Procès HATEGEKIMANA/MANIER, mercredi 24 mai 2023. J9

Le compte-rendu des auditions du mardi 23 mai sera publié ultérieurement.



Audition de Damascène BUKUBA, 69 ans, assaillant, barrière de RWESERO, cité à la demande du ministère public, visioconférence

Le premier témoin de cette neuvième journée est Damascène BUKUBA. Il était un tailleur qui vivait à RWESERO au moment du génocide des Tutsi. Il est entendu en visio-conférence et dit connaître l’accusé. Au cours des questions du président LAVERGNE, le témoin affirme qu’il a tenu une barrière à RWESERO. Ce sont des conseillers de secteur qui avaient décidé de mettre en place les barrières et notamment les conseillers Gervais TWAGIRIMANA et RUDAHUNGA. Il dit qu’il a vu BIGUMA venir souvent à la barrière pour s’entretenir avec les conseillers de secteur. Il n’a jamais participé aux réunions « d’ incitation », mais il avait reçu pour ordre d’aller à la barrière.

Quand le président demande au témoin pourquoi les barrières ont été érigées, il répond que c’était pour assurer la sécurité de la population, ce qui voulait dire arrêter et tuer les Tutsi. La barrière qu’il a tenue était installée à côté de la maison de Jean-Pierre NGIRINSHUTI, un Tutsi. Concernant l’accusé, Damascène confirme qu’il était souvent venu se déplacer en moto, et qu’il était connu comme n’étant « pas une bonne personne ».

 


Audition de Lameck NIZEYIMANA, 47 ans, assaillant, barrière de RWESERO, cité à la demande du ministère public, visioconférence.
(Son état de santé ne lui permet pas de se déplacer, raison pour laquelle il sera entendu en visioconférence depuis Kigali).

Le second témoin de la journée est Lameck NIZEYIMANA, qui est également entendu en visio-conférence depuis KIGALI. Il est actuellement maçon et agriculteur, mais en 1994, il avait 18 ans et était élève de secondaire. Il vient de RUKARI, une petite commune près de NYANZA. Lors de sa déclaration spontanée, il commence par dire qu’il vient témoigner à charge de Philippe HATEGEKIMANA concernant son rôle pendant le génocide des Tutsi. Monsieur NIZEYIMANA faisait partie d’un groupe de tueurs qui opérait à la barrière de RUKARI et qui était dirigé par le secrétaire de la sous-préfecture de NYABISINDU, Jean Damascène MUGENZI.

Il raconte qu’après l’attentat du président HABYARIMANA, les Tutsi ont commencé à se cacher, et des groupes de Hutu composés de nordistes, ont commencé les massacres. Quand le président mentionne la CDR[1] et le Hutu Power[2] au témoin, il dit que plusieurs membres de ces groupes étaient à la tête d’établissements industriels, médicaux, judiciaires et scolaires à NYANZA. Ils organisaient des meetings politiques au stade de NYANZA avant le début du génocide. Le 22 avril 1994, le capitaine BIRIKUNZIRA et l’adjudant-chef HATEGEKIMANA ont commencé à inciter la population à tuer les Tutsi en montrant un exemple de « comment on tue ». Le 23 avril, Monsieur NIZEYIMANA a reçu l’ordre de se poster à la barrière de RUKARI. A la barrière, lui et les autres Hutu présents étaient armés de bâtons, de machettes et de gourdins.

Le témoin raconte les différentes anecdotes qui impliquent l’accusé. Un jour, Le capitaine BIRIKUNZIRA et BIGUMA sont arrivés dans une voiture, avec à l’arrière, des gendarmes. Ils leur ont donné l’ordre de tuer les Tutsi, de manger leurs vaches et de détruire leurs maisons. Le témoin raconte ensuite, qu’un jour un peu plus tard, puisqu’il n’avait pas de carte d’identité, il est allé demander une attestation à Gervais TWAGIRIMANA, à une autre barrière, pour prouver qu’il était Hutu[3]. Arrivé au niveau de la barrière, il a vu l’accusé et d’autres gendarmes dire aux gens de tuer les Tutsi réunis à la barrière dans le champ d’avocatiers qui se situait un peu plus loin.

