout ?

Azarias NZUNGIZE : à ma connaissance, entre le 17 et le 21 il n’y a pas eu d’attaques.

Président : je reviens aux armes, vous avez été entendu par les gendarmes français en 2014 et vous avez dit à ce sujet – D10598/5 :

Question: des armes auraient été livrées, peut-être par le colonel SIMBA chargé de la défense civile, à la jeunesse de KARABA, avant ou pendant le génocide. Est-ce exact?

Votre réponse: Oui, c’est vrai. Des armes ont été livrées pendant le génocide mais pas avant. C’était en juin 1994 je crois. Des fusils Kalachnikov ont été livrés à RUKONDO et à KINYAMAKARA, pas à KARAMA. Je n’en connais pas la quantité exacte. Ce sont des militaires qui ont donné ces armes. Je ne connais pas l’autorité militaire qui a ordonné ces remises mais il est tout à fait possible que ce soit sur les ordres du colonel SIMBA Aloys alors chargé de la défense civile su la préfecture de GIKONGORO. Ces armes ont été données aux bourgmestres pour remise aux policiers ou aux villageois.

Ça correspond à vos souvenirs ?

Azarias NZUNGIZE : j’ai moi-même dit que ça a été distribué dans chaque commune en juin.

Président continue la lecture – D10598/5 : il est question d’un courrier émanant du bourgmestre de RUKONDO qui informait le sous-préfet de la mise en place du comité de défense civile sur son ressort et en listait les membres. Le but de ces comités de défense civile était d’assurer la sécurité sur les communes et de lutter contre les tentatives d’infiltration du FPR. Des rondes armées étaient organisées. Les villageois de la défense civile étaient surtout munis d’armes traditionnelles car les Kalachnikov étaient trop peu nombreuses.

Azarias NZUNGIZE : je m’en souviens, j’ai vu cette lettre du bourgmestre de RUKONDO, il était au comité d’autodéfense civile de la commune.

Président : à cette époque, il restait encore des Tutsi dans la sous-préfecture de KARABA ? Ils ont tous été tués ou d’autres étaient en fuite ?

Azarias NZUNGIZE : à ce moment-là, ils étaient morts et d’autres avaient fui. Mais certains étaient encore là puisqu’à un moment il y a eu l’instruction d’arrêter les massacres

Président : et les massacres ont arrêté ?

Azarias NZUNGIZE : ça s’est arrêté mais à certains endroits, mais des gens n’écoutaient pas et des malchanceux étaient tués

Président : les auteurs de ces meurtres étaient poursuivis ?

Azarias NZUNGIZE : ils n’étaient pas poursuivis mais à ce moment-là la population avait vu qu’il ne fallait pas continuer à tuer ces gens qui avaient survécu. La population se battait contre ceux-là qui voulaient continuer à tuer des gens. Sinon, les autorités dont nous avons parlé, ces instances-là ne fonctionnaient pas.

Président : la population se battait contre ceux qui voulaient continuer à tuer les Tutsi ?

Azarias NZUNGIZE: oui, ces Interahamwe-là qui voulaient continuer à tuer ces Tutsi alors qu’il y avait des instructions de ne pas les tuer

Président : d’accord, mais vous avez dit que la population luttait contre ceux qui voulaient tuer les Tutsi ? J’ai bien compris ?

Azarias NZUNGIZE : les tueurs n’étaient pas nombreux.

Président : où étiez-vous le 21 avril 1994 ?

Azarias NZUNGIZE: j’étais à KARABA.

Président : qu’est-ce que vous avez vu ?

Azarias NZUNGIZE : j’étais tout près de la route. Alors le matin vers 6h, j’ai vu beaucoup de gens, des jeunes gens qui provenaient de MURAMBI et qui étaient en train de fuir. Il y en a qui venaient dans des véhicules. Ils sont arrivés à CYANIKA. D’autres venaient de MURAMBI et continuaient en direction de NYANZA.  Ceux qui étaient dans les véhicules étaient des Interahamwe, des tueurs.

Président : comment savez-vous que les gens venaient de MURAMBI ?

Azarias NZUNGIZE: je l’ai su car certains, je les ai vus, je les ai reconnus. Trois se sont cachés dans la sous-préfecture. Après les attaques de CYANIKA, les gens sont partis après avoir pillé des choses. Certains transportaient des chaises. Quant aux jeunes gens, je leur ai dit de prendre eux aussi des chaises et de partir avec ceux qui venaient de piller puisque personne ne se préoccupait plus de personne. Ils sont partis avec eux, ils ont fui.

Président : la nuit, vous avez entendu des bruits qui venaient de MURAMBI, des explosions, des bruits d’arme ?

Azarias NZUNGIZE : dès l’aube, on n’entendait pas beaucoup mais on entendait quelque chose.

Président : vous entendiez des bruits ?

Azarias NZUNGIZE : oui

Président : et des coups de sifflet ?

Azarias NZUNGIZE : le son du bruit du sifflet ne peut pas arriver là.

Président : je ne parle pas à MURAMBI mais à KARABA ou CYANIKA ?

Azarias NZUNGIZE : oui, des coups de sifflet ont été donnés après qu’on eut tiré. Des jeunes gens aux aguets sont arrivés dès qu’ils ont entendu les coups de sifflet.

Président : comment étaient-ils habillés ?

Azarias NZUNGIZE : ceux qui sont passés par la route pour monter à la paroisse portaient des habits civils ordinaires, des serre-têtes et des machettes.

Président : certains étaient habillés avec des feuilles ?

Azarias NZUNGIZE: je n’en ai pas vu

Président : et vous, où êtes-vous, que faites-vous ?

Azarias NZUNGIZE : j’étais assis tout près de là, près de la route

Président : vous y êtes allé ?

Azarias NZUNGIZE : je n’y suis pas allé.

Président : c’était un risque de ne pas y aller, il y avait un risque de ne pas être allé à l’attaque ?

Azarias NZUNGIZE : ils ne pouvaient pas savoir qui y était allé ou pas allé, c’était la zizanie.

Président : le sous-préfet était où ?

Azarias NZUNGIZE: un court moment, le sous-préfet est passé par le bureau, il a pris la voiture et est parti en direction de RUKONDO et MUKO.

Président : qu’est-il allé faire là-bas ?

Azarias NZUNGIZE : je l’ai vu revenir. Il suivait  la voiture de la commune de RUKONDO, ainsi que la population et les policiers. Ils sont montés en direction de la paroisse.

Président : selon vous, le sous-préfet a pris la voiture pour aller chercher des assaillants ?

Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas mais la voiture est revenue avec des gens à son bord, et il les a déposés à la paroisse.

Président : à votre avis, pourquoi y sont-ils allés ? Pour aller à la messe ?

Azarias NZUNGIZE : non, ils y allaient tuer des gens, ils faisaient beaucoup de bruit, ils criaient.

Président : vous entendiez « Exterminons-les » ?

Azarias NZUNGIZE : je ne sais pas mais de toute façon, quoi qu’il en soit, ils allaient attaquer.

Président : que pouvez-vous nous dire sur le fonctionnement du centre de santé de CYANIKA ?

Azarias NZUNGIZE: vous parlez de quelle période ?

Président : du génocide et juste avant.

Azarias NZUNGIZE: à ce moment-là, le Centre de santé fonctionnait, le personnel soignant pensait même les plaies des personnes blessées qui y allaient. Le 21, lorsque la paroisse a été pillée, le Centre de santé non plus n’a pas été épargné, lui aussi a été pillé.

Président : une partie du personnel était déjà partie avant le 21 ?

Azarias NZUNGIZE : certains étaient partis le 17, certains étaient partis accompagnant les blessés vers l’hôpital de BUTARE. Ils ne sont pas revenus.

Président : combien de prêtres/religieux à la paroisse ?

Azarias NZUNGIZE : je ne me rappelle pas bien mais je pense qu’il y en avait trois.

Président : trois prêtres ?

Azarias NZUNGIZE : je me souviens du prêtre NIYOMUGABO et les autres étaient des grands séminaristes.

Président : que s’est-il passé avec eux ?

Azarias NZUNGIZE: l’information que j’ai est que l’abbé NIYOMUGABO a été tué par les gens qui enterraient les victimes.

Président : il y avait des religieuses ?

Azarias NZUNGIZE : il y avait une religieuse, sœur JOSÉE, partie le 17.

Président : il n’y avait qu’une seule sœur ?

Azarias NZUNGIZE: je ne sais pas ce qui s’est passé pour les autres ; celle-là travaillait au Centre de santé, titulaire, responsable de ce Centre de santé.

Président : l’ensevelissement des corps, on a compris que des engins sont venus, que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Azarias NZUNGIZE : je pense qu’est arrivé un engin ainsi qu’un camion du MINITRAPE[18] qui venait en transportant les prisonniers. Je ne sais pas qui l’a fait venir mais je pense que c’était le bourgmestre puisqu’il n’a pas réussi à obtenir l’aide de la population. Ils disaient que les corps étaient nombreux. C’est ainsi qu’il a eu recours à ces prisonniers, ainsi que ce Caterpillar qui est venu creuser. Je ne sais pas qui l’avait envoyé.

Président : en ce qui vous concerne, est-il exact que des témoins vous ont accusé d’avoir participé au génocide ? Est-ce pour cette raison que vous avez été condamné ?

Azarias NZUNGIZE : quels témoins ?

Président : vous savez sûrement mieux que moi.

Azarias NZUNGIZE : Dans un premier temps, lorsque j’ai été jugé, c’était devant un tribunal ordinaire et lors du procès, j’étais avec ce témoin MUHARI en 1998 dans l’affaire du sous-préfet NTEGEYINTWALI Joseph. Mais ceux qui m’ont accusé n’ont rien dit à ce moment-là. Il y a eu un appel et là ils ont dit qu’ils étaient avec moi. Au premier degré, j’étais avec eux et ils n’ont rien dit et au degré de l’appel, ils ont dit que j’étais avec eux mais uniquement à la barrière. C’était devant la Gacaca[19].

Président : en première instance, vous avez été condamné ou acquitté ?

Azarias NZUNGIZE : j’avais été acquitté.

Président : est-ce qu’un de vos accusateurs était le bourgmestre de KARAMA ?

Azarias NZUNGIZE : oui, lui uniquement.

Président : est-ce que le sous-préfet Joseph était jugé en même temps à ce moment ?

Azarias NZUNGIZE : il était là.

Président : pourquoi le bourgmestre vous a accusé ?

Azarias NZUNGIZE : c’est à cause de la maison, c’est lui qui a donné l’ordre de la détruire. Et quand je l’ai dit, il s’est fâché.

Président : donc c’était pour se venger ?

Azarias NZUNGIZE: c’est dans ce cadre-là.

Président : vous nous rappelez la durée de votre peine ?

Azarias NZUNGIZE : trente ans

Président : quand êtes-vous libérable ?

Azarias NZUNGIZE : dans le cadre du génocide, il n’existe pas de libération anticipée, il faut attendre la fin de l’exécution de la peine.

Président : Donc, en 2028 ?

Azarias NZUNGIZE : quelque part là mais il y a toujours un recours qui reste pendant. Lorsque j’ai démontré cette injustice, le service de l’ombudsman a demandé à la Cour suprême d’examiner ce cas. C’est là où le dossier est pendant et je pense que ça dort car ça fait longtemps.

Président : donc vous avez recours à un médiateur pour la révision de votre situation et vous attendez une réponse depuis plusieurs années?

Azarias NZUNGIZE : j’attends, ça se trouve toujours au niveau de la Cour suprême, j’ai introduit la demande en 2014.

Président : autre chose à ajouter, Monsieur ?

Azarias NZUNGIZE: il me reste à vous exprimer mes remerciements. Je ne sais pas ce qu’en dit mon collègue BUCYIBARUTA, il ne me reste plus qu’à lui souhaiter bonne chance.

QUESTIONS :

Juge assesseur 1 : Est-ce qu’il vous est arrivé d’aller voir les réfugiés à la paroisse ?

Azarias NZUNGIZE : Moi, je n’étais pas pourchassé, je pouvais y aller plusieurs fois. D’ailleurs, je suis allé voir ma collègue BERNADETTE car elle habitait tout près.

Juge assesseur 1 : Vous lui apportiez des choses ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, je lui apportais des choses, et les réfugiés pouvaient aussi me demander d’acheter des choses et j’y allais.

Juge assesseur 1 : Lors de votre audition vous dites que vous avez apporté une aide alimentaire à vos voisins. C’est à BERNADETTE ?

Azarias NZUNGIZE : C’était les réfugiés. Quant à BERNADETTE, j’y allais. Elle pouvait aussi m’appeler à la préfecture et je pouvais lui apporter ce qu’elle demandait. Je donnais aussi à manger aux réfugiés en cachette.

Juge assesseur 1 : D’autres personnes amenaient des choses aux réfugiés ?

Azarias NZUNGIZE : Chacun avait ses amis et essayait de trouver un ami pour demander d’apporter des choses.

Juge assesseur 1 : Y avait-il des organisations qui pouvaient apporter de l’aide ?

Azarias NZUNGIZE : Non, à part la CARITAS qui avait apporté des choses qui se trouvaient dans son grenier.

Juge assesseur 1 : Connaissez-vous la personne responsable de CARITAS ?

Azarias NZUNGIZE : La CARITAS était à la paroisse, donc ça devait être à la paroisse.

Juge assesseur 1: Donc, ça s’était au début. Et après, les gendarmes ont empêché les gens d’entrer car c’était trop compliqué avec les Hutu et les Tutsi, c’est ça ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, c’était ainsi.

Juge assesseur 1 : Quand vous avez été entendu par les gendarmes français en 2014/2015, tout à  la fin de votre interrogatoire, on vous demande si vous voulez ajouter quelque chose et vous avez dit que le préfet était menacé car il avait une femme Tutsi, qu’il aurait été attaqué par les Interahamwe selon la rumeur. Plus précisément, qu’elle était la rumeur ? Qui vous a dit des choses comme ça ?

Azarias NZUNGIZE : Souvent, j’entendais dire qu’il avait une femme Tutsi, mais moi je ne la connais pas. Le préfet pourrait le dire.

Juge assesseur 1 : Mais qui est ce « on » ? Les gens à la sous-préfecture ? Les gens avec qui on va boire des bières le soir ? Les gens de votre famille ?

Azarias NZUNGIZE : Ce sont les gens qui le disaient, que ce soit les bourgmestres, le sous-préfet, la population.

Juge assesseur 1 : Vous avez dit que vous étiez un « petit », que vous ne voyiez pas le préfet. Vous le croisiez juste à la préfecture, mais il y a trois minutes, vous l’avez appelé « un collègue ».

Azarie NZUNGIZE : Je ne parle pas de lui comme un collègue, mais comme une personne qui est poursuivie des mêmes faits que moi, c’est ce que je voulais dire.

 QUESTIONS PARTIES CIVILES :

Me GISAGARA : Vos derniers mots s’adressent à l’accusé et vous lui souhaitez « bonne chance »?

Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas comment il s’explique sur les faits dont on l’accuse, mais je lui souhaite bonne chance.

Me GISAGARA : Ce matin, un autre témoin nous a dit que quand on est toujours en procédure, on est pas libre de dire toute la vérité. C’est votre cas, vous êtes toujours en procédure, n’est-ce pas ?

Azarias NZUNGIZE : Le procès que j’attends, c’est celui à la Cour Suprême, j’ai essayé de dire la vérité.

Me GISAGARA : Donc, même si vous êtes encore en procédure, vous vous sentez libre de dire la vérité ?

Azarias NZUNGIZE : J’ai essayé de dire la vérité sur ce que j’ai vu.

Me GISAGARA : Quand vous dites que vous ne savez pas comment le préfet s’est expliqué, est-ce que vous voulez dire que vous avez une inquiétude qu’il vous ait impliqué vous aussi ?

Azarias NZUNGIZE : Non, nous ne nous connaissions pas. Par contre, il y en a qui ont plaidé coupable, d’autres non et je ne sais pas ce que lui a fait pour peut-être aider la Cour à comprendre les choses.

Me GISAGARA : Vous avez dit qu’il y avait une réunion fin avril / début mai, une réunion de sécurité qui aurait donné l’ordre de faire des rondes. Vous n’avez pas dit qui a participé à cette réunion ?

Azarias NZUNGIZE : Il me semble que la réunion a eu lieu le 30 avril, avec les bourgmestres, les conseillers communaux, les responsables de partis politiques au niveau préfectoral. Ce sont ces personnes qui figuraient sur les invitations.