Monsieur NIZEYIMANA se lance alors dans un récit marquant, celui d’un massacre dans une église pentecôtiste ADEPR[4]. Le capitaine BIRIKUNZIRA et des gendarmes ont demandé à quelqu’un de venir récupérer de l’essence pour brûler les maisons des Tutsi et ils ont demandé d’amener un sifflet pour avertir les gendarmes quand ils auraient besoin de renfort. Avec cette essence, le groupe de civils dont le témoin faisait partie a brûlé l’église qui contenait plusieurs Tutsi réfugiés. Voyant que les Tutsi n’étaient pas morts dans l’incendie, le groupe les a fait sortir et a utilisé le sifflet comme BIRIKUNZIRA et BIGUMA leur avaient indiqué. Alors, des gendarmes qui étaient en train de commettre des massacres au stade de NYANZA et à la forêt de KABARE sont arrivés et ont tué le groupe d’une quinzaine de Tutsi avec des armes à feu. L’église a ensuite été pillée et les cadavres, enterrés.

Quand le président lui demande ce qui s’était passé au stade de NYANZA et à la forêt de KABARE, le témoin raconte qu’il a vu un groupe de gendarmes et de civils tuer des Tutsi. Avant de les tuer, ils dépouillaient les Tutsi riches, et violaient les femmes.

Pour finir, le témoin répond à la question du président concernant la fin des barrières en disant qu’elles sont restées en place jusqu’à la prise de la ville le 30 mai 1994 par le FPR[5].

Monsieur NIZEYIMANA a été condamné à une peine de 15 ans de prison. Il avait plaidé coupable et demandé pardon. Les questions des parties civiles, du ministère public et de la défense sont reportées à plus tard au vu de l’heure et des témoins à venir qui se sont déplacés pour être entendus par la cour.

 


Audition de monsieur Alfred HABIMANA, assaillant, barrière de Akazu k’amazi, cité à la demande du ministère public.

Le témoin a été condamné à 14 ans de prison, dont 5 effectués en TIG[6]. Il a été libéré en 2015. Il signale avoir été blessé à KIBEHO lors du démantèlement du camp de réfugiés. D’où des troubles de mémoire depuis.  Il a tenu la barrière de RUGANO, tout près du bureau communal de RWESERO.

Ce sont les gendarmes, dont BIGUMA, qui leur ont dit d’ériger les barrières. Ce sont eux qui les ont réquisitionnés alors qu’ils prenaient un verre dans un bar.

Le même jour, le témoin avoue avoir tué une femme qu’ils étaient allés débusquer chez elle: EPIPHANIE, c’est son nom, était juge et a été conduite à la barrière puis exécutée. Ils ont également pillé la maison, comme on le leur demandait. Monsieur HABIMANA dit avoir demandé pardon pour ce crime.

Le témoin se méfie. Il ne veut pas que ce qu’il dit se retourne contre lui. Monsieur le président le rassure: ce n’est pas son procès.

Maison de Boniface sur la barrière Akazu k’amazi.

Le témoin dit avoir vu les cadavres des gens qui avaient été enfermés dans la maison de BONIFACE, sur la barrière Akazu k’amazi. S’ils sont allés chercher EPIPHANIE, c’est parce que les gendarmes leur reprochait de rester sans rien faire.

Monsieur HABIMANA dit ne pas connaître l’accusé mais les gens disaient « voilà BIGUMA ». Il ne connaît pas son grade mais il était toujours accompagné de gendarmes.