Me GISAGARA : Le préfet aussi ?

Azarias NZUNGIZE : J’ai vu la lettre, c’était une convocation par le préfet. Est-ce qu’il aurait convoqué une réunion sans y participer ?

Me GISAGARA : Donc, il y avait le préfet et les autres membres des administrations locales ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, et les responsables des partis politiques au niveau de la préfecture.

Me GISAGARA : C’est cette réunion-là qui a instauré les barrières et organisé les rondes au niveau de la préfecture ?

Azarias NZUNGIZE : Je pense que c’est celle-là. Après cela, il y avait des instructions disant qu’il ne fallait pas encore tuer.

Me GISAGARA : Ça n’a pas empêché que les gens soient tués ?

Azarias NZUNGIZE : Ça n’avait pas empêché les malchanceux d’être tués.

Me GISAGARA : En répondant à une question de Monsieur le Président, sur l’organisation des barrières et des rondes, vous avez dit que les conseillers n’auraient pas pu le faire de leur propre initiative, qu’ils auraient eu des instructions des bourgmestres qui l’auraient eu de plus haut. J’ai bien compris ? Je vais vous situer au jour du grand massacre. Plusieurs témoins ont dit que la population est venue de plusieurs communes, encadrée par les bourgmestres de leurs communes. Est-ce que vous diriez aussi, comme pour les rondes et les barrières, que ces bourgmestres n’auraient pas pu agir de leur propre et qu’ils avaient eux-aussi des informations qui venaient de plus  haut ?

Azarias NZUNGIZE : Le fait de ne pas participer aux rondes pouvait te faire tuer parce que les conseillers surveillaient la participation aux rondes et les bourgmestres aussi veillaient de plus près au point où on pouvait être tué si on n’avait pas participé, c’était un ordre.

Ne répond pas du tout à la question.

Me GISAGARA : Vous habitiez dans la maison de GATABARWA, il avait une moto, qu’est-elle devenue ?

Azarias NZUNGIZE : Je ne sais pas comment cela s’est passé, je sais qu’il y a eu des poursuites au niveau des Gacaca.

Me KARONGOZI : Dans le cadre de vos fonctions en tant que secrétaire du sous-préfet, est-ce qu’il vous arrive de préparer des projets de lettre du sous-préfet ?

Azarias NZUNGIZE : Non, je ne préparais pas de lettre, à part des lettres simples, sinon c’est lui qui les préparait. Il les donnait juste aux dactylographes qui les tapaient.

Me KARONGOZI : Mais tous ces courriers passaient entre vos mains. Vous étiez le secrétaire en chef du sous-préfet et en-dessous de vous il y a deux dactylographes, dont BERNADETTE, on est d’accord ? Quand le sous-préfet prépare un courrier qui va être dactylographié, cela passe par vous ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, le sous-préfet pouvait lui donner directement pour qu’elle tape la lettre, mais dans tous les cas elle devait me revenir pour que je la valide.

Me KARONGOZI : De même, tous les papiers non confidentiels passaient entre vos mains pour enregistrement ?

Azarias NZUNGIZE : Oui.

Me KARONGOZI : Par rapport au téléphone, vous avez un téléphone parallèle à celui du sous-préfet de façon à ce que quand le préfet appelle le sous-préfet, cela passe par vous ?

Azarias NZUNGIZE : Non, quand on appelait le sous-préfet, il avait son téléphone, moi aussi j’en avais un. Mais quand il n’était pas dans son bureau, j’allais dans son bureau pour voir qui l’appelait.

Me KARONGOZI : Vous allez dans son bureau ou vous avez un téléphone parallèle ?

Azarias NZUNGIZE : Il y avait deux lignes : une ligne du secrétariat et une ligne parallèle à la ligne du sous-préfet. Quand il était dans son bureau je ne répondais pas.

Me KARONGOZI : Est-ce que le sous-préfet vous fait confiance ? Êtes-vous en bonne relation avec votre patron, le sous-préfet ?

Azarias NZUNGIZE : Je ne peux pas savoir. Comme nouvel employé, je n’avais pas de problèmes avec lui.

Me KARONGOZI : Êtes-vous au courant qu’il portait un pistolet ?

Azarias NZUNGIZE : Oui, je le voyais.

Me KARONGOZI : Êtes-vous au courant qu’il a tué KARANGANWA avec ce pistolet ?

Azarias NZUNGIZE : Il a été transporté à l’hôpital, je ne sais pas s’il est mort ou pas.

Me KARONGOZI : Vous avez dit que vous êtes allé au procès du sous-préfet, quelle a été sa condamnation ?

Azarias NZUNGIZE : Dans ce procès, il a été condamné à mort. Mais, devant les Gacaca, il a eu une peine à perpétuité.

Me KARONGOSI : A quelle peine a été condamné le bourgmestre de KARAMA ?

Azarias NZUNGIZE : Lors du premier procès, aussi la peine de mort. Il a reçu vingt-quatre ans en Gacaca.

Me KARONGOZI : Savez-vous pourquoi la peine a été diminuée en Gacaca ?

Azarias NZUNGIZE : Devant les Gacaca, il a reconnu ses faits et a demandé pardon.

Me KARONGOZI : BERNADETTE, quand vous lui rendez visite pendant le génocide, est-ce qu’elle vous parle de la situation de son mari ? Ou il se trouve ? Et sous quelle protection ?

Azarias NZUNGIZE : Elle m’avait dit qu’il était en mission et quand il y a eu la chute de l’avion, il n’était pas revenu de mission, ce sont les nouvelles que nous avions.

Me FOREMAN : Vous avez dit tout à l’heure « à un moment, il y a eu des instructions pour arrêter les massacres et cela s’est arrêté ». Est-ce que vous pouvez expliquer à quel moment il y a les instructions et de qui ?

Azarias NZUNGIZE : Il me semble que les instructions avaient été données par le préfet, ensuite les bourgmestres et sous-préfets avaient rapporté ces instructions dans leurs communes.

Me FOREMAN : Quand ces instructions sont-elles données ?

Azarias NZUNGIZE : Au début du mois de mai.

Me BERNARDINI : Une question sur les livraisons d’armes et l’organisation des comités de défense civile. M. le Président vous a rappelé vos déclarations en D10598/5 . Pouvez-vous me donner des précisions sur la façon dont ces informations sont relayées de la préfecture aux bourgmestres ?

Azarias NZUNGIZE : Je me base sur le rapport du bourgmestre de la commune de RUKONDO qui écrivait au préfet pour donner le nom des personnes qui composaient le comité de défense civile. J’ai vu qu’il avait écrit au préfet en informant le coordinateur de la défense civile qui était SIMBA, ainsi que le sous-préfet. Les instructions venaient d’en haut et il a fait un rapport pour dire comment ça s’était passé car ils avaient dû recevoir ces instructions.

Me BERNARDINI : Que voulez-vous dire par « les instructions venaient d’en haut » ?

Azarias NZUNGIZE : Comme il donnait le rapport au préfet pour l’informer de la façon dont les choses se déroulaient, je suppose qu’ils avaient reçu des instructions quelque part. S’il a adressé le rapport au préfet, c’est que ça devait être lui qui avait donné les instructions.

Me BERNARDINI : Vous nous dites que les instructions descendent du préfet aux bourgmestres en passant par vous à la sous-préfecture et qu’ensuite, les rapports remontent par la même procédure ?

Azarias NZUNGIZE : Tel que j’ai vu le rapport, je suppose que le rapport était une réponse de là où venaient les instructions. Je suppose que le préfet aussi les avaient reçues d’en haut, les instructions avaient été données par le gouvernement intérimaire. C’est dans ce cadre que cela a été instauré.

 QUESTION MINISTÈRE PUBLIC :

 Ministère Public : Vous nous avez indiqué être revenu le 13 avril à la sous-préfecture pour travailler, il ressort des déclarations de Laurent BUCYIBARUTA que lui est venu à CYANIKA le 14 avril. Avez-vous eu connaissance de la visite du préfet à CYANIKA ?

Azarias NZUNGIZE : Je ne l’ai pas su.

Ministère Public : Cela vous semble possible qu’une personne qui travaille à la sous-préfecture ne soit pas informé d’une visite officielle du préfet sur le ressort même de cette sous-préfecture ?

Azarias NZUNGIZE : Le 14 avril ?