« On nous demandait d’aller travailler et si on refusait, on nous tuait. » C’est ce qui est arrivé à son frère NZANMURAMBANO. Beaucoup de membres de sa famille sont morts en exil mais, ajoute-t-il, « on ne peut pas en parler. Les rescapés peuvent parler mais pas nous. »

À la question de savoir s’il parle de BIGUMA, il précise que c’est au nom de la vérité et pas parce qu’il y serait obligé. Et d’ajouter: « Si les gendarmes ne nous avaient pas incités à tuer, rien ne serait arrivé. »

Quelques questions des parties permettront d’éclaircir un point ou l’autre. C’est maître GUEDJ qui aura le mot de la fin, pas du tout convaincu par la sincérité du témoin: « En fait, vous n’avez jamais vu BIGUMA. Vous ne l’avez pas reconnu sur la planche photographique que vous ont présentée les enquêteurs et pourtant, aujourd’hui, vous dites, en le regardant, que son visage vous dit quelque chose! »

 


Audition de monsieur Michel MBYARIYINGOMA, alias KACERI (Catcheur) assaillant sur la barrière de RUGARAMA, cité à la demande du ministère public.

Le témoin rapporte qu’après l’attentat contre le président HABYARIMANA, il y a eu des changements dans la population. Le conseiller Gervais TWAGIRIMANA a convoqué une réunion au cours de laquelle il avait été décidé d’ériger des barrières. Dans le but « de débusquer les Tutsi, de la traquer partout, de manger leurs vaches et de piller leurs maisons. » Cette réunion s’était tenue dans « le bois des gendarmes », tout près de leur camp, en contrebas du bureau communal. La population était présente. Beaucoup d’autorités étaient présentes, dont le commandant de la gendarmerie et ses hommes, le conseiller Gervais, le directeur de la laiterie, celui de la forge. Parmi les gendarmes, le témoin a reconnu César. Lors de son audition par les gendarmes français, il avait dit qu’il avait vu aussi BIGUMA!

Après la réunion, selon les dires du témoin, les gendarmes sont allés débusquer les Tutsi pour les ramener aux barrières. Lui-même se tenait à la barrière Akazu k’amazi. Il dit être allé ensuite chercher une certaine VENANTIE, sans oublier de prendre ses vaches qu’ils ont abattues et mangées sur la barrière. Sans donner plus d’explications, il dit que cette femme aurait eu la vie sauve et qu’elle serait encore vivante aujourd’hui.

Le témoin évoque ensuite l’épisode de la mort des Tutsi enfermés dans la maison de Boniface. Il était là lors de leur exécution le lendemain. Parmi les victimes, une trentaine de personnes, en majorité des vieillards. Par contre, il n’y a pas eu de femmes violées. Les massacres ont duré jusqu’à l’arrivée du FPR[5].

Interrogé sur BIGUMA, sa taille, sa corpulence, etc. il se contredit, et finir par avouer, à la suite de monsieur le président, qu’il n’est sûr de rien sur BIGUMA.

Encore un témoin qui n’aura pas permis de faire vraiment la lumière sur ce qui s’est passé sur cette barrière. On se demande parfois pourquoi tel ou tel témoin a été cité à comparaître.

 

Pour clôturer la journée, monsieur le président propose que soit diffusé le documentaire « Tuez-les tous ».

 

Quatre témoins devraient être entendus demain: Albert KABERA, assaillant de la barrière Akazu k’amazi, Sabine UWASE, Emmanuel KAMUGUNGA et Emmanuel RUBAGUMYA.

Margaux GICQUEL

Alain GAUTHIER

Jacques BIGOT pour les notes et la mise en page.

 

  1. CDR : Coalition pour la défense de la République, parti Hutu extrémiste, créé en mars 1992, au moment des massacres de Tutsi dans le Bugesera. La CDR a également une milice, les Impuzamugambi., cf. glossaire[]
  2. Hutu Power (prononcé Pawa en kinyarwanda) traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvemertnts politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.[]
  3. Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente : voir Focus – la classification raciale : une obsession des missionnaires et des colonisateurs.[]
  4. ADEPR : Association des Églises de Pentecôte au Rwanda[]
  5. FPR : Front Patriotique Rwandais[][]
  6. TIG : travail d’intérêt général[]

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