Ministère Public : Oui, ou vers cette date.

Azarias NZUNGIZE : : Non, je ne sais pas, à moins qu’il ne soit venu voir les réfugiés, mais il n’y a pas eu de réunion officielle.

Ministère Public : Une visite pour voir les réfugiés, ce n’est pas une visite officielle mais une visite personnelle ?

Azarias NZUNGIZE : La visite officielle c’est quand les bourgmestres, les conseillers et la population ont été invités, tout le monde est au courant. Quant à cette autre visite, il devait passer par-là, moi je ne l’ai pas su.

Ministère Public :  Vous parlez d’une visite du préfet aux réfugiés, c’est quelque chose dont vous êtes informé ou pas ?

Azarias NZUNGIZE : Il n’y a pas de raison, pour moi, si le préfet était venu par là, je le dirais.

Ministère Public : D’accord, vous ne savez pas.

Azarias NZUNGIZE : Ça aurait d’ailleurs été une chance, car le préfet est une personne très importante. Il ne peut pas arriver sur place sans que les gens ne le sachent.

 QUESTIONS de la  DÉFENSE :

Me LÉVY : Concernant le bourgmestre Désiré NGEZAHAYO, vous avez rappelé qu’il a été condamné à mort dans un premier temps et dans les Gacaca, sa peine a été réduite à 24 ans. Quand on vous a demandé pourquoi sa peine a été réduite, vous avez dit qu’il a plaidé coupable. Est-ce qu’en même temps qu’il a plaidé coupable, il a accusé d’autres personnes qu’il n’avait pas accusées auparavant, dont vous-même ?

Azarias NZUNGIZE : Non, il a toujours dit comme ça.

Me LÉVY : Vous avez indiqué tout à l’heure que le bourgmestre ne vous avait pas accusé lors du premier procès. Lors de votre deuxième procès, il vous a accusé alors qu’il ne l’avait pas fait auparavant, n’est-ce pas ?

Azarias NZUNGIZE : Je n’ai pas bien saisi.

Me LÉVY répète la question.

Azarias NZUNGIZE : Oui, il a dit autre chose, suite aux informations qu’on avait données sur lui lors des Gacaca.

 

Audition de monsieur Ignace MBONEYABO, prêtre à la paroisse de MUGANZA. Présent à CYANIKA en 1994.

 

Ignace MBONEYABO : Je voulais témoigner au sujet du génocide qui a été commis contre les Tutsi, à CYANIKA. Je vais en parler en me basant sur quatre dates :

  • La première date est celle du 8 ou du 9 avril.
  • La deuxième date est celle du 10 avril.
  • La troisième est celle du 21 avril.
  • La quatrième est celle du 24 avril.

 

Le 8 ou le 9 avril, c’est à ce moment-là que les Tutsi se sont réfugiés à CYANIKA. La date du 10 avril correspond au moment où le bourgmestre de la commune de KARABA et le sous-préfet de la sous-préfecture de KARAMA sont venus voir les Tutsi qui s’étaient réfugiés. Ils leur ont demandé de retourner chez eux et c’est là qu’ils allaient assurer leur sécurité. Le 21 avril, c’est à cette date-là que les massacres terribles ont été commis à CYANIKA. Avant que je ne parle de la date du 24 avril, je voudrais dire que lorsque les massacres allaient commencer, un certain Juvénal GASASIRA nous a fait fuir, il nous a cachés dans une pièce du Centre de santé, nous étions au nombre de sept. Nous avons passé quatre jours dans cette pièce. Le 24 avril, les tueurs nous y ont débusqués. Ils ont immédiatement tué cinq d’entre nous et nous avons survécu à deux. Tels sont les éléments que j’aimerais vous communiquer sur ces dates. Si vous avez des questions vous pouvez me les poser.

Président : Vous êtes né à MATA, dans le district de NYARUGURU ?

Ignace MBONEYABO : C’est vrai, je suis né là-bas.

Président : Est-ce dans la préfecture de GIKONGORO ou cela n’a rien à voir ?

Ignace MBONEYABO : C’est situé dans la préfecture de GIKONGORO.

Président : Près de la paroisse de GIKONGORO ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : MATA, c’est là où il y a une plantation de thé ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : J’ai compris que vous avez effectué des études au séminaire ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Dans quel séminaire êtes-vous allé ?

Ignace MBONEYABO : Le séminaire de BUTARE, puis le grand séminaire de NYAKIBANDA.

Président : Où se situe t-il ?

Ignace MBONEYABO : Dans l’ancienne préfecture de BUTARE.

Président : En 1994, vous aviez quel âge ?

Ignace MBONEYABO : J’avais 28 ans.

Président : Et donc, à ce moment-là, vous étiez séminariste?

Ignace MBONEYABO : J’étais grand séminariste.

Président : Vous alliez être bientôt ordonné prêtre ?

Ignace MBONEYABO : J’ai été ordonné prêtre en 1999, ça voulait dire qu’il me restait cinq ans.

Président : Pour quelles raisons êtes-vous à CYANIKA en avril 1994 ?

Ignace MBONEYABO : J’étais grand séminariste et j’y effectuais mon stage.

Président : Depuis combien de temps étiez-vous à CYANIKA ?

Ignace MBONEYABO : J’y étais arrivé le 1er octobre 1993.

Président : Depuis combien de temps ?

Ignace MBONEYABO : Depuis un peu plus de 6 mois.

Président : Vous deviez rester combien de temps là-bas ?

Ignace MBONEYABO : Je devais partir le 30 juin.

Président : C’était une grande paroisse ?

Ignace MBONEYABO : Je ne visitais pas tous les endroits, je me rendais surtout à des centrales ou succursales de la paroisse. Elle était grande et si ma mémoire est bonne, elle s’étendait sur le territoire de deux communes.

Président : Ces deux communes étaient KARAMA et RUKONDO ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Il n’y avait qu’une seule grande église centrale, c’était celle de CYANIKA ?

Ignace MBONEYABO : Oui, c’est exact.

Président : Depuis combien de temps existait cette église ?

Ignace MBONEYABO : Elle a été créée en 1935.

Président : Savez-vous si lors de précédents troubles (1959, 1963, 1970/1973, 1990), si les Tutsi avaient eu l’habitude de venir à cette église ?

Ignace MBONEYABO : A l’époque, je ne le savais pas, mais je l’ai su au fur et à mesure en suivant l’histoire du Rwanda.

Président : Donc, vous avez su qu’il y avait, lors de troubles précédents, des Tutsi qui étaient venus s’y réfugier ?

Ignace MBONEYABO : A la paroisse de CYANIKA, je ne le sais pas.

Président : On voit aussi qu’il y a une école, un Centre de santé, et un presbytère et peut-être aussi un endroit où il y avait des religieuses ?

Ignace MBONEYABO : C’est correct.

Président : Au Centre de santé, combien y avait-il de personnes qui travaillaient dans ce centre ?

Ignace MBONEYABO : Je ne les connais pas.

Président : Ce Centre de santé n’était que pour la paroisse ou y avait-il des gens qui venaient de plus loin que la paroisse ?

Ignace MBONEYABO : Je me dis que ce n’était pas seulement les gens de la paroisse de CYANIKA, mais aussi des gens qui venaient d’ailleurs.

Président : Y avait-il des gens qu’on soignait sur place?

Ignace MBONEYABO : Je n’ai pas bien compris la question.

Président : Y avait-il des gens qui restaient sur place ou les gens venaient simplement en consultation ?

Ignace MBONEYABO : Il y avait un service d’hospitalisation.

Président : Est-ce que les femmes venaient accoucher ? Est-ce qu’on soignait des blessés ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Que pouvez-vous nous dire sur les sœurs à CYANIKA ? A quel ordre appartenait-elle ?

Ignace MBONEYABO : Une congrégation locale rwandaise :  « Celle de la vierge ».

Président : Combien de religieuses y avait-il ?

Ignace MBONEYABO : Je ne m’en souviens pas.

Président : Souvenez-vous de noms ? La supérieure des religieuses ?

Ignace MBONEYABO : Je me rappelle de soeur Josée, mais pas des autres.

Président : Donc, vous, vous arrivez là en octobre 1993. Et vous êtes sous la responsabilité du prêtre: c’était le père NIYOMUGABO ? Et il y a aussi d’autres religieux ? Un autre prêtre ?

Ignace MBONEYABO : Il y en avait même deux.

Président : Que pouvez-vous me dire sur ces deux autres prêtres ?

Ignace MBONEYABO : L’un s’appelait Alphonse UYEMEYE, le deuxième était Aloys MUSONI.

Président : Quelles étaient leurs fonctions ?

Ignace MBONEYABO : Alphonse était économe de la paroisse et Aloys était chargé de la jeunesse au niveau du diocèse.

Président : Est-ce qu’ils étaient à CYANIKA de façon permanente ?

Ignace MBONEYABO : Ils vivaient là-bas de manière permanente.

Président : Est-ce qu’il y avait également un séminariste ?

Ignace MBONEYABO : Il y avait moi. Mais, au moment du génocide, il y en avait un autre venu en visite.

Président : S’appelait il Marc NTIMUBURA?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : On n’a pas non plus parlé de ce qui est important, à savoir les écoles. Combien y avait-il d’élèves ? Étaient-elles mixtes ?

Ignace MBONEYABO : Impossible de connaitre le nombre, je ne m’en rappelle pas. Mais, ce qui est clair c’est qu’elles étaient mixtes, garçons et filles.

Président : École primaire ? secondaire ?

Ignace MBONEYABO : Deux établissements scolaires, une école primaire et une école secondaire.

Président : Est-ce que c’était un pensionnat ? Est-ce que les élèves rentraient chez eux, restaient sur place ?

Ignace MBONEYABO : Pour l’école primaire, c’était externe, mais en ce qui concerne l’école secondaire c’était un pensionnat, les élèves y restaient.

Président : Quel diplôme on avait dans l’école ? Les plus hauts ?

Ignace MBONEYABO : Le diplôme des humanités, après six ans.

Président : C’est l’équivalent du baccalauréat français ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Au moment du génocide, ce sont les vacances de Pâques ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Donc il n’y a pas d’élèves ?

Ignace MBONEYABO : Non, il n’y en avait pas.

Président : Est-ce qu’avant le génocide il y avait des tenions entre les élèves ? Des problèmes ethniques ?

Ignace MBONEYABO : Non, ça n’a pas eu lieu.

 Président : On sait que pendant un certain temps, il y avait des systèmes de quotas dans l’éducation. Donc on ne pouvait pas avoir plus d’un certain pourcentage d’élèves tutsi. Est-ce qu’en 1994, il y avait toujours des problèmes pour les Tutsi pour accéder à l’éducation ?

Ignace MBONEYABO : Si je parle de ces écoles de CYANIKA, il n’y avait pas d’équilibre ethnique.

Président : Donc, il n’y avait pas de quotas ?

Ignace MBONEYABO : Non, il n’y en avait pas.

Président : Tout le monde pouvait accéder à l’école ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Est-ce qu’il y avait un directeur ? C’était le prêtre ?

Ignace MBONEYABO : Il y avait un directeur, qui n’était pas prêtre.

Président : Au moment du génocide, y avait-il des gens sur place ?

Ignace MBONEYABO : Ils étaient restés parce que c’était la période des vacances.

Président : Vous avez dit qu’il y a quatre dates qui sont importantes, dont le 8 et 12 avril, quelques jours après la mort du président HABYRIMANA. Vous avez expliqué que c’était le moment où les Tutsi sont venus se réfugier à ce moment-là à CYANIKA. Est-ce qu’ils sont tous arrivés à ce moment-là ou est-ce qu’ils sont arrivés petit à petit ?

Ignace MBONEYABO : C’est à cette date-là, qu’ils ont commencé à venir, mais leur nombre est devenu de plus en plus croissant.

Président : S’agissant du nombre de réfugiés, savez-vous s’il y a eu des recensements qui ont été effectués ?

Ignace MBONEYABO : Au début, ils furent recensés.

Président : Souvenez-vous des chiffres de recensement ?

Ignace MBONEYABO : À l’époque, leur nombre se situait entre quatre et six mille.

Président : C’était le 21 avril ? Savez-vous à quelle date a été fait le recensement ?

Ignace MBONEYABO : Bien avant cette date, dans les jours qui ont suivi la date du 10 avril, ils commençaient à arriver.

Président : Selon vous, le 21 avril, il y avait combien de personnes à CYANIKA ?

Ignace MBONEYABO : Je ne peux pas connaitre le nombre, mais ils étaient très nombreux.

Président : Plus que le nombre de recensement ?

Ignace MBONEYABO : Ils étaient extrêmement nombreux.

Président : Où étaient-ils ?

Ignace MBONEYABO : Au presbytère, à la cour, dans les classes, dans le couvent des religieuses.

Président : Y a-t-il eu des réfugiés dans l’église ?

Ignace MBONEYABO : Jamais les réfugiés n’ont été installés dans l’église.

Président : Savez-vous si cela correspondait à une volonté particulière ?

Ignace MBONEYABO : Je ne m’en souviens pas, mais je l’ai constaté ainsi.

Président : C’est parce que cela avait été décidé .

Ignace MBONEYABO : Je ne le sais pas.

Président : Que pouvez-vous nous dire des conditions de vie des réfugiés à CYANIKA?

Ignace MBONEYABO : Je dirais que ces conditions étaient difficiles, car dans un premier temps, ils n’ont plus eu de quoi manger et ils n’ont plus eu de l’eau, en plus de l’incertitude liée à la possibilité d’être attaqués et tués.

Président : Savez-vous pourquoi il n’y avait plus d’eau?

Ignace MBONEYABO : Les gens ont coupé l’eau qui arrivait jusque-là, et il n’y a plus eu d’approvisionnement en eau.

Président : Savez-vous qui a coupé l’eau ?

Ignace MBONEYABO : Je ne les connais pas.

Président : Souvenez-vous quand l’eau a été coupée ?

Ignace MBONEYABO : Il est difficile de connaitre les dates. Ça se situe entre le 21 et le 24 avril.

Président : Avant l’attaque ou après l’attaque ?

Ignace MBONEYABO : Je pense que c’était plusieurs jours avant.

Président : Quand vous avez vu les réfugiés arriver à CYANIKA, est-ce qu’il y avait des blessés ?

Ignace MBONEYABO : Oui il y en avait.

Président : Pourquoi étaient-ils blessés ?

Ignace MBONEYABO : Parmi ceux qui trouvaient refuge, il y en avait qui avaient subi des attaques, qui avaient été agressés.

Président : Pouvez-vous nous décrire les blessures que vous avez pu constater chez ces réfugiés ?

Ignace MBONEYABO :  Certains avaient des blessures au niveau de la tête, d’autres au niveau des bras, et d’autres encore au niveau des jambes.

Président : Selon vous, avec quoi ont été faites ces blessures ?

Ignace MBONEYABO : Ça pouvait être des morceaux de bois, des coups de pierres ou d’autres objets avec lesquels on les avait frappés.

Président : Comme des machettes ?

Ignace MBONEYABO : C’est possible.

Président : Est-ce que les réfugiés ont fait état que certains Tutsi avaient été tués ?

Ignace MBONEYABO : Je ne me souviens pas bien.

Président : Avaient-ils parlé de barrière?

Ignace MBONEYABO : Ils ont dit qu’en venant ils traversaient des barrières.

Président : Savez-vous si des femmes ont pu être violées?

Ignace MBONEYABO : Je ne le sais pas.

Président : Vous avez parlé du 10 avril. Vous dites qu’il y a eu une visite. Vous dites que c’est celle du bourgmestre et du sous-préfet. Sont-ils venus ensemble ? Savez-vous s’il y avait eu d’autres personnes avec eux ? Comment cela s’est-il passé ?

Ignace MBONEYABO : Comme c’était des dirigeants, ils sont venus à deux, c’est eux que j’ai vus. S’ils sont venus avec d’autres personnes, je n’en sais rien.

Président : Est-ce qu’ils sont venus spontanément ou parce que les réfugiés voulaient les voir ?

Ignace MBONEYABO : Ils sont venus car il y avait des réfugiés.

Président : Donc, ils sont venus spontanément pour s’occuper des réfugiés ?

Ignace MBONEYABO : Oui, ils étaient détenteurs d’un message qu’ils voulaient leur livrer comme quoi ils devaient retourner chez eux. Qu’ils allaient s’occuper d’eux quand ils seraient rentrés chez eux.

Président : Quand ils délivrent ce message, il y a toujours des réfugiés qui arrivent ? Des gens qui sont blessés ? Il y a toujours des incidents à ce moment-là ?

Ignace MBONEYABO : Quand ils ont délivré ce message, les réfugiés ont continué à venir. Le nombre grandissait de plus en plus.

Président : Donc, si les réfugiés venaient c’est parce que les troubles continuaient ?

Ignace MBONEYABO : Oui, ça continuait.

Président : Est-ce que vous savez s’il y avait des maisons qui étaient détruites ou incendiées ?

Ignace MBONEYABO : Les maisons ont été détruites et d’autres brûlées, nous les voyions d’en face.

Président : On a des témoins qui font des déclarations contraires aux vôtres. Certains disent qu’au contraire, ils ont reçu des instructions, quand ils étaient chez eux ou cachés de venir à la paroisse.

Ignace MBONEYABO : Moi, à l’endroit où je me trouvais, c’était à la paroisse, je ne sortais pas pour voir ce qui se passait à l’extérieur. Je ne peux pas savoir ce qui s’y passait.

Président : Selon vous, quand le bourgmestre et le sous-préfet viennent dire aux réfugiés qu’ils peuvent rentrer chez eux et que là-bas on assurera leur sécurité, est-ce que vous pensez qu’ils sont crédibles ?

Ignace MBONEYABO : Que chez eux leur sécurité allait être assurée, je pense que cela ne pouvait pas être vrai car de toute façon, l’insécurité continuait à sévir, la situation évoluait de mal en pis.

Président : Est-ce qu’à ce moment-là il y a des gendarmes présents à la paroisse ?

Ignace MBONEYABO : Je ne me rappelle pas quand ils sont venus, mais à un certain moment ils étaient là.

Président : Vous vous souvenez pourquoi ils sont venus ? Est-ce que quelqu’un en a fait la demande ?

Ignace MBONEYABO : Je pense que les instances dirigeantes en ont parlé entre elles et qu’elles se sont dit qu’il fallait assurer la sécurité à ces gens.

Président : Avez-vous discuté de cette situation avec le père NIYOMUGABO ? Est-ce que lui était préoccupé par la situation, est-ce qu’il envisageait de demander la présence de militaires, de gendarmes ?

Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas si c’est le père NIYOMUGABO qui les a appelés ou qui a demandé qu’ils viennent.

Président : Est-ce qu’à un quelconque moment, vous avez vu le préfet Laurent BUCYIBARUTA venir à la paroisse de Cyanika ?

Ignace MBONEYABO : Je l’ai vu une fois venir à la paroisse.

Président : Est-ce que vous vous souvenez quand ?

Ignace MBONEYABO : Il m’est difficile de me souvenir des dates, je ne peux pas m’en rappeler.

Président : Est-ce qu’il est venu en même temps que le bourgmestre et le sous-préfet ?

Ignace MBONEYABO : Il était seul.

Président : Est-ce qu’il s’est adressé aux réfugiés ?

Ignace MBONEYABO : Je ne l’ai pas vu s’entretenir avec les réfugiés.

Président : Avec qui s’est-il entretenu ?

Ignace MBONEYABO : J’ai vu le père NIYOMUGABO le raccompagner.

Président : Est-ce que le père vous a dit ce qui avait pu s’échanger entre eux ?

Ignace MBONEYABO : Non, il ne me l’a pas dit.

Président : Selon vous, combien de temps est resté le préfet ?

Ignace MBONEYABO : J’ai vu quand on l’a raccompagné, mais je ne sais pas quand ’il était venu.

Président : Souvenez-vous s’il y a eu des attaques avant le 21 avril  ?

Ignace MBONEYABO : Un jour, que je ne me rappelle pas, quelqu’un est venu à travers la clôture, il a lancé une grenade dans la cour intérieur.

Président : Souvenez-vous d’attaques à la paroisse que les gendarmes ont repoussées?

Ignace MBONEYABO : Je ne m’en souviens pas.

Président : Était-il possible pour les gens de l’extérieur de voir les réfugiés ?

Ignace MBONEYABO : C’était possible, car il n’y avait pas une porte d’entrée visible et il y avait plusieurs endroits par lesquels on pouvait entrer.

Président : Y avait-il un peu de soutien ?

Ignace MBONEYABO : Je me rappelle que le père a ouvert un silo de nourriture, et qu’il l’a donnée à ces réfugiés.

 Président : Est-ce que des vivres ont été amenées par des associations comme CARITAS ou autres ?

Ignace MBONEYABO : Le riz qui était dans le silo, le père le leur a donné. C’était du riz que la CARITAS avait amené là-bas et qui avait été stocké dans le silo.

Président : En dehors de ce riz pris sur des réserves, avez-vous vu des gens venir apporter la nourriture ?

Ignace MBONEYABO : Non.

Président : Connaissez-vous une dame qui était blanche et qui s’appelait MADELEINE ?

Ignace MBONEYABO : Oui, je la connaissais.

Président : Le 21 avril correspond à la troisième date qui est importante pour vous. À cette date, pouvez-vous nous dire ce que vous voyez ? Quels sont les premiers souvenirs que vous avez du 21 avril ?

Ignace MBONEYABO : Le 21 avril, nous nous sommes attablés pour le petit déjeuner. Comme d’habitude, nous avons regagné nos chambres respectives. À ce moment-là, le père NIYOMUGABO nous a demandé de sortir et qu’on allait se cacher quelque part, dans l’une des pièces du Centre de santé. On a commencé à tirer sur les réfugiés jusqu’à 17H. A ce moment-là, ce n’était pas fini totalement, car d’autres massacres ont continué à être commis, on entendait sporadiquement des bruits de balles. C’est ça qui s’est passé à la date du 21 avril. Ce qui s’est passé, je ne le sais pas, mais lorsque ça s’est produit, nous étions cachés quelque part et nous ne le voyions pas de nos yeux.

Président : En prenant le petit-déjeuner, voyez-vous des nouveaux réfugiés arriver ?

Ignace MBONEYABO : Tout le temps, ils ne cessaient jamais de venir.

Président : Avez-vous appris qu’il y avait déjà eu une attaque à MURAMBI ?

Ignace MBONEYABO : Si ma mémoire est bonne, ça s’est passé aussi le 21 avril, et à CYANIKA aussi le 21. Donc ça s’est passé en même temps.

Président : Donc, pour vous, ça se passe dans une même unité de temps ?

Ignace MBONEYABO : Ce n’est pas exactement simultanément, car ça a commencé d’abord à MURAMBI, et après CYANIKA.

Président : Savez-vous si à d’autres endroits il y a eu des attaques ?

Ignace MBONEYABO : Selon ce que j’ai appris après, oui.

Président : Aviez-vous remarqué s’il y avait eu un changement dans l’attitude des gendarmes ?

Ignace MBONEYABO : Ceux qui étaient là et avec qui nous partagions à manger, ils étaient au nombre de trois, je n’ai pas remarqué de changement.

Président : Avez-vous vu le chef des gendarmes visiter les réfugiés ?

Ignace MBONEYABO : Je ne l’ai pas vu.

Président : Connaissez-vous le nom des personnes réfugiées qui étaient connues chez les Tutsi ?

Ignace MBONEYABO : Le premier que je citerai c’est le père NIYOMUGABO.

Président : On va revenir sur les prêtres. Vous n’avez pas vu du tout les attaquants ?

Ignace MBONEYABO : Non.

Président : Donc, vous ne savez pas si c’était des militaires ou pas ?

Ignace MBONEYABO : Non, je ne peux rien en savoir car lors des attaques j’étais caché quelque part.

Président : Au Centre de santé, dans une pièce où  Juvénal GASASIRA vous avait conduit ?

Ignace MBONEYABO : C’est exact.

Président : Ça faisait partie de la pharmacie ?

Ignace MBONEYABO : C’était la pharmacie même.

Président : Combien de temps êtes-vous resté dans cette pharmacie?

Ignace MBONEYABO : Du 21 au 24 avril.

Président : Pendant le temps où vous êtes restés, avez-vous entendu des tirs, des balles, des coups ? Ou c’était surtout le 21 ?

Ignace MBONEYABO : Nous avons surtout entendu le 21, même pendant les jours qui ont suivi, on entendait un cri par ci par là.

Président : Il y a un téléphone à la paroisse ?

Ignace MBONEYABO : Oui, mais on l’a coupé.

Président : Quand ?

Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas.

Président : Pendant le génocide, il a fonctionné ?

Ignace MBONEYABO : Oui, pendant les premiers jours.

Président : Est-ce que les autorités religieuses, notamment l’évêque, ont été prévenues ?

Ignace MBONEYABO : Oui, il a été informé.

Président : Est-ce qu’il est venu ?

Ignace MBONEYABO : Non.

Président : Est-ce que le père NIYOMUGABO vous a parlé des entretiens avec l’évêque ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Qu’est-ce qu’il disait ? Est-ce que le père NIYOMUGABO vous a parlé de ses entretiens avec l’évêque ?

Ignace MBONEYABO : Il a téléphoné à l’évêque et a dit que nous étions encore en vie, et il lui a dit que si ça lui était possible, il devait venir nous secourir.

Président : Était-il très concerné par ce qui se passait avec la population ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : A t-il lancé un appel au secours ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Est-ce que vous étiez informé de ce qui pouvait se passer ailleurs qu’à CYANIKA ?

Ignace MBONEYABO : A ce moment-là, non.

Président : On a parlé de KIBEHO, avez-vous su ce qui s’y était passé ?

Ignace MBONEYABO : Je l’ai appris par après.

Président : Du 21 au 24 avril, ce n’était pas des conditions très faciles ? Avez-vous  eu à manger ?

Ignace MBONEYABO : C’était très compliqué, de temps en temps, pendant la nuit, GASASIRA nous apportait à manger, mais pas d’eau.

Président : Pouvez-vous nous raconter ce qui se passe quand vous avez été débusqué ?

Ignace MBONEYABO : Ce jour-là, il y a eu des prisonniers de la prison de GIKONGORO qui étaient venus à CYANIKA pour l’ensevelissement des corps. Ils ont coupé et forcé la fenêtre de là où nous étions, et nous ont vus dedans. Ils sont passés par là, ont ouvert la porte, et beaucoup sont rentrés dedans. Ils ont commencé à nous frapper et à tuer. Nous sommes restés vivants à deux.

Président : Ceux qui ont été tués, le père Joseph NIYOMUGABO et le séminariste Marc, étaient-ils Tutsi ?

Ignace MBONEYABO : Je ne le savais pas.

Président : Il y avait aussi des nièces du père ?

Ignace MBONEYABO : Elles étaient deux.

Président : Ces deux nièces ont été tuées aussi ?

Ignace MBONEYABO : Elles ont été immédiatement tuées.

Président : Comment ont-elles été tuées ?

Ignace MBONEYABO : Elles ont été frappées avec des morceaux de bois .

Président : Des gourdins ?

Ignace MBONEYABO : Non, c’était des morceaux de bois, car les gourdins sont taillés d’une certaine manière.

Président : Vous avez aussi parlé de l’économe de la paroisse Alphonse, a t-il été tué aussi ?

Ignace MBONEYABO : Non, à ce moment-là il était allé en congé à BUTARE.

Président : Donc quatre personnes ont été tuées ?

Ignace MBONEYABO : Cinq avec RUGEMA.

Président : Qui était-il ?

Ignace MBONEYABO : Un habitant de  CYANIKA. Quand il a vu qu’on nous évacuait, il est venu parmi nous et nous sommes partis ensemble.

Président : Quand les prisonniers ont tué tous ces gens-là, il y avait d’autres personnes présentes ?

Ignace MBONEYABO : Non, les personnes que j’ai vues, c’étaient des prisonniers.

Président : Donc, il y a eu deux survivants, vous et Aloys ?

Ignace MBONEYABO : Oui, nous avons quitté CYANIKA, mais dans le courant du mois de mai il est par la suite décédé.

Président : Pourquoi n’avez-vous pas été tué ?

Ignace MBONEYABO : Car ils ont vu ma carte d’identité.

Président : Ils ont vu que vous étiez Hutu?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Ce fut la même chose pour Aloys ?

Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas.

Président : Que s’est-il passé ensuite ?

Ignace MBONEYABO : On est allé chez l’évêque.

Président : Avez-vous vu chez l’évêque des personnes que vous connaissiez ?

Ignace MBONEYABO : L’évêque, nous le connaissions et il en était de même pour les autres personnes qui vivaient avec lui. Il y avait le père NYAMWASA, le père MURINZI et le séminariste GAKWISI.

Président : Que va-t-il leur arriver ?

Ignace MBONEYABO : Pour les prêtres et Aloys, ils ont été conduits à la prison de BUTARE, et ensuite ils ont été ramenés à la prison de GIKONGORO et c’est là qu’ils ont été tués. En ce qui concerne le séminariste, GAKWISI, il a continué à vivre et il est même devenu prêtre.

Président : Pourquoi ont-ils été conduits là ?

Ignace MBONEYABO : Pour le génocide.

Président : Car ils étaient Tutsi ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Président : Qui est venu les chercher ? Comment cela s’est passé ? Comment ont-ils quitté l’évêché ?

Ignace MBONEYABO : Concernant le départ de l’évêché, un commandant militaire est venu les emmener à BUTARE, je ne connais pas son nom.

Président : Savez-vous comment s’appelle le commandant ? Est-ce que c’était un gendarme ?

Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas.

Président : Avez-vous entendu dire qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt par le Procureur ?

Ignace MBONEYABO : Ça je ne l’ai pas entendu.

Président : En dehors de ces prêtres, est-ce que vous avez retrouvé des religieuses ?

Ignace MBONEYABO : Il y en avait qui vivaient là-bas à GIKONGORO, il y a un couvent des religieuses et c’est celles-là qu’on a trouvées sur place.

Président : Connaissez-vous la soeur Josépha ?

Ignace MBONEYABO : Je la connais.

Président : Est-ce qu’elle était à l’évêché ?

Ignace MBONEYABO : À ce moment-là, non, elle n’y était pas.

Président : Quelle a été la réaction de l’Evêque lorsque les Tutsi ont été tués ?

Ignace MBONEYABO : Ça l’a attristé.

Président : Était-il allé se plaindre ?

Ignace MBONEYABO : Non.

 

Président : Est-ce qu’à ce moment-là, il y avait toujours des offices, des messes qui étaient célébrées ?

Ignace MBONEYABO : Non ça s’était arrêté.

Président : Quand est-ce que ça a repris ?

Ignace MBONEYABO : Je ne me souviens pas, mais ça a duré un mois.

Président : Est-ce que le préfet faisait partie des paroissiens fidèles venant à la cathédrale ?

Ignace MBONEYABO : C’était une période difficile, comme celle-là, et c’était à peine que je l’avais vu quand on l’avait ramené à CYANIKA.

Président : L’avez-vous vu à la cathédrale ?

Ignace MBONEYABO : Le préfet, je ne l’ai pas vu.

Président : Voyez-vous d’autres choses à ajouter ?

Ignace MBONEYABO : Vous avez fait le tour, vous avez posé beaucoup de questions.

Président : Savez vous ce qui s’est passé à MATA et KIBEHO ?

Ignace MBONEYABO : Je ne suis pas au courant de ce qui s’est passé à MATA, mais pour KIBEHO, je le sais car j’ai entendu les gens raconter ce qui s’était passé.

Président : Est-ce que l’évêque vous a dit qu’il était allé à KIBEHO ?

Ignace MBONEYABO : Il nous a dit qu’il a été à KIBEHO, ça, il nous l’a dit.

Président : Qu’a-t-il dit de cette visite ?

Ignace MBONEYABO : Il nous a dit qu’il est allé sur place et qu’il a trouvé des élèves, qu’il a ramené certains d’entre eux qui voulaient rentrer chez eux.

Président : Savez-vous ce qui s’est passé avec les élèves de KIBEHO ?

Ignace MBONEYABO : Je ne sais pas trop, mais certains d’entre eux sont toujours en vie.

Président : Certains ne sont pas en vie, Monsieur, certains sont morts. Est-ce que vous connaissez le prêtre, le directeur de l’école Marie Merci de KIBEHO ?

Ignace MBONEYABO : Tout ce que je sais, c’est qu’il a fui et qu’il ne vit plus au Rwanda, il vit en Italie.

QUESTIONS :

Juge assesseur 3 : Je vois que Monsieur a une marque importante sur le côté gauche du crâne, je voulais savoir si ça a un lien avec les événements du génocide ?

Ignace MBONEYABO : Ma cicatrice je l’ai eu quand j’ai été soigné à l’hôpital.

Juge assesseur 1 : Le jour de la grande attaque, est ce que la soeur Josépha était là, et les autres sœurs ?

Ignace MBONEYABO : Elles étaient déjà parties.

Juge assesseur 1 : Souvenez-vous de la date et des circonstances de leur départ ?

Ignace MBONEYABO : Je ne me souviens pas de la date, mais ce qui a fait qu’elles partent, je peux me l’imaginer : c’est parce qu’elles voyaient qu’il n’y avait pas de sécurité. Et des personnes qui les connaissaient sont venues les prendre, mais je ne les connais pas.

QUESTION DES PARTIES CIVILES :

Me KARONGOZI : Monsieur l’abbé, GASASIRA Juvénal qui vous a protégé, qui vous a mis dans la pharmacie du Centre de santé, il faisait quoi comme travail à CYANIKA ?

Ignace MBONEYABO : C’était un chauffeur du Centre de santé.

Me KARONGOZI : Est-ce qu’il a été inquiété pour vous avoir caché ?

Ignace MBONEYABO : Il ne l’a pas manifesté.

Me KARONGOZI : Savez-vous qu’il est mort d’une mort naturelle il n’y a pas très longtemps ?

Ignace MBONEYABO : Oui je le sais.

Me KARONGOZI : A propos de l’école secondaire de CYANIKA, c’est une école officielle ou une école privée ?

Ignace MBONEYABO : École mise en place avec les conventions entre l’Eglise et l’État.

Me KARONGOZI : C’est pour ça qu’il n’y a pas de quotas ?

Ignace MBONEYABO : La raison, je ne peux pas la connaitre.

 

Me KARONGOZI : À propos de l’abbé NIYOMUGABO, savez-vous qu’il a été décoré comme un juste par les autorités rwandaises ?

Ignace MBONEYABO : Oui, ça je le sais.

Me KARONGOZI : Est-ce que l’évêque a organisé son enterrement ?

Ignace MBONEYABO : Il a été enterré presque deux fois …

Me KARONGOZI : Est-ce que l’évêque, monseigneur MISAGO, qui était en vie, était présent ?

Ignace MBONEYABO : Il n’était pas là.

Me KARONGOZI : C’était son diocèse pourtant ?

Ignace MBONEYABO : Je ne pourrai pas connaître les raisons.

Me KARONGOZI : Savez-vous qu’il y a eu un procès contre cet évêque, qu’il a fait de la prison préventive[20]? Savez-vous que parmi les gens qui ont donné des témoignages à charge figure GAKWISI qui a survécu, un grand séminariste ? Sœur Josépha aussi ?

Ignace MBONEYABO : Oui, je le sais.

Me KARONGOZI : Vous savez que GAKWISI a quitté la soutane, et s’est réfugié au Canada …

(……………………………………………………………………………………………………………………………)

QUESTIONS DU MINISTÈRE PUBLIC :

Ministère public : J’aimerais revenir sur un point que vous n’avez pas évoqué. Savez-vous si la veille de la grande attaque, le père NIYOMUGABO est allé à GIKONGORO pour demander de l’aide ?

Ignace MBONEYABO : Je ne m’en rappelle pas.

Ministère public : Dans le journal de Madeleine Raffin qui était en contact avec lui, elle explique qu’en date du 20 avril, elle se rend à la gendarmerie, elle rencontre l’abbé venu demander un supplément de garde pour CYANIKA, car il assure que le ton monte à la paroisse. Vous ne le savez pas ?

Ignace MBONEYABO : Je n’en sais rien non plus.

Ministère public : Vous avez évoqué une attaque à la grenade ?

Ignace MBONEYABO : Oui.

Ministère public : Savez-vous s’il y a eu des morts, des blessés ?

Ignace MBONEYABO : Il y a eu des morts, je ne sais pas si c’est au nombre de quatre qui sont décédés, et des blessés certainement.

Ministère public : Vous dites « certainement », mais est-ce que vous l’avez constaté ou pas ?

Ignace MBONEYABO : C’est ce que je vous dis, il y a eu des morts et des blessés aussi.

Ministère public : Savez-vous s’ils ont reçu des soins ? Ont-ils été transportés quelque part ?

Ignace MBONEYABO : On les a pris au centre de CYANIKA pour avoir les premiers soins.

QUESTIONS DE LA DÉFENSE :

Me  LÉVY : Mon confrère a rappelé que Monseigneur MISAGO avait été détenu provisoirement, vous rappelez-vous qu’il a été intégralement acquitté par les juges rwandais ?

Ignace MBONEYABO : Oui, je m’en souviens aussi.

Me  LÉVY : Il est décédé en mars 2012, j’imagine que les commémorations ont eu lieu en avril 2012 n’est-ce pas ? Donc, c’est peut être la raison pour laquelle qu’il n’a pas pu s’y rendre ?

Ignace MBONEYABO : C’est compréhensible.

Me KARONGOZI : Quand on ouvre officiellement le Mémorial, c’est en février 2012…

Président : Je ne vais pas faire un état de santé de Monseigneur MISAGO !!!

La parole est donnée à monsieur Laurent BUCYIBARUTA.

Merci, Monsieur le Président. Quand je suis allé à cette paroisse, car il y avait des réfugiés, le 14 avril, je me suis entretenu avec le curé. Après notre entretien à huis clos, il m’a parlé de la situation que je constatais moi-même et en rentrant je suis passé par le couvent des religieuses car je devais m’enquérir de leur situation. Et c’est là que j’ai conduit à GIKONGORO soeur Josépha. Elle a était déposée à l’évêché où se trouve sa maison, ses sœurs ont été logées par Madeleine RAFFIN.

Ensuite, concernant la coupure d’eau évoquée, le 14 avril, personne ne m’a informé de cette coupure d’eau. Concernant les denrées alimentaires, dans chaque paroisse, le secours catholique avait déposé des vivres car nous avions demandé à différentes association caritatives d’avoir des stock de vivres dans les paroisses. Et, c’est ces paroisses qui s’occupaient de la distribution de vivres disponibles. Il y avait non seulement les stocks de CARITAS, mais aussi un silo où la population pouvait déposer les denrées alimentaires, dont une partie spéciale comme riz et haricots distinct de la pratique de dépôt de vivres de CARITAS.

 

Précision de calendrier: le vendredi 3 juin 2022, il n’y aura pas d’audience. Monsieur BUCYIBARUTA doit se rendre chez lui pour y recevoir des soins. Prochaine audience: mardi 7 juin 2022 à 9h30. Monsieur GUICHAOUA revient pour répondre aux questions qui n’ont pu lui être posées à la suite de son audition.

Alain GAUTHIER

Mathilde LAMBERT pour les notes d’audience.

Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.

  1. Aloys SIMBA : officier à la retraite au moment du génocide, chef de la défense civile dans les préfectures de Butare et Gikongoro, condamné par le TPIR à 25 ans de prison pour « génocide et extermination, crimes contre l’humanité »[]
  2. Capitaine Faustin SEBUHURA : commandant adjoint de la gendarmerie de Gikongoro.[]
  3. Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. glossaire.[]
  4. MRND : Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, ex-Mouvement révolutionnaire national pour le développement, parti unique de 1975 à 1991 fondé par Juvénal HABYARIMANA.[]
  5. PSD : Parti Social Démocrate[]
  6. Kubohoza : racolage pratiqué par certains partis politiques pour obtenir des adhésions forcées.[]
  7. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.[]
  8. MINITRAPE : Ministère des Travaux Publics et de l’Équipement[]
  9. Ibid.[]
  10. Théodore SINDIKUBWABO : Président du GIR (Gouvernement Intérimaire Rwandais) pendant le génocide. Voir Focus – L’État au service du génocide[]
  11. Ibid. []
  12. Ibid.  []
  13. MDR : Mouvement Démocratique Républicain, voir glossaire[]
  14. Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.[]
  15. Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[]
  16. Ibid.   []
  17. KAZUNGU, de son vrai nom Etienne URINZWENIMANA qui a été entendu le matin.[]
  18. Ibid.    []
  19. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
    Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
    Cf. glossaire.[]
  20. Lire notre article (publié il y a déjà plus de 10 ans!) : La mort de Monseigneur Misago : un témoin potentiel dans l’affaire Bucyibaruta disparaît[]

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